Nous avons vu que les contenants pharmaceutiques ont été constitués de pots ou objets en faïence mais aussi en bois ou encore en porcelaine. Mais une partie importante de ces contenants ont été (et sont toujours) en verre. Il s’agit de verre transparent, d’opaline, de verre coloré ou encore peint en surface. L’opaline, un mélange de silicie, potasse, plomb et cendre d’os ou de corne, avait pour but de concurrencer l’aspect de la porcelaine mais aussi de protéger les produits des effets néfastes de la lumière qui pouvait les dégrader. Cet usage du verre en pharmacie est attesté dès l’Antiquité, sous forme de récipients nommés Ampullae. Les flacons à collyre avec inscription du prescripteur et du médicament sont très nombreux. Les onguents, les remèdes à l’état sirupeux étaient conservés dans des bocaux en verre commun à large ouverture, ourlée d’un fort cordon de verre rapporté pour fortifier le col et faciliter le bouchage. Pline l’Ancien recommande de conserver dans des vases de verre l’urine de sanglier, qu’il vante dans le traitement des douleurs d’oreilles.
Nous allons nous concentrer ici sur la période du XVIe siècle au début du XXe.
La verrerie pharmaceutique au XVIe siècle
Vers 1518, deux verreries existaient en Argonne, près de Paris, à Chatrice et Bois Japin. A partir du XVIe siècle, on fait la distinction entre bouteille (qui a un bouchon) et flacon (système à vis). On distingue différent type de bouteilles : cylindriques, comme à Lons le Saulnier ; carrées, surtout dans les pays germaniques ; renflées, en carafe, comme à Salins-les-Bains. Dans l’inventaire de la boutique de Jehan de Caux, maître apothicaire à Bordeaux au XVIe siècle, on trouve « plus de trente neuf fioles de verre, plus treize pots de verres servans à tenir pouldres cordiales et trochisques, plus un pot de verre bleu couvert d’estaing servans à mettre les eaux dans la boutique… ».
La verrerie pharmaceutique au XVIIe siècle.
Au XVIIe siècle, le verre joue un grand rôle dans la conservation des médicaments. L’importance du flaconnage s’accroît. Dès 1647, on trouve en Normandie des « verryers bouteillers » qui travaillent beaucoup grâce au développement du commerce des eaux minérales. les verriers lyonnais livraient, dès 1779, des bouteilles pour le transport des eaux de Vichy à Paris. Le verre sert alors à la confection de bouteilles, mais aussi de pots et même de boites. Dans les gravures d’Abraham Bosse, au début du siècle, on retrouve surtout le flacon à quatre pans, appelé « Allemand ». Cette forme de récipient se développa en effet particulièrement en Allemagne et en Europe de l’Est où ces flacons seront peu à peu ornés de motifs à l’or et à l’émail. Le verre émaillé était très apprécié dans ces régions. Dès la deuxième moitié du XVIIe siècle, les apothicaires adoptent largement le verre pour le conditionnement des médicaments. Le vinaigre de Maille est vendu en flacon carré et le Fer-tisane de Clérambourg en tube cylindrique.
Le bouchon de « crystal » est déjà très utilisé. Certains flacons étaient de grande contenance : « l’eau de Montpellier » était vendue en bouteille d’une pinte (0.93 litre à Paris).
Voici ce que dit Jean de Renou en 1610 : « Les bouteilles qui sont assez cognuïs d’un chacun, sont de terre ou de verre ; on se sert d’icelles pour tenir les eaux distillées, lesquelles on doit loger en la partie la plus basse de la boutique, tant en raison de leur pesanteur naturelle, que parce qui s’en faict ordinairement grande quantité, mais advenant l’hyver, il faut les tenir en la cave de peur qu’elles en viennent à geler, et à estre par conséquent inutiles en médecine ».
Au XVIIe siècle, les fioles ne sont pas vendues. En général, le garçon se rendait chez le client afin de les remplir.
La verrerie pharmaceutique au XVIIIe siècle.
C’est avec ce siècle qu’est découverte la fabrication du cristal en purifiant les cendres et en ajoutant du plomb (29.6% d’oxyde de plomb dans le cristal classique). Au cours du XVIIIe siècle, les privilèges des verriers sont peu à peu abolis, ils sont fortement taxés, surtout en Normandie. Ainsi, alors que leur nombre n’avait cessé d’augmenter au cours des siècles précédents, les petites verreries ont disparu au fil des années, et il n’en subsistait que 54 contre 168 au Moyen-âge, chiffre qui diminua encore jusqu’en 1789.
Cependant la technique s’améliorait, surtout par l’utilisation du four à charbon suivi par le four à gaz au XIXe siècle. Chez les apothicaires, on appréciait le verre qui, par sa transparence, évitait certaines erreurs de délivrance et de rangement. On trouve de nombreux récipients en verre dans les registres des hôpitaux. dans celui de l’hôpital de Châlon-sur-Saône, on trouve la trace des achats de verrerie : « Celle de six cent qurante livre, neuf sols, six deniers, payés pour achat voiture et droit de route de verre instable, première qualité, livré et acheté de la verrerie Royale de St Quirin employé en pharmacie suivant deux mandats quittancier ». La verrerie de St Quirin en Moselle avait alors une production importante et fournissait certainement de nombreuses pharmacies tant hospitalières que privées.
La verrerie pharmaceutique au XIXe siècle
La Révolution supprima les privilèges des gentilhommes verriers, beaucoup disparurent. En France, on dénombrait 54 verreries en 1800 et ce chiffre est passé à 185 en 1830 et restera quasiment le même durant tout le XIXe siècle (En 2020, on comptait 576 entreprises dans le secteur de la verrerie et de la cristallerie). On ne retrouve plus au XIXe siècle les verres à pied qui contenaient poudres et trochisques de diverses espèces animales, minérales ou végétales. Ces produits sont placés dans des bocaux de forme plus simple, de taille plus grande et à col droit, bouchés à l’aide d’un bouchon de liège ou d’une simple capsule métallique. On les appelle aussi poudriers. Les plantes quittent progressivement les tiroirs de bois pour de grands bocaux à col droit à large ouverture. Les « cols droits » servent également à loger les liquides de consistance épaisse tels que l’huile de ricin, la glycérine ou les médicaments dont l’emploi nécessite l’usage d’un pinceau, d’un porte coton, d’un badigeon, ou d’un compte-gouttes.
On trouve également des bouteilles dites « goulots » qui ont une ouverture relativement étroites et un col plus haut. Elles ont un col avec ou sans cordon, et elles sont obstruées par un bouchon ajusté de verre, de liège ou une capsule métallique. Ces flacons renferment des liquides de consistance fluide, tels que sirops, potions, alcoolats, liniments, eaux distillées, etc.
Malgré leur fragilité, les contenants en verre ont été bien conservés, en particulier à l’Est de l’Europe et nous en verrons de nombreux exemples venant de la collection pharmaceutique de Cluj-Napoca,
une ville roumaine de Transylvanie, et de son musée national d’histoire*.
La production du verre a fortement évoluée entre le XVIIIe et le XXe siècle, passant d’une fabrication manuelle à une production industrielle. La fabrication artisanale peut se reconnaître aux irrégularités et défauts de symétrie ainsi qu’à de multiples détails caractéristiques d’une production manuelle. Comme nous allons le voir, les formes, les décorations, les tailles, les styles d’écriture, ont pu varier considérablement d’une pharmacie à l’autre.
Dans le catalogue Menier de 1860, on trouve une description assez précise des types de verre utilisés en pharmacie : cristal fin, cristal ordinaire, verre blanc ou bleu. Dans le cristal fin, on trouve des « conserves forme bourse, forme ordinaire et à pied », ou encore des flacons « forme oeuf, urne et potiche, avec bouchons soufllés pour devanture ». il existe aussi des « vases Médicis », des « vases gondoles et chinois » et des « flacons anglais, forme gourde ».
Plusieurs modèles décorés de peintures sont illustrées dans le catalogue Menier, ainsi que des bocaux à ouverture plus ou moins large, toujours en cristal fin. On retrouve à peu près les mêmes catégories en cristal ordinaire. Enfin, le verre blanc est également largement utilisé pour différentes formes de bocaux. Pour certains flacons étroits, Menier reprend la terminologie de taupettes , rouleaux, ou encore fioles. Enfin, le catalogue se termine par les verres colorés de différentes formes et contenances, y compris des flacons en verre noir. Quelques années plus tard, en 1876, Dorvault reprendra quasiment les mêmes modèles et classifications dans son catalogue de la Pharmacie Centrale de France.
On peut trouver en France plusieurs lieux d’exposition des objets pharmaceutiques en verre : le musée de Bazas mais aussi la faculté de Pharmacie de Paris qui possède quelques verres, rares, pour contenir des poudres.
C’est en 1895 que les premières machines à soufflage automatique entrent en service pour fabriquer des bouteilles.Grâce à ces machines, on triplait la production qui atteignait 1500 pièces pour 3 hommes travaillant pendant 8 heures sur 2 machines.
La coloration du verre. Il existe deux procédés de coloration du verre :
1) par introduction de métaux (ions colorés) :
Les ions métalliques, introduits sous forme d’oxydes, communiquent au verre leur propre couleur :
– oxyde de cobalt : verre bleu ;
– bioxyde de cuivre : verre bleu plus lumineux, bleu céleste ;
– oxyde de nickel : verre viole
Mais la coloration obtenue dépend de la composition du verre. Ainsi, l’oxyde de cobalt peut donner une teinte plus violacée, virer au vert ou franchement au bleu, selon que le verre est sodique, potassique ou « au plomb ».
2) par croissance de microcristaux dans un verre homogène.
Cette méthode est utilisée depuis l’Antiquité. La croissance des cristaux nécessite un recuit qui développe la couleur. Tel est le principe qui explique la couleur rouge des verres à l’or ou au cuivre.
– chlorure d’or et oxyde cuivreux : rubis ;
– trioxyde de fer : jaune ;
– oxyde d’argent : jaune ou rouge.
De même, les verres à l’argent, colorés en jaune, sont dus à la formation de particules métalliques de faibles dimensions. Au XVIIe siècle, pour fabriquer un verre blanc laiteux, des phosphates ou des fluophosphates étaient ajoutés à la composition sous forme de poudre d’os. Au XVIIIe siècle, commence l’utilisation de l’arsenic dans le verre au plomb. Il se forme un oxyarséniate de plomb qui confère au verre un aspect opalin.
Note : le texte est en partie issue de la thèse de Catherine Chouzenoux (sous la direction de Nicole Robelin) en 1984 : « La verrerie pharmaceutique du XVIe siècle à nos jours » . Par ailleurs, les pots de pharmacie en verre de Transylvanie peuvent être vues en totalité sur les site Pharmatrans https://pharmatrans.mnit.ro/en/catalogue/.
Remerciement : je remercie spécialement Sylvain Gaudron et Patrick Bourrinet qui ont apporté quelques exemples de leur collection personnelle.