C’est sous ce titre qu’est paru en 1961 un article1 du pharmacien Commandant Nauroy, docteur en pharmacie, dans le Bulletin trimestriel de la Fédération Française des Amicales de Pharmaciens de Réserve. Cette revue en était à sa 55° année d’édition en 1962. Elle publiait de nombreuses informations sur les pharmaciens de Réserve et des comptes-rendus de conférences données à ces pharmaciens lors de journées de formation continue. Ainsi, le numéro du deuxième trimestre 1962 éditait un article de R. Leroy, Colonel de Réserve, à propos de la Caravelle considéré alors comme « l’avion de demain », que le Général de Gaulle avait qualifié comme « la rapide, la sûre, le douce Caravelle ».
L’autre article était donc consacré au thermalisme dans l’armée, sujet qui peut paraître aujourd’hui étonnant.
Tout d’abord, qui était le pharmacien-général inspecteur Jacques Nauroy (1923-1988) ? Il était membre de la SHP et de son Conseil et avait fait de nombreuses communications et articles bien documentés sur l’histoire de la pharmacie. Il était également membre de l’Académie Nationale de Pharmacie, et président de la Société Française des Docteurs en Pharmacie pendant de nombreuses années. Jusqu’en janvier 1962, il avait été Pharmacien-Chef de l’Hôpital Militaire Thermal de Vichy et il devait, parmi ses attributions, ravitailler et inspecter les autres stations thermales de Châtel-Guyon, Royat, le Mont-Dore et Saint-Nectaire.
Du point de vue militaire, les stations étaient affectées à diverses pathologies :
– Vichy étant la station du foie et des voies digestives ;
– Châtel-Guyon celle de l’intestin ;
– Royat la station du cœur et des vaisseaux ;
– le Mont-Dore celle de l’asthme et des voies respiratoires ;
– Saint-Nectaire la station du rein et de l’excrétion.
– Amélie-les-Bains (Pyrénées – Orientales). : Affections rhumatismales.
– Bagnoles-de-l’Orne (Orne). — Affections du système veineux.
– Barèges (Hautes-Pyrénées). — Séquelles de blessures.
– Bourbon-l’Archambault. — Séquelles de rhumatismes.
– Bourbonne-les-Bains (Haute-Marne). — Séquelles de rhumatismes.
– Capvern (Hautes-Pyrénées. — Maladies des reins.
– Dax (Landes). — Rhumatismes chroniques.
– Lamalou-les-Bains (Hérault). — Tabès.
– Plombières (Vosges). — Maladies de l’intestin.
– Saint-Nectaire (Puy-de-Dôme). — Albuminerie.
– Salies-de-Béarn (Basses-Pyrénées). — Tuberculoses chirurgicales des organes génitaux et urinaires.
L’armée utilisait au total 15 stations thermales en France auquel on peut ajouter la station de Hamman Righa en Algérie . Il faut aussi ajouter les stations thermales utilisées par les armées françaises à l’étranger et dans les colonies. Ainsi, les hôpitaux civils d’Aix-La-Chapelle (300 lits), Spa, Aix-en-Savoie (80 lits) accueillent vers l’an IV les militaires français. En 1807, les Français réutilisent un hôpital thermal militaire à Acqui, puis en 1850 ceux de Viterbe et Civitavecchia et en 1860 celui de Valdieri. La même année, il est projeté d’utiliser les eaux minérales de Monfalcone, au nord de Trieste.
De tout temps, les eaux minérales ont été utilisées pour soulager et pour guérir. Le plus souvent parées de qualités mystérieuses et divines, elles furent appréciées dans l’Antiquité. Elles le furent, en particulier par les Romains, dont le souci de maintenir en bonne forme leurs fameuses Légions, en a fait sans doute les ancêtres du Thermalisme militaire. En France, les premiers Hôpitaux Militaires Thermaux furent créés sous la Royauté :
– en 1702 : ouverture de l’hôpital militaire de Bourbonne-les-Bains ;
La station de Bourbonne-les-Bains est l’une des plus vieilles de France puisque ce sont les dieux romains Boro et Damona qui auraient donné son nom à la station. L’usage des bains se poursuivit pendant tout le Moyen Age, mais l’histoire de Bourbonne ne débute véritablement qu’en 1702, lorsque Louis XIV autorise la fondation d’un hôpital militaire. Cet établissement reste tout d’abord très rudimentaire et souffre sévèrement de l’incendie qui détruit Bourbonne en 1717, Les curistes prennent alors leurs bains en commun, mais « les gens de qualité se font traiter à domicile dans des baignoires en bois, alimentées en eau thermale, par un service de distribution par tonneaux » Le premier établissement thermal digne de ce nom est construit en 1793. En 1812, Napoléon achète, pour le compte de l’État, l’ensemble des sources et des installations thermales qui ne seront rénovées que sous le second Empire et au début de la IIème République. Un établissement thermal moderne est construit en 1880. Détruit durant la Seconde Guerre mondiale, en 1944, il est reconstruit en 1979 selon une configuration moderne. Dans les années 1980, un centre de rééducation a été créé au sein de l’hôpital. Il accueille pendant la saison thermale les traumatisés récents venant des services chirurgicaux des différents hôpitaux militaires, offrant ainsi l’association de la crénothérapie et des techniques modernes de rééducation fonctionnelle. |
– en 1718 : création de celui d’Amélie-les-Bains* ;
* Il est probable que Nauroy se soit trompé sur cette date : En 1818, la Commune d’Amélie les Bains, moyennant 600 francs de rente, vend au gouvernement le droit d’envoyer à Amélie-les-Bains des soldats malades. Ce n’est cependant qu’en 1841 que le duc de Dalmatie, alors ministre de la Guerre, propose au roi Louis-Philippe la création d’un hôpital militaire. Le 3 octobre 1847 a lieu la pose de la première pierre et la construction va durer 7 ans. Les premiers malades sont accueillis le 1er juillet 1854. S’il accueille au départ des tuberculeux, ces derniers sont définitivement écartés en 1936. Dans un second temps la station s’oriente vers la rhumatologie.
Le bâtiment principal est consacré aux pièces communes et aux espaces de restauration avec une galerie-promenade, aux sous-officiers et soldats, les deux ailes accueillent les officiers (réfectoire, salons de jeu, lecture) et le personnel. L’établissement thermal jouxte l’hôpital et possède deux sources dont le captage et l’acheminement sont très élaborés (galeries, réservoirs, filtres). Les thermes sont très développés, selon un plan symétrique respectant la séparation des grades (douche, bains, piscine, inhalation, pulvérisation, repos) (référence) |
– en 1732 : fondation de celui de Barèges.
Leur but était de soigner les séquelles de fractures et les infirmités ramenées des champs de bataille. La Révolution arriva ! et les Armées de la République continuèrent à profiter des ressources thermales de notre sol. Mais il fallut attendre le XIXe siècle pour que le thermalisme militaire prenne son véritable essor. Le règlement fondamental pour l’utilisation des ressources thermales par le Service de Santé Militaire date de 1857. Au Formulaire Pharmaceutique des Hôpitaux Militaires, édition Impériale de 1870, il est dit que les eaux minérales naturelles dont les malades de l’Armée peuvent faire usage aux sources même sont :
– en France : Amélie-les-Bains, Barèges, Bourbonne, Bourbon-l’Archambault, Vichy et Plombières ;
La volonté d’une prise en charge des malades militaires à Vichy apparaît officiellement, pour la première fois, dans l’acte relatif au projet de construction du nouvel hôtel Dieu de Vichy (donation du curé Delarbre le 5 mars 1741). Le document stipule entre autres « qu’il faudrait en établir un, commode et solide, très utile pour les pauvres de la paroisse, étrangers et soldats qui viennent pour la boisson des eaux… ». Le premier établissement de bains, La Maison du Roy, est créé à Vichy sous Louis XIII avec quelques baignoires. Il est agrandi en 1716, mais c’est en 1787 que l’on construit un établissement disposant de 12 bains et douches. En 1831, un nouvel établissement est édifié sous la direction de l’architecte Rose-Beauvois. Sous Louis-Philippe, les nombreux malades et blessés de la conquête de l’Algérie posent au gouvernement d’épineux problèmes d’hébergement, les hôpitaux du territoire ne parvenant pas, en effet, à faire face. Le projet de construction d’un véritable hôpital thermal autonome est retenu en 1843. L’hôpital thermal est ouvert le 1er juillet 1847 pour y recevoir tous les militaires, en particulier ceux qui revenaient d’Afrique ou des colonies. Après de nombreuses péripéties et débats sur la fermeture ou le déplacement de l’établissement au XXe siècle, il ferme finalement ses portes en 1990. |
– en Corse : Guagno ;
– en Algérie : Hamman Righa (Province d’Alger), Hammam Meskoutine (Province de Constantine), Les Bains-la-Reine (Province d’Oran).
En 1962, les stations thermales militaires étaient au nombre de 15 en Métropole et de 2 en Afrique du Nord. (Une 3e : Oulmes, existait encore peu de temps avant au Maroc). Certaines de ces stations étaient dotés d’un Hôpital Militaire, à savoir : Amélie-les-Bains, Barèges, Bourbonne-les-Bains, Lamalou-les-Bains, Vichy et Royat, et Hammam-Righa en Algérie.
Histoire de l’hôpital militaire de Lamalou-les-Bains : La première implantation à Lamalou d’un établissement du Service de santé des armées date de la guerre 1914-1918, période au cours de laquelle est créé un hôpital thermal militaire (HTM) accueillant les blessés nécessitant des soins thermaux. L’établissement est formé de 2 hôtels pour curistes dont le ministère de la Guerre s’est porté acquéreur et qui sont aménagés avec un minimum de travaux pour pouvoir être immédiatement utilisables. L’utilisation des eaux thermales de Lamalou à des fins médicales remonte au début du XVIIe siècle, mais leur véritable démarrage date du XIXe siècle – en grande partie grâce au professeur Jean Martin Charcot. Fondateur de la neurologie moderne, celui-ci avait eu l’occasion d’apprécier les propriétés sédatives des eaux du site sur les douleurs ainsi que leur action musculo-tonique et neurotrophique. Pendant la Première Guerre mondiale, les eaux de Lamalou conviennent particulièrement aux amputés des membres alors très nombreux. Les vives douleurs que les blessés ressentent au moignon trouvent à s’apaiser dans les eaux thermales de Lamalou. Le fonctionnement de l’établissement suit alors le rythme d’activité des thermes et n’est ouvert que l’été. Durant la Seconde Guerre mondiale, l’hôpital thermal militaire est mis en sommeil. Il ne reprendra son activité thermale qu’à la fin du conflit. En parallèle avec les cures thermales, un embryon de service de rééducation fonctionnelle est mis sur pied. Son utilité et son efficacité sont telles que l’HTM de Lamalou devient permanent dès 1959. Amputés de la Première Guerre mondiale et poliomyélitiques de la guerre d’Algérie se côtoient alors sur le site, sans faire vraiment bon ménage. Un bâtiment de 60 lits est construit en 1961 à l’emplacement du baraquement en bois. Il abritera les locaux de soins et les chambres d’hospitalisation des patients atteints de poliomyélite. En 1987, une extension est réalisée. Elle permet d’agrandir les locaux techniques et d’implanter une piscine de balnéothérapie. À partir de 1982, parallèlement au déclin de la clientèle thermale, le service de rééducation de l’hôpital de Lamalou voit croître ses activités au profit des blessés et opérés en provenance des hôpitaux militaires de métropole et plus particulièrement de la région sud. Par décision ministérielle en date du Il décembre 1990, l’hôpital thermal des armées prend le nom d’Émile Forgue en hommage à cet éminent médecin militaire titulaire d’une chaire de clinique chirurgicale à Montpellier et qui s’illustra par ses nombreuses publications et par l’intérêt qu’il portait tout particulièrement à la rééducation et à la réinsertion des mutilés civils et militaires. Le 1er février 1991, I’HTM Émile-Forgue prend l’appellation de centre hospitalier des armées Émile-Forgue et devient un centre de rééducation fonctionnelle de 100 lits. Avec la fin de la conscription et la mise en œuvre de la nouvelle maquette du Service de santé des armées, le Centre Émile-Forgue n’a plus de raison d’être. L’établissement est fermé le 30 juin 2000. L’unité de rééducation fonctionnelle est transférée à Toulon, dans l’enceinte de l’hôpital de l’Oratoire, annexe de hôpital d’instruction des armées Sainte-Anne. |
Dans les autres stations, les curistes militaires étaient hébergés dans des hôtels ou des Établissements hospitaliers civils, conventionnés comme Bagnoles-de-l’Orne, Bourbon-l’Archabault, Capvern, Châtel-Guyon, Dax, le Mont-Dore, Plombières, Royat, Saint-Nectaire et Salies-de-Béarn. En Algérie : Bou-Hamifia. Deux stations seulement étaient ouvertes toute l’année : Amélies-les-Bains et Dax. Les autres avaient une « Saison » qui s’étendait généralement de mai-juin jusqu’à septembre-octobre. Une seule station était pourvue d’un pharmacie militaire : Vichy.
Nauroy décrit ensuite la vie d’un curiste :
– sa naissance : sanctionnée par la constitution de son dossier de cure ;
– son existence : qui est brève (elle ne dure que 21 jours) : active, brillante et salutaire :
– sa mort (en tant que curiste !!!), constatée par le certificat médical de fin de cure comportant, le plus souvent, un espoir de résurrection pour l’année suivante !!!
Le Commandant Nauroy, après avoir décrit dans le détail ces différentes étapes, s’intéresse au rôle du pharmacien dans ces établissements où il assure une triple fonction :
1°) il assure l’approvisionnement pharmaceutique de l’hôpital militaire de Vichy et de ses annexes thermales de Chatel-Guyon, Royat, le Mont-Dore et Saint-Nectaire.
2°) Il organise et dirige l’activité des Laboratoires de chimie et de bactériologie.
3°) Il apporte sa contribution aux travaux scientifiques effectués dans le cadre de la cure thermale.
A l’époque, l’Hôpital Militaire thermal de Vichy reçoit, au cours d’une saison, près de 2000 curistes. Ces derniers font usage de médicaments, parfois comme conséquence ou adjuvants de la cure. Les acidifiants sont administrés pour lutter contre l’alcalose pouvant résulter de l’absorption prolongée des eaux bicarbonatées sodiques ; les laxatifs sont nécessaires car les eaux de Vichy constipent ; on fait aussi appel les calmants. Après avoir expliqué le rôle du pharmacien dans le domaine des laboratoires, Nauroy propose une théorie quant la cause de l’efficacité des cures thermales, parmi d’autres. Pour lui, la théorie controversée du docteur Lescoeur est séduisante : il y aurait « une transformation dans les eaux minérales de l’énergie chimique en énergie électrique ». Mais il ajoute que d’autres facteurs contribuent au succès de la cure : le régime alimentaire, la relaxation et l’éloignement des milieux familiaux et professionnels.
1. A partir de la Conférence faite aux Pharmaciens de réserve de la 1re Région militaire, le 5 mai 1961, à la Faculté de Pharmacie de Paris.
Pour aller plus loin, on peut lire « l’Introduction à l’histoire des hôpitaux thermaux militaires en France (XVIIIe-XIXe siècles) »