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Henry Chaumartin et l’histoire de la santé

Image d’apothicaire par l’humoriste Jean-Jacques Roussau, tirée de l’ouvrage « Un grand méconnu » de H. Chaumartin, 1962

Le docteur Henry Chaumartin, lauréat de l’Académie de médecine, a publié après la seconde guerre mondiale et jusque dans les années 1960 une série de documents sur l’histoire de la médecine (et de la pharmacie).

Ces ouvrages avaient un style un peu particulier, entre poésie et recherche historique, et touchaient à des sujets  très divers. Nous allons feuilleter ici quelques uns de ces documents souvent illustrés de publicités pharmaceutiques. Notre revue d’histoire de la pharmacie a fait le compte rendu de certains de ces documents dans les années 1950-1960.

Le premier que nous allons explorer est intitulé « Le réprouvé bénéfique », publié en 1955, avec une préface de Jean Rostand. Il y parle du crapaud, cet « animal utile qui détruit la vermine » mais qui fut aussi chargé de tous les maux et des malédictions les plus variées. Voici ce qu’en dit le poète du XIXe siècle, Charles Reynaud :

« Etre immonde, hideux crapaud
Misérable reptile
Avec ton œil
terne et ta peau Gluante comme de l’huile ».

« Le temps des roses » de H. Chaumartin, couverture dessinée par l’humoriste Jean-Jacques Roussau, 1964

Au Grand Siècle, tous les chevaliers et chevalières du poison eurent recours à ses bons offices. Il entrera dans la « poudre de succession » d’Exili. Il confortera les « béatilles arséniées » de Madame de Brinvilliers. Il aura sa part dans ce « jeu de poisons » réclamé à la Voisin par la duchesse de Bouillon « pour faire mourir un vieux mari qu’elle avait et qui la faisait mourir d’ennui »(Mme de Sévigné).

Il est en revanche aimé des apothicaires Paracelse et Charas reconnaissent à sa dépouille maintes vertus curatives. N’a-t-il pas guéri un hydropique, à la grande déception de sa femme qui pour l’achever lui avait fait « avaler la poudre d’un crapaud bruslé en un pot neuf, dont il rendit une grande abondance d’urine » ?

« Un grand méconnu » de H. Chaumartin. illustration de JJ Roussau, 1962

La podagre, les hémorragies, les scrofules, la phrénésie, la teigne ne lui résistent point, surtout si on porte constamment autour du cou quelque portion desséchée de son individu. Chaumartin rapporte que « Finkius assure qu’un crapaud desséché et pulvérisé, mis dans un linge rouge (c’est très important) appliqué sous les aisselles ou tenu dans les mains jusqu’à ce qu’il s’échauffe, que le sang se refroidit aussitôt et s’endurcit en même temps s’il voyait la tête de Gorgone. les autres suspendent un crapaud au serein jusqu’à ce que toute la chair soit consommée, duquel ils enlèvent l’os de la cuisse dénuée de chair, et assurent qu’il arrête l’hémorragie en un instant, étant appliqué à la narine ».

Mais, au XVIIIe siècle, Lémery et Pomet sont sceptiques sur la valeur et même sur la provenance de la crapaudine, pierre qu’on trouverait parfois dans la tête des vieux crapauds.

Un autre ouvrage de Chaumartin, en 1962, est intitulé « Un grand méconnu » et évoque le cochon qu’on a encensé en gastronomie, comme l’exprime Charles Monselet :

« Un grand méconnu » de H. Chaumartin. illustration de JJ Roussau, 1962

« Le Cochon

Car tout est bon en toi, chair, graisse, muscle, tripe !
On t’aime galantine, on t’adore boudin
Ton pied dont une sainte a conservé le type
Empruntant son arôme au sol périgourdin
Eut réconcilié Socrate avec Xanthippe
Ton filet qu’embellit le cornichon badin
Forme le déjeuner de l’humble citadin
Et tu passes avant l’oie au frère Philippe.
Mérites précieux et de tous reconnus
Morceaux marqués d’avance, innombrables, charnus !
Philosophe indolent qui mange et que l’on mange !
Comme dans notre orgueil nous sommes bien venus
A vouloir, n’est-ce-pas, te reprocher ta fange ?
Adorable cochon. Animal-roi. Cher ange ! »

Grâce à saint Antoine, le cochon est représenté souvent à ses côtés dans l’iconographie religieuse. Ce n’est d’ailleurs pas à proprement parlé un cochon mais un suidé. En effet, c’est un véritable sanglier qui est souvent représenté par les artistes.

« Un grand méconnu » de H. Chaumartin.

La présence de cet animal auprès de saint Antoine a trouvé de multiples explications plus ou moins crédibles. Comme celle que rapporte Marcel le Goff selon laquelle le couvent des Antonins soignait les malades par des applications de graisse de porcelet. Les cochons étaient donc devenus les compagnons inséparables des moines et on ne sépara plus saint Antoine de son cochon.

Le cochon a eu, en tout cas, de nombreux usage en thérapeutique comme le montre Chaumartin : Le corps entier fut utilisé. Par les ORL pour les douleurs de l’oreille, à l’aide du fiel et du sperme de cochon ; par les ophtalmologistes pour soigner les yeux chassieux (paupières collées) appliquaient sur les yeux des rognons de porc brûlés et broyés. La fiente de porc eut également beaucoup de succès contre l’hémorragie ou l’hémoptysie, etc.

Saint-Antoine et son cochon, collégiale d’Uzeste en Gironde. 

Quant à l’origine de l’Antimoine, Basile Valentin avait remarqué que le minerai engraissait les cochons et voulut voir s’il ne donnerait pas de l’embonpoint aux moines. L’effet fut bien différent et voilà l’origine du nom qu’il porte, nous dit Noël Bonaventure d’Argonne.

Autre ouvrage de Henry Chaumartin : le bestiaire de M. Fleurant.  Il y rapporte, nous explique Guitard dans notre revue, un conte du très ancien folklore germanique qui met en scène quatre animaux, qui, pour échapper à la « bêtise » des hommes, formèrent entre eux un quatuor vocal. Plus tard, ils s’en furent offrir leurs services au bourgmestre de Brème qui cherchait alors des sujets pour son orphéon. C’étaient l’âne, le chien, le chat et le coq, tous quatre doués d’organes bien sonores. Or, ces mêmes animaux passent également pour avoir rendu de grands services aux apothicaires et à leurs clients.

On sait combien les élégantes romaines appréciaient le lait d’ânesse pour l’entretien de leur peau : c’est au point que certaines s’en frottaient le visage jusqu’à 700 fois par jour et que l’impératrice Poppée, pour ses bains, se faisait suivre partout de 500 femelles asinesques. Au XVIIe siècle, c’est le sabot de l’âne et même… son fumier qui sont en faveur, mais pour d’autres services à rendre aux femmes : de Blégny donne la recette de trochisques où ils jouent le rôle de principes actifs pour «parfumer» (ce mot avait évidemment un sens un peu différent de celui que nous lui donnons aujourd’hui) — disons pour droguer, en vue de les assouplir, les tissus qui peinent dans l’accouchement ; de son côté, Paullini, en son De asino liber, recommande les mêmes produits contre les suffocations de matrice…

Publicité pour les produits du laboratoire Mermidod, 49 rue de Paradis, Paris*. Ouvrage de Chaumartin « Le réprouvé bénéfique », 1955.

La gent canine n’est pas moins bien représentée dans la pharmacopée de jadis : huile de petits chiens (dont Baume donne la formule), baume de chien et huile de chien roux, cendres de chien mort de la rage, et enfin ceci, qui fournit à Boissier de Sauvages un étrange prétexte pour morigéner dans La Pharmacie démasquée ses ennemis les apothicaires : « Communément, on appelle ce que le chien rend par les selles de la fiente de chien : ces messieurs, pour cacher le vuide de leur profession, l’appellent album graecum. » Quant au chat, son usage en médecine était important. Jacques Goeurot, médecin de François 1er préconisait cette recette : « Prenez une oie grasse qui soit plumée et nettoyée dedans, puis chattons bien nourriz. Hâchez bien menu avec sel commun et soient rostiz à petit feu. Et ce qui sera distillé soit retenu pour faire onction. » Lémery recommande, pour « soulager les douleurs de côté » l’application d’un « chat ouvert vivant ». Pour ce qui concerne le coq, le même Lémery recommandait le fiel de l’animal « pour emporter les taches de la peau ». Et Pline traite les « vues basses » non pas à l’aide de verres correcteurs mais d’un liniment fait de « fiente de coq rouge » et propose la fiente de coq roux, confite en vinaigre, comme un appoint sérieux à la guérison de la rage. Il recommande aussi, contre la morsure du chien enragé, la cervelle et les crêtes de coq broyées.

Publicité pour Fébralgine des laboratoires Fraysse, glissé dans l’ouvrage « un grand méconnu » de Chaumartin, 1962

« Le temps des roses » que publie Chaumartin en 1964 concerne les règles et leur usage thérapeutique. Comme le résume Pierre Julien dans notre Revue, les règles, taxées de souillure dès l’époque biblique, ont longtemps passé pour produire un sang d’une vénénosité redoutable : on l’employait comme insecticide et dans des philtres maléfiques — bon moyen de tirer profit… des pertes — et l’on croyait que, dans des conditions idoines, il pouvait donner naissance à vermisseaux, serpents, crapauds et autres animaux répugnants.

A l’opposé cependant, d’aucuns en préconisaient l’emploi contre la goutte, la lèpre, les verrues. Il est vrai qu’en pareil cas on recherchait du sang juvénile et de pucelle… Contre les suffocations de matrice et vapeurs provoquées par des règles douloureuses tout un choix de remèdes s’offre selon les goûts et les capacités financières de chacun, depuis les produits du règne animal, généralement stercoraires (l’urine humaine et celle de vache notamment) et les produits végétaux jusqu’aux spécialités des Blégny, d’Ailhaud, Pitard et autres…

Publicité Freyssinge pour la Névrosthénine Glycocolle, ouvrage de H. Chaumartin, « L’herbe à tous les maux », 1958

Il resterait à explorer deux autres ouvrages de Chaumartin :  « Philibert Commerson, médecin naturaliste du Roy… » et « l’Herbe à tous les maux ». ce sera pour une autre fois, peut-être !

Références :

« Le réprouvé bénéfique ». Docteur H. Chaumartin. Collection Petite Histoire de la Médecine, 1955.
« Le bestiaire de M. Fleurant ». Docteur H. Chaumartin. Collection Petite Histoire de la Médecine, 1956.
« L’herbe à tous les maux ». Docteur H. Chaumartin. Collection Petite Histoire de la Médecine, 1958.
« Un grand méconnu ». Docteur H. Chaumartin. Collection Petite Histoire de la Médecine, 1962.
« Le temps des roses ». Docteur H. Chaumartin. Collection Petite Histoire de la Médecine, 1964
« Philibert Commerson, médecin-naturaliste du Roy et compagnon de Bougainville ». Docteur H. Chaumartin. Collection Petite Histoire de la Médecine, 1967.

* En 1949-50, les laboratoires MERMINOD commercialisaient plusieurs médicaments : Aseptamide, Dermostrontial, , Gynamide, Colloïxols, Pommade Aseptamide, Pulvaseptamide, Crayons otologiques et rhinologiques à l’Aseptamide.

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