Cette exposition est consacrée à un petit document publié en mars 1941 par les Laboratoires Jean Sallé qui étaient situé aux Lilas en Région parisienne. Ce laboratoire commercialisait à l’époque le fameux « ASPRO » sous la forme de comprimés « qui réalisent la forme la plus pure d’acide acétylsalicylique, absolument exempt d’acide salicylique ». Cette année là, le laboratoire a l’idée de demander à Jean Valincourt d’écrire un texte pour chacun des maux et maladies choisis, et à Pierre Leconte de les illustrer. Pierre Leconte (1904-1961) parfois orthographié Lecomte, peintre dessinateur et illustrateur a illustré également “Marion des neiges” (1946), “le colonel Chabert” (1944), “la vie des dames galantes” (1940). Il travailla pour les journaux illustrés « le rire », « l’humoristique », « Ridendo », « la vie parisienne ».
Le premier document évoque l’insomnie, « selon la Bible ». Jean Valincourt explique que le vieux Caïn, marchant, lugubre, dans la nuit, implorait « l’Oeil terrible qui luit » : Seigneur, tu me frappas d’une main équitable, mais mon crime m’est-il à jamais imputable… Et cette mort d’Abel, ne l’ai-je point pleurée? Voilà quatre cents ans que je n’ai pas dormi, que j’expiai, que je priai, que j’ai gémi ! …
Ton verdict me voue à l’insomnie et ton regard, partout, me poursuit, irrité. Connaitrais-je la fin de cette dureté ? De l’abîme, Seigneur, vers ta face, je crie : Rends à Caïn le doux sommeil, ou prends sa vie ! » Au ciel soudain, l’Oeil de Dieu se voila, et le sombre Caïn dormit cette nuit-là, conclut Jean Valincourt.
Le second texte a trait à la malaria et les états fébriles, « selon la mythologie » : Toute vieille légende enferme un sens caché, nous dit l’auteur, et quand un esprit fort dit que c’est baliverne, c’est qu’il n’a pas assez cherché. On nous dit qu’autrefois, dans les marais de Lerne, un effrayant serpent gîtait sous les roseaux. Il parait qu’il avait sept têtes, sept museaux, autant qu’il est compté de jours en la semaine…Les paysans voisins s’en vinrent requérir protection d’Hercule… Hercule ne creuse pas longtemps sa cervelle : il brandit sa massue et, du terrible bois, il écrasa toutes les têtes à la fois. Ce conte, permettez que je vous l’analyse. C’est la malaria que l’Hydre symbolise.
Et remarquons qu’en tous endroits marécageux, le peuple chante ainsi, sur un différent mode, la légende d’un monstre aquatique incommode, vaincu par un héros, par un saint courageux…
L’autre mal ensuite, ce sont les courbatures dans l’Antiquité. L’auteur met en scène Diogène et son tonneau où il vit « sans soucis, sans besoins et sans dettes »… Aujourd’hui, c’est un peu différent, dit Diogène, « je me rouille, je vieillis… dans ce fût trop étroit, logis du mendigot, où je me couche en rond ainsi qu’un escargot, à demeurer couché, j’ai pris la courbature. C’est dur ! Mais je me plais en l’état de nature. mes os ankylosés craquent sous le haillon. mais pour calmer ma peine, il suffit d’un rayon. Je chauffe mon équine au soleil de l’Attique. » et parlant à Alexandre qui lui demande ce qu’il peut faire pour lui, Diogène répond :
Rien, ô Roi, si ce n’est un plaisir sans pareil : laisse en paix Diogène. Un tyran, sur la terre, projette une ombre froide, immense et délétère. Alexandre, ôte-toi vite de mon soleil ! ».
Une autre douleur pénible, voire insupportable, ce sont les maux de dents. L’auteur évoque ici le mal de dents à l’époque mérovingienne. « Un vieil cartulaire de l’Abbaye de Poissy tesmoigne que , en l’an du Seigneur LCXXVII, qui feust l’avant-darrenier de son aage, le BonRoy Dagobert ayant voulu soy divertir a crocquer des noix grollières, se ferut griefvement le nerf d’une dent creuse dont l’enflure se mist en la mandibule tellement que la joue dextre en devint rouge et tumescente comme le darrière d’ung moyne. Et criant de la male raige, le paouvre roy appella on conseil le grant Sainct Eloy. … Je requiers l’evesque qu’il prie tous les saincts de me oster ce ceste grant poine. »
Saint Eloy finit par lui arracher sa dent : « En chaussant son tablier de cuir, il aveignit des tenailles horrificques propres à gehenner en enfer les dyables flammivomes.
Venez cza ! dit-il d’une voix merveilleusement forte, je arrache incontinent la maschelière delictueuse….- Ho ! Ho ! feist le bon roy espovanté, ce est miracle mon amy ! Tu me faict paour et Dieu me a guarry ! »
Vient ensuite la dysménorrhée au Moyen Âge. Jean Valincourt rappelle d’abord l’histoire de la soeur Anne qui guette en haut des tours le retour de son mari : »Anne, ma soeur, ne vois-tu rien venir ». Il ajoute : « Mesdames, ce conte est un peu votre histoire : un mal, chaque lunaison, vous trouble en attendant que s’ouvre l’émonctoire…
La soeur Anne, c’est l’Espérance qui proclame au créneau la fin de la souffrance et qui devine avant qu’ils ne se soient montrés les libérateurs empourprés. O soeur Anne, charmante et sage, Prophétesse de l’avenir, réconforte, à l’instant du douloureux passage, celles qui ne voient rien venir ! ».
L’ouvrage s’intéresse ensuite à la goutte et aux rhumatismes sous la Renaissance. L’auteur reprend le vocabulaire de l’époque, quelquefois difficile à lire, dont voici quelques extraits : Pantagruel se plaint de douleurs liées à la goutte et demande à Panurge « Que ferai-je lors ? ». Panurge répond : « Est besoing vous repouser en chaise et oindre extrémité douloureuse avecques l’onguent diamerdis. » « Ainsi ferai-je, dit le bon sire, et me tiendrai coitement sur le tillac de la nauf jusques à guérison complette. Ça, qu’on me porte à soupper ! ».
Un peu plus loin, Pantagruel se demande ce qu’il peut boire, en principe de l’eau : « Sus à l’empoisonneur au diable ! Poinct ne le souffrirai ; je cuyde déjà ouïr grenouilles coasser en mes boyaulx… Je t’ordonne de me bailler ung traict de vin de Bourgueil; telle est ma royalle médecine…. »
Le rhume des foins sous Richelieu est le prochain épisode de ces « dix maux historiques. Reprenant l’idée d’Edmond Rostand et la tirade du nez de Cyrano de Bergerac, Jean Valencourt écrit : « Vous riez de mon nez parce que j’éternue ! Qu’on me raille, fort bien, si l’on a de l’esprit, mais je n’accepte pas la sottise qui rit. Si le rhume qui m’a saisi vous rend hilares, du moins trouvez des mots pour chanter mes catarrhes.
Dites : pour enrhumer ce nez monumental, il fallut un cyclone ou bien quelque mistral… Garde-barrière : Stop ! ici, que nul ne bouge, Monsieur de Bergerac lève le drapeau rouge ! Pratique : de tousser, ça vous prend-il souvent ? Quel moteur ce serait pour un moulin à vent…
Et vous pourriez longtemps varier sur ce thème, mais je l’interdis à tout autre que moi-même, et l’honneur chatouilleux de mon pauvre grand nez veut qu’à mordre le sol vous soyez condamnés. Défendez vous donc, si vous n’êtes pas des pleutres, car mon fer va chercher vos coeurs sous vos malheutres. Pare ce coup, maraud !… Prend ceci, Laridon ! …. Je termine. A la fin de l’envoi, je me mouche. »
La suite concerne la « Grippe au Grand Siècle« . Argant demande comment la guérir ?
Diafoirus répond : « Le remède à tous maux il nous faut requérir ; la médecine, au fond, se résume au clystère. A la seringue on soumettra votre postère. Je ne prescrit rien d’autre et je vais, tout courant, vous dépêcher Monsieur Florant ».
Ce dernier sonne à la porte : « C’est le bouillon pointu de Monsieur que j’apporte, un composé fameux que j’ai fait de mes mains. Tournez vous. Je n’irai pas par quatre chemin, et c’est en plein milieu, centre géographique, que j’introduis mon spécifique. Ne vous tourmentez pas et soyez convaincu que je sais dextrement accomoder un cu. Là ! voici le bélier dedans la forteresse et vous ne sentez rien, Monsieur, qu’une caresse. C’est fini. la vertu de ce médicament agit déjà. Ainsi que par enchantement le malaise et la toux s’apaisent. Belle chose ! » « Hélas, gémit Argant, je vous dis grand merci, mais ne triomphez pas ainsi, je voudrais bien tousser… Mais désormais je n’ose ».
La migraine au siècle galant. Le dialogue s’instaure entre Manon et Lescaut.
Manon se refuse à ce dernier et explique : « Mon chevalier, il faut comprendre mon émoi : je suis, hélas, tout étourdie, toute pâle, tout engourdie.
Cette loque, ce n’est plus moi. Ah ! cesse ton marivaudage ou je vais rendre mon potage.
La migraine me donne un vertige énervant ; je vois, c’est inimaginable, tourner notre petite table qui nous réunit si souvent. Éloigne toi d’ici, car mes lèvres baisées répondraient aux transports d’amour par des nausées. oui, je veux pour un jour le silence et l’oubli, je veux pour une fois coucher seule en mon lit. »
Lescaut répond : « … Fermez vos jolis yeux, tirez votre rideau. Ne bronchez pas, soyez gentille, et n’oubliez pas, mon cher coeur, de prendre une infusion de camomille. »
Le sujet suivant est intitulé « le déséquilibre vago-sympathique à l’époque romantique » : Au siècle romantique, un sombre mal est né, celui des Chatterton, des Lara, des René. le goût du désespoir morbidement s’installe. Sous les fronts alourdis par la mèche fatale. Musset dit, imbibé d’alcools pernicieus, qu’il est venu trop tard dans un monde trop vieux. Dans les nuits d’Edgar Poë et du soir à l’aurore, le corbeau bat de l’aile en criant : Nevermore !
Baudelaire a le spleen : l’homme-au-frisson-nouveau se plaint que l’araignée habite son cerveau qui contient plus de morts que la fosse commune qui n’est qu’un cimetière abhorré de la lune. Lâche devant l’amour, la détresse ou l’ennui, on demande un asile à la mort, à la nuit. Et Gérard de Nerval, pour qui la vie est terne, se suspend au barreau de la Vieille-Lanterne.
Ah ! Ces grands dégoûtés, lorsque le mal nous point, Amis, il faut les craindre et ne les suivre point. Tous nos tracas ont une part d’imaginaire. la pire destinée est presque débonnaire, dès lors que l’on en prend son parti bravement : Déjà la confiance est un médicament.
Par notre anxiété, ne tentons point le diable : Rien, si ce n’est la mort, n’est irrémédiable. Tout va mal aujourd’hui, tout ira mieux demain ; A chaque jour suffit et sa peine et son pain. S’abandonner, c’est raisonner comme Gribouille qui se jette dans l’eau de peur qu’il ne se mouille. Je puis souffrir… Puisque je viv, rien n’est perdu, et j’aurais tout perdu si je m’étais pendu.
Pour terminer cet ouvrage de 1941, « Enfin, Voici le XXe siècle, la douleur s’en va » conclut la série des maux.
O martyrs d’autrefois, fiévreux, insomnieux, névralgiques, grippés, migraineux, anxieux, enchifrenés, goutteux, courbaturés… vous, dames, pour qui les douze mois ont été douze drames, n’attendez plus des maux que l’on peut prévenir, ne souffrez plus de ceux que l’on peut endormir.
La Science vous parle ; écoutez sa parole ; Souriez aujourd’hui, car le souci s’envole et l’on obtient enfin le calme qu’on rêva, voyez le calme opère… ET LA DOULEUR S’EN VA.