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La mandragore, racine hantée

 La Mandragore, racine hantée qui protège et qui tue

   L’histoire de la Mandragore débute avec la Genèse. Si l’on en croit les Kabbalistes, l’origine de cette plante mystérieuse remonte bien avant le Déluge. Les Mandragores, selon eux, sont les fruits de la solitude d’Adam. Le premier homme, avant la création de sa compagne. Le premier homme, avant la création de sa compagne, étendu sous l’Arbre de la Science du Bien et du Mal, mollement caressé par les vents chargés de effluves d’une nature en plein essor génésique, sentait sourdre dans son sommeil un trouble causé par l’attente et le désir de la femme. Et au cours de ses songes, il perdait sa semence qui fertilisait le sol. Une autre origine proposée dans l’Antiquité et au Moyen-âge est liée aux pendus. Selon Laurens Catelan, maître apothicaire de la Faculté de Montpellier, par exemple, « les Mandragores ne s’obtiennent pas par la voie de transplantation ou de graine, mais du sperme des hommes pendus aux gibets ou écrasés sur les roues qui, se liquéfiants et coulant avec la graisse et tombant goutte à goutte dans la terre déjà grasse et onctueuse par la fréquence des corps pendus, produit ainsi cette plante, le sperme de l’homme faisant effet et office de graine ». On voit donc que cette plante de la famille des Solanacées et dont la racine a une forme humaine a suscité les histoires les plus extraordinaires.

D’après la Bible, nos ancêtres utilisèrent la Mandragore que ses vertus aphrodisiaques et fécondantes faisaient appeler dudhaïm (de la racine hébraïque : Dud : aimer). Deux mille ans avant notre ère, les Chaldéens se servaient de la Mandragore qu’ils désignaient sous le nom de Yabinhin, pour provoquer l’extase chez les adeptes lors des cérémonies d’initiation. A l’époque gréco-latine, les mentions des effets thérapeutiques de la Mandragore ne manquent pas. Pindare, Socrate, Xenophon, et Platon ont fait allusion à son action soporifique. Hippocrate a longuement disserté sur son usage pour guérir le tétanos, pour la fièvre quarte, ou encore pour l’usage externe contre les hémorroïdes, par exemple. Théophraste (372-287 av. J.-C.) affirme que ceux qui cueillent cette plante doivent prendre certaines précautions : « Qu’ils se gardent, dit-il, d’avoir le vent en face et, préliminairement, qu’ils décrivent trois cercles autour de la plante avec une épée, puis qu’ils l’arrachent en se tournant vers le couchant. Il faut, en outre, qu’il y ait quelqu’un qui aille dansant à l’entour en chantant des refrains grivois ».

Après les Grecs, les Romains l’adoptèrent d’enthousiasme. Cornelius Celsus, contemporain de César Auguste, donne, dans le De Arte Medica, quelques procédés optima d’utilisation de la plante : il conseille à ceux qui font de l’insomnie de placer sous leur oreiller quelques baies de Mandragore. Pline et Dioscoride reprennent l’argumentation de leurs prédécesseurs. Pline ajoute que ceux qui prennent cette drogue mal à propos deviennent muets pendant un certain temps et que si la dose est trop forte, ils meurent inévitablement. Polyaenus, écrivain militaire grec du 1e siècle, mentionne le stratagème utilisé par le général carthaginois Himilcon pour venir à bout des troupes de Denis de Syracuse qui l’assiégeaient : Himilcon se retira avec ses soldats à l’abri des remparts après avoir abandonné des outres remplies de vin généreux, dans lequel avaient macéré des Mandragores. Ses ennemis, imprudents, burent ce breuvage et s’endormirent profondément. Ils furent tous exterminés par les Carthaginois. Enfin, Galien déclare que l’écorce des racines, associée à la myrrhe, la casse, le cèdre, le poivre, le safran et les semences de jusquiame, calme les douleurs de n’importe quelle partie du corps et qu’elle qu’en soit l’origine.

Au Moyen-âge, la Mandragore continua a être utilisée larga manu comme médicament et connut surtout une vogue inouïe du fait que les Théurges, Mages et autres Alchimistes cherchèrent à déceler et à mettre en valeur ses vertus surnaturelles. Le grand rêve du du sorcier médiéval, au milieu de ses cornues enfumées par la flamme spagyrique, était moins de découvrir le secret de la transmutation des métaux que de créer de la vie en partant de l’inanimé. La Mandragore, avec racine à forme anthropoïde, était toute indiquée pour servir de base à des expériences de ce genre. Ste Hildegarde de Bingen, abbesse bénédictine du XIIe siècle, n’affirma-t-elle pas : « La Mandragore, de forme humaine, est constituée de la terre dont fut pétri le premier homme d’où elle est plus exposée que toutes les autres plantes aux tentations du Démon. Celui qui souffre doit prendre une racine de Mandragore, la laver soigneusement, en mettre dans son lit et réciter la prière suivante : Mon Dieu, toi qui de l’argile a créé l’homme sans douleur, considère que je place près de moi la même terre qui n’a pas encore péché, afin que ma chair criminelle obtienne cette paix qu’elle possédait tout d’abord ». L’usage de la Mandragore va se poursuivre au XIVe, XVe et XVIe siècles. A la fin du XVIIe siècle et au début du XVIIIe, les avis étaient très partagés au sujet des vertus de la plante. Son administration par voie orale était quasiment abandonnée. Nicolas Lémery, dans son Traité Universel des drogues simples (1738), utilisait la Mandragore dans une huile propre « à tempérer et adoucir les inflammations, à modérer les douleurs… ». Il fait aussi entrer la plante dans l’onguent populeum qui avait des vertus somnifère et propre à calmer le mouvement des esprits. Au XIXe siècle, il y eut quelques praticiens pour soutenir la cause de la Mandragore, comme Jourdan, dans sa Pharmacopée Universelle (1828) ou Dauriol (1847) par exemple.

Un folklore aussi riche que celui de la Mandragore ne pouvait manquer d’inspirer les écrivains, poètes, romanciers et auteurs dramatiques. Ils seront nombreux à s’en inspirer y compris jusqu’à nos jours !

 

Source : Louis TERCINET. Mandragore, racine hantée… qui protège et qui tue, Novembre 1948, Imp. du service du matériel de la sureté nationale, Lille.

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