Nous avons déjà vu plusieurs exemples de journaux financés par l’industrie pharmaceutique et destinés au corps médical au cours du XXe siècle. La Revue « Naguère et Jadis » présente une particularité : publiée de 1950 à 1968, la plupart des numéros étaient destinés au grand public. Mais certains d’entre eux étaient réservés au corps médical. Dans ces numéros spéciaux, la publicité pharmaceutique y était dominante. L’objectif du journal était de rappeler des faits et anecdotes historiques dont nous allons voir quelques exemples.
Prenons le cas de la parution de Novembre 1952, un an après la création de la revue. Un des thèmes abordés concerne la guerre de 1914-1918 vue à travers la presse mais aussi par des textes de George Clemenceau ou d’autres. Une autre partie est consacrée aux conquêtes de la science avec entre autres des essais de TSF et de ballon dirigeable. On trouve aussi des articles sur des sujets très divers comme « Rodin jugé par ses contemporains » ou « Charlot y va un peu fort ». Le numéro de janvier 1953 évoque l’arrivée au pouvoir d’Armand Fallières le 17 janvier 1906, élu président de la République. On peut y lire également le décret de M. Poubelle avec un article du Petit Parisien de janvier 1884. On y raconte aussi l’inauguration de l’Opéra de Paris où M. Garnier a failli payer sa place ! Un article est consacré à Napoléon « qui ne croyait pas à la vapeur ».
Toujours en 1953, on peut lire « Madame de Beauvoir est-elle infidèle », un article sur Pierre Loti (de 1892) mais aussi sur la mort de Felix Faure, à travers la Petit Parisien de 1899.
Venons-en aux éditions exclusivement réservée au corps médical. Voici un premier exemple avec le numéro de novembre 1953 : Rien ne distingue le contenu de cette édition par rapport aux autres, sauf les nombreuses publicités pharmaceutiques qui sont présentes à presque chacune des pages et provenant de laboratoires très divers : Le laboratoire PY, de Puteaux, qui vante les mérites de Chosedyl pour le traitement des coliques hépatiques et néphrétiques, les laboratoires Chibret pour une crème ophtalmique à base d’hormones pour « la restauration biologique du sol ciliaire » et qui « active la repousse des cils » ; on trouve aussi les laboratoires Jean Dedieu, de Bordeaux (Sulfo-Thiorine), les laboratoires Laroze, de Charenton (Kaobrol, Decholestrol), les laboratoires Fournier Frères, de Paris (Crino-Sthenyl), les laboratoires Phamigia, produits du docteur Churchill, de Paris (Garaspirine), etc. (Tableau 1). Il reste cependant encore quelques publicités non pharmaceutiques comme celle pour le prochain spectacle de Rudy Hirigoyen au Chatelet, ou pour les vêtements Kestos. On trouve aussi un encart sur l’Ultrascop, un appareil de radiologie OCEM, ainsi qu’une publicité pour une « trousse du praticien » en cuir Havane.
Naguère et Jadis , novembre 1953Publicités pharmaceutiques (Tableau 1)
|
||
CHOSEDYL (Laboratoire PY, 58 boulevard Richard Wallace, Puteaux, Seine)
CILIOTROP (Laboratoires CHIBRET, Clermont-Ferrand, Puy de Dôme) CITROSODINE Granulée (Laboratoires LONGUET, 34 rue Sedaïne, Paris) |
SULFO-THIORINE (Laboratoires Jean DEDIEU, 39 rue Fondaudège, Bordeaux)
KAOBROL, DECHOLESTROL (Laboratoires J. LAROZE, 54 Rue de Paris, Charenton, Seine) ALGESAL (Laboratoires de Thérapeutique Moderne, 31 Rue de Lisbonne, Paris) |
GARASPIRINE (Laboratoires PHAMIGIA-Produits du Dr Churchill, 123 bd St Michel, Paris) PHOSPHONINE Vit.C (Laboratoires du VIOPHAN, 91 Rue de Monceau, Paris) ULTRA-LEVURE, DYNAZEA. (Biocodex ?)
|
Dans ce numéro, on trouve à nouveau un article de Clemenceau « L’heure est venue d’être uniquement français », datant de 1917 et publié à l’époque dans Le Journal. On trouve également un singulier arrêté municipal d’une commune de Savoie publié en 1910 dans la France de Bordeaux à propos des pommes de terre : « Voici une décision du Conseil Municipal qui ne manque pas de saveur locale. Elle fut prise, il y a quelque temps, par le maire d’une modeste commune de Savoie : Arrêté au sujet de la maladie des pommes de terre : I. Vu que les pommes de terre sont gâtées dans ce pays comme dans la France, la Hollande et autres ; II. Attendu que la misère est grande et que ladite maladie des pommes de terre est un grand malheur ; vu que le blé est cher et le sarrasin pas grainé ; III. Considérant que, dans l’intérêt de tout le monde, j’en ai nourri mes cochons pendant toute une semaine et j’en ai mangé moi-même pour savoir, et que nous n’en avons pas été incommodés ni les uns ni les autres ; IV. Considérant que si la génisse de M. Pichard est morte, elle n’avait cependant pas mangé de pommes de terre gâtées vu que je m’en suis assuré ; V. Vu que l’Académie de Lyon l’a dit dans le journal que je reçois ; vu aussi que le pharmacien de Chambéry s’est nourri de pommes de terre gâtées et qu’il n’a eu de mal qu’une fois ; VI. Attendu tout cela, que les pommes de terre gâtées ne sont pas malsaines ; Ordonnons à tous les habitants, vaches, boeufs, chevaux et cochons de la présente commune de manger des pommes de terre gâtées, car elles ne nuisent pas. »
Dans le même numéro, on peut lire « la transformation du rond-point des Champs-Élysées, et beaucoup d’autres anecdotes historiques. Dans le numéro de mars 1954, on raconte l’histoire de Mme Caillaux qui avait blessé mortellement le directeur du Figaro, M. Calmette (en 1914). On peut lire aussi « une catastrophe nationale : on a volé le lit de Mlle Cécile Sorel » (1912), ainsi qu’un article de Zola de 1881 intitulé « l’invasion normalienne, un état dans notre état littéraire ». Quant à Monseigneur Bolo, honoré par Pie X du protonotariat apostolique, il « n’aime pas la jupe-culotte » indique Le Matin en mars 1911, avec le sous-titre « C’est de la cervelle qu’il faut aux femmes », déclara-t-il. Ce petit article, paru dans le Cri de Paris le 9 mars 1913, intitulé « Les joyeux bureaux de la guerre » mérite le détour : « M. André Lefèvre, député, ancien sous-secrétaire d’Etat, s’avisa récemment que le professeur Bouchard n’avait pas encore reçu la médaille de 1870, bien qu’il se fut brillamment conduit pendant la guerre. Il demanda donc pour le vénérable maître le ruban vert et noir.
Quelques temps après, il s’informa de la suite donnée à la demande faite en faveur de M. Bouchard, membre de l’Institut, grand-officier de la Légion d’honneur. Et voici quelle réponse textuelle fut faite par M. Le bureau de la Guerre : « -On est tout disposé à donner la médaille à M. Bouchard. Mais il est nécessaire auparavant que le candidat fournisse un certificat de bonnes vie et moeurs. » M. André Lefèvre en est encore suffoqué. Membre de l’Institut, grand-officier de la Légion d’honneur, cela ne signifie rien pour les bureaux de la Guerre. Il faut un certificat délivré par le commissaire de police. »
En mai 1954, c’est l’histoire de l’aviation qui est à l’honneur avec Nungesser et Coli, et Lindbergh. Pour ce dernier, voici l’article paru dans « le Matin », le dimanche 22 mai 1927, avec le sous-titre « il est sorti de son avion en chapeau de paille » : « L’exploit a été accompli.
Un homme, presque un enfant a fait la chose qu’il semblait que les hommes les plus expérimentés ne pouvaient faire. Il n’avait pas grandes prouesses derrière lui et son principal capital était son courage. Il n’avait pas d’instruments scientifiques devant lui et son seul outil était son compas magnétique dont les techniciens disaient qu’il ne lui servirait de rien. Il ne pouvait même pas promener son regard sur l’immense horizon dans lequel il s’enfonçait et ne voyait sa route qu’à travers un périscope. Il n’avait pas de compagnon à côté de lui pour le soutenir, s’il venait à défaillir.
Les dépêches de New-York disent que tous les cœurs se serrèrent quand on le vit s’enfermer dans ce qu’il appelait lui-même « sa cellule de condamné à mort ». Mais il dit avec un sourire : « Nous vous en faites pas. Demain soir, je serai à Paris. » Et en effet, le lendemain soir, il était à Paris. Il avait passé le grand océan. il avait passé à travers la mort. Le Destin avait été vaincu par l’audace. »
On voit parfois quelques articles qui sont contemporains de la parution du journal, comme celui d’A. Boutroux, pharmacien, ancien chef de laboratoire à la Faculté de médecine de Paris, intitulé « Comment réussir un élevage de faisans ». Il décrit tout les éléments importants d’un élevage, de l’alimentation, aux soins vétérinaires, et conclut : « Sans engager de frais importants et sans courir de risques, on peut très facilement élever une centaine de faisandeaux. Le garde deviendra ainsi un éleveur et si l’essai réussit, un élevage important pourra être envisagé l’année suivante. » La pharmacie mène à tout !
Octobre 1954 : c’est l’occasion de reparler des avions : « un aéroplane a survolé Paris » peut-on lire dans un article du « Matin » du 19 octobre 1909. Paul Doumer, le 30 août 1909 écrit dans « le Matin » « une opinion sur les aéroplanes en temps de guerre » peu visionnaire : « Il est peu probable que les vaisseaux aériens servent beaucoup au gain des batailles terrestres ou à la prise des places. Au regard de la solidité de plateforme que donne le sol pour combattre, les ballons et les aéroplanes sont bien fragiles. une artillerie appropriée les tiendra aisément à distance. N’en est-il pas ainsi déjà pour les flottes maritimes, malgré la résistance très supérieure du fluide sur lequel elles s’appuient, qui leur permet de porter les plus formidables batteries et que nos canons de côte tiennent cependant en respect. Ce n’est donc pas pour le mal qu’elles feraient directement sur la terre à un pays bien armé que les flottes aériennes devraient être combattues ; c’est parce que, si elles sont libres, elles seront d’incomparables auxiliaires des armées de terre et de mer, capables de leur assurer la victoire. » C’est aussi le rappel de l’inauguration du Moulin-Rouge, le 6 octobre 1889.
Autre article, intéressant cette fois les historiens de la pharmacie, paru dans le Cri de Paris, le 29 octobre 1911 : « Le cours de chimie de Berthelot était assez suivi. La manière dont le grand savant le professait pouvait cependant déconcerter ses élèves. Il lui arrivait de dire, au milieu de sa leçon : « Tiens ! mais c’est intéressant l’idée que je viens d’exprimer là.
Elle est même très intéressante. En la creusant un peu on aboutirait sans doute à des résultats importants. Voulez vous me permettre ? « . La dessus, il jetait des notes sur un carnet et se lançait dans d’interminables équations algébriques sans plus penser le moins du monde à ses auditeurs. L’heure passait, les auditeurs filaient et Berthelot restait là, absorbé, jusqu’à ce qu’il eut résolu le problème qu’il s’était posé. »
En décembre 1954, Naguère et Jadis prépare le réveillon des lecteurs mais s’intéresse aussi à la femme idéale en 1904, donne à lire un article intitulé « Beethoven est-il fou » et un autre sur l’interdiction des épingles à chapeau par le préfet de police en 1913. Mais, chose assez rare, il y a un article professionnel associé à une publicité pour Vivacidol, régénérateur de la flore intestinale. L’article a pour titre « L’action perturbatrice des antibiotiques sur la flore intestinale ». Il cite M. Lamensans, de l’Institut Pasteur :
« En dehors de l’action cherchée sur un germe infectieux, les antibiotiques possèdent de large spectres d’activité, inhibent la croissance ou détruisent un grand nombre de germes sparophytes, présents normalement dans les cavités naturelles ou le tube digestif des individus… »? Ces déséquilibres pouvant être à l’origine d’accidents graves, il recommande un apport en vitamines E accompagnée de l’administration de germes vivants qui seuls, peuvent rétablir l’équilibre. « On peut s’adresser aux germes lactiques, soit Bacillus Bulgaricus, soit Streptococcus Lactis (on sais depuis longtemps que l’administration de lait ou de yoghourt diminue la fréquence des incidents gastro-intestinaux causés par les traitements antibiotiques), soit mieux, normalement présents dans l’intestin : Bacillus Acidophilus ». C’est bien sûr ce dernier qui est présent dans la spécialité Vivacidol promus par les laboratoires Bouchard.
Jadis et Naguère, en juin 1955 nous propose de se rappeler l’année 1906 pour l’omnibus automobile fait son apparition dans les rues de Paris. Le Journal du 12 juin relève que « pendant toute la journée, le succès obtenu par le nouveau mode de transport ne s’est pas démenti. Le nombre de voyageurs transportés a été considérable. La Compagnie des Omnibus a fait le choix, pour ses voitures, de roues exceptionnellement solides. On en devine aisément la raison, et elle s’est adressé pour cela à l’un des constructeurs les plus réputés de roues pour automobile, nous avons nommé M. Vinet. » Un autre article concerne le passage du film noir et blanc et muet au film couleur, parlé. « La couleur, le film parlé, quelle dégénérescence, disait Abel Gance en 1928. Plusieurs témoignages vont dans le même sens : Ainsi, Germaine Dulac s’exprime en ces termes : « L’art du cinéma n’est-t-il pas l’art de la beauté visuelle dans la combinaison du mouvement et de la lumière ? Lui adjoindre le verbe, c’est le détruire dans son sens le plus profond. C’est une régression et non un progrès. Le public, qui est habitué au silence des images et à leur expression sensible, réagira, j’en suis certaine, contre le film parlé. » De son côté, Mlle Lucie Derain déclare « Au nom du cinéma tout entier, protestons contre cette fantaisie des dirigeants du cinéma américain qui croient frapper un grand coup de massue et qui ne font que jeter une pierre dans la mare aux crabes? Le film parlant ! Quelle erreur ! Évidemment, c’est une régression, non seulement du point de vue artistique, mais au point de vue cinéma tout court. Le public ? La première fois, il rira. La seconde, il sifflera. La troisième, il hurlera ! Et puis, il n’y aura plus de quatrième fois, car il ne viendra plus. »
Le directeur des Etablissements Pathé-Cinéma se positionne également : »Je ne pense pas que le film parlé apporte un progrès artistique au cinématographe parce qu’il sera toujours ridicule de faire parler des sujets noirs et blancs, sans relief, se mouvant sur un écran… Mais les progrès techniques qui seront réalisés par ailleurs pourront cependant recevoir , pour la petite exploitation, une application intéressante dans la reproduction des accompagnements orchestraux pour les spectacles cinématographiques ordinaires. »
Quelques mois plus tard, en septembre 1955, Naguère et Jadis évoque le Général Boulanger et son suicide sur la tombe de Mme de Bonnemain à Ixelles. La revue s’intéresse aussi aux vieux cochers d’omnibus obligés de prendre leur retraite, à la mode en 1865 qui envisage un retour de la crinoline, à la traversé de la manche en ballon (27 septembre 1903), l’arrestation de Guillaume Apollinaire après le vol de la Joconde, etc. On peut lire aussi ce petit entrefilet sur les « manies royales », issu du Jourbal du Dimanche du 1er septembre 1902 : « Edouard VII est, parait-il, affligé de la manie du « pesage ». Entendez par là qu’il a une bascule automatique dans chacun de ses châteaux et que lorsqu’un hôte -fut-il princier- vient lui rendre visite, il faut qu’il se pèse à l’arrivée et à la fin du séjour. Qui bien se pèse bien se connait… Généralement, les hôtes du roi augmentent toujours de poids? C’est signe que la table est bonne… »
Juillet-Août 1956 : Naguère et Jadis donne « l’exemple de l’arbre » en citant « Le Petit Journal » du 11 juillet 1911 qui donne la traduction du texte de la plaque posée à Esneux, dans le pays de Liège, pour commémorer la date de la première « Fêtes des arbres » en Belgique :
« L’an 1905, le 21 du mois de mai, cet arbre a été planté pour enseigner les petits, pour faire penser les grands et pour dire à tous : Aimez les arbres, respectez les pour la beauté et l’honneur du pays. Qui que vous soyez, les arbres ont abrité vos jeux d’enfants, vos amours de jeunesse, votre repos bien gagné…Ils font leur devoir, qu’on le sache ou non. Une rafale passe : ils rendent le bien pour le mal. Le jour où tout le monde fera comme eux la terre tournera plus joyeusement. »
Dans le même numéro, on peut lire un article du 19 juillet 1907 paru dans « le Matin » intitulé « Une machine qui tuera tout Paris, l’autobus ». En voici un extrait, où un cafetier s’exprime : … déjà, M. Bergougnoux, le patron, gémissait : – Tous, oui, tous mes clients s’en iront. Ah ! malheur de ma vie ! Ah ! Maudits autobus ! Quatre fois déjà, j’ai vu mon établissement envahi par ces machines infernales. Elles broient tout, jettent l’effroi parmi mes consommateurs ; et , je vous le jure, monsieur, ma femme en a pris une maladie de nerfs. En décembre dernier, une de ces voitures de la ligne Montmartre-Place Saint-Michel heurte violemment un camion qu’elle envoie dans une devanture.
Le 4 janvier, c’est une autre partie de mon établissement que démolit un damné autobus… Vous tous qui pour des causes diverses trouvez encore quelque charme à la vie, poussez avec moi, poussez un cri d’alarme. La Compagnie des Omnibus, altérée de votre sang, menace de dépeupler Paris. Il fut un temps où ses tramways se contentaient de bousculer les fiacres chargés de malles ou d’écraser des piétons ahuris, hasardés sur leurs voies. Comme jadis Athènes au monstre fabuleux, Paris payait le tribut de quelques vies humaines. Mais il ne suffit plus maintenant à la compagnie. Elle lance ses engins contre nos propres maisons. Nos fiacres, ils les culbutent. Nos devantures, ils les éventrent? Un jour, vous les verrez cueillir à votre balcon, votre femme et vos petits enfants. O progrès ! que de crimes on commet en ton nom ! »
En février 1957, on nous rappelle que Camille Pelletan écrivait dans Le Rappel, le 2 février 1896 : « Le Sénat rejette le projet de loi sur les accidents du travail. il carint que les ouvriers de se fassent blesser exprès ! ». Très critique à l’égard de cette décision, l’auteur se demande à quoi sert le Sénat ! « Il est devenu évident que la plus simple réforme sera impossible dans que le Sénat sera là. Il s’agit de savoir de quoi une démocratie a le plus besoin : de réformes ou d’un Sénat. »
On trouve plusieurs articles intéressants dans le numéro 51 d’avril 1957. Le premier concerne le Maréchal Mac-Mahon et le pantalon rouge porté par les militaires et qui sera l’objet de tant de discussions pendant la Grande Guerre. Voici quelques extraits de l’article paru à ce sujet le 6 avril 1890 (Le Gaulois) qui laisse s’exprimer Mac Mahon, qui est en faveur du pantalon rouge, à propos de l’idée de le supprimer : « C’est une erreur, assurément le rouge est « voyant » ou plutôt choque l’oeil dans les promenades lorsque l’on est proche les uns des autres : mais en temps de guerre, et surtout avec la nouvelle tactique, il n’en est pas ainsi. Le rouge se confond à très courte distance.
Dans les expériences de tir, au stand, par exemple, c’est à peine si l’on distingue à quatre cent mètres le pantalon rouge des marqueurs qui annoncent les coups ; éloignez les de deux ou trois cent mètres de plus et vous ne pourrez jamais dire de quelle façon est vêtu l’homme qui circulera à cette distance. »
Rappelant l’épisode de Wagram où Napoléon avait remarqué que le blanc était très visible par l’ennemi, il poursuit : « De ce jour, Napoléon décréta la suppression des uniformes blancs. il s’était rendu compte de la visibilité de la couleur blanche et de la cible trop apparente qu’elle offrait à l’ennemi. Aujourd’hui, tout est changé, on se bat de si loin !… Peut-être y-a-t-il autant d’intérêts pour que d’intérêts contre, dans la question qui nous occupe. Sans parler de la garance qui forme en France une branche d’industrie et une corporation dont l’existence dépend d’une décision, nous devons nous souvenir qu’il est indispensable que nos corps de troupes se reconnaissent entre eux. »
Dans le même numéro, à propos des automobiles, le docteur Bérillon déclare en 1903 : « Ceux qui aiment la vitesse sont des dégénérés ». « Quiconque, a dit le docteur Hachet-Souplet, est en situation d’accroître à volonté sa vitesse, est uniquement envahi par les impressions intenses qu’il en éprouve. Il ne s’appartient plus, il est grisé ! … Pour le docteur Bérillon, il y a une grande analogie avec l’euphorie (la griserie délirante) de la vitesse et la griserie de la morphine. Ceux qui se laissent emporter à faire de la vitesse pour la vitesse, sans aucun but d’utilité, sont le plus souvent des dégénérés dépourvus de tout pouvoir modérateur… » . Toujours dans le numéro d’avril 1957, le journal rappelle l’épisode de Pierre Curie écrasé sur le Pont-Neuf par un engin de roulage, le 20 avril 1906. Il présente aussi l’interview d’un pickpocket anglais expliquant, en 1895, que ce métier ne nourrit pas son homme !!
Début 1958, Naguère et Jadis change de format mais le contenu reste toujours associé à l’histoire. C’est encore l’aviation qui fait la une du premier numéro de l’année, avec l’histoire de Védrines qui pose son avion sur le toit des Galeries Lafayette, relaté dans un article du Matin du 20 janvier 1919. Un autre article rapportant la demande d’Alceste de créer une société protectrice des aviateurs comme il existe une société protectrice des animaux ! (La Presse, 3 janvier 1911). On trouve aussi la reproduction d’un article de janvier 1909 intitulé « la physiologie du sénateur » dont voici un extrait à propos des mœurs du sénateur : « Le sénateur est un animal pudique et en même temps assez facilement « émotif »…. Le sénateur a besoin d’un sommeil prolongé. Il se lève tard et se couche tôt. il mange peu. Il se contente très souvent pour son petit déjeuner de deux douzaine d’huitres, d’une langouste à l’américaine, d’un caneton au sang, de céleri au jus, de quelques religieuses et de bombes glacées, le tout arrosé de quelques doigts (une trentaine de doigts) de bourgogne et de haut-brion. Il ne boit jamais d’alcool ; seulement après le café, il absorbe une certaine quantité de fine champagne et de liqueurs monastiques. Mais tout ce qu’il avale, c’est pour la France….
Réunis au nombre de trois cents, les sénateurs se donnent souvent rendez-vous, l’après-midi, pour jouer du tambour sur des pupitres, et s’amuser gentiment. Leurs passe-temps favoris sont l’interpellation, la discussion, la protestation, l’approbation et la congratulation. Quand ils n’en peuvent plus, ils votent, c’est à dire qu’ils s’essaient à introduire des petits morceaux de cartons dans des tirelires. Les contribuables appellent cet exercice le dépouillement (de leur bien entendu)…. On compte trois types de sénateurs : le jeune vieux, le vieux et l’extra vieux…. L’extra vieux sénateur est le type accompli du parfait tribun et du jurisconsulte. Sourd à toutes les revendications et à tous les appels, muet par principe, insipide par définition, nettement paralytique et nettement républicain, il dort, discute, légifère, pense, fait tout en un mot sur la chaise curule. Il est mûr pour de grandes choses… ».
En mars 1958, Naguère et Jadis nous emmène sur le terrain du budget de l’Etat, sous le titre « déjà en 1909 » et le sous-titre « Casse-cou, un budget impossible, quatre cent soixante dix sept millions à trouver » (paru dans Le Matin, le 12 mars 1909). A part les chiffres, cet article pourrait sans doute servir tous les ans ! « Le ministre des finances est actuellement saisi des propositions budgétaires de tous les ministres pour l’année 1910. Ces propositions forment un total dépassant de 288 millions les chiffres du budget 1909 surnommé l’Himalaya des budgets…
Le problème est grave. Il ne se pose pas seulement devant le gouvernement : il se pose aussi devant l’opinion publique. Ayons le courage de regarder en face cette situation et de chercher les moyens d’en sortir dignement pour l’honneur et le crédit de notre pays. Il ne s’agit plus de boucler le budget par des artifices, mais de présenter au pays un ensemble d’économies et de mesures décisives contre l’accroissement continuel des dépenses. Nous sommes à la limite de l’imprévoyance, au bord de l’abime où pourrait nous conduire une politique désordonnée de surenchères électorales. Le Parlement doit se ressaisir. Nous n’avons plus une faute à commettre. » (Signé Gervais, sénateur de la Seine).
Parmi les articles du même numéro, le quotidien Gil Blas écrivait le 4 mars 1901, « professeurs bizarres », une revue des professeurs étonnants de son époque : « Poitiers va, nous dit-on posséder un professeur d’automobile… à ajouter à la série des professeurs plus ou moins originaux. Nous en comptions déjà un certain nombre. il y avait le professeur de bicyclette, de professeur de patinage… Il y a le professeur de gestes et d’attitudes (Talma pour Napoléon)…, des professeurs de sommeil. Il y a, en Amérique, des gens qui vous enseignent à cracher très proprement en omnibus.. Il y a, à Paris même des professeurs d’escrime psychologique… On ne prétend pas faire le dénombrement de tous les professeurs et de tous les enseignements fantaisistes. Comment oublier, cependant, le professeur de l’académie de coiffure qui porte le titre précieux de professeur d’ondulation ; le professeur de « domptage » de fauves, comme fut Georges Mark pour la belle Marcelle Lender ; le professeur de muscles, Sandow lui-même, et enfin les professeurs de muscle moral, les professeurs d’énergie ? «
Nous allons maintenant faire un saut de presque 10 ans ! avec le numéro de janvier 1967 où sont publiés deux articles amusants : le premier sur la galette des rois et l’autre sur un proverbe. « Les rois de la fève » fut publié par Charles Monjelet dans le Journal Illustré en janvier 1865 : « Tout le monde joue à la royauté à l’heure qu’il est. D’obscurs boulangers ne sont occupés qu’à pétrir la pâte d’innombrables monarques et à mettre au four les destinées d’innombrables empires. Une telle royauté ne coûte ni émeutes ni révolutions. Tout au plus une dent cassée si le potentat s’est trop hâté e mordre à son gâteau. Une fois proclamé, on l’installe : et ce qu’il a de plus pressé à faire, c’est de partager son sceptre avec une femme, c’est de choisir une reine….Le roi boit ! Tel est le cri dont on le salue : car le roi n’a d’autre occupation que de vider sans relâche le verre qu’on lui remplit ; il appelle cela rendre la justice… La fête des rois est en honneur aussi bien à la campagne qu’à la ville… Gardons toujours ces naïves et chères coutumes ; multiplions autant que possible les occasions de nous réunir autour des plats fumants et des coupes étincelantes : que la bataille de la vie ait ses haltes au milieu de la bonne chère et des gais propos ; et, sans crainte d’être séditieux, poussons encore aujourd’hui ce cri enthousiaste : vivent les Rois !
Quant au proverbe, voici ce qui est écrit dans le Constitutionnel du 26 décembre 1884 : « Un vieux proverbe dit que les jours croissent à Saint Luce le saut d’une puce. Or Saint Luce ou Lucie tombant le 13 décembre, c’est à dire à une date où la durée des jours n’a pas encore atteint son extrême décroissance, il est évident pour nous que le vieux proverbe formule une impossibilité. Comment faut-il expliquer que, malgré l’attrait de la rime, qui, en fait de proverbe, l’a souvent emporté sur la raison, nos pères aient tenu pour valable un adage qui nous semble consacrer une erreur manifeste ?
Voici l’explication qui nous est fournie par le « Musée des Familles ». Ce proverbe date d’avant la réforme grégorienne du calendrier qui, on le sait, a retranché 10 jours au mois d’octobre 1582. Par là se trouvèrent modifiées toutes les dates du reste de l’année. Avant la réforme Saint Luce bien que tombant le 13, se trouvait par rapport à la croissance des jours tomber au 23 décembre, époque où en réalité la durée du jour s’est déjà accrue d’une ou deux minutes. Par conséquent le proverbe qui aujourd’hui n’a plus de raison d’être disait vrai. La même cause d’erreur doit être appliquée à maint autre adage reposant sur des dates de fêtes, qui n’occupent plus dans l’année réelle la même place qu’à l’époque où ils furent mis en décrit. »
Pour terminer, voici un article intitulé « D’après l’école de Médecine de Salerne. Médecins et remèdes au moyen-âge », paru dans le numéro d’octobre 1965 : « A côté des livres de science et de polémique médicale, apparaissent à Salerne les peouvres concernant les coutumes de la profession médicale, comm le « Mos medici » et le « De adventu medici ». On attribuait à la première une maxime, qui semble remonter à l’époque romaine : »Esige dum dolor est », laquelle traduite en termes, disons, vulgaires, signifie : »Fais toi payer (par le malade), pendant qu’il souffre », d’où l’on déduite qu’il est difficile de se faire payer lorsque le malade est guéri. « O médecin, lorsque tu seras près du malade, aide-le au nom du Seigneur, et qu’avec les mêmes sentiments t’accompagne l’ange qui servit de guide à Tobie, informe-toi d’abord auprès des parents pour savoir depuis combien de temps il est malade et de quel mal il souffre, et quand tu sera en sa présence, qu’il apparaisse que tu ignores ses souffrances. Fais le confesser au plus vite, même si la guérison est certaine. Près du patient, apparait ni orgueilleux ni avide d’argent, mais humble, et salue tout le monde avec modestie.
Quand tu t’assoies, soit prêt à inviter les autres à s’asseoir. Si on t’offre quelque boisson, entre une parole et l’autre, loue la beauté du site, la disposition de la maison, la générosité de la famille.
Observe le pouls du malade, mais pour ne pas être trompé par la fréquence des pulsations, dues à la joie provoquée par ton arrivée ou – s’il est avare – à l’inquiétude pour les honoraires qu’il te devra payer, attends qu’il se soit calmé, et veille à ce qu’il ne se couche pas sur le lit du côté de la main que tu examines, et à ce que cette main ne soit pas trop ouverte ou trop fermée. Jusqu’à cent tu écouteras les pulsations, pour en comprendre la nature et pour que les assistants, après l’expectative, attendent avec plus d’anxiété ton jugement. Ordonne ensuite que l’on te porte l’urine, afin que le malade soit convaincu que tu combats ses maux non seulement d’après le pouls, mais également d’après l’examen de l’urine. De l’urine, tu noteras la couleur, la substance, la quantité et le contenu, et puis, avec l’aide de Dieu, tu promettras la guérison au malade. Loin de lui, tu feras comprendre à sa famille qu’il n’est pas facile de le guérir ; ainsi, s’il guérit, ce sera grâce à ton mérite et, s’il meurt, ils attesteront que, dès le début, tu avais désespéré de sa santé. Veille en outre à ne pas regarder d’un oeil cupide sa femme, sa fille ou sa servante, car si tu agissais ainsi, ton âme resterait troublée, et cela pourrait modifier la volonté de Dieu, ton coopérateur. »
Dans le « Compendium aromaticum » de Saladino d’Ascoli également, nous trouvons des recommandations morales aux pharmaciens : « Aromator non debet… … Etre ni orgueilleux, ni solennel, ni efféminé ou parfumé. Encore moins sale ou débraillé. Qu’il ne montre pas qu’il est avide de femmes, qu’il ait de la répugnance pour les rendez-vous nocturnes. En outre, qu’il se garde bien des médecines les plus chères, mais qu’au contraire, il soit plus modéré que la normale, afin de ne pas être frappé de la malédiction des plus pauvres. » Ces « recommandations donnet une idée vivante de l’atmosphère de l’Ecole de Salerne, loin du langage formel que ses historiens et de celui, aride, de ses codes. …
Le texte donne ensuite plusieurs textes de l’Ecole de Salerne comme par exemple, l’éloge des simples, dont l’un des plus renommés, la sauge :
« Il ne devrait jamais mourir, celui qui a de la sauge dans son jardin, baume de tout mal. Elle fait du bien aux nerfs, et le tremblement elle enlève aux mains, et les fièvres les plus aiguës, elle les chasse, du don de la santé, du salut, elle tire son nom. »
Et la rue :
« La rue est bonne pour les yeux et elle rend la vue très perçante et elle chasse l’obscurcissement. Chez l’homme, elle tue l’amour et chez la femme, elle l’embrase et lui fait l’esprit très avisé. » L’ortie, elle aussi, a de nombreuses qualités ; non seulement elle calme les vomissements, facilite le sommeil, combat la toux, mais elle chasse même la tumeur de l’abdomen. La « purpurea viola » dissout les acides des orgies, guérit la migraine et le mal caduc, tandis que le poireau rend fécondes les femmes stériles et a des fonctions hémostatiques, surtout dans l’hémorragie nasale. Et les vertus thérapeutiques de bien d’autres herbes et fleurs sont également vantées. »
L’article se termine par la théorie des quatre humeurs et la description des types correspondants….
Naguère et Jadis , septembre 1968
|
||
ULTRA-LEVURE, Laboratoires BIOCODEX, 35, rue du Moulin-de-la-Vierge, Paris 15°
HEPARGITOL, Laboratoire ELERTE, Aubervilliers ASSIBIOL, Laboratoires BIOCODEX, même adresse GELSADOL, Laboratoires du SYNTHOL, 1 à 9 Rue de l’Abreuvoir, Boulogne (92). GARASPIRINE/LIMOL, Laboratoires PHAMIGIA-CHURCHILL, 123 Bd St Michel, Paris 5°. |
VIVACTIL, Laboratoires MIDY, 67 avenue de Wagram, Paris 17°
PLANOVINE, Laboratoires NOVO Industrie Pharmaceutique, 26 rue Fortuny, Paris 17° LEVOGLUTAMINE HOUDE, Laboratoires Houdé, 15 Rue Olivier-Métra, Paris 20° TERPINE GONNON. Laboratoires GONNON, 14 rue Victor Hugo, LYON. |
THIODERAZINE B1, Laboratoires MIDY, même adresse
VERICARDINE, Laboratoires JUIN-GUIRAUD, 63 Rue de Paris, Charenton (Seine). REPOSAL, Laboratoires MARTINET, 222 bd Pereire, Paris 17°. SARGENOR, Laboratoires SARGET, 7 rue de l’Armorique, Paris 15° NAUSIDOL. Laboratoires GREMY-LONGUET, 23 rue Ballu, Paris 9°. |
En conclusion, Naguère et Jadis, dans ses numéros destinés aux corps médical, était à la fois instructif, distrayant et riche en publicités pharmaceutiques de très nombreux laboratoires.