Les pots de pharmacies les plus célèbres et connus du grand public sont généralement les faïences qui sont pour la plupart antérieures au XIXe siècle. Grâce à la découverte de la porcelaine en Europe au XVIIIe siècle, ce matériau va progressivement remplacer la faïence pour conserver et présenter les médicaments. C’est principalement au XIXe siècle que ces pots de porcelaine vont faire leur apparition dans les officines, de même que les pots en verre 1.
Les vases de faïence avaient plusieurs formes selon le médicament qu’ils contenaient : chevrettes , cruches , albarelles, piluliers, pots –canons, vases à thériaque dits aussi vases de monstre s’ils étaient destinés à la devanture de la boutique. Les pots-canons ont évolué à la fin du XVIIIe siècle vers une forme de pot droit auquel il était possible d’ajouter un couvercle. Cette forme se généralisera avec les pots en porcelaine. Les pots en porcelaine sont alors des vases cylindriques couverts. Le couvercle est d’abord bombé avec une olive pour la préhension , puis il revêt une forme plus haute et pointue dite en « chapeau chinois » avec un bouton sphérique , et vers la fin du siècle, une forme ventrue dite « en bourse » avec un bouton plat.
Leur décor est plus ou moins riche en couleurs : rameaux fleuris ou feuillus formant écusson , les trois règnes de la nature (serpents et palmiers associés à un paysage minéral), caducée ou coupe d’Epidaure, encadrement ou boiseries etc. … Ces divers décors sont proposés en plusieurs tailles par les producteurs comme le montrent les planches publicitaires insérées dans L’Officine de Dorvault ou dans la pharmacopée ou encore dans les catalogues des marchands de matériels à usage pharmaceutique.
Selon Régine Plinval de Guilllebon, il est difficile de distinguer fabricants et marchands décorateurs de porcelaine . Elle dénombre 33 manufactures à Paris en 1803 et plus de 400 ouvriers décorateurs en chambre. En 1850 il n’y a plus que 17 fabricants de porcelaine , mais 158 décorateurs sont répertoriés. Les manufactures parisiennes travaillaient surtout à la commande ; elles avaient leurs propres modèles de forme et de décor. Cela est particulièrement vrai pour les pots de pharmacie , comme on peut le constater sur les documents publicitaires.
Maison Nast
Népomucène Nast reprit en 1783 une manufacture située rue Popincourt qu’il transféra en 1789 rue des Amandiers où il habitait. Il eut deux fils qui reprirent l’affaire sous la dénomination « Nast frères », au décès de leur père en 1817. Il semble qu’ils se séparèrent vers 1831 , car l’Almanach du commerce cite « Nast jeune de l’ancienne Maison Nast frères ». L’établissement ferma en 1835 . La Maison Nast était très réputée pour la qualité de ses porcelaines ; elle était surtout spécialisée en pièces domestiques , vases ,tasses et services de table, les pots de pharmacie étant exceptionnels, marqués en rouge « Nast à Paris ». Nast s’entoura de diverses personnalités dont le chimiste Cadet de Vaux , Parmentier qui habitait aussi rue des Amandiers, et Vauquelin qui avait accepté la direction des laboratoires jusqu’en 1828 et qui avait découvert le vert de chrome dit « vert empire » ( 6 ).
Maison Deroche et successeurs
Pierre Deroche et ses successeurs ont été d’importants marchands de pots de pharmacie tout au long du XIXe siècle . En 1780 il est déjà marchand faïencier , mais l’Almanach du commerce le cite pour la première fois en l’an X comme marchand de porcelaine à l’adresse du 336 rue Coquillière. En 1808 l’établissement est transféré au n°12 de la même rue. Pierre Deroche n’eut jamais de manufacture , mais seulement un commerce et vraisemblablement un atelier de décoration .Peut-être eut-il divers fournisseurs mais il paraît acheter régulièrement ses blancs chez Nast.
A sa mort en 1811 , sa fille Adélaïde qui avait épousé son cousin Jean Pierre Deroche lui succède en association avec son frère Henri Pierre. L’Almanach du commerce fait état en 1815 d’un « grand magasin de porcelaine , cristaux, fabrique de flaconnerie , vaisseaux de chimie et tout ce qui concerne les pharmaciens et les parfumeurs » , sous la raison sociale « Deroche frères ». Henri Pierre meurt en 1816 , mais la raison sociale est conservée jusqu’en 1818 , pour devenir « Deroche ». En 1830 Jean Pierre Deroche s’associe avec son gendre Jean Baptiste Prosper Pochet et la maison figure à l’Almanach sous la dénomination « Pochet Deroche ».
En 1839 le commerce est vendu à un cousin François Gosse et la marque « Pochet Deroche et Gosse » apparaît. L’association dure jusqu’en 1841 et Gosse reste propriétaire jusqu’en 1849, date où il part à Bayeux reprendre la manufacture de la famille Langlois. Il cède la direction de l’établissement à Henri Vignier . Durant quelques années le nom de Gosse reste associé à celui de Vignier qui devient seul propriétaire en 1853. Celui-ci transfère les ateliers et entrepots Quai de Valmy. En 1868 son beau-frère Henri Pochet , fils de Jean Baptiste Prosper lui succède et dirige la maison jusqu’en 1883.
Durant cette période une nouvelle numérotation indique 66 rue Jean Jacques Rousseau . Son frère Georges Pochet lui succède et la maison prend l’appellation « G.Pochet et Cie, Successeurs» à l’adresse du 121 quai de Valmy.
Dans les premières années du XXe siècle c’est encore un Pochet qui dirige la maison . L’Almanach du commerce de 1908 cite « Ancienne maison Deroche, Pochet-Deroche, Gosse, H.Vignier , H.Pochet et G.Pochet fondée en 1780. Raison sociale : les héritiers de H.pochet . Verreries pour la pharmacie, spécialités de bouchage à l’émeri, fabrique de moules de verreries ». Le mot porcelaine a disparu et la maison se consacre à la production de verreries.
Maison Acloque et successeurs
La fondation de l’établissement remonte à 1761 selon une publicité de la maison A.Collin en 1877. Au début du XXe siècle l’Almanach du commerce cite la maison Acloque sise 22 rue de la Barillerie parmi les faïenciers parisiens ; l’expoitant est alors Charles Antoine Acloque ( 1753-1825 ). Son fils Charles lui succède en 1814 et l’établissement est cité dans l’Almanach du commerce sous la dénomination « Acloque Fils » à la même adresse.
En 1834 Vimeux reprend l’établissement qu’il exploite seul ou en association jusqu’en 1854 ; C’est d’abord l’association Vimeux et Cocheteux , puis Vimeux-Vieilllard et Cie de 1836 à 1840.
L’Almanach du commerce cite Vimeux seul de 1840 à 1852, mais une nouvelle adresse 3 place du Chatelet à partir de 1842, et l’association Vimeux-Desvignes en 1853 et 1854.
En 1855 Alphonse Collin succède à Vimeux et possédera l’établissement jusqu’en 1884. En 1857 une nouvelle adresse est signalée dans l’Almanach du commerce : 90 rue de Rivoli , en face de la Tour Saint Jacques , ci-devant 3 place du Chatelet, alors que l’entrepot et l’atelier sont indiqués 6 avenue Richerand en 1870 puis transférés 204 rue du Faubourg Saint Denis en 1873..
En 1885 l’établissement est repris par Bertin-Tissier et Cie . Ultérieurement Tissier l’exploitera seul , faisant le commerce de « Verreries, Cristaux, Porcelaine pour Pharmacie et Chimie ». Son catalogue de 1895 présente deux décors de pots en quatre tailles ; le couvercle est de forme bourse avec un serpent enroulé pour la préhension.
Maison Derouin et successeurs
Cette maison a été fondée en 1806 selon les indications d’une publicité de son successeur Paul Lefebure ; elle était 14 rue Sainte Marguerite –Saint Germain , partiellement démolie depuis, elle est devenue rue Gozlin. L’Almanach du commerce de 1844 fait état de l’association Panier-Derouin « maison spécialisée dans le commerce de porcelaine, verreries et cristaux à l’usage de la pharmacie ». Quelques années plus tard Derouin reste seul propriétaire jusqu’en 1857, date à laquelle il transfert son établissement au 12 de la même rue.
En 1858 E.Peigney reprend l’établissement qu’il dirige jusqu’en 1866. Il est alors présenté par l’Almanach du commerce comme marchand. S’il n’est pas fabricant de porcelaine , il possède vraisemblablement un atelier de décoration ou fait travailler des ouvriers décorateurs en chambre.
En 1867 J.Fontemoing et L.Peigney lui succèdent ; l’établissement est transféré 13 rue de l’Odéon et 4 rue Casimir Delavigne en 1875. Une publicité publiée dans un catalogue de la Pharmacie Centrale de 1877 fait état de « Grands magasins de Verreries, Cristaux, Porcelaines, Faïences, Grès et Bouteilles à l’usage de la Pharmacie et de la Chimie ». Ce même document indique aussi un « atelier pour l’impression et le décor sur porcelaine ».
En 1881 Paul Lefébure reprend les deux établissements . Une publicité parue dans le Petit Moniteur de la Pharmacie indique « Installations de pharmacies – Fournitures spéciales de verreries, porcelaines et cristaux – vases de devantures décorés » et « Innovation –flacons avec étiquettes en cristal ». L’établissement semble donc spécialisé dans la fournitures de flacons en verre alors que le commerce des vases en porcelaine décline .
Maison Petit-Lemaire
En 1820 l’Almanach du commerce cite Petit marchand de porcelaine et faïence rue au Maire n°35 . En 1827 son gendre Lemaire lui succède et l’année suivante le commerce est transféré 151 rue Saint Martin . En 1850 il est cité rue Folie Méricourt comme peintre et doreur sur porcelaine , ce jusqu’en 1870.
Maison Langlois et successeurs
L’Almanach du commerce de 1810 cite Langlois comme marchand de faïence et de porcelaine au 41 rue Richelieu . En 1827 l’établissement st transféré 9 rue Saint Mery.
Dans les années 1860 la raison sociale devient Langlois-Buzenet au 7 rue Neuve Saint Mery.
En 1865 Langlois s’associe à Hariet et Levillain et l’adresse devient 38 rue Sainte
Croix Bretonnerie. En 1867 l’association Hariet-Levillain devient propriétaire de l’établissement qui est transféré 5 rue de Fourcy. En 1874 Levillain est remplacé par T .Bobin et ce dernier devient seul propriétaire en 1884. L’almanach du commerce le cite encore en 1893.
Maison A.Desvignes
Cette maison propose des articles et matériels pour pharmaciens et chimistes entre 1862 et 1873 Place Saint André des Arts n°11 , puis au 5 rue Mazet jusqu’en 1876.
Maison J.Mourier et Cie
Cette maison de verreries, cristaux et porcelaines fut en activité de 1859 à 1874 au 15 rue Pastourelle.
Maison C. Danin Fils
Ancienne Maison Demonceaux et Danin, cette maison de commerce , exploitée de 1873 à 1884, est située 31 rue des Lombards et 20 rue Quincampoix. Une publicité publiée dans le catalogue de la Pharmacie Centrale indique un tarif général en cinq parties avec figures et dessins colorés ; la deuxième partie comprend des pots de pharmacie décorés, flacons et conserves avec étiquettes vitrifiées.
Maison C. Briaumont
Cette maison de verreries, porcelaines et cristaux est située à l’Hôtel de la Pharmacie Centrale de France 7 rue de Jouy, dont une publicité parue dans le catalogue de 1877 indique sa spécialité de pots pour pharmacie de toutes formes et de tous décors. Son exploitation daterait des années 1875 à 1886 environ.
Aux maisons parisiennes il convient d’ajouter des manufactures sises en province , mais qui ont un dépôt à Paris.
Maison Gosse
A Bayeux , succédant à la famille Langlois en 1849 , François Gosse diversifie la production et développe la porcelaine de chimie en raison des caractéristiques de dureté de la matière première régionale. Il s’agissait aussi d’éviter la concurrence dans des productions de luxe avec les manufactures de Paris et de Limoges et il réduisit ce genre de fabrication.
Parmi les vases de pharmacie il est surtout renommé pour les grands vases à étages destinés aux devantures de pharmacie .Il avait un dépôt à Paris rue des Lombards.
Son fils Paul lui succède en 1870 , mais de santé fragile , il mourut en 1874.Sa veuve reprit la direction de l’entreprise qu’elle vendit à Jules Morlent en 1878. Celui-ci cantonna la production à une porcelaine domestique , de matériel de laboratoire et d’accessoires d’électricité.
Maison Pillivuyt
A Mehun sur Yèvre dans le département du Cher Charles Pillivuyt exploite une manufacture entre 1853 et 1875 . Le dépôt parisien est situé 46 rue Paradis-Poissonnière.
Il décède en 1872 . Son fils Louis poursuivra l’œuvre de son père et dirigera la manufacture pendant 40 ans . Il orientera la production vers une porcelaine domestique.
La plupart de ces maisons n’étaient pas des manufactures , mais des commerces qui achetaient des vases blancs et qui les faisaient décorer soit dans leurs ateliers soit à l’extérieur par des peintres sur porcelaine . A la fin du XIXe siècle le commerce concerna davantage les flacons en verre coloré ou non . De ce fait la vente des pots de pharmacie en porcelaine déclina et ceux-ci n’auront plus qu’un usage décoratif dans les officines de pharmacie.
1. Le texte de cette exposition reprend l’essentiel d’un article paru dans la Revue d’histoire de la Pharmacie : Patrick Bourrinet et Denis Grégoire. Les manufactures et commerces de pots de pharmacie en porcelaine au XIXe siècle. RHP 2020 , n°406 , 265-272