Le professeur Robert Franquet (1897-1984),
« créateur » de la mycologie parasitaire
au centre hospitalier de Nancy en 1952
Les premières années : de 1897 à la fin de la Grande Guerre
Robert Fernand Franquet naît le 1er janvier 1897 à Vanault-les-Dames, dans le département de la Marne, dans la maison familiale du 13 rue Saint-Jean. Le village se trouve à environ dix-huit kilomètres de Vitry-le-François sur la route (aujourd’hui départementale 982) qui relie cette ville à Sainte-Menehould. Son père Jules Léon, âgé de trente-sept ans, est agriculteur, et sa mère Marie Joséphine Juliot, de dix ans sa cadette, est déclarée sans profession (selon Charlotte Becker dans sa thèse, elle est institutrice dans l’enseignement libre). Il est le second fils de la famille. Son frère Charles, de cinq ans son aîné, deviendra prêtre mais il sera tué en Argonne le 22 décembre 1914. Robert Franquet effectue son parcours secondaire chez les jésuites à l’école Saint-Joseph de Reims où il est en première en 1913-1914.
Né en 1897 et appartenant donc à la classe 1917, Robert Franquet est « appelé au service armé » le 10 janvier 1916. Je n’ai pas trouvé mention d’engagement dans son dossier militaire, contrairement à ce qu’indiquent les deux seules publications qui ont été écrites sur lui à ma connaissance ; je pense plutôt à un appel anticipé de sa classe. Il est d’abord affecté au 166e régiment d’infanterie. De là, il passe au 155e R.I. le 9 septembre, et au 10e régiment de tirailleurs algériens le 1er mai 1919. Il y est nommé caporal le 9. Il a été blessé à l’oreille droite le 5 avril 1918 à Haugard, dans la Somme, et il reçoit une citation le 8 septembre 1918, d’où l’attribution de la croix de guerre 1914-1918. L’Armistice n’entraîne pas le retour des soldats dans leur foyer puisque le conflit ne se termine qu’au moment de la signature du traité de paix, le futur traité de Versailles, en juin 1919, cependant que d’un point de vue légal, sur le plan de la conscription, notre pays fonctionne à ce moment encore dans le cadre de la loi dite « des trois ans » de 1913. La démobilisation intervient donc en 1919 et, pour R. Franquet, le 31 août 1919, jour où il est inscrit dans les réserves au titre du 6e escadron du train des équipages militaires. De cette unité, il passera au 91e R.I., puis au 22e régiment de tirailleurs (?, un mot est illisible) le 1er janvier 1924.
Les années au Muséum national d’histoire naturelle
Reprenant le cours de ses études interrompu par son service de guerre, R. Franquet réside à Paris au numéro 59 de la rue de Rennes. Il obtient sa licence ès sciences naturelles en 1921 et devient membre de la Société botanique de France. Les enseignements qu’il reçoit à la Sorbonne développent en lui un grand intérêt pour la biologie végétale. Il a eu comme professeur le Père Teilhard de Chardin, et son enseignement l’a marqué. Sa licence est composée des certificats de physiologie générale, botanique, géologie et chimie biologique, ce qui est très classique. Il n’est pas encore diplômé quand, le 1er janvier, il entre au Muséum en qualité de préparateur non titulaire (ou temporaire) de la chaire de culture, en remplacement de Poisson, détaché pour une année au ministère des Colonies. Il est titularisé en cette qualité à l’issue de trois années, le 1er janvier 1924, et, me semble t-il, sa première publication est en 1927 un Guide des arbres et arbrisseaux utiles ou ornementaux que rédige son supérieur Guillaumin avec sa collaboration et qui paraît dans les collections du Muséum. Il est étonnant de le voir qualifié d’assistant sur la couverture de l’ouvrage alors qu’il ne le sera qu’en 1929 ! Il est donc promu assistant le 1er janvier 1929 et sous-directeur de laboratoire le 1er juin 1933, d’abord de 3e classe, succédant à André Guillaumin nommé professeur dans la chaire en remplacement de Désiré Bois. Il est promu à la 2e classe le 1er janvier 1939 et à la 1e classe le 1er janvier 1943. Un sous-directeur de laboratoire, au Muséum, est l’équivalent d’un chef de travaux dans une faculté. Toute l’activité de M. Franquet s’exerce au sein de la chaire de culture. Celle-ci est importante et elle offre l’intérêt de mettre « le débutant (qu’il est) en contact constant avec une encyclopédie vivante de botanique ». En 1918, la présidence du comité des plantes médicinales avait été confiée à son titulaire, le professeur Costantin.
Le 15 juillet 1926 à Paris, il épouse Louise Clémentine Bidet, née le 23 septembre 1892. Ils habitent 12 rue Quatrefages jusqu’à la fin de leur existence. Madame Franquet est une spécialiste des lichens, mais aussi une aquarelliste des plantes. Monsieur Franquet devient membre de la Société mycologique de France en 1931. Entre-temps, il a soutenu sa thèse de doctorat ès sciences naturelles le 8 avril 1932. Son travail est consacré à « La genèse de l’amidon dans quelques plantes à réserves amylacées ». La pomme de terre en est une, et il a publié sur ce sujet au Bulletin de la Société botanique avec Colin. Pendant toute cette période parisienne, il réalise des travaux de physiologie et de chimie végétales sur l’amidon et les réserves des plantes. En travaillant sur les glucides d’une cucurbitacée chinoise, il s’est aperçu que ses caractéristiques n’étaient pas celles du genre auquel elle est rattachée, et il a défini un genre nouveau, Bolbostemma, dans lequel cette plante est devenue Bolbostemma paniculatum Franquet. Il s’intéresse également à la floraison dans les serres du Muséum et il est signalé comme étant un spécialiste de caryologie.
Robert Franquet a aussi, et dans des conditions certainement assez difficiles, obtenu le diplôme de pharmacien à la Faculté de Paris en 1936. Je n’ai trouvé nulle part une indication sur la motivation qui était la sienne d’obtenir ce diplôme. Pensait-il à ce moment à demander une chaire en pharmacie ? Son dossier aux archives de la Faculté à Nancy ne précise rien sur sa scolarité, et son dossier militaire ne mentionne que l’année d’obtention de ce diplôme. La date du 27 mars 1936 est précisée dans le dossier conservé à la Faculté de pharmacie de Paris que le doyen Dillemann, qui le connaît bien, a eu l’amabilité de me communiquer. Il est à ce propos assez étonnant que son état des services mentionne qu’il est nommé au grade de pharmacien auxiliaire le 1er août 1934, un grade qui est attribué aux étudiants n’ayant pas terminé leur scolarité, ce qui est le cas ici, mais qu’il n’est pas urgent de lui attribuer compte tenu de son âge et de la situation paisible dans laquelle se trouve notre pays. Il aurait par ailleurs dû être nommé au grade d’aide-major (sous-lieutenant) après avoir obtenu son diplôme, ce qui n’a pas été le cas avant plusieurs années.
Il est rappelé le 2 septembre 1939, jour de la mobilisation, à la 6e section d’infirmiers militaires, et il est affecté à la pharmacie régionale de la 6e région militaire qui est située au camp de Mourmelon. Il y est nommé pharmacien sous-lieutenant de réserve à compter du 25 mars 1940 pour prendre rang du 25 mars 1938. L’unité s’étant repliée face à l’avance allemande, il est démobilisé à Aurillac le 27 juillet 1940. Il sera rayé des cadres le 1er janvier 1947.
Le professorat à la Faculté de pharmacie de Nancy
Ayant posé sa candidature à la chaire d’histoire naturelle de la Faculté de pharmacie de Nancy, Robert Franquet est nommé professeur titulaire dans cette chaire, souvent dite « de botanique », par un arrêté ministériel du 22 mai 1945. Cette nomination, à compter du 1er mai, est d’abord prononcée à titre provisoire. Un autre arrêté est daté du 5 novembre pour la même prise de fonction. Sans doute est-ce la décision définitive. La chaire est vacante depuis le décès du professeur Seyot en 1942. On trouve écrit qu’elle lui a été proposée, et il est de fait qu’il possède tous les titres requis pour en devenir le titulaire. A côté de la botanique, l’enseignement concerne la cryptogamie. M. Seyot avait développé l’enseignement de la mycologie, qui a été repris à son décès par Emile Steimetz, chef des travaux de micrographie. A Nancy, le professeur Franquet réside 58 rue Courtot de Cissey.
En 1947, M. Franquet fait créer un certificat d’études complémentaires de phytopharmacie dont les enseignements théoriques et pratiques ont lieu en octobre au profit des diplômés et aussi, comme cela se fait à cette époque, d’étudiants ayant douze inscriptions validées, soit trois années, et qui se trouvent donc, dans le régime des études, en quatrième et dernière année. Il est élu membre du conseil de l’université le 14 octobre 1950 et le 2 décembre 1965. En juillet 1953, avec son épouse, il accueille en Lorraine la session de l’Est et du Bassin parisien de la Société botanique de France. Les participants visitent les marais salés de la Seille, les côtes de Meuse, et certains découvrent la craie marneuse de Champagne…
A la suite de la spécialisation qu’il a acquise dans le domaine de la mycologie médicale, c’est en 1962 qu’est créé un certificat d’études supérieures de « mycologie appliquée à la diagnose des mycoses humaines et animales » dont l’enseignement a lieu au second semestre de l’année. En 1972, quatre-vingt-trois étudiantes et étudiants ont été diplômés. Ce certificat disparaît, comme ses homologues, quand les D.E.A. et les D.E.S.S. pharmaceutiques sont créés par l’arrêté du 18 février 1977, et que le doctorat ès sciences pharmaceutiques se substitue au doctorat d’Etat en pharmacie.
La mycologie parasitaire
Les circonstances de la création du « laboratoire de mycologie » du service de dermatologie et syphiligraphie des Hôpitaux de Nancy, situé à l’hôpital Fournier, au début de la décennie 1950, sont rapportées par le docteur Jean-Marie Mougeolle, qui revient à ce moment du service militaire et qui deviendra chef de clinique dans le service. « C’est en 1952, rentrant du service militaire et mangeant au mess des officiers de Nancy, que je fis la connaissance du professeur Robert Franquet. (…) Un jour, au cours du repas, je rapporte à mes amis médecins le cas d’un malade hospitalisé à Fournier, qui présenterait peut-être une mycose cutanée généralisée. Le Pr Franquet immédiatement intéressé, me propose l’aide de son laboratoire. Il se déplace à Fournier, fait des prélèvements à plusieurs reprises et met en évidence une candidose particulière, travail qui deviendra le sujet de ma thèse en 1953 « Les moniliases cutanées ». La mycologie médicale venait d’apparaître à Fournier. Par la suite le professeur Franquet acceptera de faire gracieusement les recherches mycologiques dans son laboratoire, les prélèvements y étant apportés. Cette situation durera plusieurs années, jusqu’au jour où le laboratoire de bactériologie et parasitologie de la Faculté de médecine décida avec le professeur Beurey de créer une antenne mycologique à Fournier sous la direction du futur professeur Percebois. Ce laboratoire se développera beaucoup sous la direction du docteur Nelly Contet-Audonneau ». Il est installé dans le dispensaire Fournier, d’abord au rez-de-chaussée, puis à l’étage. Ce « plusieurs années » indiquées par le docteur Mougeolle me semble avoir duré nettement plus que cela. La présence de Gilbert Percebois en mycologie-parasitologie date des premières années de la décennie 1960, à l’issue de son retour du service militaire et à partir du moment où il est entré au laboratoire de bactériologie de l’hôpital et de la faculté. C’est en effet en 1963 qu’il devient chef de travaux-assistant des hôpitaux, et c’est certainement à partir de là qu’il oriente son activité vers la parasitologie et la mycologie. Son origine a certainement joué dans les choix du professeur Beurey qui était aussi issu de cette spécialité.
Charlotte Becker mentionne qu’en 1932, dans ses titres et travaux scientifiques, M. Franquet a écrit qu' »à condition d’être pourvu d’un microscope honnête, d’un peu de verrerie, d’une étuve et d’un autoclave, tout pharmacien digne de son titre doit être capable de vérifier l’absence ou la présence de champignons dans les produits pathologiques et d’en effectuer l’isolement ». C’est une remarquable prémonition.
Le professeur Franquet expose dans des publications les résultats des cultures et des analyses qu’il effectue au profit des services du CHU ; et ceux-ci l’associent à leurs recherches cliniques. Plusieurs concernent les candidoses, une pathologie bien connue, et il y évoque dans l’une d’elles le risque encouru par l’emploi abusif des antibiotiques. Me sont ainsi connues les publications présentées ci-dessous : « Ce qu’il faut savoir des moniliases », Bulletin de la Société de pharmacie de Nancy, 1955, n°26, p. 21-44 ; « Clinique et mycologie d’un cas de Tokelau », Société française de dermatologie et syphiligraphie (6 avril 1957, avec J. Beurey, J.-M. Mougeolle et P. Cherrier, du CHU ; c’est la première description de cette pathologie tropicale dans notre pays, observée sur un militaire revenant d’Indochine) ; « A propos des mycoses observées à Nancy », Bulletin de la Société de pharmacie de Nancy, 1958, n°37, p. 4-11 ; « Diagnostic de laboratoire en mycologie médicale », Bulletin de l’Association des diplômés de microbiologie de la Faculté de pharmacie de Nancy, 1959, n°76, p. 30-36 ; « Remarques concernant l’aspergillome bronchectasiant » (avec J. Lochard et P. Briquel, du CHU), ibidem, 1962, n°88, p. 3-7 ; « Pied de Madura observé à Nancy chez un Nord-Africain » (avec P. Melnotte et J.-M. Foliguet, également du CHU), ibidem, 1962, n°88, p. 8-11 ; « Gommes multiples cutanéo-viscérales à Candida albicans« , Bulletin de dermatologie et de syphiligraphie, 1963, n°70, p. 50-52 (avec J. Beurey, R. Rousselot, H. Gurecki et J. Vadot, du CHU) ; « Réactions sérologiques et immunologiques de certaines mycoses profondes » (avec T. Girard et R. Béné, de la faculté), ibidem, 1964, n°93, p. 3-14 ; et « Die Fussmycosen an dermatologischen Klinik in Nancy », réunion de Fribourg, 3 octobre 1965, Archiv für Klinische und Experimentelle Dermatologie, 1966, vol. 227, S. 575 (avec J. Beurey, J.-M. Mougeolle, G. Percebois et P. Lectard).
En 1973, dans la plaquette relatant l’histoire de l’école supérieure de pharmacie devenue faculté en 1920, le ou les auteurs du chapitre consacré à son département végétal et apparenté écri(ven)t qu’à l’issue du départ de M. Franquet en 1967, « sous la responsabilité de Jean-Claude Hayon, maître de conférences, et de Pierre Lectard, maître-assistant, cette orientation (de cryptogamie) a continué à se développer. Le laboratoire entretient une collection de plus de 400 souches de champignons pathogènes de l’homme, des animaux ou des plantes ». A l’époque, MM. Hayon et Lectard sont les responsables du laboratoire du test de Nelson du service de dermatologie, qui a été créé en 1965. Cette démarche de création de laboratoires est en partie liée au fait là encore que le professeur Beurey a été, au début de sa carrière, chef de laboratoire et assistant de bactériologie de la faculté.
Le départ et la retraite studieuse du professeur Franquet
Parvenu au 2e échelon de la classe exceptionnelle d’âge des professeurs le 1er janvier 1967, il est admis à faire valoir ses droits à pension de retraite par un décret du 13 septembre 1967, à compter du 1er janvier, mais il est maintenu en activité jusqu’au terme de l’année universitaire, c’est-à-dire le 30 septembre 1967. Il reçoit le titre de professeur honoraire par un décret du 13 mars 1968 paru au Journal officiel du 19. En dehors de la croix de guerre 1914-1918, il est très décoré : chevalier de la Légion d’honneur (promotion du 1er janvier 1956), officier de l’Ordre national du Mérite (promotion de décembre 1967), commandeur des Palmes académiques (officier d’Académie le 1er juillet 1936, officier de l’Instruction publique le 1er juillet 1947, commandeur dans la promotion du 13 juillet 1963) et officier du Mérite agricole (chevalier en juillet 1932, officier en juillet 1939).
Le professeur honoraire Robert Franquet décède à Paris le 11 mars 1984. Madame Franquet était décédée en juillet 1976. Ils sont inhumés à Vanault-les-Dames. Leur retraite s’est partagée entre Paris et Quinéville, dans le Cotentin, dont Madame Franquet est originaire, où ils possèdent une propriété et où ils se livrent à des excursions et à des recherches de botanique. La maison comporte en effet un petit laboratoire avec tout l’équipement nécessaire au naturaliste. Ils fréquentent aussi le Muséum.
Dans le bâtiment dont dispose la Faculté, rue Lionnois à Nancy, une salle dite « salle 18 », située au premier étage, dévolue à la Société lorraine de mycologie et proche des laboratoires de botanique et de cryptogamie, reçoit le nom de « salle Franquet » au cours de la réunion du conseil de faculté du 2 novembre 1987. Cette salle est transformée en salle de travaux dirigés en 1994 ; elle conserve cet usage jusqu’au départ de la Faculté à l’été 2018.
Références bibliographiques sur le professeur Franquet :
- Géhu-Franck et J.-M. Pelt, « Le professeur Robert Fernand Franquet (1897-1984) Membre de la Société botanique de France (1921-1983) », Acta botanica Gallica, 1993, vol. 140, n°5, p. 545-548.
- Becker, Le professeur Franquet (1897-1084), thèse de diplôme d’Etat de docteur en pharmacie, Nancy, 2007, 52 pages.
Mots clés : Robert Franquet, Muséum national d’histoire naturelle, Faculté de pharmacie de Nancy, mycologie médicale.
Pierre Labrude
février 2019.