Extrait de l’ouvrage du docteur Dehaut (1902) sur ce sujet1 :
« Il arrive parfois dans nos ports de mer des navires chargés de quinquina qu’on offre au prix infime d’un franc le kilo. Ce bas prix montre bien qu’il s’agit d’une marchandise de qualité très inférieure, malgré sa belle apparence. De tels produits ne sont pas jetés au feu, comme ils le mériteraient ; mais ils trouvent des acheteurs qui les répandent dans le commerce.
Il y a des industriels assez habiles pour extraire tous les principes contenus dans les meilleurs quinquinas, sans modifier l’apparence de l’écorce, laquelle est remise dans le commerce ! Les pharmaciens eux-mêmes y sont trompés, parce qu’ils ne font presque jamais l’analyse, qui seule permet de reconnaitre les fraudes.
Il y a d’ailleurs un fait qu’il est bon de faire connaitre au public : c’est que, depuis quelques années, il est à peu près impossible aux pharmaciens qui le voudraient de trouver dans tout le commerce de la droguerie de quinquina passable : il n’y en a plus ! et voici l’explication de ce fait qui parait étrange :
Les usines qui fabriquent le sulfate de quinine ont, dans les ports de mer, des agents chargés d’attendre l’arrivée des navires qui apportent le quinquina ds pays lointains. Ces agents s’empressent d’examiner tout ce qui arrive, et, sans hésitation, ils achètent tout le quinquina qui renferme assez de quinine pour supporter les frais de manipulation. Seuls, les grands spécialistes sont assez forts pour aller faire concurrence aux fabricants de quinine et acheter en grand du quinquina riche en principes actifs. Toutes les écorces pauvres ou nulles sont laissées de côté, et c’est là ce qui finit par arriver dans les pharmacies, après avoir passé par les drogueries.
Est-il surprenant, après cela, que tant de personnes, croyant faire une économie en achetant du quinquina pour faire elle-même leur vin, n’obtiennent qu’un produit sans aucune valeur médicale ? Dans l’impossibilité, pour le public, de distinguer le mauvais quinquina du bon, ou de reconnaitre les préparations faites avec cette écorce si inférieure, nous conseillons aux malades qui peuvent le faire de ne prendre que des spécialités de premier ordre, telles que le vin de Quinium, le vin de Bellini. Ceux qui fabriquent des préparations si renommées sont des gens instruits, honnêtes, habiles, mais dont l’habileté consiste à faire tellement bien que personne ne puisse arriver à faire mieux qu’eux.
L’origine du vin de Bellini est assez curieuse. Bellini, le grand compositeur de musique, avait une santé très délicate. A bout de combinaisons, son médecin eut l’idée de faire venir du vin de Palerme, patrie de Bellini, espérant en faire la base de quelque préparation réconfortante. La racine de colombo, produit de l’île de Ceylan, était appréciée pour sa propriété d’être à la fois tonique , amère et non astringente, ce qui la rendait spécialement favorable aux intestins délicats. Ce sont les principes actifs de cette racine qui furent ajoutés au vin de Palerme, pour en augmenter le pouvoir réconfortant. Le maëstro se trouva bien du remède ainsi préparé ; mais l’expérience apprit bientôt que l’addition du quinquina royal améliorait encore les bons effets déjà obtenus, et c’est ainsi que fut trouvée la formule définitive du remède auquel Bellini dut le retour et la conservation de ses forces. Comme tout bon malade doit le faire, Bellini ne manqua pas de vanter son remède à ses amis ; on vint en demander au préparateur, et l’habitude fut bientôt prise de demander simplement du vin de Bellini. Tel est le point de départ de cette spécialité, dont la renommée est aujourd’hui si étendue.
C’est à bon droit que nous pouvons indiquer le vin de Bellini comme remplaçant notre vin cordial ; car, nous l’avons vu, dans l’établissement où il se fabrique, des celliers remplis de tonneaux de vin de Palerme arrivant de la Sicile ; nous avons admiré les beaux appareils à l’aide desquelles on extrait du colombo et du quinquina royal, achetés en grande masse, les principes que l’on ajoute au vin de Palerme ; nous avons mesuré du regard les immenses réservoirs dans lesquels le vin préparé séjourne pendant le temps nécessaire à sa clarification.
Propriétés – Ses propriétés sont les mêmes que celle du vin cordial. Elles sont assurément supérieures à celles de tous les vins de quinquina ordinaires qui ne sont pas préparés avec le quinquina royal vrai et riche et qui ne renferme pas de colombo. On peut donc employer le vin de Bellini toutes les fois qu »il y a lieu de fortifier l’estomac, l’intestin, ou bien une constitution délabrée par les maladies aigües, par les privations, par le séjour dans des contrées plus ou moins marécageuses.
Doses – Le vin de Bellini n’a pas besoin d’être pris en quantité aussi grande que le vin cordial. En général, il suffit d’en prendre deux ou trois cuillerées à bouche à la fois, soit pur, soit plutôt dans un demi verre d’eau. Pour les enfants, c’est assez d’une cuillerée à bouche plus ou moins remplie, selon l’âge ; mais, en définitive, comme il s’agit d’un remède simplement fortifiant et non dangereux, il ne faut pas trop se préoccuper de la quantité à prendre à chaque fois.
Heures – Les médecins conseillent de le prendre au commencement ou à la fin des repas ; mais nous croyons qu’il vaut encore mieux le prendre lorsque l’estomac est vide, comme le vin cordial… »
- Manuel de médecine, d’hygiène, de chirurgie et de pharmacie domestiques par Dehaut…24ème édition, Paris, chez l’auteur, 1902