Le terme Laudanum est mentionné, semble-t-il pour la première fois, au XVIe siècle, dans une œuvre de Paracelse à propos d’une composition à base d’or, de perles, d’asphalte, de fleurs d’antimoine, d’aloès et de myrrhe qui, selon son auteur, faisait merveille dans la dysenterie et les morsures d’animaux venimeux. Cet arcane justifiait son nom par ce qu’il se montrait supérieur à tous les autres, même chez les malades moribonds : laudanum vocatur arcanum nostrum quod omnia ista superat ubi in propinquo mors est (Chirurgia magna tract. III. De male curatis agris restituendis, lib. III). Dès lors on fut tenté de faire dériver le mot laudanum des participes laudatum ou laudandum, qui doit être loué.
Mais en fait d’étymologie, les lexicographes y voient plutôt une réfection du mot ladanum (ou labdanum) qui désigne une résine produite par divers Cistes méditerranéens. Il est probable que c’est la présence simultanée de ladanum et d’opium dans certaines compositions -comme il reste quelques exemples au début du XIXe siècle (onguent emplastique stomacal de tacamahaca. Virey, Traité de Pharmacie, 1819). – qui a permis, avec le passage de ladanum à laudanum, un glissement de sens et la conservation de ce nom pour des préparations exclusivement opiacées. Certaines d’entre elles s’approchent de la formule du Spécifique anodyn de Paracelse à base d’opium thébaïque, de sucs d’orange et de coing, de cannelle, de girofle et de safran, de musc, d’ambre, de corail et de perles. Ainsi, la postérité a fait un double emprunt à Paracelse : elle lui a pris le mot laudanum et l’a appliqué à la formule du spécifique anodin, anodin devant être pris ici au sens littéral de « qui supprime la douleur ».
En réalité, le même terme de laudanum désigne plusieurs préparations opiacées qu’il convient de distinguer :
1. Laudanum : opium purifié amené à consistance d’extrait.
Synonyme : laudanum opiatum, laudanum opiate, extrait d’opium, extrait thébaïque, opium purifié.
La purification de l’opium pouvait s’effectuer en la delayant simplement dans de l’eau, en passant avec expression et en concentrant le liquide par évaporation. Nicolas Lémery opérait une double extraction, aqueuse puis alcoolique (Cours de Chymie, 1675), façon de faire contestée par Baron, doyen de la Faculté de médecine de Paris, qui fera adopter dans la Pharmacopoea parisiensis de 1732, le traitement de la drogue par l’eau seule. Dans d’autre cas, l’extrait était obtenu en remplaçant l’eau par le vin blanc (laudanum opiatum) ou par du vinaigre (laudanum de Lalouette). L’extraction par ces divers solvants pouvait être précédée d’une torréfaction de l’opium destinée « à faire évaporer la malignité qui est dedans ». D’une consistance d’extrait ferme, ce laudanum, parfois appelé laudanum solide, s’administrait sous forme de pilules. Par dissolution dans de l’alcool, on obtenait le laudanum liquide, véritable teinture d’opium.
2. Laudanum de Sydenham : teinture d’opium vineuse safranée.
Synonyme : laudanum liquide (Pharmacopoea parisiensis 1732 et 1745) laudanum liquide de Sydenham, vin d’opium composé, oenolé d’opium et de safran composé, gouttes de Sydenham, vin d’opium parégorique, teinture anodine de Sydenham.
Le succès du Spécifique anodin de Paracelse incita de nombreux auteurs à en modifier la composition primitive pour y attacher leur nom, chacun s’efforçant d’associer à l’opium des substances susceptibles d’en corriger les effets indésirables et d’en renforcer l’efficacité. Ainsi, vit-on apparaître les laudanums de Quercetanus, de Crollius, de Mynsicht, de Zwinger, de Freitag, de Langelot etc… Jean de Renou avait recueilli trente formules de laudanum différentes par la nature et la dose des composants et Schröeder en proposant pas moins de quatorze dans sa pharmacopée (Pharmacopée raisonnée de Schroeder, commentée par Michel Ettmuller, Lyon, 1665). Cette multiplicité des formules, souvent complexes et parfois chaotiques, apportait plus d’inconvénients que d’avantages. L’illustre médecin anglais Thomas Sydenham, qui remit l’opium à l’honneur dans l’arsenal thérapeutique, indiquera une formule plus simple associant vin d’Espagne, opium, safran, poudre de cannelle, poudre de cannelle, poudre de clous de girofle qu’il utilisera lors des épidémies de dysenterie ayant sévies en Angleterre de 166ç à 1672 (Opera omnia, t. I, sectio IV, caput III). Avec beaucoup de modestie, Sydenham déclare que la préparation qu’il propose n’a pas de vertus qui puissent le faire préférer au laudanum solide des officines, mais qu’elle est simplement plus facile à manier et d’un dosage plus rigoureux. Sa formule sera largement adoptée et figurera longtemps inchangée à la pharmacopée française comme dans les formulaires à l’usage des hôpitaux militaires. Seul le Codex de 1908 apportera quelques modifications : remplacement du vin d’Espagne par de l’alcool à 30°, substitution des essences de cannelle et de girofle à la macération de ces simples ; on obtient ainsi la teinture d’opium safranée dont la teneur en morphine est de un pour cent.
3. Laudanum de Rousseau : teinture d’opium obtenue par fermentation.
Synonyme : vin d’opium par fermentation, opium de Rousseau, gouttes de Rousseau, hydromel fermenté de Rousseau.
La formule en est due à l’abbé Rousseau de Grangerouge, l’un des célèbres capucins du Louvre dont le laboratoire et les remèdes qui en sortaient avaient grande réputation au temps de Louis XIV. Pour le préparer, on faisait fermenter un mélange d’eau et de miel auquel on ajoutait l’opium délayé dans de l’eau. La fermentation achevée, une distillation permettrait d’obtenir un alcoolat d’odeur vireuse. Le résidu de la distillation, après filtration et évaporation à consistance sirupeuse, était mélangé à cet alcoolat, conduisant ainsi au « laudanum parfait » (Secrets et remèdes éprouvez dont les préparations ont été faites au Louvre, de l’ordre du Roy, par deffunt M. L’abbé Rousseau, cy-devant capucin et médecin de sa Majesté, avec plusieurs expériences nouvelles de physique er de médecine, 1697). Par la suite, on favorisa la fermentation du miel par addition de levure de bière et on supprima l’étape de distillation : Antoine Baumé proposa en effet de remplacer l’alcoolat d’odeur vireuse par de l’alcool ordinaire. Joseph Pelletier estimait que la vertu calmante du laudanum de Rousseau était due à sa faible teneur en narcotine (Journal de Pharmacie, 1821) ; en réalité, la concentration en opium était environ le double de celle du laudanum de Sydenham. Le laudanum de Rousseau restera inscrit à la pharmacopée française jusqu’en 1908. Malgré sa couleur brune très foncée, il ne doit pas être confondu avec les gouttes noires anglaises (Black drops, Quacker’s black drops, Lancaster drops) parfois nommées laudanum anglais, sorte de teinture acétique d’opium qui connut une certaine vogue au XIXe siècle.
4. Laudanum tutissimum : extrait thériacal alcoolique préparé à partir d’une thériaque récente. Nicolas Lémery lui préférait la thériaque en substance.
5. Laudanum urinarium: encore appelé laudanum diurétique, il renfermait notamment un extrait aqueux d’opium, du suc de réglisse, des trochisques d’alkékenge, de la térébenthine de Venise, du safran et du camphre. On l’utilisait dans les coliques néphrétiques et dans les affections douloureuses des voies urinaires.
6. Laudanum cydonié (ou laudanum cydonisé). la préparation de ce laudanum proposé par Van Helmont mettait en oeuvre de l’opium mis en digestion avec du suc de coing et additionné ensuite de cannelle, de girofle, et de muscade. il ne doit pas être confondu avec le laudanum de Langelot, dans la préparation duquel intervient également le suc de coing et dont Moyse Charas donne une bonne description dans sa Pharmacopée royale. Enfin, sans aucun rapport avec les préparations opiacées, l’expression laudanum minerale corrosivum constituait un des nombreux synonymes utilisés pour désigner le chlorure mercurique ou sublimé corrosif.
Guy Devaux. Dictionnaire d’Histoire de la Pharmacie, des origines à la fin du XIX° siècle, Olivier Lafont (sous la direction de), 2° édition, Pharmathèmes, 2007
Voir aussi :
Warolin Christian. La pharmacopée opiacée en France des origines au XIXe siècle . In: Revue d’histoire de la pharmacie, 97e année, N. 365, 2010. pp. 81-90.