Extrait de l’ouvrage du docteur Dehaut (1902) sur ce sujet1 :
« C’est la peptone fabriquée naturellement par les petites glandes de l’estomac, qui opère, dans cet organe, la digestion de la viande et des aliments analogues, et que, si la pepsine naturelle ne se fait pas en quantité suffisante, on peut la remplacer par la pepsine artificielle. Mais encore faut-il que le sujet mange la viande. Or, il y a des malades qui, pour des causes diverses, ne peuvent pas même absorber cet aliment. Ce cas se présente fréquemment chez des personnes malades depuis longtemps, ou très âgées, ou dont le mal consiste dans quelque obstruction interne, de cause accidentelle ou autre.
L’état désespéré de ces pauvres malades a excité la compassion de plusieurs savants, qui ont pensé que, peut-être, on pourrait prolonger leur existence en leur faisant absorber des aliments qui seraient digérés à l’avance.
C’est M. Catillon, l’un de ces savants laborieux, qui a fait faire à cette question le plus grand pas. il a démontré, par son propre exemple, qu’il est possible de vivre en n’absorbant absolument aucune autre nourriture que de la viande ainsi digérée à l’avance. Il s’est nourri, et il a nourri des animaux, pendant plusieurs mois, à l’aide de sa peptone, employée en lavement, sans que l’estomac ait eu à fonctionner en aucune façon pendant tout ce temps-là.
Le nom de peptone a été adopté pour désigner la viande qui a été digérée artificiellement, et voici comment M. Catillon procède dans son usine. Disons tout d’abord que cette usine a été placée tout près des grands abattoirs de Paris, afin de pouvoir choisir la viande à la fois la meilleure et la plus fraîche. Après avoir débarrassé cette viande de la graisse et des peaux nerveuses, on la divise à l’aide d’une machine spéciale, et on la place dans l’appareil à digérer, en y ajoutant un peu d’eau et la quantité de pepsine nécessaire ; puis on maintient le récipient à une température égale à celle de l’estomac vivant, pendant le temps nécessaire, environ 10 heures. Lorsqu’on ouvre le digesteur, qui peut être considéré comme un estomac artificiel, on n’y trouve plus de viande ; celle-ci est devenue un liquide un peu coloré, ayant une faible odeur spéciale et une saveur non désagréable : ce liquide est la peptone. Il représente trois fois son poids de viande fraîche, lorsqu’il a été suffisamment concentré par des procédés convenables.
En évaporant toute l’eau contenue dans la peptone liquide, on obtient une poudre, qui est la forme la plus riche en substance alimentaire. On voit qu’il ne faut pas confondre peptone avec pepsine. la peptone est le résultat de l’action de la pepsine sur la viande, que cette action ait lieu dans un estomac sain ou dans un appareil de laboratoire. la pepsine est un médicament ; la peptone est un aliment.
Le plus souvent, les personnes qui ont besoin de la peptone sont faibles et très disposées à se dégoûter de tout aliment ; il fallait donc présenter cette peptone sous des formes diverses, afin de pouvoir varier et éviter cette répugnance. C’est ainsi que M. Catillon a été amené à faire un vin, un élixir, un chocolat à la peptone, dans lesquels on ne perçoit pas du tout la légère odeur du produit pur.
Mais nous n’insisterons pas davantage sur les diverses manières s’administrer la peptone aux malades, tout cela étant bien expliqué dans les instructions de M. Catillon qui accompagnent toutes ses préparations.
Lorsque la peptone ne peut pas être prise par la bouche, soi à cause d’un dégoût insurmontable pour tout aliment, soit parce que le chemin de l’estomac est intercepté par une cause quelconque, on a la ressource de pouvoir l’administrer par l’intestin, sous la forme de petits lavements deux ou trois fois par jour, de manière à ce que le malade ne sente pas es forces diminuer. Bien entendu, il faut conserver ces lavements le plus complètement possible. Pendant que le malade est ainsi soutenu par la peptone, l’affection qui l’empêche de manger peut être traitée et finir par disparaître. Alors, la peptone ayant rendu le service qu’on attend de son usage, on peut vivre comme tout le monde.
Il est aisé de comprendre que si la peptone est capable de faire vivre une personne dont l’estomac ne fonctionne pas du tout, elle permet, à plus forte raison, d’ajouter un supplément alimentation, dans les cas où les malades ne peuvent absorber une quantité suffisante de nourriture, soit par suite d’un dégoût profond, soit à cause d’une grande paresse de l’estomac. Ces cas se rencontrent surtout dans les dyspepsies, les maladies de langueur, chez certains enfants, chez des convalescents, chez des sujets accablés par l’ennui, par des chagrins, par des fatigues excessives, etc.
La préparation de la peptone est très délicate ; elle exige une attention et des soins soutenus, et nécessite des appareils parfaitement conditionnés et très coûteux. C’est pour cela qu’il importe de n’employer que celle qui porte une marque de fabrique de premier ordre… »
- Manuel de médecine, d’hygiène, de chirurgie et de pharmacie domestiques par Dehaut…24ème édition, Paris, chez l’auteur, 1902