La pharmacie, la préparation et la vente des drogues, a donné lieu à de multiples représentations au fil du temps. Les artistes se sont exprimés largement dès le moyen-âge et bien sûr dans les siècles suivants. Nous allons ainsi parcourir quelques aspects (très incomplets) de ces représentations. On voit ici une illustration tirée d’un manuscrit du XVIe siècle de Gilles Romain, intitulé « Le Livre du Gouvernement des Princes », conservé à la Bibliothèque de l’Arsenal à Paris. Sur cette gravure, on peut voir au premier plan une pharmacie avec un pain de sucre et l’annonce d’un « Bon Ipocras » dans cette apothicairerie médiévale.
On connaît cette autre miniature d’une pharmacie tirée de la traduction française d’un manuscrit de la « Chirurgie de Roger de Salerne » du XIIIe siècle.
Cette miniature colorée à la main décrit une pharmacie jouxtant une église. L’image suggère une discussion entre un apothicaire et un médecin à propos des matières premières à utiliser provenant des étagères à gauche. C’est peut être aussi un médecin donnant des instructions à l’apothicaire pour la préparation d’un médicament. L’ouverture en arcade rappelle qu’au moyen-âge, les officines étaient ouvertes sur la rue. Le manuscrit qui contient cette gravure est le plus ancien connu sur la chirurgie de l’occident chrétien et venait de la fameuse école de Salerne. Son auteur, Roger, est considéré comme le plus réputé des chirurgiens de Salerne.
Un autre manuscrit médiéval, écrit à Vérone et richement illustré, le « Tacuinum Sanitatis »1, montre cette miniature d’une apothicairerie vers 1300, conservée à la bibliothèque nationale d’Autriche. Sous la gravure qui représente la vente de Thériaque, on peut lire : « Thériaque. Nature : chaude et sèche. Choix : celle qui sauve le coq du poison et a plus de dix ans. Bienfait : contre les poisons et les maladies chaudes et froides. Inconvénient : au-delà de dix ans, provoque des insomnies. Remède à cet inconvénient : avec des substances réfrigérantes, comme de l’eau d’orge. Convient mieux aux [tempéraments] froids et humides, aux personnes âgées, en hiver et dans les régions froides, mais aussi en cas de besoin et à tout endroit. »Selon les manuscrits, l’image de la pharmacie peut changer comme on peut le voir ci-dessous.
Au XIVe siècle, on trouve encore cette image tirée de l’Evangéliaire de Johannes von Troppau de 1368. On y voit Saint-Luc représenté comme médecin avec un urinal dans la main. Derrière lui, on peut distinguer une pharmacie comprenant une série de sacs pour la conservation des simples ainsi qu’un grand nombre de pots de pharmacie. Ce thème religieux rejoint une série de peinture sur le Christ apothicaire. On connaît par exemple cette peinture extraite du manuscrit intitulé « Chants Royaux du Puy de Rouen »(1519-1528) qui est à la Bibliothèque nationale de France. Dans cette miniature, le Christ prépare une ordonnance pour Adam et Eve. Elle donne aussi une représentation exacte de l’agencement d’une officine de l’époque. Les pots et coffrets sont munis d’inscriptions et au milieu trône le grand mortier avec ses pilons.
On retrouve ce même thème dans cette peinture à l’huile par Apelli venant du musée national de Nuremberg.
Elle représente le Christ pharmacien dans la « Wohlbestelte Seelen Apoteck » (la pharmacie des âmes bien pourvues ») en train de préparer les médicaments pour l’âme. Toutes les inscriptions sur les contenants font allusions à la bible ou ont des connotations religieuses. Si l’on poursuit notre périple historique en arrivant au XVIIe siècle, il faut signaler cette peinture représentant symboliquement la médecine. C’est l’oeuvre d’un peintre du sud de l’Allemagne représentant le médecin, l’apothicaire et le patient en compagnie des divinités Esculape et Hygie et entourés des effigies de Celse, Asclépiade, Galien et Hippocrate.
Hygia, déesse de la pharmacie, se tient à côté du pharmacien au centre qui prépare les médicaments sous la direction du médecin assis au centre, derrière Asklepios, le dieu protecteur de la médecine. Le livre sur la table et les autres ouvrages symbolisent la connaissance médicale tandis que l’alambic et les récipients à gauche montrent les instruments de l’art pharmaceutique. Les contenants pharmaceutiques alignés sur des étagères sont accompagnés du mortier et de la balance qui trônent au milieu du comptoir. Quelques bustes sont là aussi pour montrer les pères de la médecine, en particulier Hippocrate, au dessus d’Asklepios.
Une autre peinture du XVIIe siècle représente une pharmacie hollandaise de l’époque. Cette peinture fut successivement attribuée à Emmanuel de Witte, à l’école de de Hoogh et à Ter Borgh. Sur le deuxième grand mortier, la signature n’est pas déchiffrable mais on lit l’année, 1665. Sur le mortier de cuivre se trouve une autre date 1652. les personnages sur le tableau sont très probablement le pharmacien, autorité communale, membre du collège médico-pharmaceutique, à droite un des médecins de l’endroit confrère du Collège, ainsi que la femme du pharmacien. Elle se trouve derrière la table d’ordonnance et a à la main un citron, ce qui semble avoir été un signe de bienvenue à l’invité.
Autre peinture célèbre : celle d’Antoine Rivalz (1667-1735), né et mort à Toulouse. Ce tableau est un portrait de l’aide pharmacien du couvent des Cordeliers à Toulouse. Rivalz, qui se rendait fréquemment au couvent pour y peindre, fut souvent prié par l’aide pharmacien de faire son portrait. Ce vœu fut finalement exaucé. Il exécuta son portrait sur la porte de la pharmacie du couvent, porte qui fut rapidement transférée au musée des Augustins à Toulouse où il se trouve toujours.
Au XVIIIe siècle, il existe plusieurs peintures représentant des pharmacies, souvent en Italie. On en voit ici deux exemples. A gauche, il s’agit de l’intérieur d’une officine italienne par Giuseppe Zais. L’image suggère qu’au delà de son rôle pour la préparation des médicaments, l’officine a un rôle social Le personnage de droite est peut-être un médecin en train de lire le journal. A gauche, ce sont sans doute les aides du pharmacien. Au centre, on distingue le pharmacien en train de préparer un médicament sur le feu. Sur la droite, on distingue un appareil à distiller avec de multiples alambic associés à la surface du four.
Les étagères sont couvertes de pots de pharmacie et de verrerie typiques du nord de l’Italie.
L’image de droite représente l’officine du couvent S. Maria Novella à Florence, par Giovanni Migliara (1785-1837). Cette pharmacie était renommée pour ses parfums. Ouverte en 1612 par des moines dominicains, cette pharmacie-parfumerie est considérée comme la plus ancienne du monde occidental encore en activité, ainsi que l’une des plus anciennes entreprises de tous les temps.
Lorsque des moines s’installent à Florence et construisent la basilique Santa Maria Novella, avec son couvent, au XIIIe siècle, ils se mettent également à cultiver des plantes médicales dans un jardin mitoyen pour produire quelques onguents, destinés à leur propre usage. Puis leur apothicairerie s’ouvre au public extérieur.
Les archives de la ville montrent qu’en 1381, ces dominicains de Santa Maria Novella vendent déjà de l’eau de rose comme antiseptique en période d’épidémie, notamment de peste. Les moines disposent d’une connaissance des plantes médicinales, cultivées dans le jardin des simples attenant : herbes et fleurs distillées servent ensuite à préparer essences, élixirs, pommades et baumes. Il s’agit donc, dans un premier temps, d’une officine d’apothicaire comme il en existe dans la plupart des grandes villes européennes. Le jardin alimentait principalement la pharmacie la plus proche et jumelle de San Marco, également fondée et gérée par les frères dominicains.
Toujours au XVIIIe siècle, on peut admirer cette peinture d’un artiste inconnu représentant la pharmacie de l’hôpital dans la ville italienne de Vercelli. Le tableau représente le travail dans l’officine en pleine activité au moment où le médecin, après sa tournée dans l’hôpital, entre dans la pharmacie pour y surveiller la préparation des médicaments prescrits et pour soigner les indigents de la ville, venus à cet effet à l’officine.
Autre témoignage du XVIIIe siècle : cette peinture de Willem Joseph Lagny : la pharmacie du village et l’arracheur de dents. Reproduction d’une aquarelle de Cabinet des gravures d’Amsterdam. Lagny, né près de Cologne en 1738, mourut à Clèves en 1798. Il vint dans sa jeunesse à Amsterdam, où il travailla d’abord chez le fabricant de papier de tapisserie Joh. Remmers.
Il travailla ensuite sous la protection du collectionneur Braamcamp. Il fit des portraits et des peintures de genre.
Il peignit également des personnages qui figurent dans les peintures de son ami Wijbrand Hendriks. Il copia au crayon les toiles de Dou, de Metsu et de Frans van Mieris le Vieux. On voit sur ce tableau tous les attributs classiques du pharmacien, y compris le crocodile au plafond.
Au XIXe siècle, on peut admirer les deux toiles de la pharmacie de l’hôpital Saint Jean de Bruges. L’Hôpital médiéval Saint-Jean fut jadis le plus grand centre de soins de Bruges pour les malades, les pauvres, et ceci perdura jusqu’au 19ème siècle !
Les frères et les soeurs qui s’y activèrent laissèrent de nombreux témoignages, des instruments et des oeuvres d’art, qui sont de nos jours encore conservés sur place. Une pharmacie du 17ème siècle, de même qu’un jardin d’herbes médicinales complètent l’ensemble.
D’après W. Koning, le sculpteur belge Jef Lambeaux (1852-1908) a réalisé l’une des peintures de cette ancienne pharmacie de l’hôpital qui existe encore aujourd’hui. L’autre tableau est attribué à Philippe van Bree. Au dos, on peut lire une inscription en latin indiquant qu’Emilius van Becelacre en a fait cadeau à l’hôpital St Jean en souvenir de son père bien aimé. La femme, avec l’enfant sur les genoux, est habillée de la typique capote brugeoise.
Toujours au XIXe siècle, la pharmacie Midy est représentée par le peintre Maurice Leloir. Le tableau rappelle un épisode de 1792 où un blessé est transporté dans la pharmacie à Douai, créé par François Midy (1690-1760).
Elle y restera jusqu’en 1828, date à laquelle elle fut transférée à Paris et où sept générations de Midy vont se succéder avant de créer l’entreprise pharmaceutique qui sera une des bases de la société Sanofi. Fils et élève du peintre Auguste Leloir et de l’aquarelliste Héloïse Suzanne Colin fille du peintre Alexandre Colin, Maurice Leloir expose peintures et aquarelles à partir de 1876 au Salon de Paris puis au Salon des artistes français, dont il devient sociétaire. Il participe avec de nombreux autres peintres à l’École de Crozant dans les vallées creusoises.
Au XXe siècle, on trouve des styles très différents au fil des années. Ce tableau représente une pharmacie américaine aux environs de 1855. Peinte par Abbott Graves (1859-1936), il fut commandé par Frederick Stearns pour rappeler la fondation de la société Frederick Stearns et Cie cette année là. Abbott choisit comme modèle un vieux « Drugstore » à Kennebunkport dans le Maine, et demanda à plusieurs habitants de bien vouloir poser pour ce tableau. Abbott Graves est né à Weymouth, Massachusetts, le 15 avril 1859. Après un stage à l’institut de technologie du Massachusetts (MIT), il étudia à Paris. sous la direction de Georges Jannin et fut pendant 3 ans l’élève de Cormon. Il a fait beaucoup de peintures décoratives et se spécialisa dans les tableaux de fleurs.
Dans un genre très différent, le peintre et pharmacien italien Franco Assetto, né en 1911, a réalisé une peinture représentant « la citadelle du médicament ». Cette composition surréaliste illustre l’évolution de la « forteresse » pharmaceutique à travers les siècles. A gauche, nous voyons le laboratoire de l’apothicaire médiéval peut-être monastique), relié par un pont à l’industrie pharmaceutique moderne avec ces kilomètres de tuyaux et de réacteurs. Les plantes médicinales, y compris ce qui peut être considéré comme une mandragore géante à gauche, sont éparpillées au fond de la toile tandis que des cristaux bleus émergent au centre, représentant la matière médicale végétale et minérale. Un modèle moléculaire à droite surplombe des sortes de « prêtres de la recherche » dont l’un porte une croix.
On peut aussi voir des pots de pharmacie sur le pont.
Toujours du même peintre, un autre tableau intitulé « Minerva Farmaceutica » montre la déesse des sciences pharmaceutiques assise sur une estrade. Une dizaine de pharmaciens, sortent de grands prêtres, lui présentent leurs hommages. Dans le fond, il y a l’industrie pharmaceutique et, à l’avant, des appareils à distiller et le serpent comme symbole de la médecine.
On revient en France avec la série bien connue de Gromaire.
Marcel Gromaire est né en 1892 à Noyelles-sur-Sambre, dans le Nord de la France. Il s’installe à Paris pour suivre des études de droit et fréquente quelques ateliers de Montparnasse dès 1910. Son exigence et sa réflexion l’inscrivent dans la grande tradition française. La plus importante collection d’huiles de Marcel Gromaire est conservée au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris. En 1937, Jean Zay, ministre de l’Instruction Publique et Georges Huisman, directeur des Beaux-Arts, commandent la décoration des amphithéâtres Guignard et Moissan de la Faculté de Pharmacie de Paris, respectivement à Charles Dufresne et à Marcel Gromaire. Ce dernier réalise à cette occasion cinq tableaux : « L’Apothicaire», « L’Alchimiste », « Le Chimiste », « La Zoologie médicale» et « Les Plantes médicinales ». Ces deux derniers sont inspirés du règne animal et du règne végétal.
Beaucoup d’autres oeuvres d’art mériteraient d’être montrées à l’occasion de cette exposition. Peut-être une prochaine fois !!
*NB : beaucoup de ces tableaux et les commentaires associés sont issus des ouvrages « L’Art et la Pharmacie » publiés par W. Koning, pharmacien à Amsterdam, en 1958.
1. Gobeaux-Thonet Jeanne. Un manuscrit inédit du Tacuinum Sanitatis in Medicina d’Ibn Butlan conservé à la Bibliothèque de l’Université de Liège. In: Scriptorium, Tome 23 n°1, 1969. pp. 101-111.