Le professeur Émile Pierre Steimetz (1900-1990) :
de la micrographie à la mycologie, en passant par la microchimie
Les premières années et les études de pharmacie
Emile Steimetz naît le 11 avril 1900 à Apach, en Moselle annexée et contre la frontière avec l’Empire allemand, et son adolescence est marquée par la Première Guerre mondiale et les difficultés et privations qu’elle engendre, puisqu’il a quatorze ans quand elle débute. En novembre 1918, il passe à Thionville les examens de son Abitur, le baccalauréat allemand, le jour de l’arrivée des troupes françaises. Il commence alors à l’Ecole supérieure de pharmacie de Nancy, qu’il ne quittera plus, des études qui le conduisent au diplôme de pharmacien le 14 juin 1923. Au cours de sa scolarité, alors qu’il est étudiant de seconde année, en 1921, il est nommé « délégué préparateur » de matière médicale. Parallèlement, il obtient une mention honorable au prix de l’Université, ainsi que la médaille d’argent au prix des travaux pratiques de botanique de la Faculté. L’année suivante, en troisième année, trois médailles d’argent lui sont décernées : une pour le prix de l’Université et deux pour les prix de travaux pratiques, la première en micrographie, la seconde en toxicologie.
La carrière universitaire
C’est à compter du 1er novembre 1924, qu’en qualité de préparateur, il est chargé du service des travaux pratiques de micrographie où il est nommé chef de travaux titulaire le 1er novembre 1925. Il va le rester jusqu’à sa nomination au grade de maître de conférences en 1946. Mais pendant ces vingt années, il s’est passé beaucoup de choses… Emile Steimetz a obtenu à la Faculté des sciences les certificats d’études supérieures de botanique et de minéralogie, et, en 1937, année où il soutient sa thèse de doctorat ès-sciences naturelles, il est chargé du cours de minéralogie. La mobilisation de 1939 ayant entraîné le départ de nombreux professeurs et chefs de travaux, les enseignements sont partagés entre ceux qui ne sont pas mobilisés, et, le 2 avril 1940, il est chargé du cours de pharmacie galénique. Avec l’Occupation et la désorganisation des services d’enseignement, il est responsable d’autres enseignements pour des périodes qu’il est aujourd’hui difficile d’indiquer avec précision. Son dossier mentionne la botanique et la matière médicale, auxquelles la plaquette du centenaire de la Faculté ajoute la mycologie à partir de 1942, année de la mort du professeur Seyot, où il lui succède à la tête de la Société lorraine de mycologie.
Emile Steimetz est nommé maître de conférences de sciences naturelles le 1er janvier 1946. Ces enseignants de rang magistral sont chargés des suppléances et des cours complémentaires, et plus généralement des disciplines pour lesquelles il n’y a pas de chaire, et, de ce fait, l’intitulé de leur emploi est général (sciences physiques, naturelles, etc.). C’est ainsi qu’il va enseigner l’anatomie et la physiologie humaines de 1945 à 1971, en même temps que la mycologie… Il est nommé professeur sans chaire le 1er janvier 1951 et professeur titulaire à titre personnel le 1er janvier 1954. Admis à faire valoir ses droits à pension de retraite à compter du 11 avril 1971, il est chevalier de la Légion d’honneur, commandeur des Palmes académiques et chevalier du Mérite agricole.
L’inspection des pharmacies et la pharmacie hospitalière
Emile Steimetz est aussi inspecteur des pharmacies. En effet, avant 1941, il n’existe pas de corps de pharmaciens inspecteurs et ce sont les professeurs, les agrégés et les chefs de travaux qui exercent cette activité à temps partiel sous l’autorité du préfet et du doyen de la faculté ou du directeur de l’école qui les désignent annuellement, chacun d’eux étant généralement chargé d’un arrondissement. J’ai trouvé à plusieurs reprises la mention de M. Steimetz, mais il ne m’a pas été possible d’en savoir plus. J’émets l’hypothèse d’une fonction assez brève, un peu avant le Seconde Guerre mondiale et/ou à ses débuts.
Au cours de sa carrière, le professeur Steimetz a longtemps exercé une activité de pharmacien hospitalier. Lorsque la Maternité régionale Adolphe Pinard, rue Heydenreich à Nancy, devient complètement indépendante de la Maison de secours de la rue des Quatre-Eglises, un pharmacien-chef y est nommé. M. Steimetz exerce la fonction du 9 mars 1944 au 31 juillet 1971. Il assure également un bref intérim à l’Hôpital psychiatrique de Maréville (c’est le nom de l’époque) en 1950-1951.
La carrière scientifique
Emile Steimetz étant d’abord chef des travaux pratiques de micrographie, ses premières recherches sont consacrées à cette discipline. Il met au point un réactif destiné à l’analyse et à l’identification des coupes et des poudres végétales. Son travail est présenté au cours de la séance du 13 avril 1934 de la Société botanique de France, dont il est membre depuis 1932, et sa note paraît dans le Bulletin de la Société (« Réactif pratique pour l’analyse des coupes végétales », 1934, vol. 81, p. 296-297). Le réactif réunit huit composants. Après 30 secondes de contact sur une lamelle, l’observation au microscope permet, selon les couleurs, d’étudier les poudres, les farines, les aliments, les textiles, le bois, la pâte à papier, des produits biologiques, etc. Il est donc utile au pharmacien, au botaniste et aux experts chimistes. M. Steimetz poursuit ses recherches sur ce thème. En 1960, pour des raisons de stabilité, le réactif est modifié et divisé en deux solutions, St1 et St2, et ces dénominations sont à l’origine de l’affectueux surnom qui a servi pendant des décennies à désigner le professeur Steimetz.
Dans les mêmes années et partant du même concept, il met au point une micro-méthode permettant l’identification systématique des substances, sous microscope, à l’aide de quelques gouttes d’un ensemble d’une vingtaine de réactifs, répartis en quatre groupes, chacune des solutions comportant entre un et quatre composants. Les manipulations sont présentées dans un tableau récapitulatif très complet, et permettent l’analyse d’un mélange de sels, mais aussi de végétaux et de produits biologiques. Elles ne demandent que peu de matériel, d’échantillon, de réactif et de temps (environ cinq minutes) et sont simples et sûres. Ce travail, dont la réalisation a dû être très ardue, constitue le sujet de la thèse de doctorat ès-sciences naturelles d’Emile Steimetz dont le titre est « Essai de systématisation de l’analyse qualitative microchimique ». Les « questions posées par le jury », c’est-à-dire la seconde thèse, portent sur « L’étude microscopique des graines ».
La thèse principale est publiée la même année, avec le même titre et le même nombre de pages (184), sous la forme d’un livre imprimé par la Société d’impressions typographiques de Nancy. L’année suivante, 1938, plusieurs publications font suite à la note de 1934 et à la thèse : « Analyse des poudres végétales » dans le Bulletin des étudiants en pharmacie, et « Etude microscopique des graines » au congrès des sociétés savantes de l’Est. Pierre Chavot soutient une thèse de doctorat d’Université intitulée « Nouvelle méthode d’analyse des poudres végétales ».
Poursuivant dans cette voie, M. Steimetz développe sa méthode pour l’adapter à la détermination et à la vérification de l’identité des produits chimiques, galéniques, pharmaceutiques, physiologiques et même pathologiques comme les calculs. Les procédures ne sont pas identiques. L’identification nécessite de suivre des tableaux d’analyse présentés dans un ouvrage, « Caractérisation microscopique systématique des produits chimiques organiques et minéraux », réalisé à l’imprimerie Loos de Saint-Dié, dans les Vosges, qui paraît en 1952. Pour la vérification, il met au point un coffret de vingt-cinq réactifs adaptés à cet usage et accompagnés de fiches techniques. Une nouvelle méthode, avec un coffret de réactifs plus important, au nombre de trente-et-un, est présentée en 1964. Ce sont les Laboratoires Fandre de Nancy qui en assurent la commercialisation jusque dans la décennie 1980-1990.
La mycologie
Si nous ignorons à quel moment précis Emile Steimetz s’est intéressé aux champignons, nous savons par contre qu’il est un habitué des sorties de la Société lorraine de mycologie dont il est membre depuis 1924, et qu’il est présent en 1932 lors de la session annuelle de la Société mycologique de France, qui se tient en Lorraine, à Nancy et à Metz entre autres, du 26 septembre au 2 octobre.
Il succède en 1942 au doyen Seyot, décédé au cours de l’année, à la présidence de la société, et il réussit en 1943 à réaliser une exposition de champignons dans les locaux de la Faculté de pharmacie, rue de la Ravinelle à Nancy. En 1946, il relance l’activité de la société avec la convocation d’une assemblée générale et l’organisation de trois expositions qui ont lieu à Nancy, à Metz et à Joeuf. Dès lors le professeur Steimetz va beaucoup se dépenser en expositions, excursions printanières et automnales, rencontres et causeries dans toute la région. Le cours public de mycologie a lieu dans un amphithéâtre de la Faculté, le samedi à 17 heures, chaque année de fin octobre à début mars. Les lundis soirs, le public peut soumettre sa cueillette dominicale à l’examen du professeur ; il peut aussi la déposer au concierge qui la lui transmet.
C’est dans la même démarche que celle de sa thèse que s’inscrit la réflexion qui le conduit à définir une méthode systématisée de détermination des champignons au moyen de leurs caractères morphologiques différentiels. C’est ainsi qu’il rédige son « Manuel de détermination des champignons supérieurs », contenant des illustrations et des tableaux constitués de clés dichotomiques. L’ouvrage est imprimé chez Loos et connaît quatre éditions dont les années sont difficiles à préciser car plusieurs ne sont pas datées. La première, de 149 pages, me semble de 1952 ; la seconde de 1957 ; la troisième, de 156 pages, de 1968. Pour la dernière, je suis dans l’ignorance. L’espèce mycologique étudiée est confrontée aux autres champignons, d’abord les mortels, puis éventuellement les toxiques, afin d’éviter les risques d’intoxication. L’auteur en arrive donc peu à peu à préconiser l’examen microscopique pour rendre l’identification plus sûre, et sa réflexion débouche sur la réalisation d’un coffret de réactifs destinés aux examens macro- et microchimiques des champignons.
Les expositions méritent un développement. Il faut citer en premier lieu la « grande exposition annuelle » qui se tient à Nancy dans les halls de la Faculté pendant plusieurs jours, avec séances d’identification, présentation de diaporamas et exposition de panneaux d’enseignement. Ces journées sont destinées au public, mais aussi bien sûr aux étudiants, ainsi qu’aux enfants des écoles proches qui y viennent avec leurs instituteurs et institutrices. Pour cela, un groupe de membres de la société s’affaire autour du professeur… Viennent ensuite les expositions organisées dans la région par les mycologues et mycophages, souvent membres de la société, non moins souvent pharmaciens de ces lieux et élèves du Maître. En 1974, les statuts de la société sont modifiés mais le professeur Steimetz en reste le président. L’équipe remaniée crée un « Brevet de mycologie » à deux degrés. Mais le second, très ambitieux et peut-être trop scolaire, ne rencontre pas un grand succès… C’est aussi au cours de ces années que le cours public se dédouble avec la création d’un cycle qui est professé dans le Grand grenier des Récollets à Metz à partir de 1973. C’est le 15 décembre 1979 qu’il remet son mandat de président et devient président d’honneur après avoir consacré l’essentiel de sa vie à ses chers champignons… En effet, presque au terme de sa longue et riche carrière, et encore dans le même esprit, il essaie de découvrir des approches originales permettant la détermination de genres complexes. Mais il ne va pas au bout pour cause de maladie, et il disparaît le 14 mai 1990.
La micrographie, l’analyse microchimique et la mycologie, tels sont les « fils conducteurs » de la vie professionnelle de cet homme de cœur extrêmement compétent, mais aussi disponible, affable et cordial, que fut le professeur Emile Steimetz pour tous ses élèves et pour ceux qui l’ont connu et approché.
Pierre Labrude, décembre 2018