Un exemple de journal d’entreprise pharmaceutique
(House Organ) :
Ciels et Sourires de France (Fluxine)
A la fin du XIXe siècle et au XXe siècle, de très nombreuses entreprises pharmaceutiques vont créer leur propre journal destiné d’une part à distraire les professionnels de santé et à faire la publicité de leurs produits, d’autre part (Voir article de la RHP sur ce sujet). Dans les années 1930, les Laboratoires Fluxine, à Villefranche, éditent Ciels et Sourires de France. Le laboratoire avait été fondé en 1923 à Villefranche-sur-Saône par J.Bonthoux. Il fabrique un veinotonique : les gouttes de Fluxine, en 1930. A partir de 1936, il exploite aussi les spécialités des laboratoires Jacquemaire : Vérrulyse, Jacquemaire L’objet de cette exposition est de montrer quelques numéros de cette revue parue entre 1929 et 1962.
Les thèmes principaux du journal concernent l’art et le tourisme et resteront les principaux sujets de la revue pendant les 30 années de son existence. Comme nous allons le voir, la forme, la couleur, et l’iconographie vont cependant être largement modifiés au cours des années.
La revue commence réellement sa parution en mai 1929. En avril 1930, les laboratoires Fluxine donnent leur objectif en créant le journal : »Quand au mois de mai dernier parut le premier numéro de Ciels et Sourires de France, nous n’avions qu’un but : donner à notre publicité la forme la plus agréable et la plus durable. En créant la Revue artistique du médecin que nous avons manifesté notre reconnaissance à tout le corps médical français, lui apportant mensuellement quelques minutes de plaisir et de délassement. Et si les sacrifices que nous nous sommes imposés sont lourds, ils sont adoucis par les encouragements qui nous parviennent de toutes parts. Nous sommes fiers d’avoir entrepris une tâche aussi écrasante, car dépassant le cadre primitivement envisagé, Ciels et Sourire de France serviront quelquefois à transmettre dans toutes les communes de France la défense de nos sites, de nos stations thermales contre lesquels une propagande étrangère mène une campagne de calomnies. Il ne doit plus être permis aux médecins français de laisser surprendre leur bonne foi, de sembler ignorer que sous notre Ciel existent des beautés et que nos sources mêmes modestes renferment la régénérescence des organismes affaiblis.
Nous pensons ainsi faire œuvre utile et servir le monde médical en entier ».
Voici tout d’abord un exemplaire de mars 1930 surtout consacré à la ville de Brou et à son église. La première page intérieure est intitulé « notre récompense » et reproduit la lettre du Dr Parent, de Tournai, adressée à M. Bonthoux, pharmacien de 1ère classe : « J’ai reçu autrefois quelques échantillons de gouttes fluxines dont j’ai fait bénéficier un malheureux instituteur souffrant d’hémorroïdes externes et internes sanguinolentes. Sentant que ce médicament le soulageait, il a continué sa cure, par le flacon authentique : il est complètement guéri de sa double infirmité et publie qu’il se sent rajeuni de dix ans…. ». En décembre 1930 où la revue nous emmène à Saint-Bernard de Comminge (Haute-Garonne). Ce numéro comprend bien sûr des photos du site, mais également un poème du Dr Fouqué, de Lyon, intitulé « Le Pavot ». De nombreuses publicités sont aussi présentes sur les deux spécialités phares du laboratoire : Fluxine et Evonyl. Une page est consacrée à « quelques règles pour faire un bon diagnostic, d’après Robert Hutchinson (1928). Les deux dernières pages de la revue de décembre 1930 méritent d’être signalées : la première évoque le partenariat entre « Ciels et Sourires de France » et la revue « Visions de France », principalement axée sur des photos de paysages de France (Clichés de G. L. Arlaud), partenariat signalé dès le premier numéro de la revue en 1929. Toutes les photos de « Ciels et Sourires de France proviennent de cette revue « Visions de France ». Ce partenariat permet aussi à Fluxine de proposer un abonnement à « Visions de France » à un tarif préférentiel. La première et la dernière pages du numéro de décembre 1930 concernent le château des Baux et les armes traditionnelles des princes de Baux, « la première des grandes familles de Provence ».
Le numéro de juin 1931 est intéressant car il est en partie consacré au laboratoire Adrian « connu depuis 60 ans par tous les médecins soucieux de la valeur de leurs prescriptions ». Ce n’était pas la première fois que le journal faisait l’éloge d’un autre laboratoire puisque la Maison Dausse avait déjà bénéficié de ce même traitement. Pour Adrian, les phrases utilisées sont particulièrement élogieuses : « Adrian est le cachet derrière lequel se repose le scrupule médical depuis un demi-siècle. Adrian est une garantie tellement foncière que tout produit « adrianisé » répond exactement aux exigences du Codex. Adrian est la sécurité de la Pharmacopée. C’est pour nous permettre de poursuivre notre but : rappeler tout simplement aux médecins qu’il existe en France des Maisons dignes des médicaments actifs, que la Maison Adrian a laissé gracieusement forcer sa modestie par G. L. Arlaud qui en a pris un véritable interview photographique pour augmenter sa valeur documentaire. «
On peut quand même se demander pourquoi Fluxine fait cette publicité pour d’autres entreprises ! Mais on comprend un peu plus loin qu’Adrian est l’un des fournisseurs de matières premières de la Fluxine. L’entreprise fournit en effet la noix vomique qui fait partie de la formule du produit. C’est en tout cas une bonne occasion des voir les ateliers de fabrication d’Adrian en 1931. (Le journal réitère cette idée en mai 1932 en présentant un autre fournisseur : leur imprimeur Barun et Cie de Mulhouse-Dornach).
Le numéro de janvier 1932 est également intéressant : il est grande partie consacré à la léproserie de Valbonne, ou plutôt au sanatorium pour lépreux !, sous le titre « ce que la presque totalité des médecins ignore… Le sanatorium de Valbonne, une gageure ! une léproserie en France !… Un de ces bouges appelés maladreries, mézeleries, magdeleines, ou autres titres semblables, -une véritable vision de l’Enfer de Dante ! où l’on repoussait pêle-mêle toutes sortes de malheureux qui portaient sur leur corps la maladie maudite, ou quelque autre maladie semblable… On non, certes ! le passé est bien passé. Le sanatorium moderne est tout autre chose que la léproserie du Moyen-âge. On est venu à plus de charité. »
En effet, on trouve l’histoire de cette création sur plusieurs sites internet comme celui-ci :
« Les lois votées en 1901 entrainent un nouveau départ des chartreux. En 1907 à Uzès, l’État met aux enchères la Chartreuse. Jean-Claude Farigoule, industriel de Calais, l’obtient pour 35 000 francs. À partir du 1er janvier 1915, en pleine première guerre mondiale, il loue les locaux à l’armée qui en fera un centre de formation et d’entraînement pour les jeunes recrues de la région. La Chartreuse abritera jusqu’à 600 hommes dans ses bâtiments jusqu’à la fin de la guerre. À la mort de Farigoule, tout est à nouveau mis aux enchères à Pont-Saint-Esprit.
Le pasteur Philadelphe Delord, seul acquéreur présent, achète la Chartreuse et son domaine de 40 hectares pour 300 000 francs. Il y installe une léproserie à partir de 1929. Elle comptera jusqu’à 400 malades. L’œuvre de la léproserie de Valbonne sera soutenue par la générosité de Marthe North-Siegfried (1866-1939), fondatrice de la Croix-Rouge alsacienne. À Strasbourg elle fonde un comité qui récolte les dons tant en nature qu’en espèces. Elle en est la vice-présidente. En contact avec Monsieur Dormoy le directeur de la léproserie, elle lance différentes campagnes de dons jusqu’à son décès en 1939. »
Un peu plus loin, on peut lire quelques lignes sur ce pasteur protestant, P. Delord :
« Ce protestant né en 1879 à Beauvoisin dans le Gard, est devenu pasteur. Il part en 1898, comme missionnaire, à Maré petite ile près de la Nouvelle Calédonie. Il y rencontre le fléau de la Lèpre. Il fonde 2 léproseries et surtout met au point un médicament à partir de plantes locales et d’huile de chaulmoogra, qu’il appelle « l’aîouni »(l’exsaucé). Rentré en France, il organise un comité de soutien aux victimes de la lèpre dans les colonies …. Et crée des léproseries à Madagascar, Tahiti et dans les îles Loyauté. Il participe à la conférence internationale de la lèpre et noue de nombreux contacts avec les médecins spécialistes, notamment de l’institut Pasteur qui seront des partenaires fidèles de Valbonne tant que les lépreux y seront accueillis …
Mais Ph Delord réalise qu’il y a des français atteints de lèpre notamment des français de retour des colonies. Il forme donc le projet de créer une léproserie en France et son chois se porte sur la chartreuse de Valbonne. Un riche américain lui fournit une partie des finances nécessaires (450 000€). Les démarches pour obtenir les autorisations nécessaires de la part des pouvoirs publics ont été longues et difficiles, on s’en doute …Mais en 1929 la première léproserie située en métropole commence ses soins à Valbonne…la seconde ouvrira en 1932 à l’hôpital St Louis à Paris. Philadelphe Delord meurt en 1945 mais son œuvre continuera ….Sans doute la thérapie de la lèpre est révolutionnée en 1960 par la découverte de la Rifampicine qui permet dorénavant le traitement à domicile. Mais cette maladie, lorsqu’elle n’est pas guérie à temps, laisse des traces très handicapantes. C’est pourquoi des lépreux vieillissants et polyhandicapés ont continué a être pris en charge à Valbonne jusqu’en 2002,date de départ des 3 derniers lépreux … »
La Revue « Ciel et Sourires de France consacre ainsi plus de 5 pages à ce sanatorium et au site de Valbonne. Il est indiqué dans une « note médicale » rédigée par le Médecin-chef du sanatorium, le Dr Paul Vigne, que les malades sont traités par l’huile de Chaulmoogra et ses dérivés, administrés par voie orale ou en injection intramusculaire. « Cet établissement charitable se recommande particulièrement à l’attention des médecins coloniaux, des missionnaires qui ne savent souvent pas où adresser les colons hanséniens retournant dans la Métropole, et aussi à l’attention des spécialistes dermatologues qui pourront de cette façon donner à leurs malades, sans cependant les perdre de vue, un asile plus confortable et plus discret qu’un lit dans une salle commune de leurs services hospitaliers.
A partir de février 1932, les laboratoires Fluxine vont mener une campagne pour faire en sorte que les patients s’adresse d’abord à leur médecin avant d’utiliser les médicaments. Ils joignent en effet à chaque boite de Fluxine ou d’Evonyl un petit « papillon » qui rappelle « le rôle supérieur du Médecin », avec un texte comme celui-ci qui parut dans le numéro d’avril 1932 : « La savoir du médecin est précieux : Dans certains pays, des Compagnies d’Assurances sur la vie offrent gracieusement à tous leurs clients assurés 2 visites médicales par an. Ces Compagnies ont compris que le savoir du médecin est précieux pour veiller sur la santé de leur client… Le médecin devient votre ami et le bienfaiteur de votre famille – Allez donc le consulter. » Dans le numéro d’août 1932, le titre du « papilllon » devient « le médecin est un empêcheur de maladies ».
Toujours en 1932, plusieurs numéros de la revue s’intéressent à des aspects historiques. En juillet 1932 est publié un premier article signé Henry de Lalung sur les Caraïbes, les farouches insulaires de la Martinique en 1635. Le sujet se poursuit avec le même auteur les mois suivants avec pédiatrie et médecine caraïbe, les sorciers caraïbes ou « Boyés », une consultation de sorcier caraïbe ou « boyé », la légende du serpent de la Martinique, etc.
En juillet 1933, un autre sujet historique est abordé avec le Crocodile de Saint-Domingue ou Caïman. En avril 1934, le même Henry de Lalung consacre sa chronique à la « Salamandre et les médecins de jadis ». La Salamandre, « le plus funeste des animaux qui soient » nous dit l’auteur, rapportant les propos des anciens, et classé par Gesner dans les poisons septiques qui brûlent le corps. Elle fait tomber les poils et provoque des ulcérations. Plusieurs remèdes étaient utilisés pour guérir ceux qui avaient absorbé une salamandre : thériaque, vomitifs et lavements, l’eau mêlée de miel, le « calement » ou herbe aux chats, feuille de cyprès, les feuilles d’orties cuites, le suc de tortues de mer, etc. Le Codex de Bâle recommande le cœur de chauve-souris et toutes sortes de fourmis. Enfin la Salamandre était utilisée comme matière première dans les médicaments contre la lèpre, ou comme dépilatoire. Kiranides affirme que si on lie une salamandre à la peau du coude, elle fait tomber la fièvre tierce, quarte et toutes sortes de fièvre. Le cœur de la salamandre porté au voisinage des genoux d’une femme empêche la conception et les menstrues.
Au fil des numéros de la revue, le contenu s’appauvrit, se limitant à montrer quelques photos de sites touristiques et des poèmes souvent très courts ! la place principale étant prise par les publicités pour les gouttes Fluxine qui sont mises à toutes les sauces, de même que l’Evonyl prescrit pour les arthritiques, pour les coliques hépatiques, les migraines, la constipation, pour « décalaminer le foie », éviter l’empâtement de la ligne, etc. Les gouttes Fluxine ne sont pas en reste côté indications : névralgies, nez rouge, mauvaise circulation veineuse, prostatite, aménorrhée, dysménorrhée, au service de la beauté de la femme, etc. On trouve parfois des publicités « décalées » comme celle parue en mai 1936 : « Docteur, si vous passez à Villefranche sur Saône, arrêtez vous à la station-service Renault n°59. Sur présentation de votre carte de visite et en vous recommandant des Laboratoires Fluxine, le lavage et le graissage de votre auto seront faits gratuitement et, pendant cette opération, vous êtes cordialement invité à visiter l’installation idéale des Laboratoires Fluxine... ».
Après la deuxième guerre mondiale, le journal reparait mais sans mentionner de date de parution rendant difficile le travail de l’historien. Comme à la fin des années 1930, la couleur fait son apparition dans la revue. Mais tous les numéros sont consacrés à la peinture : un numéro est consacré aux « baigneuses ». on y trouve les tableaux de Fragonard, Renoir, Ingres et d’autres. On peut voir également un Daumier représentant un femme apprenant à nager.
Voici le commentaire de l’ouvrage : Il a fallu sans doute un sentiment bien bourgeois de pudeur mal placée, pour faire naître l’étranger habitude de vêtir pour entrer dans l’eau un costume aussi encombrant que ridicule. Au sortir de l’onde, l’étoffe mouillée donne au corps de la baigneuse des formes vraiment peu agréables et l’on comprend le regard désabusé du maître baigneur dont Daumier la fait suivre. « Dans ce même numéro, on trouve un mémento thérapeutique et de nouveaux produits comme Verrulyse et la Vitamine E. La Fluxine devient « vitaminée ».
Un autre numéro de Ciels et Sourires de France d’après-guerre est consacré aux oiseaux à travers la peinture. L’auteur rappelle que, selon les Fioretti, saint François prêcha aux oiseaux . Giotto représente le saint penché vers les oiseaux qui l’écoutent, attentifs à sa parole. A la suite, bien des peintres vont représenter les oiseaux, « leurs fines silhouettes, piétant parmi les fleurs multiples des prairies, accrochées aux branchages ou voletant à travers les feuillages qui ornent les fonds des tapisseries. Parfois, un nid, ramassé dans quelque buisson, fournira le thème d’une composition poétique, les parents apportant aux petits la nourriture qu’ils réclament, bec grand ouvert, touchant tableau d’amour familial… Les peintres flamands ou hollandais sont parmi ceux qui ont su peindre les oiseaux avec le talent le plus sûr et le plus régulier.
Mais dans ce même numéro, Fluxine n’oublie pas de glisser de nombreuses publicités pour ses produits ! On peut également découvrir les laboratoires de recherche et contrôle des médicaments du laboratoire situé à Villefranche-sur-Saône.
Dans un autre numéro, consacré aux pêcheurs, Ciels et Sourire de France fait découvrir des tableaux de diverses époques sur ce thème. « Les pauvres et rudes pêcheurs du lac de Tibériade, tirant hors de l’eau, à pleins bras, leurs filets lourdement chargés de cette provende que leur a livrée le miracle, sont le symbole d’un des métiers les plus nobles et les plus durs qui se soient, depuis les temps les plus anciens, imposés à l’homme. Pour arracher aux éléments capricieux, mystérieux et changeants, la proie invisible qui sera sa nourriture ou qu’il tentera de vendre pour assurer son existence, le pêcheur est à la merci des humeurs du temps. »
Après les baigneuses, les oiseaux et la pêche, voici le numéro de Ciels et Sourires de France sur les écoliers : « Assis sur les bancs de l’école, face au maître qui tout à la fois enseigne, interroge et surveille, sages, attentifs ou distraits, puis tout à coup, on ne sait pourquoi, turbulents et insupportables, voici les écoliers. Peu à peu, avec le temps, les écoles ont changé d’aspect.
Les classes se sont heureusement aérées et modernisées, les punitions corporelles ont disparu et les jeunes têtes indociles ne se coiffent plus de l’infamant bonnet d’âne. Mais les écoliers, eux, ne sont pas de nos jours très différents de ce qu’ils étaient autrefois ; ils sont demeurés au fond semblables à ceux que peignaient van Ostade, Bonvin, Charlet ou Daumier.
Ils constituent une caste à part avec ses habitudes, ses lois, ses chants, ses jeux et ses combats. Ils sont, dans la société, une société particulière qui possède ses traditions, ses codes secrets transmis de générations en générations et que les adultes semblent oublier dès qu’ils ont franchi l’âge d’être écoliers.
Ils sont terribles et charmants, brutaux et pitoyables. Sortis de la première enfance, ils se trouvent subitement aux prises avec les premières difficultés de l’existence, les premières luttes, les premiers travaux, à peine compensés par quelques joies nouvelles, celles de la camaraderie, des jeux en commun, des plaisirs de la récréation. Quand sonnera l’heure attendue de la sortie, ils s’échapperont en tumulte pour s’égailler comme une nuée de jeunes moineaux, à travers les rues, sur les routes et par les chemins, heureux de retrouver la liberté si désirée. Liberté, il est vrai, toute relative, car le métier d’écolier ne prend malheureusement pas fin avec les classes.
Il faut tout d’abord affronter les parents qui veulent tout savoir des heurs et des malheurs de la journée, n’acceptent pas facilement la version qu’on leur en donne, sont peu enclins à prendre pour argent comptant tout ce qu’on leur raconte et demeurent singulièrement sceptiques lorsqu’on leur parle d’injustice : il faut leur dire les notes, leur remettre les bulletins.
Mais surtout, après cette journée fatigante, alors qu’il ferait si bon jouer et que l’on aimerait se détendre, il y a encore les leçons à apprendre, tous ces mots à retenir qui entrent difficilement dans la tête, ces longs devoirs à faire sans succomber à la tentation de s’endormir. Face à ce petit monde sur lequel il doit régner, le maître exerce un de ces métiers difficiles, ingrats, dont la grandeur est faite d’une infinité de servitudes. Pour inculquer à ces jeunes étourdis les plus élémentaires rudiments de leur métier d’homme, il faut une extraordinaire patience. Il faut admettre leur sens particulier de la justice, savoir se faire respecter sans être trop sévère. Il faut les comprendre.
Et comment deviner que ce garçon qui ferait volontiers l’école buissonnière si on ne le conduisait pas par la main jusqu’à la porte de la classe, toujours rêveur, peu attentif aux leçons et dont la tête semble fermée aux calculs les plus simples, deviendra un jour, peut-être, un de ces hommes célèbres dont les maîtres de demain enseigneront le nom aux jeunes écoliers. Ce numéro sur les écoliers n’empêche bien sûr pas une forte présence de la publicité sur Evonyl, Verrulyse, Fluxine vitaminée et la Vitamine E, qui se modernisent !!
Parmi les autres numéro de la revue, l’un d’eux est consacré à la « partie de campagne ». « De tout temps, les plaisir de la campagne ont attiré les citadins fatigués des bruits de la ville ». Une série de tableaux de Renoir, de Breughel, de Fragonard ou d’autres illustrent le texte assez court qui évoque ce sujet : « Les jeunes gens partent en troupe joyeuse, provisions préparées dans des sacs ou dans des paniers ; les musiciens de la bande emportent leurs instruments, et le peintre a naturellement son carnet de croquis en poche.
Peut-être aura-t-on la chance de traverser un village en fête et de pouvoir se mêler aux danses des paysans? A midi, l’appétit étant venu, on déballe les provisions sur les tables de quelque guinguette, ou mieux encore, si le temps le permet, sur la nappe étendue à même l’herbe. A la fin du repas, les chansons sont sur les lèvres et les musiciens sortent leurs instruments.
Au hasard d’une escarpolette découverte dans une clairière, les jupes des filles s’envolent. Aux restaurants des bords de rivière, à la Grenouillère, à Croissy chez la mère Fournaise, on peut louer des barques pour les parties de canotage : plaisir de se laisser glisser au fil de l’eau, et puis, eu retour, pour remonter le courant, les garçons excités par les rires des jeunes filles éclaboussées, feront la course en appuyant de toute leur force sur les avirons.
L’eau proche invite à la baignade : c’est le moment que choisit le peintre pour noter quelques poses qui lui serviront pour la toile de son prochain salon… »
L’aspect de la revue change pour ses derniers numéros. Mais Ciels et Sourires de France reste sur les mêmes thèmes : le numéro 1 de cette série est consacrée à un sujet très proche du précédent : « De la guinguette au café » où les auteurs s’intéressent aux peintres « visiblement attirés par les guinguettes, les estaminets, les cafés, les bars et toutes sortes de bistrots ; incontestablement, cette atmosphère leur plait. » Ce sont des numéros où la revue se modernise, de même que les publicités qui y sont présentes. Un autre numéro est consacré au peintre et ses modèles et le suivant est consacré à « Vénus, première Vamp ». Un dernier (?) numéro a pour thème « à pied, à cheval et en voiture ». Tout un programme? Arrêtons nous un instant sur celui-là : » Fatigué par un long et minutieux travail dans son atelier, le peintre désireux de respirer l’air frais est pari flâner sur les chemins. Après avoir marché quelque temps, il s’est assis, crayon et papier en mains, sur le haut d’un talus, à l’abri d’une haie. C’est là un de ses observatoires préférés. La perspective de la route s’étend au loin et il peut à son aise noter les silhouettes de ceux qui vont et viennent à pied, à cheval, en voiture…
Il ne lui sera certainement pas donné de voir tous les jours défiler devant lui les équipages et les carrosses du roi que toute la cour accompagne dans ses déplacements dans un fastueux étalage de riches vêtements.
Pour pouvoir s’offrir le luxe de voyager dans un carrosse personnel que tirent des couples de chevaux excités par le fouet du cocher, il faut être un grand seigneur ou riche bourgeois. Une gent moins huppée devra se contenter d’emprunter, avec d’autres, la diligence bondée et encombrée de colis de toute espèce, mais qui apporte au peintre autant de sujets de tableaux que les plus somptueux carrosses.
D’ailleurs, les déplacements les plus ruraux ne sont pas les moins fertiles en épisodes pittoresques. La fermière a emprunté le bât de son âne pour transporter à la ville son lait et ses pommes ; mais elle a omis de s’assurer de la solidité du panier avant d’ajouter à sa marchandise le poids de sa charmante personne.
A travers le temps, les voyageurs, désireux de se déplacer plus rapidement et soucieux de plus de confort, trouvèrent des solutions qui permettront d’améliorer, en les allégeant, la vitesse et la suspension de leurs voitures ; et bientôt viendra le jour où paraitront sur les routes des machines bruyantes aux formes bizarres, qui effrayent les bêtes et suscitent la curiosité et parfois même l’hostilité des paysans.
Le peintre, qui a bien du mal à les intégrer à ses tableaux, laissera alors souvent la place au photographe. Peut-être sera-t-il encore inspiré par la silhouette sportive de quelque jolie conductrice. Mais il prévoit que, peu à peu, la route envahie perdra pour lui beaucoup d’attrait, qu’il verra abattre, sous prétexte de danger, les arbres qui en faisaient l’ornement, et qu’il trouvera plus sur ses bords la place tranquille où il pouvait s’asseoir pour dessiner. »
Voici donc en quelques lignes et à travers quelques extraits ce qu’on trouvait à lire dans Ciels et Sourires de France sur une trentaine d’années !!