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Le pétrole médicament

Publicité du laboratoire Houdé. A proximité des puits du Sahara, entre Ourgla et Hassi-Messaoud, 1964.

L’usage du pétrole pour le traitement des maladies reste d’actualité dans certains pays comme en Azerbaïdjan aujourd’hui.

Le 5 juillet 1893, le journal « Les nouveaux remèdes » publia un article intitulé « Note sur le pétrole au point de vue thérapeutique »1 dont nous allons voir les principaux extraits. Les auteurs font d’abord référence aux travaux publiés par le Dr Flahaut parus dans la Normandie médicale en mars de la même année, travaux qui ont « remué l’opinion des médecins de province et depuis deux mois le pétrole est très demandé en droguerie ».

Ils ajoutent : « cette demande prend la pharmacie au dépourvu, car la pharmacopée française est muette sur le pétrole, de sorte qu’il y a une réelle incertitude sur le produit officinal qui doit être délivré quand un traitement par le pétrole est ordonné par le médecin ».

Un premier paragraphe s’intéresse à la chimie du pétrole.

On y décrit le pétrole d’Amérique et plus spécialement le pétrole brut, « le seul qu’on puisse se procurer aisément en France, dont on isole cinq portions :

1) un produit « émettant des vapeurs à la température ordinaire ;

Publicité du laboratoire Houdé, le camp de la Société Repal, Sahara, 1964.

2) l’éther de pétrole, gazoline, ligroïne, dangereusement inflammable ;

3) L’Essence minérale « utilisée dans les lampes à éponge » ;

4) le Kérosène, huile de pétrole, pétrole commercial qui est « la véritable huile lampante, contenue dans la proportion de 50% dans le pétrole brut ;

5) des masses « plus ou moins sales », obtenues au-delà de 180° « pour atteindre successivement 400° ».

Les auteurs passent aussi en revue les pétroles du Caucase, dont le produit purifié arrive en France, et dont la composition chimique est différente du précédent. Ils expliquent que cette composition différente semble aboutir à des propriétés thérapeutiques différentes.

Ils précisent enfin les différents produits finis mis sur le marché : benzine de pétrole, huile lampante, huile solaire, huiles de graissage, et goudrons utilisés comme combustibles. On voit que l’usage du pétrole pour les moteurs à explosion est alors encore quasiment inexistant.

Publicité du laboratoire Houdé, les installations pétrolières les plus récentes au Sahara en 1963.

Mais la partie la plus importante de cet article concerne l’usage thérapeutique du pétrole. « C’est en 1808 que l’on trouve la première mention de l’emploi du pétrole en médecine, jusque là on ne connaissait que de vagues affirmations des anciens, relatives au bénéfice retiré par les Persans et les Ethiopiens de l’usage externe du naphte, et il faut remonter à 1808 pour trouver un premier travail dû à Lucas de Halle et relatif à l’emploi de l’huile minérale de pétrole qu’il considérait comme une panacée.

De Lens le conseille comme vermifuge et antispasmodique en 1829 et rapporte dans son dictionnaire quelques observations empruntées au Journal de Médecine. »

Ces affirmations ne sont pas tout à fait exactes. On trouve le mention d’usage thérapeutique du pétrole dès l’Antiquité et, au XVIIIe siècle, dans le Dictionnaire ou traité universel des drogues de Lémery (1716), un paragraphe sur ce sujet où il indique que les bitumes appelés naphta sont « incisifs, pénétrans, détersifs, digestifs, vulnéraires, résolutifs, fortifians ». Il indique qu’on en trouve dans plusieurs régions de France, en particulier en Auvergne.

Quoiqu’il en soit, les auteurs poursuivent : « ensuite, Debout, en 1848, résume un travail de Ure, relatif aux avantages de l’emploi d’un savon pétrolé dans les maladies de la peau (Bull. de THér., t. 35, p. 319). »

 

Publicité du laboratoire Houdé, les installations pétrolières les plus récentes au Sahara en 1963

 

Le même article conseille le pétrole dans le choléra d’après une méthode employée en Circassie, par conséquent avec le naphte ou pétrole brut du Caucase, il donne la formule de l’Elixir de Woronéjé pris par les Cosaques comme préservatif contre le choléra ; nous le reproduisons à titre de curiosité :

 

Esprit de vin………………………………. 4 litres
Sel ammonium……………………………4 grammes
Nitre purifié………………………………..4.75 grammes
Poivre…………………………………………4.75 grammes
Eau régale…………………………………..2 grammes
Vinaigre de vin………………….……750 grammes
Naphte………………………………………..2 grammes
Huile d’olive……………………………….15 grammes
Essence menthe poivre…………….250 grammes

Dose : 2 cuillerées à café tous les quarts d’heure.

Andreyoski dit avoir obtenu dans la diarrhée cholériforme les meilleurs résultats en administrant 4 à 8 gouttes de pétrole brut du Caucase dans une infusion de menthe ou dans du vin blanc. »

Les auteurs rapportent d’autres travaux pour le traitement de maladies de peau, comme vermifuge ou comme anesthésique, ainsi que des cas d’empoisonnements au pétrole. Ils citent également l’huile de Gabian qu’on préconise en France à la même époque, « qui n’est autre chose qu’un pétrole brut, comme antispasmodique et anticatarrhal ; Blache relate l’immunité à la phtisie, dont semblent doués les ouvriers qui travaillent dans les raffineries de pétrole…. » D’autres auteurs ont proposé des inhalations de pétrole pour le traitement de la coqueluche, ou encore l’usage du pétrole pour la diphtérie et pour les affections oculaires, mais aussi dans le cancer, dans le traitement de la vaginite et en général pour les affections suppurées. 

Le chapitre suivant est consacré à la « pharmacologie du pétrole ».  On eut y lire que « en analysant les faits rapportés dans l’historique précédent, nous pouvons tirer trois conclusions :

1°) le pétrole employé, sous ses diverses formes, peut-être administré à forte dose sans causer d’accidents toxiques, ceux-ci ne se manifestant que lorsqu’on atteint et dépasse 50 à 60 grammes. Les doses moyennes administrées à l’intérieur ont été de 5 à 10 grammes environ.

2°) Le pétrole a été administré avec des résultats reconnus favorables par leurs auteurs, comme antispasmodique et anticatarrhal, mais surtout comme antiparasitaire et antiseptique dans le traitement des maladies de la peau, des vers intestinaux, de la diphtérie et des affections chirurgicales.

3°) sous le nom de pétrole, on a employé indistinctement le pétrole brut (huile de gabian), l’éther et la benzine de pétrole, l’essence minérale et l’huile lampante ou kérosène.

Le pétrole semble donc entrer dans la pratique et avoir conquis sa place parmi les autres agents de la matière médicale ; mais il existe une grande confusion dans les produits employés, sans aucune préoccupation pharmacologique et empiriquement. Il est certain que l’on aurait un grand avantage à démêler la question et à introduire dans la droguerie un produit sinon pur, car la chose est impossible au point de vue chimique, tout au moins à peu près défini et surtout propre…. »

Cet intérêt pour le pétrole en thérapeutique trouve un écho dans le Journal de Pharmacie et de Chimie de la même année 1893.

Temple de Atech Gach à Bakou. Dictionnaire Encyclopédique Brockhaus et Efron

Les auteurs, considérant les compositions des différents pétroles disponibles, donnent la préférence au pétrole américain et concluent : « Nous comptons faire des recherches sur la rectification et les propriétés comparées des divers produits que l’on peut retirer des pétroles commerciaux, mais en attendant ces résultats nous pensons que l’on peut déjà poser les conclusions suivantes :

  1. Il n’y a aucun avantage à employer le pétrole brut en thérapeutique.
  2. A défaut d’indications spéciales, c’est le pétrole américain, connu sous le nom de kérosène, bouillant entre 150° et 180°, qui doit être délivré pour l’usage interne.
  3. Les pétroles médicinaux délivrés par le pharmacien doivent avoir été rectifiés avec le plus grand soin par les procédés usuels.
  4. Si l’expérience démontre l’utilité de l’emploi de pétroles chargés d’huiles lourdes, il y a avantage à obtenir, par mélange des produits constituants préalablement rectifiés, un pétrole composé bien défini et offrant des qualités de purification vraiment pharmaceutiques.
Des flammes continuelles flamboyant à flanc de coteau en Azerbaïdjan du au pétrole de surface (Photo B. Bonnemain)

On trouve un écho de ces travaux dans le Journal de Pharmacie et de Chimie de la même année 1893 où les mêmes travaux sont présentés à la Société de Pharmacie de Paris.Blondel fait remarquer que Trousseau a publié sur l’intérêt du pétrole dans le  traitement des conjonctivites chroniques. D’autres pensent que le pétrole brut est le mieux adapté. Ils font aussi remarquer que si le pétrole américain fournit la vaseline, ce n’est pas le cas du pétrole russe. L’Officine de Dorvault, évoque également l’usage thérapeutique du pétrole et décrit les différentes origines de ce produit avec sa composition.

Cet usage du pétrole en thérapeutique en France persiste au début du XXe siècle, mais bien au-delà dans la Caucase, en particulier dans la ville de Naphtalan où les curistes fréquentent les lieux pour des bains de pétrole ! Le traitement traditionnel consiste à s’immerger nu pendant dix minutes dans une baignoire remplie du liquide épais et odorant, chauffé à 38 degrés.

 

 

 

Bande dessinée. Texaco – Et pourtant nous vaincrons , de Sophie Tardy-Joubert, Pablo Fajardo et Damien Roudeau, éditions Les arènes, mars 2019

 

Publicité 1899 (la plus ancienne affiche connue)

Faut-il, dans ce chapitre sur le pétrole, évoqué l’usage du pétrole pour les soins capillaires qui débute avec le fameux Pétrole Hahn qui s’appelait encore « Pétrole pour les cheveux » à sa création en 1884 ??

Le pharmacien Charles Hahn qui en est à l’origine se serait extasié, dit-on, devant les magnifiques chevelures des ouvriers travaillant sur les champs de pétrole .

En 1893, François Vibert obtient l’exclusivité de l’exploitation du Pétrole Hahn pour la France et ses colonies. La formule, qui reste secrète, contient alcool éthylique à 35°, pétrole et huiles d’Hespéridées.

Mais les concurrents ne manquent pas !  Le parfumeur Delettrez, dépositaire du Pétrole Hahn, crée son propre pétrole pour les cheveux, Pétrofloris ; le « Pétrole Oural » est créé par le docteur Jovin qui affirme que c’est le seul produit efficace et approuvé par la Société de médecine de Paris ; le docteur Rahm crée de son côté le Pétrole A-N., etc.

Publicité pour le Pétrole Hahn dans les années 1920

 

  1. Adrian et G. Bardet. Note sur le pétrole au point de vue thérapeutique. « Les nouveaux remèdes ». Journal bi-mensuel, Doin ed., 8 juillet 1893, p. 292-303. Texte complet sur Gallica
    https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k122640f/f295.item.r=p%C3%A9trole.zoom
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