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Étude du cahier et cours de pharmacie de Nicolas Déyeux

 

Introduction

 

Nicolas Déyeux[1] a présenté un cours de pharmacie aux étudiants de l’Ecole de Médecine de Paris fondée par une loi du 14 frimaire an III (4 décembre 1794) en même temps que les Ecoles de Montpellier et Strasbourg. Selon cette loi, les études de médecine duraient trois ans et les étudiants devaient recevoir durant la première année un cours de Chimie Médicale et de Pharmacie.

C’est Antoine de Fourcroy, initiateur de la loi du 14 frimaire an III avec Vicq d’Azir, qui fut nommé au poste de professeur de chimie à l’École de médecine le 14 septembre 1795, mais ayant de nombreuses autres occupations, c’est Nicolas Déyeux qui assura ce cours.[2][3]

Nous avons consulté les notes prises par un étudiant du Cours de Pharmacie appliqué à la médecine [4]qui n’est pas daté, en ce qui concerne la partie chimie, c’est à dire à partir de la page 157 et celles du  Cahier de pharmacie[5] prises par un étudiant nommé Bouvet qui correspond à la fin du même cours : « cours fait par le citoyen Deyeux à Paris en l’an dix de la République française » soit 1802.

 

Nous avons comparé ces deux groupes de notes et étudié plus particulièrement quelques-uns des produits que mentionne le cahier.

Nous essaierons de placer les connaissances en chimie de Déyeux quant à ce qui se trouve dans ces deux documents en étudiant Le Dictionnaire de Chymie de Pierre Joseph Macquer, médecin et chimiste, édition de 1766, avant la « Révolution chimique » de Lavoisier et avant la nouvelle nomenclature et Les eléments d’histoire naturelle et de chimie de Antoine François Fourcroy, lui aussi médecin et chimiste, publié en l’an II de la République (1794), c’est à dire après les travaux de Lavoisier, mais avant l’an X. Notons que Fourcroy avait participé à l’élaboration de la nouvelle nomenclature avec Lavoisier, Guyton de Morveau et Berthollet.

Nous essaierons de savoir si ces substances étaient utilisées en thérapeutique[6] ou non et enfin de comprendre quels étaient ces produits compte tenu de nos connaissances actuelles en chimie.

Dans le Cours de Pharmacie, ce qui concerne la chimie est traité principalement à partir des opérations utilisées par les chimistes à cette époque. Trois chapitres concernent des produits importants et très utilisés comme les huiles essentielles, l’alcool et l’éther. Dans chaque chapitre il donne de nombreux exemples qui doivent aider le futur médecin à formuler ses prescriptions, ce qui constitue le dernier chapitre.

Les différents chapitres sont :

– De la distillation p 157

– Des huiles essentielles p 164

– De l’Alcool  p 167

– De l’Ether p 171  (ces trois types de produits sont obtenus par distillation)

– De la sublimation p 175

– De la calcination p 179

– De la combustion p 181

– De incineration p 183

– De la fusion p 183

– De la cristallisation p 186

– De la précipitation p 190

– De l’art de formuler p 193

Dans le début du Cahier de Pharmacie à notre disposition, qui commence à la page 191 qui correspond sans doute à la 23ième leçon il n’est mentionné que des produits

– De l’éther muriatique et De l’éther acétique obtenus par distillation,

tous les produits suivants étant obtenus par sublimation

– Pour se servir du soufre, de l’acide boracique,

– Du sel ammoniac, Du carbonate d’ammoniac

– De l’oxide blanc et rouge d’arsenic

– Du cinabre, Du muriate oxigéné de mercure, Du mercure doux, Du muriate simple de mercure

– Du sel ammoniac martial

– Du camphre

– De l’acide benzoïque

– Du sel de succin ou acide succinique

puis Déyeux suit presque les mêmes chapitres que dans le Cours de Pharmacie :

– 24ième leçon, mercredi 2 thermidor an dix ( 21 juillet 1802)  :  De la calcination p 203

– 25ième leçon, jeudi 3 thermidor an dix (22 juilet 1802)    : De la combustion lente p 212

– 26ième leçon, vendredi 4 thermidor an dix (23 juilet 1802)   : De la fusion p 219

– 27ième leçon, lundi 7 thermidor an dix (26 juilet 1802)   : De la dissolution p 225 ; De la précipitation p232

– 28ième leçon, mardi 8 thermidor an dix (27 juilet 1802)    : De la cristallisation p 234

– 29ième leçon, mercredi 9 thermidor an dix (28 juilet 1802)    : De l’art de formuler p 246

 

           

La lecture de ce cahier nous permet de constater que le cours avait lieu tous les jours du lundi au vendredi et que Bouvet prend en moyenne huit pages de notes par jour. Le Cours de Pharmacie à l’usage des étudiants de médecine serait donc un cours intensif, cinq jours par semaine, d’un mois à cinq semaines, durant tout le mois de juillet pour ce qui concerne le cahier.

            Il semble que le cahier est postérieur au cours car il y est introduit le chapitre  » De la dissolution » qui ne figure pas dans le cours et qui note les réactions des acides sur les bases, celles -ci étant « les alkalis, les terres et les métaux », pour former des sels.

Nous baserons notre étude sur quelques substances mentionnées dans le cahier, dans l’ordre où elles apparaissent, puis nous donnerons la correspondance du cours, avant d’en faire le commentaire.

 

La distillation

L’exemple de l’éther[7] » est particulièrement intéressant car cette notion n’est pas encore bien précise. Dans le cours Déyeux compare l’éther muriatique et l’éther acétique qui ne sont ni l’un ni l’autre des éthers dans la chimie actuelle.

 

  • De l’éther muriatique

Esprit dulcifié de sel marin

Cahier :

Du mélange de l’acide muriatique simple avec l’alcool. Cela forme l’esprit dulcifié de sel marin. On fait aussi cette liqueur par le moyen de la dessication.

On fait aujourd’hui de l’éther muriatique. Pour cela, on prend de l’acide muriatique oxygéné qu’on mêle avec égale partie d’alcool bien rectifié. On distille ce mélange dans une cornue de verre, et on se sert de l’appareil de Woulfe.

Cet éther n’est pas employé en médecine, n’est encore qu’un objet de curiosité,… C’est éther a une odeur suave agréable, qui diffère des autres éthers connus ; il est très inflammable.

 

 

Cours :  éther : Deyeux compare l’éther muriatique et l’éther acétique

….l’ether muriatique qui est plutôt un produit chimique que pharmaceutique

 Cours de pharmacie p 171

– En 1789 dans son Dictionnaire de chimie pratique  Macquer note à la rubrique ESPRIT : ESPRIT DE SEL DULCIFIE

 » L’ Esprit de sel dulcifié se fait en mélant cet acide avec trois, quatre, cinq, six fois & plus, son poids d’esprit de vin rectifié, & faisant digérer ce mélange pendant un mois, ou en le soumettant à la distillation.

…….aussi l’ Esprit de sel dulcifié n’est-il presque point employé en médecine; & c’est avec raison, car ses vertus ne diffèrent point essentiellemnt de celle de l’esprit de nitre dulcifié, qui est infiniment plus doux. « [8]

L’acide muriatique est de l’acide chlorhydrique et l’acide muriatique oxygéné correspond au  dichlore

En fait, l’Esprit de sel dulcifié  est un mélange d’acide chlorhydrique et d’alcool (esprit de vin ou éthanol) contenant très peu de chlorure d’éthyle. Il s’agit ici surtout d’une solution d’acide chlorhydrique dans l’éthanol ce qui diminue l’acidité du produit d’où le nom de dulcifié ( = adouci). Ceci en faisait une boisson alcoolisée légèrement acide surtout si elle était distillée

– pour ETHER MARIN, Macquer donne une autre méthode avec la Liqueur fumante de Libavius « décomposition du sublimé corrosif par l’étain ; acide marin très fumant & très concentré » selon Antoine louis Brogniard en 1778

 » La découverte du vrai procédé pour faire de l’éther par l’intermédiaire de l’acide marin doit être regardée comme la plus récente qui ait été faite sur cette matière : elle est due à M le marquis de Courtenvaux, qui a communiqué son procédé à l’académie des sciences.

« M le marquis de Courtenvaux a réussi parfaitement, en se servant de la liqueur fumante de Libavius, laquelle est un acide marin très-concentré, retiré du sublimé corrosif par l’intermédiaire de l’étain, & chargé lui même d’une quantité d’étain assez considérable. Cette liqueur fumante, mêlée à parties égales, & distillée avec l’esprit de vin, produit donc facilement une bonne quantité d’une liqueur qui a toutes les propriétés esssentielles de l’éther,& qu’on peut regarder, à juste titre comme un véritable ether marin. L’ether de la liqueur de Libavius se sépare & se précipite dans cette opération, sous la forme d’une poudre blanche.[9]

La liqueur de Libavius contient principalement du tétrachlorure d’étain qui réagit avec l’alcool pour donner du chlorure d’éthyle ou éther marin. On peut penser que cette opération se faisait selon :

4 CH3CH2OH + SnCl4 = 4 CH3CH2Cl + SnO2 + 2 H2O

Les chimistes de cette époque Macquer, Adet et Brogniard pensaient que la liqueur de Libavius était composée, entre autres d’acide chlorhydrique. Ils avaient raison car le chlorure stannique, liquide incolore, réagit avec l’air humide pour former des fumées de chlorure d’hydrogène et violement avec l’eau pour former de l’acide chlorhydrique et de l’oxyde d’étain.

– Antoine François Fourcroy, dans Elemens d’histoire naturelle et de chimie, An II (1794) propose une autre méthode pour obtenir l’éther marin. C’est la méthode indiquée par Déyeux dans le cahier. Elle consiste à utiliser de l’acide muriatique oxigéné comme agent chlorant. L’acide muriatique oxigéné est du dichlore découvert par Carl Wilhelm Scheele (appelé par lui acide muriatique déphlogistiqué) qui réagit sur l’alcool pour conduire au chloroéthane. Fourcroy indique la formation du dichlore :

« Shéele est le seul chimiste qui ait fait, en 1774, une découverte importante sur les differens états dans lesquels existent cet acide [acide muriatique]. Ce savant, ayant distillé de l’acide muriatique sur de l’oxide de manganèse, obtint cet acide sous forme d’un gaz jaunâtre, d’une odeur très piquante,d’une grande expansibilité…….

L’acide muriatique oxigéné en liqueur ou dissous dans l’eau a, suivant M Berthollet, une saveur austère sans être acide ; il blanchit & détruit les couleurs végétales sans les faire passer au rouge ; il ne chasse point l’acide carbonique de ses bases, & il ne fait point effervescence avec les substances alkalines chargées de cet acide ; enfin il n’a point les propriétés des acides. »[10]

Il précise pourquoi le diclore peut agir dans ce cas :

« Il (gaz acide muriatique oxigéné) se dissout dans l’eau à laquelle il communique toutes ses propriétés ; il se décompose peu à peu par le contact de la lumière, & il repasse à l’état d’acide muriatique pur. »[11]

En effet, le dichlore se dismute dans l’eau en acide hypochloreux HClO et en acide chlorhydrique HCl , pour un pH compris entre 2 et 7 ;  ce serait ce dernier qui réagirait sur l’alcool pour donner le chloroéthane (chlorure d’éthyle), gaz extrêmement inflammable.

Dans le test de Lucas, test encore utilisé dans l’enseignement de la chimie pour caractériser les classes d’alcools, la réaction entre l’acide chlorhydrique et l’alcool est catalysée par le chlorure de zinc ZnCl2.

On comprend dès lors pourquoi Déyeux indique que  » Cet éther n’est pas employé en médecine, n’est encore qu’un objet de curiosité »

Dans le cahier Déyeux indique se servir de l’appareil de Woulfe pour obtenir l’éther marin. Ce montage est mentionné de nombreuses fois dans les traités de Chimie de cette époque. Peter Woulfe (1727-1803) est un chimiste irlandais qui a conçu cette bouteille à trois goulots qui permet de faire circuler un gaz dans l’eau afin de nettoyer celui-ci ou de le recueillir s’il est soluble dans l’eau. Dans ce cas, on peut penser que le chloroéthane était recueilli gazeux puisque sa température d’ébullition est de 12,5°C. Il est très légèrement soluble dans l’eau (5,74gL-1 à 20°C). Le chloroéthane fut utilisé ensuite comme anesthésiant local car il produit du froid en s’évaporant rapidement sur la peau.

 

 

Dans le formulaire magistral, Claude Louis Cadet de Gassicourt propose la formation de l’Ether muriatique de Brugnatelli mais il ne mentionne pas son usage.

 

Muriate de potasse oxigéné … 10 onces   500g

Alcohol concentré ………………..5 onces     250g

Acide sulfurique…………………… 5 onces     250g

 

 » Laisser décanter à froid pendant la nuit et le lendemain ; décanter l’éther surnageant. S’il retient de l’acide sulfurique, ajoutez une portion de muriate suroxigéné de potasse pulvérisé et filtrez, ou distillez à feu doux sur de la potasse liquide. »[12]

 

L’éther acétique

Cahier

De l’éther acétique : Pour le faire, il faut avoir du vinaigre radical, que l’on retire de l’acétate de cuivre par le moyen de la distillation, car c’est le vinaigre le plus concentré. On fait un mélange de cet acide avec partie égale de bon alcool. On distille le tout, et on se sert comme pour les autres de l’appareil de Woulfe 

On rectifie cet éther comme les autres pour l’avoir bien pur. Quand il est bien rectifié, (il) a une odeur peu forte, mais agréable ; (il) est employé extérieurement dans les douleurs rumathismales (sic). On en fait des frictions. (Il) n’est point employé intérieurement. Il s’évapore avec une grande facilité, produit du froid, comme tous les autres.

Cours

l’ether acétique est beaucoup plus employé que l’ether muriatique qui est plutôt un produit chimique que pharmaceutique. il faut opérer avec un vinaigre tres concentré et un alcool tres rectifié  on la cohobe 5 a 6 fois avec ce qui reste dans la cornue il n’a pas encore été employé intérieurement mais il a très bien réussi dans les douleurs rhumatismales même celles qui avoit résisté à l’opium on en fait des frictions sur les parties douloureuses.

Fourcroy nous indique la préparation du vinaigre radical :

Le verdet, ou acétite de cuivre, a une saveur très forte, & c’est un poison très violent……

Lorsqu’on distille ce sel réduit en poudre dans une cornue de verre ou de terre avec un récipient, on obtient un fluide d’abord blanc & peu acide, mais qui acquiert bientôt une acidité considérable, & telle qu’il égale la concentration des minéraux. On change de récipient pour avoir à part le phlegme et l’acide. On a donné à ce dernier les noms de vinaigre radical ou vinaigre de Vénus. Cet acide se colore en vert par une certaine quantité d’oxide de cuivre qu’il entraîne dans sa distillation. En redistillant ce vinaigre à une chaleur douce on obtient le vinaigre radical incolore..[13]

La distillation à sec de cristaux d’acétate de cuivre permet d’obtenir de l’acide acétique glacial,  acide corrosif pour la peau, qui doit son nom au fait qu’il cristallise au dessous de 16°C.

L’acétate de cuivre hydraté se présente sous forme de dimère, lorsqu’il est distillé il peut former de l’acide acétique  (CH3COOH) :

Cu2(CH3COO)4(H2O)2  —>  4 CH3COOH  +  2  CuO

 

On pouvait aussi employer de l’acétate de potassium que l’on distillait en présence d’acide sulfurique, le produit obtenu est  » un fluide vaporeux d’une odeur pénétrante, qui se condense, dans le récipient, en acide acétique ou vinaigre radical. Ce vinaigre est très concentré, d’une acidité très forte « [14]

Fourcroy veut faire une analogie entre les différents acides et pense que le vinaigre contient de l’acide acéteux qui devient de l’acide acétique dans le vinaigre radical. En effet, il indique :  » Cet acide paroît être au vinaigre ordinaire ce qu’est l’acide muriatique oxigéné à l’acide muriatique pur, ou plutôt ce que l’acide sulfurique est à l’acide sulfureux, & ce que l’acide nitrique est à l’acide nitreux. »

Fourcroy indique en fait la préparation de l’acétate d’éthyle (CH3COOC2H5) qui est un ester .          (acide acétique + ethanol catalysé par l’acide sulfurique). Cette réaction étant reversible, il n’est pas étonnant qu’on ne l’obtienne pas pur par ce procédé.

Fourcroy indique ensuite tous les usages en médecine de l’acide acétique mais « l’éther » ne semble pas encore utilisé en 1794.

 » On n’a point encore mis en usage l’éther acétique, & on ne sait pas s’il a quelques vertus différentes de celles des autres liqueurs éthérées. »

 Déyeux, en revanche, note que les éthers les plus utilisés sont le sulfurique et l’acétique.

Cadet de Gassicourt mentionne un médicament contenant cet « ether » en 1812.

 

  [15] Acétate de fer liquide ……………..9 onces

Ether acétique alcoholisé …………3 onces

Cet éther se donne comme anti-spasmodique à la dose de quinze à quarante gouttes.

 

 

La sublimation

L’acide boracique

Cahier

L’acide boracique s’obtient par le moyen de la sublimation.

Pour cela, on met du Borax de soude, avec du sulfate de fer, dans une cucurbite de verre avec son chapitaux comme pour le soufre. En donnant une légère chaleur, le Borax se sublime et forme l’acide boracique qui se cristallise dans le chapitaux.

Par ce moyen, on a l’acide boracique assez pur.

Cet acide est blanc en cristallisant. Cet acide est d’une légèreté extrème, une once fait une grosse masse.

Cours

L’acide boracique s’obtient par la sublimation de borate sursature de soude on le nommoit sel sedatif d’homberg on le regarde comme  tres bon calmant  pour l’obtenir on met dans une curcubite de verre une pate liquide faite avec le borax et l’eau saturée d’acide sulphurique on adapte ensuite le chapiteau de verre on pose le tout sur un bain de sable et on y met le feu bientot on voit l’acide boracique venir se sublimer aux parois du chapiteau sous forme de petites lammes argentées tres legere  il manifeste tres peu les caracteres des autres acides il rougit fort peu les teintures vegetales mais il forme des sels avec les bases salifiables. ce sel obtenu par precipitaton est moins pur.

 

            L’acide « boracique » (borique) est obtenu à partir du Borax. Bien que connu en Orient, ce sel n’est pas familier des pharmaciens.[16] C’est ce que montre Macquer  : « Il s’en faut beaucoup que nous ayons sur le borax toutes les connoissances que nous pourrions désirer ; nous ignorons même son origine, qui, au défaut d’une analyse parfaite, pourroit donner quelques lumières sur la nature de cette substance saline. »; d’ailleurs ce sont  » les Hollandois & les Vénitiens qui en font le principal commerce ».

En France, c’est Homberg, en 1702, qui a utilisé le premier l’acide borique comme sel sédatif  » substance nouvelle & absolument inconnue avant lui. »

Homberg avait obtenu le sel sédatif en distillant un mélange de borax et de vitriol comme l’indique Deyeux dans le cours de pharmacie.

Macquer mentionne ensuite que d’autres chimistes ont travaillé sur ce sel sédatif :

– Lemeri le fils montre qu’on peut aussi utiliser les autres acides « nitreux & marin »

– Geoffroy : action des acides puis évaporation et cristallisation

– « M Baron, de l’Académie des Sciences, & Médecin de la faculté de Paris, a prouvé, par un grand nombre d’expériences, qu’on pouvoit retirer le sel sédatif du borax en se servant des acides végétaux ; ….. Il a prouvé aussi , que le sel sédatif n’est pas une combinaison d’une matière alkaline avec l’acide qu’on emploie pour le retirer, mais qu’il existe tout formé dans le borax, dont il est un des principes ou parties constituantes; »[17]

Le borax est soluble dans les acides.

Le pKa de la première acidité du tétraborate à 20 °C est 9,14. Le pH d’une solution de borax pure de concentration 0,01 mol·l-1 se fixe à 9,18 à 25 °C.

Dans l’eau, tout se passe comme si l’ion tétraborate s’hydrolysait en acide borique et en anion borate H2BO3ou B(OH)4, ce qui fait de la solution obtenue une solution tampon, appelé tampon borax.

            Na2B4O7 10 H2O (+ H2O) → 2 Na+ aqueux + (B4O7)2– aqueux

Puis :               B4O72-   + 7 H2O   —> 2 H3BO3  + 2 B(OH)4 

En milieu acide :         B(OH)4 + H3O+ —-> H3BO3  + 2 H2O

En milieu acide il ne se forme que l’acide borique  H3BO3

M Baron avait donc pressenti que le borax en solution conduit à l’acide borique et à l’ion borate et que l’on peut obtenir l’acide borique quel que soit l’acide utilisé. Le pH d’une solution d’acide borique (entre 5 et 6) est trop élevé pour qu’il se comporte comme les acides plus forts :  » point la saveur acide, ni la propriété de rougir les teintures de violettes & de tournesol, comme le font les acides, proprement dits »[18] Macquer pense que l’acide borique est un composé salin alors que pour Déyeux il s’agit bien d’un acide.

Fourcroy n’est pas de cet avis :  » Il rougit légèrement la teinture de violette, mais beaucoup plus sensiblement celles de tournesol, de mauves, de raves , &c. »[19]

Macquer s’appuie sur les travaux de M Bourdelin chimiste dont  » les expériences nombreuses & très exaces ….. qu’on trouve dans les Mémoires de l’Académie pour les années 1753 & 1755″

Une autre méthode d’obtention de l’acide borique consiste, comme l’indique Déyeux dans le cahier de pharmacie « à mêler du vitriol martial avec du borax, à les dissoudre, à filtrer évaporer la liqueur jusqu’à pellicule ; on met ensuite cette liqueur dans un petit alambic de verre, & on procède à la sublimation , juqu’à ce qu’il ne reste plus qu’une matière sèche dans la cucurbite. »

Homberg avait utilisé le sel sédatif comme calmant, anti-spasmodique, & même narcotique, puisqu’il la nommé sel narcotique de vitriol. … on l’a employé assez universellement dans les maladies convulsives.

            Cependant, ni Macquer, ni Fourcroy ne semblent convaincu de l’efficacité de ce médicament sauf à l’employer à très fortes doses.

Macquer :  » que pour en voir quelques effets, il faut le faire prendre en doses de demi-gros & d’un gros, au lieu de quelques grains à laquelle on le donnoit d’abord. »

Fourcroy :  » Mais la pratique a appris que ce sel n’a qu’une vertu très-médiocre, à moins qu’il ne soit donné à une dose beaucoup plus forte que celle qui avoit été indiquée, comme celle d’un gros & plus ; ce qui fait que l’on a renoncé avec d’autant plus de raison, que la médecine possède un grand nombre d’autres médicaments de cette classe, dont l’action est beaucoup plus énergique & beaucoup plus certaine. »

 Ni Baumé ni Cadet de Gassincourt ne mentionnent la préparation ou l’utilisation de l’acide « boracique ».

Il est toujours utilisé comme antiseptique faible, en collutoire et en gargarisme, et contre les dermatoses en solution ou en pommade. Il entre, par ailleurs, dans la composition du cérat de Galien. On l’a également utilisé comme stérilisant des instruments de chirurgie. » (Claude Viel)[20]

Le cérat de Galien fabriqué aujourd’hui contient très peu de Borax comme conservateur, 0,50 g pour 100g de cérat (ANSM)

Baumé n’en mettait pas

 

Huile d’Olives …………1/2 livre

Cire blanche…………….2 onces

Eau…………………………6 onces

 

On forme une pommade, de la même manière que la précédente. On peut employer de l’huile d’amandes douces en place d’huile d’olives : le cérat n’en sera que plus beau;

 

Sel ammoniac

Cahier

Du muriate d’amoniaque ou du sel ammoniac s’obtient aussi par la sublimation. C’est d’abord dans l’egipte (sic) que ce sel s’est préparé. On fait l’opération dans des matras. L’opération dure quelquefois 15 ou 20 jours. Nous sommes obligés de purifier ce sel quand nous voulons l’employer en médecine. Pour cela, on le sublime de nouveau dans des matras. En transparans (sic), ses cristaux ne sont pas semblables à ceux qu’on obtient pas une solution dans l’eau.

Il cristallise en éguile (sic) quand on le sublime une seconde fois pour le purifier.

Cours

Le muriat d’ammoniaque s’obtient encore par la sublimation de la suie, des excrements des animaux qui paissent les herbes salées tels sont les chameaux c’est particulierement de l’Egypte que ce sel nous venoit on le prepare aussi en france.

Le sel ammoniac ou muriate d’ammoniaque est appelé aujourd’hui chlorure d’ammonium de formule  NH4Cl. Fourcroy explique l’origine de ce nom :

Le muriate ammoniacal, ou la combinaison saturée de l’acide muriatique avec l’ammoniac, a été appelé par les anciens, sel ammoniac , parce qu’ils le tiroient de l’Ammonie, contrée de la Libye, où étoit situé le temple de Jupiter-Ammon.

Fourcroy indique dans un premier temps la fabrication du muriate d’ammoniaque au Caire en 1719 puis souligne pour finir que celui-ci est préparé par Antoine Baumé (1728-1804) dès 1767 dans une fabrique qu’il dirige. Des eaux-mères des salines de Lorraine contenant des chlorures de calcium et de magnésium réagissent avec du carbonate d’ammoniaque . L’action directe de l’acide chlorhydrique sur le gaz ammoniac, proposé par Baumé ne sera mis en oeuvre que vingt ans plus tard..[21]

M Baumé a établi aux environs de Paris une manufacture de muriate ammoniacal,où l’on fabrique entièrement ce sel, en quoi il differe de la préparation des Egyptiens, qui ne font que l’extraire. Le sel de M Baumé a encore sur celui d’Egypte l’avantage d’être beaucoup plus pur.

Fourcroy signale plus loin les propriétés et les usages du muriate ammoniacal ; la dissolution du chlorure d’ammonium étant endothermique,  » Il produit dans cette dissolution un froid considérable ; ce froid est encore plus vif, lorsqu’on mêle ce sel avec de la glace. On se sert avec avantage de ce froid artificiel pour donner naissance à plusieurs phénomènes qui n’auroient pas lieu sans cette circonstance, tels la crystallisation de certains sels, la conservation & la fixation de quelques liquides très-évaporables, &c…. »

Pour ce qui concerne les usages médicaux,  » on l’emploie comme fondant à l’intérieur, à la dose de quelques grains, dans les obstructions, les fièvres intermittentes, &c. Il agit à l’extérieur comme puissant antiseptique dans la gangrène , &c,&c. »[22]

Le sel ammoniac entre dans la composition de l’Esprit volatil, Huileux & Aromatique de Silvius qui a des propriétés fébrifuges.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ecorces récentes de citrons

                                    d’oranges  ensemble  6 gros      30 g

Vanille

Macis     ensemble  (ãã)                               2 gros       10g

Gérofle                                                           1/2 gros     2,5 g

Canelle                                                                1 gros       5g

Sel ammoniac                                                4 onces   200g

On concasse toutes ces substances : on les met dans une cornue de verre, & l’on verse dessus,

Eau de canelle simple

Esprit de vin rectifié   ensemble                4 onces    200g

On fait digérer ce mélange pendant quelques jours, e l’agitant de temps en temps : alors on ajoute dans la cornue ,

Sel de tartre                                                  4 onces    200g

On adapte à la cornue un ballon percé d’un petit trou : on le lute exactement, on distille au bain-marie, & on conserve la liqueur qui en provient.

 

Ce remede est cordial, céphalique, propre pour la paralysie, pour le scorbut : il est sudrifique : il convient dans les fievres malignes, la petite vérole, & dans tous les cas où il est nécessaire d’exciter la transpiration : il excite les mois aux femmes, & il appaise les vapeurs hystériques. La dose est depuis six gouttes jusqu’à trente. [23]

 

Carbonate d’ammoniaque

Cahier:

Le carbonate d’amoniaque s’obtient aussi par le moyen de la sublimation. Pour l’avoir, on le retire du muriate d’amoniaque qu’on met dans une cornue, avec de la craye (sic) ou du carbonate de potasse. On en fait un mélange. On adapte à la cornue une longe. Il faut un degré de chaleur plus fort… Le carbonate d’amoniaque est blanc, a une odeur assez vive, mais pas aussi forte que celle de l’amoniaque. Plus il contient d’acide, moins il a d’odeur. Il cristallise en beaucoup moins caustique que l’amoniaque. On retire toujours de ce sel, quand on analyse des matières animales, comme du sang, de la corne,… on couvre la longe d’un linge mouillé qui  qui condense mieux les vapeurs de carbonate d’amoniaque. 

Le carbonate d’ammoniaque n’est pas mentionné dans le cours de pharmacie

Il s’agit du carbonate d’ammonium de formule (NH4)2CO3.

Macquer ne mentionne pas ce sel.

Fourcroy l’obtient à partir de chlorure d’ammonium et de carbonate de sodium ou de potassium. « En effet, tandis que l’acide muriatique s’unit aux alkalis fixes pour former les muriates de potasse ou de soude, l’acide carbonique, qui est séparé de ces derniers, se reporte sur l’ammoniac dégagé, & forme avec elle du carbonate ammoniacal qui se sublime en crystaux, dont l’intérieur du ballon est tapissé…….. On retire par ce moyen une quantité considérable de ce sel, qui égale plus des deux tiers du muriate ammoniacal employé.[24]« 

Le carbonate d’ammonium se décompose facilement ( entièrement à 58°C) en ammoniac, eau et dioxyde de carbone. C’est pour cette raison qu’il a été utilisé pour ranimer les personnes évanouies : sels à faire respirer.

Il est utilisé aujourd’hui comme poudre à lever (additif alimentaire E503).

 

Les composés du mercure

Cahier

Le cinabre

Le mercure se sublime aussi. Quand on veut faire du cinabre, on se sert de la sublimation.

Pour le faire, on met dans une cornue du soufre et du mercure. On donne un coup de feu assez fort. On est toujours obligé de casser les vaisseaux où se sublime le cinabre.

Du muriate sur oxigéné de mercure.

Le muriate de mercure simple, et le sur oxigéné (sic) ou sublimé corosif (sic). On met du nitrate de mercure, du muriate de soude et du sulfate de fer. On met le tout dans une cornue. En donnant un coup de feu assez fort, le sublimé corosif passe car il est très volatil. Il cristallise en eguile assez longue. Ce sel est du muriate de mercure sur=oxigéné (sic).

Du mercure doux.

Le mercure doux s’obtient par la sublimation. Pour cela, on prend du sublimé corosif qu’on triture avec du mercure. Le sublimé corosif cède de son oxigène au mercure. Ensuite, on sublime le mélange dans un matras.

Du muriate simple de mercure

La panacée mercurielle est du muriate de mercure simple. L’aqui alba est aussi du muriate de mercure simple, seule en eut-il différé l’un de l’autre par le nombre de sublimations qu’on leur fait subir.

 Cours : tous les produits du mercure indiqués ci-dessous se trouvent dans le chapitre sublimation ; le sulfure de mercure (cinnabre) se prepare de même

le muriat sur oxigenée de mercure s’obtient encore de cette maniere il est le resultat  de la sublimation d’un melange de nitrate de mercure de muriate de soude et de sulfate de soude on doit pour l’avoir pur le sublimer deux ou trois fois dans un balon sur un bain de sable.

Le muriate de mercure doux (calomeles aquila alba) differe du sublimé en ce que pour le faire on prend parties egales de mercure coulant  et de sublimé corrosif que l’on triture esemble avec un peu d’eau  pour empecher le sublime de s’elever celui-ci cede une partie de son oxigene au mercure qui s’oxide en gris on introduit le tout dans un matras placé sur un bain de sable et on y met le feu alors le mercure vient se sublimer  aux parois du matras en aiguilles plus ou moins longues

On reitere la sublimation deux ou 3 fois affin que le mercure soit bien sublimé et ensuite on lave le mercure doux à l’eau bouillante en la porphirisant parceque le sublimé qui pourroit rester dedans se dissout dans l’eau et le mercure doux qui est insoluble reste le même ce sel portoit le nom de calomele quand il avoit été sublimé 7 fois mais le  trop de sublimation lui est nuisible il se donne en poudre à la dose de 2 : 4 : 6 : 8 : 10 grains et plus

Le mercure et ses composés tenait une place considérable dans l’alchimie, la chimie et la médecine depuis le XVIe siècle avec Paracelse.

Macquer nous rappelle que le métal était appelé autrefois vif-argent, que c’est le nom d’une planète et l’un des principes des alchimistes, « le mercure philosophique étape sur la voie du grand oeuvre »[25] mais aussi qu’il était utilisé depuis l’Antiquité à des fins thérapeutiques.

Les anciens Médecins n’en faisoient aucun usage, & le regardoient comme une espece de poison : cette prévention étoit fondée apparement sur quelques accidens qui avoient été occasionnés par du mercure mal préparé, ou donné à contre-tems, ou peut-être à cause des tremblements & autres maladies qui attaquent ceux qui travaillent le mercure. Quoi qu’il en soit, ce sont les Médecins Arabes qui les premiers ont osé se servir du mercure ; ils l’employaient avec succès contre la galle & autres maladies de la peau.

    Lorsque les maladies vénériennes vinrent infester l’Europe, il se trouva dans l’armée de Charles VIII au siège de Naples, armée dans laquelle la vérole faisoit alors de grand ravages, un Médecin nommé Beranger de Carpi, qui, considérant que cette maladie se manifestoit par des pustules à la peau, assez semblables à celles des galles malignes, & enhardi par l’exemple des Arabes, essaya de guérir la vérole par le mercure, & réussit. Ce fut aussi à-peu près vers ce tems-là que les Chymistes, ou Alchymistes dirigerent une grande partie de leurs travaux du côté de la Médecine, & trouverent un grand nombre de remedes chymiques, dont les meilleurs se sont conservés, & sont maintenant employés avec succès. Le fameux Paracelse sur-tout s’est beaucoup distingué dans ce genre ; il traitoit singulierement les maladies vénériennes avec un succès étonnant, par des médicamens internes qu’il faisoit prendre en pilules : quoiqu’il n’ait pas publié clairement ses remedes, on croit néanmoins, d’après les effets qu’ils produisaient,que la base en étoit le turbith minéral. Depuis ce tems le mercure a été extrêmement employé sous une infinité de formes différentes.[26]

Dans cette partie Déyeux ne traite que du mercure et des sels de mercure obtenus par sublimation. Le cas des oxydes, comme le précipité per se, très utilisé en médecine se trouve dans la partie des produits obtenus par calcination.

Les chimistes constatent la stabilité du mercure : selon Macquer

Ni l’air, ni l’eau, ni l’action de ces deux élémens, ne paroissent faire d’impression sensible sur lui : il n’est pas plus suceptible de rouille que les métaux parfaits. …. M Lémery fils assure que le mercure qu’on a fait bouillir dans de l’eau pure, se retrouve exactement de même poids qu’avant cette opération; & il en conclut que l’eau n’en détache & n’en dissout absolument rien…. Boerrhaave a soumis dix huit onces de mercure à cinq cens distillations de suite, & n’y a remarqué, après cette longue épreuve, aucun changement sensible, sinon qu’il lui a paru plus fluide…[27]

Cependant, l’eau dans laquelle on a fait bouillir du mercure est utilisée médicalement, elle  » a la propriété de tuer les petits insectes & la vermine, ce qui doit faire soupçonner que l’eau peut se charger de quelques particulles mercurielles ».

Le cinabre, sulfure de mercure de formule HgS, est le minerai de mercure le plus abondant ; Fourcroy, qui consacre 64 pages au mercure dans son traité, l’indique ainsi que les lieux où se trouvent les mines en Europe, principalement en Espagne à Almaden et toutes les variétés de cinabre que l’on connaît. Antoine de Jussieu, dans les mémoires de l’Académie en 1719 signale le travail qu’on fait à Almaden pour retirer le mercure du cinabre. [28]

Le mercure est peu utilisé sous cette forme au début du XIXe siècle, à cause de sa toxicité. Baumé mentionne son utilisation dans une Poudre Antispasmodique , poudre « qui convient dans les spasmes, dans les convulsions & maladies vaporeuses : elle est hystérique, tonique & astringente ; elle convient encore dans l’épilepsie. La dose est depuis un scrupule jusqu’à un gros. »[29]

 

 

℥ jb 1 once et demie env 75g

℥ b demi-once   env 25g

ãã : de chacun autant

3 jb un gros et demi env 8g 

3 ij  deux gros  env 11g 

℈ j  1 scrupule  env 1g

 

 

 

Le muriate sur oxigéné de mercure ou sublimé corrosif est du chlorure de mercure II, de formule HgCl2.

On ne peut l’obtenir par action directe du mercure sur l’acide chlorhydrique ; il faut faire intervenir une réaction d’oxydo-réduction puisque le mercure est oxydé dans cette opération, il doit donc être préparé par action du dichlore Cl2 sur le mercure.

Macquer et Fourcroy pensaient que le dichlore contenait de l’oxygène, d’où ces confusions quand aux théories qu’ils énoncent pour montrer ce qui se passe dans cette formation.

Macquer indique l’action directe du mercure et du dichlore :

L’acide marin en liqueur n’agit point sensiblement sur le mercure en masse, même lorsqu’il est aidé de la chaleur de l’ebullition : mais lorsque cet acide très concentré est réduit en vapeurs, & qu’il rencontre le mercure réduit aussi en vapeurs, alors ces deux corps s’unissent très facilement, …Il en résulte un sel marin à base de mercure, cristallisé en aiguilles applaties : on l’a nommé Mercure sublimé corrosif, ou simplement sublimé corrosif, parcequ’il se fait toujours par sublimation, & qu’il est en effet un des plus violent corrosifs.[30]

Fourcroy propose la même méthode d’obtention que celle de Deyeux et essaye de l’expliquer en faisant intervenir la formation d’acide muriatique oxigéné ( Cl2 sous forme d’eau de chlore) :

On mêle parties égales de nitrate mercuriel desséché, de muriate de soude décrépité, & de sulfate de fer ou vitriol martial calciné au blanc ; …on chauffe …. L’acide sulfurique dégage l’acide muriatique de la soude. ce dernier sépare du mercure l’acide nitreux à qui il enlève une partie de son oxigène, de manière qu’il devienne acide muriatique oxigéné ; alors il se combine avec l’oxide de mercure & forme du muriate mercuriel corrosif, qui se sublime sous forme de cristaux applatis & pointus, à la partie supérieure du matras. …[31]

Les ions sulfates semblent indispensables puisque les hollandais le préparent  » ce sel en grand, en triturant parties égales de mercure, de muriate de soude & de sulfate de fer, & en exposant ce mêlange à un feu violent….. »

Les ions ferreux ne sont pas indispensables puisque Boulduc fait agir le sulfate de mercure et le chlorure de sodium, ce qui constitue le procédé le plus simple. C’est d’ailleurs celui qui donne le muriate sur oxigéné qui contient le moins d’impuretés.[32]

Malgré sa causticité ce sublimé corrosif est très utilisé, même si on a pu constater de nombreux accidents :

Mais depuis quelques années M Wanswieren, disciple de Boerrhaave, & premier Médecin de l’Impératrice Reine, a introduit l’usage interne du sublimé corrosif pour la cure de la vérole : ce grand Médecin en fait dissoudre douze grains dans deux litres d’eau-de-vie de grain, & fait prendre ce remede par cuillerées, étendues dans d’amples boissons adoucissantes…..

Le sublimé corrosif, administré de cette maniere, est un anti-vénérien des plus puissant, & capable de guérir des véroles invétérées, qui ont resisté aux autres préparations usitées du mercure.[33]

Baumé mentionne ce remède :

Sublimé corrosif   16 grains  env  0,9 g

Esprit de froment 2 livres   env 1120 g

On triture le sublimé corrosif dans un mortier de verre : on le dissout peu-à-peu dans de l’esprit de froment, & on le conserve dans une bouteille.

 

« Wanswieten …a indiqué 16 grains de sublimé corrosif pour deux livres d’esprit de froment, …..Cependant à Paris on suit plus volontiers la dose de douze grains par pinte, ou par deux livres d’esprit de froment.

L’auteur de ce remede le recommande pour la vérole, & le fait prendre à la dose d’une cuillerée matin & soir, buvant chaque fois une livre d’une légere décoction d’orge, à laquelle on ajoute une troisieme partie de lait….ce remede pris intérieurement guérit les ulceres vénériens, sans autre application externe que quelques emplâtre simple, pour couvrir seulement les ulceres, jusqu’à ce que la peau se soit régénérée. Il passe aussi pour guérir les taches de la cornée, sans même qu’elles viennent d’aucune ophtalmie vénérienne…. il arrête aussi les anciennes gonorhées qui avoient resisté aux frictions mercurielles.

On continue l’usage de ce remede jusqu’à ce que les accidents pour lesquels on l’ordonne, disparroissent totalement ; ce qui demande plus ou moins de temps, comme quatre, cinq ou six mois. » [34]

Le mercure doux se prépare comme l’indique Déyeux, Macquer et Fourcroy par action du chlorure mercurique sur du mercure ; son interprétation est encore fantaisiste à cause de l’oxygène qui n’existe pas dans ces produits. En effet on peut aujourd’hui écrire simplement :

Selon Macquer :

ce sublimé porte alors le nom de Mercure sublimé doux, ou plus communément de Mercure doux, parce que la quantité de mercure alors unie à l’acide marin, forme un composé qui n’a plus de causticité, & qu’on fait prendre intérieurement en qualité de purgatif : voyez Mercure doux. On le nomme aussi Aquila alba (Aigle blanche) ; & ce nom latin, qui vient de l’ancienne Chymie, est encore assez usité pour être en quelque sorte francisé.[35]….

Fourcroy rappelle cette préparation puis en propose celle de M Bailleau, apothicaire de Paris qui évite l’oxydation du mercure lors de la trituration.

M Bailleau, apothicaire de Paris, a donné à la société royale de médecine un procédé pour faire le muriate mercuriel doux,sans avoir à craindre tous les accidens qui rendent sa préparation ordinaire susceptible de dangers. Ce procédé consiste à former une pâte avec le muriate mercuriel corrosif & l’eau, & à la triturer avec le mercure coulant. Une demi heure de trituration suffit pour éteindre le mercure, parceque l’eau favorise sa division. On achève la combinaison en faisant digérer le mélange sur un bain de sable à une chaleur douce ; la matière, de grise qu’elle étoit d’abord, devient blanche, & forme un muriate mercuriel très-doux, qui n’a besoin que d’une seule sublimation pour être parfaitement pur.[36]

Ce mercure doux est appelé calomel encore de nos jours, il est utilisé en analyse dans les électrodes au calomel qui sont des électrodes de références.

Cette substance est moins nocive que le sublimé corrosif, mais elle est aussi moins efficace comme nous l’indique Macquer :

Le mercure doux, n’étant point corrosif, il n’y a aucune difficulté sur son usage intérieur ; il est employé depuis long-tems de cette maniere…..il produit un effet  purgatif lorsqu’on le fait prendre depuis quatre grains jusqu’à quinze & dix-huit. On en fait usage dans le traitement des maladies vénériennes, sur-tout lorsqu’on veut déterminer l’effet du mercure par le ventre ; mais il n’est point ordinaire de traiter une vérole complette par ce remede seul.[37]

Baumé propose des dragées vermifuges pour les enfants à base de mercure doux:[38]

1/2 once       25g

1 once           50g

1/2 gros         2,5g

Avec une suffisante quantité de mucilage de gomme adragant, on forme une masse qu’on divise en cent quarante-quatre pilules de la forme d’une olive : on les fait sécher & on les conserve dans une bouteille qu’on bouche bien.

Ces dragées sont très bonnes dans les maladies vermineuses des petits enfants : elles contiennent chacune deux grains de mercure doux. On en donne une le matin, & une le soir en se couchant. Elles occasionnent quelquefois un léger gonflement des gencives : il est bon d’y prendre garde, afin d’en suspendre l’usage pendant quelques jours, lorsque cet inconvénient arrive. 

Cette autre préparation qui permet de fabriquer des Pilules mercurielles contenant à la fois du mercure doux et du mercure « crud » (mercure métallique) est plus forte, soit environ 20% de mercure. Ces pilules sont utilisées pour les maladies vénériennes.

Scammonée……..

Aloès ………………

Coloquinte ………

Mercure doux …

Crème de tartre 

Gomme gutte ….

Jalap……………….

Myrrhe …………..

Mercure crud ….

Beaume de Copaha……………

Syrop de Nerprun  

5 onces    250g

1 once      50g

4 onces    200g

1/2 once  25g

1 once et 1/2 75g

1/2 once    25g

2 onces      100g

2 onces      100g

6 onces      300g

1 once        50g

1 livre         560g

Ces pilules sont plus purgatives que les précédentes (préparation précédente) : elles sont pareillement fondantes : elles conviennent dans les maladies vénériennes. La dose est depuis demi-gros jusqu’à deux scrupules (2,5 g à 2g)

Seul Macquer indique  la panacée mercurielle qui est encore du « mercure simple » (ou mercure doux. Ce  serait du calomel lavé avec de l’alcool puis séché.

Elle ne produit point ordinairement d’effet purgatif, & procure plutôt la salivation, quand elle est donnée en suffisante quantité. Les doses de ce remede sont depuis dix grains jusqu’à vingt-quatre ou trente ; on les réitere suivant le besoin, & dans les intervalles convenables. Plusieurs gens de l’Art guérissent la vérole par ce remede mercuriel.[39]

Pour Baumé les pilules de panacée mercurielles ont de nombreuses indications .

 

1 once               50 g

4 scrupules       4 g

 

 

On pulvérise la panacée : on l’incorpore avec la mie de pain tendre, & on ajoute une suffisante quantité d’eau : on forme une masse, que l’on divise en trois cent quatre vingt-quatre pilules : chaque pilules contient un grain & demi de panacée.

Les pilules de panacée conviennent dans les maladies vénériennes, dans les rhumatismes, pour lever les obstructions, pour le scorbut, pour les écrouelles, pour les dartres, pour la gale, pour la teigne, pour tuer les vers. La dose est depuis six grains jusqu’à un scrupule.[40]

Fourcroy termine son article sur le mercure en mettant en garde les médecins qui  » qui manquent la plupart des connoissances nécessaires pour les administrer , non seulement avec succès , mais même sans crainte. Nous avons été plus d’une fois témoins des malheureux effets de ces préparations, causés par l’impéritie de ceux qui les avoient employées avec la hardiesse qui accompagne ordinairement l’ignorance. »[41]

 

Conclusion

Nous constatons sur ces quelques exemples que les espèces chimiques prenaient de plus en plus d’importance dans les traitements pharmaceutiques, comme le montre plus loin le cas de l’acide benzoïque (que Sheele(1742-1786), chimiste suédois a particulièrement étudié et amélioré la méthode d’obtention) et de l’acide succinique présents dans de nombreux remèdes.  Au début du XIXe siècle. Les chimistes étaient le plus souvent des médecins ou des pharmaciens (Sacha Tomic les appelle des pharmaciens-chimistes) ; leurs recherches concernaient en particulier la connaissance de ce qu’ils prescrivaient auparavant sans connaitre précisément le contenu chimique des préparations. Les méthodes  de formation deviennent plus douces (dissolution, précipitation, cristallisation des sels) sans utiliser systématiquement l’action de la chaleur qui altère les substances naturelles. Viennent ensuite des méthodes d’analyse immédiate et d’analyse élémentaire qui permettent aux pharmaciens-chimistes de former des produits « à la pureté garantie » ce qui conduisit à la fondation « d’une industrie pharmaceutique fabriquant des produits à haute valeur ajoutée. »

Le perfectionnement et l’uniformisation des techniques d’analyse élémentaire donnent naissance vers les années 1830 à une nouvelle discipline  » qui regroupe tous les produits naturels tirés des annimaux et des végétaux « [42] , la chimie organique.

Références

[1] N DEYEUX (1745-1837) est reçu maître apothicaire en 1772, exerce dans l’officine de la Croix-Rouge à Paris  où il a succédé à ses oncles Pia. Il fut professeur de chimie à L’Ecole de santé de Paris dès 1795 puis à l’Ecole de médecine puis à la Faculté de médecine.

[2] Il est élu membre résidant de la 1ère classe de l’Institut national (section de chimie) le 5 frimaire an VI (25  novembre 1797). Nommé Premier pharmacien de l’Empereur en 1804 , Deyeux continue d’enseigner la chimie et la pharmacie jusqu’en 1814. 

[3] G KERSAINT, Antoine François de Fourcroy (1755-1809) Sa vie et son oeuvre.  Paris  Editions du Muséum, 1966, p 109 et 270 (13)

[4] Ce manuscrit est en consultable à la BIU Santé et en ligne : http://www.bium.univ.paris5/histmed/medica/cote?pharma_ms000027

[5] Ce manuscrit fait partie des archives de M Bruno BONNEMAIN

[6] Pour cela nous avons consulté : C.L. Cadet de Gassicourt Formulaire magistral à l’usage des élèves en médecine, chirurgie et pharmacie  1812 Paris et Antoine Baumé  Elemens de pharmacie théorique et pratique  3e édition Paris Samson 1773

[7] Cours : De l’Ether p 171  Cahier : De l’éther muriatique et De l’éther acétique p191

[8] Macquer  ESPRIT DE SEL DULCIFIE Dictionnaire de chimie pratique vol2  A Neuchatel 1789 p 37 ( Google Book)

[9] Macquer  ETHER MARIN Dictionnaire de chimie pratique vol2  A Neuchatel 1789 p 91 ( Google Book)

[10] Antoine François Fourcroy Elemens d’histoire naturelle et de chimie  An II (1794) Paris  tome 1 p 457 (Gallica : Élémens_d’histoire_naturelle_et_de_[…]Fourcroy_Antoine-François_bpt6k7332k)

[11] Fourcroy  tome 5 p 156

[12] C.L. Cadet de Gassicourt Formulaire magistral à l’usage des élèves en médecine , chirurgie et pharmacie  1812 Paris p 65-66  (Gallica : Formulaire_magistral_à_l’usage_des_[…]Cadet_de_bpt6k97712095)

[13] Fourcroy  tome 4 p 281

[14] Fourcroy  tome 4 p 273

[15] C.L. Cadet de Gassicourt p 65

[16] Voir l’article BORAX dans le Dictionnaire de l’histoire de la pharmacie ( Claude Viel) 2e édition Pharmathèmes 2007 p 70

[17] Macquer Dictionnaire de chimie  Tome Premier Chez lacombe Paris 1766  p 229 Gallica : Dictionnaire_de_chymie_contenant_la_[…]Macquer_Pierre-Joseph_bpt6k1520121f)

[18] Macquer  Dictionnaire de chimie  SEL SEDATIF Tome second Chez Lacombe Paris  1766 p 478

[19] Fourcroy tome 1 p 504

[20] BORAX dans le Dictionnaire de l’histoire de la pharmacie 2e édition Pharmathèmes 2007 p 70

[21] Flahaut Jean. Antoine Baumé : l’oeuvre scientifique. In: Revue d’histoire de la pharmacie, 67ᵉ année, n°240, 1979. Numéro spécial : 250e anniversaire de la naissance d’Antoine Baumé (1728-1804) pp. 23-32.          http://www.persee.fr/doc/pharm_0035-2349_1979_num_67_240_1967

[22] Fourcroy tome 2 p 109

[23] Baumé  p 245

[24] Fourcroy tome 2 p 107

[25] Dictionnaire d’histoire de la pharmacie p 310

[26] Macquer  tome 2 p 60

[27] Macquer  tome 2 p 40-41

[28] Frourcroy tome 3 p 78-82

[29] Baumé p 583

[30] Macquer p 46

[31] Fourcroy tome 3 p 108

[32] Fourcroy tome 3 p 110

[33] Macquer p 65

[34] Baumé p 861

[35] Macquer p 48

[36] Fourcroy tome 3 p 124

[37] Macquer p 66

[38] Baumé p 686

[39] Macquer tome 2 p 67

[40] Baumé p 686

[41] Fourcroy tome 3 p 137

[42] Sacha Tomic  Aux origines de la chimie organique . Méthodes et pratiques des pharmaciens et des chimistes (1785-1835) Presses universitaires de Rennes 2010

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