Découvertes faites par les pharmaciens (suite 3)Les pharmaciens naturalistes, explorateurs et voyageurs |
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Alphonse Milne-Edwards (1835-1900), fils et neveu des deux naturalistes célèbres et professeur au Muséum de Paris, a laissé d’importants travaux sur les crustacés, les chevrotains, les lémuriens, la faune des profondeurs sous-marines, la paléontologie animale et trois volumes d’ornithologie. C’est une circonstance fortuite qui lui donna l’occasion de devenir célèbre : en 1861, le câble sous-marin qui reliait la Sardaigne à la côte algérienne se rompit. En essayant de le réparer, on retira des profondeurs avoisinant deux mille mètres des fragments de câbles couverts d’animaux vivants : mollusques lamellibranches et gastéropodes, coralliaires, bryozoaires, annélides…A l’époque, on ne concevait pas la vie d’animaux organisés à ce point qu delà d’une profondeur de deux cents brasses (environ 420 mètres). Milne-Edwards se rendit compte aussitôt des conséquences que la Science pouvait tirer d’une telle découverte et des trésors inconnus que contenaient les fonds sous-marins. Entre 1880 et 1883, deux navires furent frétés, le « Travailleur » et le « Talisman », qui, le long du golfe de Gascogne, des côtes de la Méditerranée, des Canaries et des Açores, draguèrent de nombreux êtres inconnus jusqu’alors. Embaumeurs.
Au cours de l’année 1951, une notice de « l’Osservatore Romano » signalait la mort de Louis Langeli, le dernier pharmacien embaumeur des papes. En effet, l’embaumement était dans les siècles passés un travail de pharmaciens spécialisés, et d’ailleurs le Codex 1837 donne une recette de mélange à cet effet. Les « clous fumans » que l’on retrouve dans certaines vieilles officines, destinés aux fumigations funéraires, datent de cette époque.
Le célèbre Charles Louis Cadet de Gassicourt, premier pharmacien de l’Empereur pendant la campagne d’Autriche en 1809, a laissé un récit très intéressant où il raconte comment il fut chargé, avec l’aide du pharmacien major Fortin, d’embaumer le corps du Maréchal Lannes, duc de Montebello, mort à Essling.
Un autre historien des campagnes de l’Empire, Fée, embauma en 1811 le cœur du général d’artillerie Sénarmont.
Celui que l’on appelle Boudet neveu (1778-1849) fut aussi pharmacien militaire, membre de l’Académie de Médecine et spécialiste des embaumements, entre autres celui du comte Louis de L’Estorade.
Les pharmaciens explorateurs et voyageurs
La profession pharmaceutique, étant sédentaire par principe, se glorifie d’avoir parmi ses fils beaucoup d’explorateurs intrépides et de voyageurs enthousiastes. Est-ce un besoin d’air pur, loin des émanations méphitiques du laboratoire, une nécessité scientifique, ou plus simplement, pour les pharmaciens de Marine, l’obéissance à un ordre supérieur ? Peu importe : toujours est-il que la France est fière de beaucoup de leurs exploits.
Henri IV voulait créer un empire colonial pour se procurer des matières premières et obtenir des débouchés. Il favorisa l’entreprise des marchands de St Malo, de Vitré et de Laval, qui en 1601 frétèrent deux navires, le « Croissant » et le « Corbin » pour aller vers les Indes Orientales tâcher d’établir des comptoirs et ramener des épices ou des trésors. L’apothicaire François Martin, de Vitré, s’embarqua avec eux et c’est lui qui fit la relation du voyage. Ils passèrent par les Canaries, doublèrent le Cap de Bonne Espérance, virent Madagascar, arrivèrent à Sumatra où ils séjournèrent. Martin apprit la langue du pays dont il écrivit un curieux dictionnaire suivi des noms et des valeurs des monnaies, des poids et des mesures du royaume d’Achem. En 1603, le « Croissant » revint chargé de marchandises avec son apothicaire riche de connaissances nouvelles. Celui qu’on appelait le « Jason de Vitré » exerça la pharmacie à Rennes. C’est pour se fournir en Quinquina, qu’Augustin Delondre (1790-1865) envoya en 1828 une expédition en Bolivie. Vue l’hostilité du gouvernement bolivien, il décida d’y aller lui-même et d’y fonder une usine, en 1846. Après de nombreuses péripéties et des pourparlers laborieux, il gagna le Pérou, visita Cuzco et Ariguipa. Finalement il découvrit ce qu’il cherchait et put rentrer continuer son exploitation en France, où il rédigea d’ailleurs un superbe ouvrage, magnifiquement illustré, « La Quinologie » en 1854. C’est aussi vers cette époque qu’un pharmacien, Trecul (1818-1896), que son amour pour la botanique empêchait de s’installer, partit en mission aux Etats-Unis. En effet, une épiphytie grave menaçait les cultures de pommes de terre et il s’agissait de trouver des succédanés possibles dans les plantes à tubercule du Nouveau Continent. « On lui avait prédit que les Indiens le scalperaient ; il s’inquiéta peu de la prédiction et se mêla courageusement à leurs tribus, vivant en leurs campements. Vieillards et jeunes hommes, femmes et enfants se sentirent bientôt pris d’une respectueuse affection pour ce savant qui n’était pas un conquérant, qui cherchait des plantes pour enseigner des remèdes, et l’on vit bientôt une troupe de Peaux-rouges apportant à ce courageux pharmacien français tout ce qu’il désirait pour enrichir des collections que leur vénération entourait presque d’un culte. Quand il revint en Europe, il lui restait 2.500 fr. sur les 10.000 qu’il avait touchés pour son voyage. Il courut les rendre au Ministère. On ne les accepta pas. « Voulez-vous donc que je vole l’Etat ? » fit ce savant désintéressé. En les laissant sur la table du chef de division, il partit en faisant claquer la porte et en murmurant : « Quel drôle de pays ». On lui offrit la Légion d’Honneur, toutes les cravates de commandeurs, toutes les décorations de la vieille Europe. Il refusa ». (Léon Bigot, article nécrologique). Un curieux voyageur et écrivain du XIX° siècle fut Charles Louis O’Rorke (1824-1880). Né à Paris de parents irlandais, interne en pharmacie, médecin, il s’embarqua sur un bateau belge pour un voyage de navigation autour du monde, d’où il rapporta de nombreux échantillons d’Histoire Naturelle. Il ne pouvait tenir en place et fit de nouvelles expéditions en Egypte et en Orient. Revenu en France, il aida Dorvault dans la rédaction de son « Officine ». Claude Nativelle, qui s’intéressait au Quinquina, s’embarqua en 1840 pour la Colombie, s’enfonça dans la forêt vierge dont il admira la luxuriante végétation. Après avoir multiplié ses recherches et ses observations sur les versants de la Cordillère des Andes, il revint seul en France par suite d’incompatibilité d’humeur avec ses compagnons. Victor Liotard (1858-1916) était né à Chandernagor (Inde Française). Est-ce là que lui vint le goût des voyages ? Il fut diplômé pharmacien dans la Marine, puis, désigné pour le Haut Sénégal et le Niger. En 1887, il fut chargé d’une mission à la fois politique, (car il devait contacter les chefs de tribus), géographique et scientifique, dans le Fouladougou, le Niani et le Ferlo. Son rapport enthousiasma Savorgnan de Brazza, qui reconnut en lui un meneur d’hommes, et il le chargea, en 1890, d’étudier l’hydrographie, mais surtout de développer l’influence française au Congo et dans le Haut Nil. En 1894, il fut désigné pour « occuper » l’état indépendant du Congo, c’est à dire être gouverneur général du Haut Oubangui ; il conquit les sympathies de tous les notables qu’il rencontra. La mission Marchand, en 1896, eut en fait Liotard comme chef. Grâce à sa perspicacité, la troupe d’explorateurs atteint Fachoda sans trop de difficulté, mais Liotard, épuisé par la maladie, dut confier ses pouvoirs au Docteur Carreau. Nommé lieutenant gouverneur du Dahomey, il revint en France en retraite et mourut peu après, en 1916. Voici ce qu’en pense le pharmacien général Saint-Sernin : « C’est à cet intrépide pharmacien, dont nous pouvons tous nous enorgueillir ici, car il a appartenu en premier lieu à la Marine, ensuite aux troupes coloniales, enfin à la réserve, que revient en grande partie le succès de la mission Marchand Congo Nil. Par son habileté politique, Liotard, qui avait fait la campagne du Soudan avec Gallieni, exploré le Congo avec Savorgnan de Brazza, a conquis pacifiquement haut Oubangui et le Bahr el Ghazal ». Le médecin général Des Cilleuls fait à son sujet cette étonnante remarque : « Si après avoir été méconnu, il a été plus oublié encore, c’est dans un mal le plus grand des biens. D’avoir su devenir un oublié dans de telles circonstances, voilà l’hommage qu’il faut lui rendre ». Un pharmacien qui ne fut peut-être pas à proprement parler un explorateur, mais qui, comme Liotard eut un rôle très important de colonisateur, est V.Q.Massie (1854-1893). Pharmacien major, envoyé en Indochine, à Lang Son, il fut remarqué par le colonel Servière qui l’emmena dans toutes ses expéditions et le chargea d’explorer scientifiquement les différentes vallées bordant la frontière chinoise. C’est à la suite des rapports qu’il fit sur ces régions qu’il fut adjoint à la mission Pavie, et qu’ensuite le Ministère des Affaires Etrangères le nomma vice-consul de France à Luang-Prabang, poste délicat entre tous. Pendant cinq années, il travailla, explora, recueillit des collections d’Histoire Naturelle et de minéralogie ; il apprit la langue annamite et le laotien, rédigea des lexiques des dialectes indigènes, il réunit mille renseignements précieux sur les mœurs des autochtones, sur la richesse du pays et les exploitations possibles. Il conquit une réelle influence sur les gens du pays et affermit les positions de la France. Il voulut exploiter lui-même les forêts de bois de teck, mais n’obtint que de bonnes paroles de la part du gouvernement. Lorsque des troubles éclatèrent dans la vallée du Haut Mékong, ses appels restèrent vains et c’est grâce au prestige du personnel de Massie que la France put garder ce pays. |