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Ex-libris pharmaceutiques (XVIIe – XXe siècles)

Exposition temporaire :
Ex-libris pharmaceutiques
(XVIIe – XXe siècles)

 

« Ex-Libris, mot latin signifiant entre les livres. Formule qu’on inscrit sur ses livres en l’accompagnant de son nom, de ses initiales, ou de tout autre signe personnel pour souligner sa possession. Vignette destinées à cet usage »1. Un ex-libris est donc une marque de propriété d’un livre : un exemple est donné ici pour ouvrir l’exposition avec l’ex-libris de Maurice Bouvet, grand collectionneur de livres et historien de la pharmacie. Nous allons donc parcourir quelques exemples d’ex-libris pharmaceutique à partir des articles parus dans la revue d’Histoire de la pharmacie et également des articles publiés par Henry-André Taupin3 dans les « Annales Coopératives Pharmaceutiques » en 19292.

Le plus ancien des ex-libris que l’on connaisse est celui de la bibliothèque d’Aménophis III, qui date d’environ 1400 av. J.-C. Cette marque consiste en une petite plaque d’un genre de faïence égyptienne et se trouvait fixé sur une boite à papyrus. Au XVIe siècle, on inventa l’ex-libris gravé au fer sur la reliure. Des gens titrés firent établir des fers qui leur permettaient d’incruster leur blason doré. Mais la dorure au fer est longue et coûteuse. un bibliophile économe du temps de Louis XIV eut l’idée de faire établir des étiquettes à ses armes et de les coller sur la première page de garde de ses volumes. L’idée fit son chemin puisqu’on estimait en 1908 à près de 100.000 les ex-libris gravés sur papier. Pour en venir à l’aspect pharmaceutiques, rares sont les ex-libris de pharmaciens appartenant au XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles. Au cours du XIXe siècle même, ils ne sont pas très nombreux.

 
  A la fin du XVIIe siècle, il existe un bel ex-libris de Mathieu-François Geoffroy (dont voit ici une variante), où l’on peut trouver les constituants classique d’un ex-libris. Ce sont d’abord les armoiries du possesseur de l’ex-libris et sa devise : Turris fortissima Deus; puis la légende : Matthaeus Franciscus Geoffroy Pharmacopocorum Parisiensium antiquor Praefectus, Edilis et Consul; enfin, une allégorie spirituelle, allusion à la profession et aux charges du propriétaire. Deux petits génies sont en regard aux deux côtés des armoiries : l’un représente la Pharmacie; il tient des balances, indiquant ainsi qu’il s’applique à remplir la mission qui lui est départie : Lances et pondera servant.

L’autre génie figure la Médecine : il est assis sur une jonchée de plantes; autour de lui, des livres de science ;

il tient de la main gauche le bâton d’Esculape, et, de sa dextre, il fait signe à son compagnon, l’apothicaire. Cette composition est d’un maître du genre, S. (Sébastien) le Clerc invenit (C. Duflos sculpsit).

Goeffroy était en effet proche de nombreux artiste dont Leclerc qui réalisa le dessin d’après le quel Duflos avait gravé les armoiries.

La variante de l’ex-libris de Geoffroy que nous voyons ici se distingue surtout par le piédouche, base de l’écusson, qui porte une draperie sur laquelle se déroule la légende reproduite aussi sur l’autre ex-libris.
Au XVIIIe siècle,on peut voir l’ex-libris de Louis-Claude Cadet qui étudia la pharmacie chez Geoffroy  et devint pharmacien en chef des Invalides. Sa marque de bibliothèque est timbrée des armes royales; au dessous de celles-ci s’inscrit , sur une draperie, la légende Ex-libris Ludovici Claudii Cadet, castrorum Regis et exercituum antea Pharmacopoei Primarii e Regia Scientiarum Academia, etc. Cette légende n’explique pas la présence des armes de France. C’est peut être associé au fait que Charles Louis Cadet de Gassicourt, , fils légitime de Louis-Claude, était en fait le fils de Louis XV, la particule de Gassicourt ayant été octroyée à Louis-Claude par le roi.  

Parmi les autres exemples du XVIIIe siècle, on peut citer l’ex-libris de l’apothicaire Méraise, sous le règne de Louis XVI. Toutes les productions de l’époque ont un aspect agréable et bien français. L’apothicaire Méraise se compose des armoiries en faisant emprunt aux trois règnes de la nature et s’octroie sans vergogne une couronne comtale. La guirlande en chute entourant la cartouche donne assez l’impression des bouquets de feuilles pharmaceutiques faisant pendentifs dans les anciennes pharmacopées. L’inscription gravée à l’envers : Méraise, apoticaire à l’Hotel-Dieu est, sinon pratique, du moins très originale.
 

Un autre ex-libris remarquable à la fin du XVIIIe siècle est celui de Remi Willemet, composé par Collin, « graveur du feu roi de Pologne », ainsi qu’il est indiqué sous sa signature, auteur d’un grand nombre d’ex-libris. Remi Willemet, né en 1735, était maître apothicaire et botaniqte et appartenait à une famille d’origine suédoise. L’ex-libris de Remi Willemet représente un médaillon ovale. Il y figure un serpent surmonté des mots Vigilate timentes. Autour de nombreux ustensiles de la profession, plus l’encrier et les livres devant rappeler les ouvrages de Willemet. Il existe un second état de cet ex-libris où, à la suite de l’inscription Bibliothèque de R. Willemet Maître-apothicaire à Nancy, on y lit : Démonstrateur Royal de Chimie et de Botanique au Collège de Médecine.

 Pour terminet la période qui clos le XVIIIe siècle, il faut regarder les ex-libris de Pierre Boyveau-Laffecteur (1750 ?-1812) qui les utilisa successivement.  L’un et l’autre comportent les armes parfaites avec une fontaine dans laquelle vboit un veau (Boyveau); sur la pierre, se trouve l’écu aux armes d’argent à une cigogne du même tenant en son bec un rameau d’origan. Le premier de ces  ex-libris est antérieur à la Révolution : il porte une couronne à onze perles, imitant à s’y méprendre une couronne comtale; le second, postérieur à la Terreur, montre un énorme bonnet phrygien à la place de la couronne.

 

 

 

 

 

L’ex-libris de H. Boissenot est typique de la période de la Restauration. on voit poindre le romantisme et aussi l’ésotérisme, les produits qui viennent de loin et aux vertus mirifiques. Deux « sauvages » se montrent à nous,bien emplumés et armés, l’un sur un lion, l’autre sur un crocodile. Des plamiers chargés de fruits leur prêtent leur ombrage. En haut, ce sont des armoiries qui portent d’aregnt au chevron d’azur chargé de la croix de la Légion d’honneur et accompagné en chef de deux étoiled d’argent et en pointe d’un arbre autour duquel est entouré un serpent.
 

A la fin du XIXe siècle et au XXe siècle, plusieurs pharmaciens vont avoir un ex-libris. Sans compter celui de Maurice Bouvet que nous avons vu au début de cette exposition, l’usage s’est répandu chez plusieurs pharmaciens.Un premier exemple nous est donné par le Professeur Gueguen, né  en 1872. Pharmacien en 1898, il devient professeur agrégé à l’Ecole supérieure de pharmacie de Paris en 1904 et se spécialise en botanique et plus spécialement encore en mycologie. Son ex-libris est résolument moderne sans reminiscence des anciennes allégories, foin du caducée, de son miroir et de ses serpents. plus de coq ni de coupe de poison ! La devise « Rien sans preuve » est surmontée par la Nature qui brandit une torche illuminant, guidant et découvrant aussi, mais détruisant les vieux restes des préjugés. La série des cryptogrames représentés évoque évoque des travaux ayant portés surtout sur l’anatomie comparées des végétaux et la biologie des champignons. Une grande algue, une laminaire, forme les initiales F.G. tout en encadrant la composition. La branche de gui et la mer sont souvenirs du pays natal : le professeur Gueguen était Breton.

  

 

Un autre ex-libris qui fait, lui, le lien entre la tradition et la modernité, c’est l’ex-libris Debacq. La devise Veterum reliquias servare decet 5il convient de conserver les reliques des ancêtres) est l’hommage aux savants d’autrefois. M. Debacq était en effet collectionneur de livres anciens et de pots de pharmacie. L’ex-libris reproduit en motif central l’un de ces vases ayant contenu la fameuse thériaque.

A droite de la composition est allégorisée l’ancienne pharmacie portant d’un côté une jonchée de fleurs officinales, cependant que de la dextre elle maintient une tablette où figurent les noms de ses plus illustres fils de Nicolas Houel à Hilaire-Marin Rouelle. 

La pharmacie moderne, placée à l’opposée, tient dans sa main droite un tube à essais, symbolisant la chimie biologique, et s’appuie de l’autre sur une seconde tablettre consacrée, cemme-ci, au rappel des maîtres modernes , de Bayen à Guignard. Placées en cimier, dominent les armoiries de l’ancienne corporation des Marchands espiciers et appoticaires de Paris, 1629. 

La marque de propriété, dans cet ex-libris, est accusée, dans la base de la composition, formant terrasse, par un grand D et par deux serpents figurants deux L affrontés (Louis Debacq)   

 
Parmi les ex-libris du XXe siècle, on peut noter les deux réalisés par Henry-André Taupin pour M. Ferdinand Bargallé. Le premier ex-libris, sur la gauche, date de 1895. Y apparaissent les initiales F.B. et le nom même du possesseur, inscrit dans la lettre B (L’accent sur le o rappelle une origine espagnole). Le bibliophile Bargallé a choisit sa devise : In malis venenum. In mediocribus somnus. In egregiis solanem !Un serpent se dresse au dessus d’une coupe ; ce sont les emblèmes de la pharmacie, c’est aussi le rappel du venenum de la devise (In malis venenum)/ Le grand pavot qui incline sa grâce au centre de l’ex-libris figure la botanique. c’est aussi elle qui donne le sommeilLe second ex-libris est également intéressant avec l’illustration d’un tercet : De tous j’accueille, Pour tous j’effueille, Partout, je cueille.  
Henry-André Taupin a créé en 1929 cet autre ex-libris pour Louis Gineste, pharmacien à Saint-Céré, dans le Lot. Voic la description qu’il en fait dans les Annales Coopératives Pharmaceutiques cette année là : « Vous vous appliquez à déchiffrer la marque intellectuelle, qui vous exprime tout d’abord sa nette et noble devise : Scientiae, Artis Agrorum, cultus et amor  (De la science, De l’Rrt, Des champs, le culte et l’amour : Cultus a deux sens culte et culture) qui montre que Mr Gineste est un ami des sciences et des arts, de même un passionné d’agronomie. La présence des deux plantes médicinales, Papaver somniferum et Digitalis purpura, révèle que le propriétaire est pharmacien, renseignement renforcé par les emblèmes dominant la compositio, coupe  et serpents, flanqués d’un microscope et d’un mortier. Au centre de l’ex-libris, deux écussons dont l’un, celui de droite, offre en chef les armoiries de la corporation des apothicaires d’antan… Les genêts du premier plan sont allusifs au nom de Gineste et donnent très probablement l’origine ».
Autre ex-libris à signaler, celui de M.L. Toraude qui fut l’un des membres éminents de la Société d’Histoire de la Pharmacie. Voici ce qu’il dit lui-même de son ex-libris : »Je suis un maistre apothicaire d’autrefois, né par erreur au XIXe siècle, en Anjou (France). Signe distinctif : Officier de la Légion d’honneur, et Officier de l’Instruction publique, comme tout le monde. Mon ex-libris représente mon auteur préféré, V. Hugo, en profil de trois quarts à gauche, – le front, – ce vaste front, – remplissant sa main droite, tandis que la gauche se repose sur le volume des Quatre vents de l’Esprit.En exergue, les mots de saint Thomas d’Aquin : Timeo hominem unius libri (je crains l’homme d’un seul livre… »Cet ex-libris est l’oeuvre deGeorges Grellet
 Plus proche de nous, le laboratoire de Pharmacie chimique de la Faculté de Pharmacie de Bordeaux publia en 1977 son ex-libris dans la Revue d’Histoire de la Pharmacie (n°233).

Inspiré de l’emblème de la Fédération européenne de Chimie thérapeutique, son graphisme recouvre tout un symbolisme. « Les activités du Laboratoire relèvent, en effet, de la pharmacie chimique proprement dite et de la chimie thérapeutique, disciplines dont l’objet est respectivement l’étude des substances chimiques utilisées en thérapeutique et la création par la synthèse de molécules médicamenteuses nouvelles. C’est un peu tout cela que suggère le serpent stylisé qui figure sur la vignette. Chargé du vert de l’espérance, il symbolise la thérapeutique, tout comme celui qui entoure le bâton d’Esculape ou qui accompagne la coupe d’Hygie. Hexagone à l’intérieur, il évoque à la fois la notion de « substance chimique » et celle de « synthèse, rappelalnt aussi bien le benzène et la série aromatique , que les ballons, cornues et réacteurs du chimiste organicien. Les hachures verticales représentent le « tamis » de l’analyse immédiate et celui du tri pharmacologique auqel sont soumises les molécules synthétisées.
On remarque enfin que ce serpent ne se mord pas la queue : ce n’est pas un ouroboros, symbole de la vie éternelle et de l’incessant recommencement de l’univers : la recherche thérapeutique ne doit pas tourner en rond, mais rester ouverte, le médicament ne pouvant toutefois que retarder la mort biologique : quel que soit le succès de ses découvertes, l’homme doit rester lucide et conscient de sa condition »4

 

La même année 1977, la Revue d’Histoire de la Pharmacie publie l’ex-libris de Marcel Marcot, de Besançon, alors président du Conseil régional de l’Ordre des pharmaciens. Voici la description qu’il en fit dans notre Revue : »Cet ex-libris est l’oeuvre de l’artiste Jean-Luc Michaud. Nous sommes partis de l’emblème officiel de la pharmacie. Nous avons séparé la coupe du serpent. la coupe est devenue un vase dans lequel sont placées des plantes médicinales – on reconnait l’aconit et la belladone. Quant au serpent, il se transforme en serpentin de laboratoire et engendre un appareillage compliqué symbolisant la chimie. l’ensemble représente donc à la fois la pharmacie, la chimie et la matière médicale, qui sont à l’origine de tous les médicaments ».
 Pour terminer cette exposition sur les ex-libris, voici ci-dessous une série d’entre eux publiés par notre Revue en 1978, dont la plupart sont dus à Robert Cami (1900-1975). originaire de Bordeaux, Grand Prix de Rome de gravure en 1928, ce ramarquable artiste, qui enseigna la gravure pendant dix ans à l’Ecole des Beaux-Arts de sa ville natale et qui fut rapidement consacré par la capitale, est considéré à juste titre comme l’un des meilleurs graveurs de sa génération. « Pour Jean Cartier et Pierre Parroche, Robert Cami a exécuté des bois gravés. La carrière à la fois militaire et pharmaceutique du premier, pharmacien-colonel et longtemps membre assidu de la Société de Pharmacie de Bordeaux, est suggérée par les drapeaux et le caducée sur lesquels se détachent le galbe élégant d’un grand vase à composition et les sombres reflets d’un beau mortier de bronze… Quant à l’ex-libris de Pierre Laroche, ancien pharmacien militaire également et qui créa par la suite un laboratoire d’analyses médicales à Bordeaux, il constitue à notre avis un véritable petit chef d’oeuvre. Nous y voyons en effet notre pharmacien bibliophile, en costume d’apothicaire du XVIIe siècle, rangeant avec délectation quelque édition rare sur les rayons de sa bibliothèque, surmontée de matériel pharmaceutique et de laboratoire. Quoi de plus spirituellement évocateur de la personnalité de cet aimateur, le Dignus est intrare, repris de Molière dans son Malade Imaginaire, indiquant combien il était exigeant pour constituer sa collection ?

C’est également une magnifique vignette que Cami a composée pour le Pr Jean-André Labat, de la faculté de Médecine et de Pharmacie de Bordeaux. Fin lettré, ami des arts, bibliophile averti en même temps que scientifique distingué, le Pr Labat fut titulaire de la chaire de Toxicologie et Hygiène appliquée de 1928 à 1947. Aussi ne sera-t-on pas étonné du thème iconographique retenu pour son ex-libris : la licorne. on sait que les vertus alexipharmaques de la corne de licorne ont toujours eu une grande réputation ; la devise latine Venena pello (Je chasse les poisons), le rappelle, tandis que nous voyons l’animal fabuleux, frémissant de vie, évoluer impunément au milieu des plantes vénéneuses »5. 

Pour finir, on peut découvrir l’ex-libris de Guy Devaux lui-même. Oeuvre d’Albert Decaris, Grand Prix de Rome de garvure et membre de l’Institut, il date de 1974. « On y reconnait saint Michel Archange, patron des apothicaires de Bordeaux, terrassant le dragon de la maladie, avec à droite des instruments de laboratoire et à gauche la flèche de la Tour Saint-Michel, que l’artiste a figurée par erreur accolée à l’église du même nom, alors qu’il s’agit d’un campanile distinct. L’ensemble rappelle que nous sommes pharmacien et chimiste à la Faculté de Bordeaux. Il situe aussi, avec une portée plus générale et applicable à tous, le lieu du combat pascalien de l’Homme – ni ange, ni bête – qui se débat entre la Matière qui l’englue et l’Esprit qui l’attire.5

 

               
 

 

Références
1. Larousse
2. Henry-André Taupin. Les Annales Coopératives pharmaceutiques, 1929 (n°32A et suivants)
3. André Schultz dit Henry-André dit Taupin (1857-1932) dessinateur et graveur d’ex-libris. Il a été l’un des fondateurs de la Société des Collectionneurs d’ex-libris. Il a réalisé également de nombreux dessins publicitaires.
4. Pr Guy Devaux. RHP 1977, n°233 : 125-126
5. Pr Guy Devaux. RHP 1978, n°234 : 75-78
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