Pharmacie et poésie (1)

 Exposition temporaire :

Pharmacie et poésie
(Illustrations de l’ouvrage de L.-G. Toraude, les Galéniennes, 1919)

 

La pharmacie et la poésie ont souvent été associées dans l’histoire. Cette exposition en trois étapes va le montrer. Cette tradition s’est poursuivie jusqu’au XX° siècle et nous avons choisi d’illustrer cette exposition avec les dessins parus dans l’ouvrage de L.-G. Toraude, les Galéniennes, paru en 1919 chez Vigot Frères.

1° partie : la pharmacie et les poètes au temps de Ronsard
2° partie La pharmacie et les poètes sous Henri IV
3° partie : la pharmacie et les poètes sous Louis XIII et Louis XIV

 

1° partie : La pharmacie et les poètes au temps de Ronsard
(D’après un texte d’E.- H. Guitard, 1937)

Promptuaire de Lespleigney

Parmi les poètes pharmaciens de la Renaissance, il faut mentionner Thibaut Lespleigney. Né à Vendôme, il exerça la pharmacie dans l’armée de François Ier guerroyant en Italie, puis dans la ville de Tours, enfin à Genève où il avait dû se réfugier après sa conversion au protestantisme. Son poème français, le Promptuaire, imprimé en 1537 et réédité par Dorveaux en 1899, n’est pas seulement une pharmacopée versifiée. C’est une œuvre vivante, précédée d’un rondeau et couronnée par une ballade, l’un et l’autre dédiés à Notre-Dame. Il y raconte ses mésaventures en Italie comme pourvoyeur de médicaments et « marchand de figues ». Dans le chapitre consacré à l’ellébore, il indique un bon tour à faire :

Quand tu seras en compagnie,
Si quelqu’un s’endort d’aventure,
Prens de la drogue toute pure
Et qu’elle soit en pouldre fine.
…Metz la pouldre subtilement
En son naiz, puys soudainement
Ouste toy, Tantoust remuer
Le voirras, et esternuer
Cinquante foys d’une sequelle :
« …Hat’the hot ! Maudit soit le fol !
« Hat’the hot ! Voz fiebvres quartaines
« Hat’the hot ! vous serrent les veines ! »
Lors, chacun, de luy sorira…

C’est dans les termes les plus affectueux que Lespleigney avait dédié son charmant Promptuaire à ses confrères Tourangeaux :

 

A vous (mes frères de Tours appoticaires,
…Pharmacopoles et bon aromataires).
Salut et joye soit en prosperité…
… Vous trouverez quelques joieuses fables,
Car la matière est de triste propos.
… Elles serviront à l’esprit d’interpos
En luy rendant gracieuse liesse
Quand quelque ennuy luy aura faict impos.

Jacques Grévin

Plus jeune que Lespleigney, Jacques Grévin, né à Clermont-en-Beauvaisis en 1538, embrassa comme lui la religion réformée et dut quitter la France pour se réfugier à Turin, à la cour de Marguerite de Savoie. Il n’est pas apothicaire, mais médecin et par-dessus tout homme de lettres. Il se lie d’amitié puis se brouille avec Ronsard. C’est par sa charmante traduction en vers français des œuvres d’Alexandrin Nicandre qu’il appartient à l’histoire de la pharmacie. Ce poème « Les Thériaques » fut édité à Anvers en 1567 :

Cher Hermesianax, perle de mon lignage
Je veus soigneusement te présenter l’image
Et le danger mortel avec la guérison
Des bestes qui soudain blessent de leur poison,
Car, ayant bien appris à guérir leur nuisance,
Le laboureur euvrant t’aura en reverance,
Le bocheron aussi et le bouvier, alors
Que d’une dent mortelle ils se sentiront morts.

 

Illustration de la Chimie Organique (Les Galéniennes, 1919)

Mais Lespleigney eut un concurrent qui n’était autre que son gendre, René Bretonnayau. Né à Vernantes, en Anjou, ce Bretonnayau exerça la médecine à Loches, se fit huguenot et épousa Jeanne Lespleigney vers 1565. Il eut l’ambition d’écrire, sous le titre d’Esculape, le poème mondial de l’art de guérir. Malheureusement, son œuvre était si formidable qu’il ne put en faire imprimer que des bribes, en l’an de grâce 1583. Un peu effrayants, les tires de ses chapitres et surtout l’ordre dans lequel ils se succèdent : La génération de l’homme – Le Temple de l’Ame – La fabrique de loeil – Le cœur ou le soleil du petit monde – Le phrénétique et sa cure – Le mélancolique et sa cure – La colique et sa cure – La cosmotique – Le singe… Bretonnayau descend fréquemment des hauteurs de la philosophie pour détailler – en vers – de prosaïques recettes. Savourez sa « cosmotique » :

Que ton poil ne grisonne empecscher si tu veux,
Et vieillard maintenir l’honneur de tes cheveux,
Puisque rongner ne puis l’èle du temps volage,
Enduys-les, barbe et tout, de l’olive sauvage,
Ou d’un jeune chien arrose-les de l’eau.

Dédicace invocatoire. Pour soulager mon coeur, je viens te faire part… Composition de A. Bonamy, « Les galéniennes », par Toraude, 1919

Les dépilatoires qu’il décrit ensuite ne sont pas plus délicieux :

Enduy, frotte et refrotte et sus la place mets
Du chat l’ordre fiente en poussière réduite.

Tous nos médecins ou pharmaciens poètes du XVI° siècle (il faudrait faire entrer Rabelais, faux prosateur dans leur bande truculente) disent tout, racontent tout, le beau et le laid, le gai et le triste, et cela parce que leur grand inspiratrice est celle qui contient tout, la Nature, qu’ils ont aimée avec frénésie.

 

 

SUITE DE L’EXPOSITION

Signé : Docteur Ox (E.-H. Guitard, Les Annales Coopératives Pharmaceutiques, Novembre 1937)

Tags: No tags

Comments are closed.