C’est sous ce titre que fut publié en 1943 par le docteur M. Ossedat un ouvrage relatant le rôle des pharmaciens pendant l’expédition d’Égypte (1798-1801). Cette campagne était l’accomplissement d’un rêve de conquête dont les prémisses remontent au règne de Louis XIV. Voulue par le Directoire, ce débarquement en Egypte inquiéterait l’Angleterre, amènerait à disperser ses forces navales et, du même coup, permettrait de rétablir en Orient notre position de 1789.
L’entreprise fut minutieusement préparée. Fort de l’expérience d’autres expéditions (Guyane, Saint-Domingue, Indes, etc.), il fallait se préparer à rencontrer la peste et d’autres maladies infectieuses. Il était nécessaire de prévoir un arsenal pharmaceutique en conséquence et son renouvellement. Plusieurs pharmaciens furent aussi associés aux recherches de l’Institut d’Égypte.
Il s’agissait de Boudet, Roguin et Rouyer, ces deux derniers étant pharmaciens militaires de l’hôpital du Val-de-Grâce. Quant à Boudet, il s’était fait connaître en professant un cours de chimie dans la société académique de Reims, succédant à Pilâtre de Rosier. Elève de Bayen et de Parmentier, Boudet avait été admis au Collège de pharmacie de Paris dès 1787. Pendant la Révolution, il fut chargé de récolter le salpêtre dans les départements de l’Est.
Pendant la phase de préparation, le Conseil Supérieur de Santé désigna le médecin Desgenettes et le chirurgien Larrey pour remplir les fonctions de médecin-chef et chirurgien-chef de l’expédition. Pour assurer la direction du service pharmaceutique, on fit appel à un jeune pharmacien de trente deux ans, Claude Royer, qui dirigea des pharmaciens d’origine très diverses.
Royer demeura pharmacien-chef de l’expédition jusqu’au 2 septembre 1800 (15 fructidor an 8), date à laquelle Boudet, promu entre temps pharmacien en chef de la Marine, le remplaça.(Voir plus loin)
On prévoyait un pharmacien pour cinquante à cent malades. Par ailleurs, quelques années auparavant, en 1792, avait été créé un magasin général des médicaments (devenu par la suite la Pharmacie Centrale de l’Armée) qui permettait de constituer de vastes approvisionnements en médicaments.
Cette idée d’une pharmacie centrale fut reprise en Égypte. Boudet avait une officine au Caire destinée à la recherche scientifique. Mais dès son installation, elle fut appelée à pourvoir l’armée en médicaments et préparations , qui lui faisait défaut. Desgenettes voulut lui donner une grande extension et faire d’elle un organe analogue à la Pharmacie Centrale de l’École Militaire. A partir de septembre 1800, c’est Rouyer qui prendra la tête de cette Pharmacie Centrale du Caire.
Le principal convoi appareilla le 19 mai 1799 et, après la prise de Malte, atteignit Alexandrie qui fut prise le 3 juillet. Malheureusement deux bâtiments chargés de matériel médical, la Bienfaisance et la Ville de Marseille, furent capturés par l’ennemi, si bien que plus de la moitié de l’arsenal thérapeutique avait été perdu en arrivant à Alexandrie.
Et pourtant, le besoin en médicaments ne cessa de croître dans les années suivantes. Dès le début de la campagne, le service de santé s’efforça de limiter la morbidité par la diffusion des principes d’hygiène, élaborés par la médecine navale au cours de la seconde moitié de XVIIIe siècle.
Parmi les médicaments les plus souvent prescrits, il y avait les vomitifs : tartrate de potasse et ipécacuanha utilisés au début de la peste et contre la dysenterie ; les vésicatoires, à base de poudre de cantharides, étaient souvent de mauvaise qualité ; les purgatifs employés étaient, en plus des sels de Glauber et d’Epsom figurant sur les états des médicaments réglementaires, la crème de tartre, le tartrate de potasse antimonié, le tamarin et le séné, ces deux derniers produits étant abondants en Egypte.
A défaut d’autres préparations, on pouvait faire usage du purgatif, en pilules, mis au point par les moines de la Propagande (ordre qui exerçait la médecine en Orient), composé de produits abondants en Orient : l’aloès, la coloquinte et la gomme gutte.
Rouyer s’intéressa particulièrement aux médicaments locaux. Certains produits étaient importés comme la rhubarbe, le benjoin, la salsepareille ou l’opium de Perse. D’autres étaient produits en Egypte : le henné employé comme astringent, la coloquinte, le caroube, l’opium, la casse, l’assa foetida, le styrax, l’helbé vendu dans les rues comme stomachique, spécifique des vers et de la dysenterie, etc.;
« le sel ammoniac, dont l’Egypte fut longtemps un des principaux producteurs, fut utilisé pour achever la guérison des cicatrices de la lèpre » nous explique le docteur Ossedat. Les Egyptiens fabriquaient aussi une sorte de thériaque qui était préparée solennellement en présence des autorités. Larrey remarqua également de grandes quantités de quinquina dans la région d’Acre et on en fit une grande consommation pour les pestiférés et les victimes de la fièvre jaune.
Pour la préparation des médicaments, il fallait aussi importer d’Europe le vin, le vinaigre et l’eau-de-vie, rares dans les pays musulmans. Il fallait aussi importer le miel, la cire, la colophane, le savon médical et la plupart des sels métalliques. On importa également des remèdes composés comme les liqueurs de Fowler et de Van Switen, l’esprit de cochléaria, la liqueur d’Hoffmann, le baume opodeldoch, l’emplâtre de Vigo, le sel Descroizilles, etc.
Ossedat signale par ailleurs que l’expédition d’Egypte fut l’occasion d’expérimenter en grand le chlore, dont l’emploi venait d’être rendu réglementaire dans la Marine. Sa dissolution dans l’eau, connue alors sous le terme d’acide muriatique suroxygéné, fut employé pendant la traversée de l’escadre et du convoi après la constitution de la Pharmacie Centrale du Caire.
Pour terminer, il faut dire quelques mots de certains pharmaciens de l’expédition :
Claude Royer (1766-1818): Le livre de Ossedat cultive la confusion entre Claude Royer et Jean-François Royer, tous deux pharmaciens militaires, confusion qu’a clarifié un article paru dans notre revue par Jacques Nauroy1. Claude Royer fut bien le pharmacien chef de l’expédition. On lui a attribué plusieurs faits qui ont conduit à son remplacement par Jean-Pierre Boudet en septembre 1800. Tous d’abord, sur l’ordre de Napoléon, il fit administrer des doses mortelles d’opium à une trentaine de malades, pour éviter les tortures par les Turcs. Mais, n’ayant pas eu d’ordre écrit, il ne put jamais se justifier de ce meurtre. On lui reprocha par ailleurs des malversations autour des médicaments et du sucre qu’il aurait revenu à son profit. Malgré ses dénégations, il fut remplacé pat Boudet. Et lorsque les dernières troupes françaises quittèrent l’Egypte, Royer, la mort dans l’âme, dut rester au Caire avec les déserteurs. Il ne devait jamais revoir sa femme, ni ses enfants, ni son pays.
Pourtant, il put subsister assez facilement, grâce à ses hautes connaissances en pharmacie, en chimie et en médecine. Et il devint le médecin personnel du khédive Méhémet-Ali. Très connu dans la capitale égyptienne, il y vécut jusqu’en 1818, dans la nostalgie et la plus profonde affliction, ne se faisant remarquer que par un penchant immodéré pour les spiritueux. A cette date, il se blessa en tombant de cheval. La plaie s’envenima. Il succomba dans d’effroyables souffrances, à une gangrène généralisée.
Jean-Pierre Boudet : Sa biographie existe sur le site de la SHP : http://www.shp-asso.org/boudet/
Pierre-Charles Rouyer : Sa biographie existe sur le site de la SHP : http://www.shp-asso.org/pierre-charles-rouyer/
Arsène Charpentier (1781-1818): Au moment du siège d’Alexandrie, Menou capitula et embarqua sur douze vaisseaux-hôpitaux 1338 malades soignés par des officiers de santé français. Il y avait treize pharmaciens pour les accompagner. Mais une dizaine de pharmaciens restèrent à Alexandrie pour les malades intransportables. Parmi eux se trouvait Arsène Charpentier qui mourut quelques années plus tard, en 1818, à l’âge de 36 ans. Il était alors pharmacien-chef à Toulon, après avoir professé à l’Ecole de Médecine d’Anvers, transférée à Cherbourg en 1814. Au bout de deux mois, les malades restés à Alexandrie furent embarqués à leur tour pour l’Europe.
De nombreux autres pharmaciens sont mentionnés dans l’ouvrage d’Ossenat, avec plus ou moins de détails.
1. Nauroy Jacques. À propos de Royer, pharmacien en chef de l’armée d’Orient (1798-1801). In: Revue d’histoire de la pharmacie, 58ᵉ année, n°207, 1970. pp. 219-228.