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Histoire de la cocaïne

Cocaïne n.f. (encore appelé coca, mot espagnol répertorié dès 1568 et provenant de l’indien quechua).

 

File:Kokain - Cocaine.svg

La coca désigne aussi bien la feuille du cocaïer que la cocaïne qui en est extraite, de même que par le (ou la) coca, on nomme également le cocaïer ou cocalier. Alcaloïde pseudotropanique extrait des feuilles du cocaïer, Erythroxylum coca (Erythroxylaceae), petit arbre originaire des Andes péruviennes et boliviennes. La cocaïne, longtemps étudiée en thérapeutique comme anesthésique local, est aujourd’hui largement consommée comme drogue. Considérée comme stupéfiant, elle est à ce titre, prohibée.

L’usage des feuilles de coca est extrêmement ancien et était répandu dans les sociétés précolombiennes. Les feuilles servaient de plante médicinale, de drogue stimulante, d’objet rituel et de monnaie d’échange. Dans l’Empire Inca, seuls les dignitaires, les prêtres et certaines professions à risques ou pénibles pouvaient en consommer. l’emploi en fut signalé par les conquistadors espagnols, dès le début du XVIe siècle, et fut prohibé par l’Église qui jugeait la plante satanique. Toutefois, les Espagnols passèrent outre cette interdiction car ils comprirent vite l’intérêt qu’ils pouvaient tirer de ce psychostimulant et ils payèrent les mineurs andins avec des feuilles de coca, qu’ils mastiquaient contre la faim et la fatigue.

Nicolas Monardes rapporta les premières feuilles de coca en Espagne, en 1580 ; en 1750, un cocaïer fut ramené à Paris par Jussieu, et Lamarck, en 1786, le décrivit comme Erythroxylon coca, Erythroxylon signifiant « bois rouge », couleur de son écorce. C’est Albert Niemann qui, en 1860, isola la cocaïne des feuilles. Après sa disparition en 1861, c’est Wilhelm Lossen, autre élève de Friedrich Wöhler, qui en détermina la formule brute, confirmant ainsi qu’il s’agissait bien d’un alcaloïde. C’est Richard Willstätter qui précisa la constitution des alcaloïdes du coca en effectuant, en 1905, la synthèse partielle de la cocaïne et, en 1923, la synthèse totale.

L’obtention aisée du chlorhydrate de cocaïne et son injection par voie hypodermique, possible grâce à sa grande hydrosolubilité, ont largement contribué à la connaissance pharmacologique et à l’utilisation thérapeutique de l’alcaloïde, dès les années 1880. En 1879, von Arep montra que l’infiltration de cocaïne dans la peau exerce localement des effets « engourdissants » et abolit toute douleur. Il avait découvert l’anesthésie locale, mais malheureusement, il ne publia pas ses travaux. Sigmund Freud, futur père de la psychanalyse, ayant eu connaissance de ceux-ci, fit venir de chez Merck, en 1884, de la cocaïne, afin d’étudier plus directement ses effets physiologiques. Ayant remarqué que les cristaux de cocaïne déposés sur la langue la rendait insensible, ce qui allait dans le sens des résultats de von Arep, il chargea son ophtalmologue L. Königstein, un de ses amis, d’essayer sur l’oeil les propriétés anesthésiques de l’alcaloïde. mais ce fut un autre de ses amis, Carl Koller, également ophtalmologue, qui effectua les expériences décisives sur l’animal et qui, à la demande de Freud, mit à profit la cocaïne lors de l’opération du père de celui-ci atteint d’un glaucome. Koller passe, de fait, pour avoir découvert, 1884, l’anesthésie de surface par la cocaïne. La même année, W. Halsted réalisa la première anesthésie tronculaire et découvrit que la cocaïne bloquait la conduction sensitive. Par suite, la thérapeutique a largement utilisé l’alcaloïde comme anesthésique en ORL (mélange de Bonain), et en injections hypodermiques pour l’anesthésie chirurgicale locale.

En 1884, Freud préconisa la cocaïne dans les indications les plus diverses. il enregistra sur lui-même avec succès et sans toxicité notable, l’effet stimulant intellectuel et physique de l’alcaloïde pour des doses de l’ordre de 5cg, prises régulièrement. Suite aux travaux de Bentley (1878), il examina les possibilités d’utilisation potentielle comme antidote des opiacées. Ainsi, il la recommanda à son ami et collègue Ernest von Fleischl pour essayer de le désintoxiquer de la morphine qu’il prenait par obligation pour traiter les douleurs insupportables, consécutives à l’amputation d’une main. Au début, la cocaïne parut aider von Fleischl à sortir de sa morphinodépendance, mais très vite, elle se révéla être une nouvelle drogue. Fleischl devant en prendre jusqu’à 1 g par jour, accompagnant ces doses de morphine. Par suite, Freud fut rapidement conduit à s’interroger sur l’intérêt réel de la cocaïne en thérapeutique, d’autant qu’Albert Erlenmeyer publia, en 1885 et 1886, des articles mettant en garde contre la cocaïnomanie, « troisième fléau de l’humanité » après la morphine et l’alcool. L’emploi de la cocaïne comme antidote de la toxicomanie aux opiacées fut abandonné, mais la présence simultanée de morphine et de cocaïne se retrouve dans l’Élixir de Brompton, prescrit depuis les années 1890 dans les cas de grandes douleurs.

C’est comme anesthésique local que la cocaïne va être utilisée, concurrencée puis supplantée par l’apparition, au début du XXe siècle, de dérivés de synthèse comme la stovaïne et la novocaïne.

Signalons encore qu’en 1886, les propriétés psychostimulantes et toniques de la cocaïne furent ises à profit aux USA avec le Coca-cola, nom de marque que le pharmacien John Pemberton donna à son « French wine of coca ideal tonic », imitation du fameux vin Mariani, « vin tonique à la coca du Pérou », en vogue dès 1863 à Paris et mondialement connu. La formule princeps de Pemberton évolua : l’alcool fut remplacé par un extrait de noix de cola et l’eau plate par de l’eau gazeuse. Lorsqu’il y eut racaht par le pharmacien Asa Candler, celui-ci ajouta de l’extrait de caramel pour donner la coloration brun-clair, adopta la fameuse petite bouteille et, en 1892, créa la Coca-cola Company. En 1903, la cocaïne fut remplacée par la caféine.

Auteur : Claude Viel. Dictionnaire d’Histoire de la Pharmacie, des origines à la fin du XIX° siècle, Olivier Lafont (sous la direction de), 2° édition, Pharmathèmes, 2007

Voir aussi :

Faure Michel, Bailliart Jean-Pierre. Le centenaire de l’utilisation de la cocaïne et des anesthésiques locaux en ophtalmologie (1884-1984). In: Revue d’histoire de la pharmacie, 73ᵉ année, n°265, 1985. pp. 137-144.

www.persee.fr/doc/pharm_0035-2349_1985_num_73_265_2374

Fouassier Éric. Sherlock Holmes, Watson et la cocaïne. Une contribution littéraire à l’histoire des toxicomanies. In: Revue d’histoire de la pharmacie, 82ᵉ année, n°300, 1994. pp. 65-70.

www.persee.fr/doc/pharm_0035-2349_1994_num_82_300_3820

Helfand William H. À la poursuite du Vin Mariani. In: Revue d’histoire de la pharmacie, 76ᵉ année, n°277, 1988. pp. 167-170.

www.persee.fr/doc/pharm_0035-2349_1988_num_76_277_2952

 

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