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Enseignes d’autrefois

Enseigne de la pharmacie « A la licorne » (vers 1750, bois de tilleul) (Musée germanique, à Nuremberg)

Exposition temporaire

Enseignes d’autrefois

(d’après un texte de E.H. Guitard, 1936)

Voir aussi ce texte sur les enseignes

 

 

 

Mosaïque sur la facade d’une pharmacie de Lviv (Ukraine) (Photo Sophie Devaux, RHP, n°360, 2009)

On pense généralement que, dans un temps où l’on ne lisait aucun nom gravé ou peint au dessus des boutiques, l’enseigne artistique devait nécessairement indiquer par son sujet la nature du commerce ou de l’industrie exercée en ycelle. Il en fut parfois ainsi, mais pas toujours.

Les villes du Moyen-âge n’ayant pas un grand développement et les citadins ne quittant guère leur quartier en raison de la difficulté des transports, l’adresse du fournisseur était suffisamment connue de tous ses clients. D’autre part, on ne touchait pas de longtemps à une façade après l’avoir élevée et sculptée : si donc un élément de cette façade devait servir de point de repère, c’était, comme aujourd’hui, le numéro, en faveur de la maison toute entière et non précisément au profit d’une de ses boutiques.

Il ne faut donc pas s’étonner de voir, aux époques anciennes surtout, certaines apothicaireries distinguées par des appellations qui n’ont rien de pharmaceutique. A Nuremberg par exemple, on trouvait les pharmacies du Paradis (avec les statues d’Adam et Eve), de l’Hôpital, de l’Etoile, du Lion, de l’Aigle, de l’Ange, de la Boule, etc.  A Anvers, la boutique du célèbre apothicaire belge du XVI° siècle Condenberg était sous le signe de la Cloche : ad campanae symbolum.

La pharmacie de Sedan où Bourquelot a fait son stage avait pour marraine, comme beaucoup d’autres vieux magasins de tout genre, la Truie qui file, et cette caricature « non spécialisée » attirait beaucoup le public. Parfois l’enseigne, tout comme le blason, rappelle le nom du propriétaire de l’officine : c’est le cas pour une pharmacie de Brixen (Tyrol méridional) où l’on voit encore, au dessus du comptoir, une ferronnerie représentant un ours occupé à piler, parce qu’au XV° siècle son titulaire appartenait à la famille Bär ou Baer.

Enseigne de la pharmacie Cassel (Dieppe) dans son état actuel (17° siècle, RHP 2008, n°358, P. Bourrinet, p. 231)

 

 

Enseigne « Zur Kirsch Apotek » (Allemagne, XVIII° siècle)

Selon Schelenz, les plus anciennes enseignes dont le sujet se rattache un peu à la pharmacie, auraient eu un caractère religieux : il y eut des apothicaireries consacrées à Saint-Côme, à Saint-Damien, à Saint-Nicolas, à la Vierge, à Marie-Madeleine, à l’archange Saint-Michel terrassant le dragon.

Naturellement, ces saints patrons allaient être remplacés à l’époque révolutionnaire par Hippocrate, Galien, Hygie ou Aesculape. Question de politique, et plus encore question de mode, car l’antiquité triomphait déjà avant 1789 sous les apparences d’un Centaure à la boutique d’un marchand droguiste établi à l’angle de la rue Saint-Denis et de la rue des Lombards. Ce Centaure serait-il le descendant du graignard (ou goguenard), si répandu au fronton des pharmacies lilloises ? Aurait-il quelque parenté avec le MoreReconquistada.

Le Centaure (XVII° siècle). Enseigne disparue de la rue Saint-Denis, à Paris (d’après un dessin de Fournier, Histoire des enseignes de Paris, 1884)

Au XVIII° siècle, ce sujet s’était répandu dans toute l’Europe sur la boutique des pharmaciens, généralement sous la forme d’un « nègre » grimaçant pour avaler une pilule ou une potion amère.

En 1781, Hahnemann, le fondateur de l’homéopathie, se mariait à Dessau avec la fille du propriétaire de la « pharmacie du Maure », dont la traditionnelle tête-de-turc s’abritait sous un énorme parapluie rouge. coiffé à la turque qui désignait à une époque presque toutes les pharmacies et drogueries de Hollande, où il avait été vraisemblablement amené par les Belges qui le tenaient eux-mêmes des Espagnols de Charles-Quint.

 

Enseigne de la pharmacie Cassel (Dieppe) (17° siècle, RHP 2008, n°358, P. Bourrinet, p. 231)

 

Enseigne du Mortier d’argent, rue Saint-Denis, n°33, à Paris (XVIII° siècle)

Voici maintenant une série d’animaux affectionnés par les apothicaires :

    • le phénix symbolisait les transmutations chimiques : selon Larwood et Hotten (The History of sign-boards, Londres, 1900), il avait été adopté en 1680 par Ambrois Godfrey, fondateur d’une pharmacie londonienne.
    • La salamandre était souvent choisie parce qu’ayant le pouvoir de vivre dans la flamme. 
    • Le dragon représentait dans l’alchimie le mercure : blessé, il dévorait sa queue, où résidait son venin qu’il détruisait ainsi.
  • Le crocodile était également adopté parce que parent du dragon et facile à empailler.
  • Le pélican, qui nourrit ses petits
    Enseigne du Mortier d’Or, à Nuremberg (XVI° siècle)

    avec ses entrailles, avait le mérite de symboliser le Christ.

  • Le sphinx bénéficiait des légendes antiques dont il est le héros.
  • Enfin, le cerf et la licorne, que nous connaissons bien, servirent souvent d’enseigne aux pharmaciens ainsi qu’aux orfèvres, à Strasbourg, Lyon, etc. 

On rencontre encore à la devanture des apothicaires l’aigle blanc et le lion vert des alchimistes, le serpent  (rien d’étonnant que Moïse Charras ait adopté les Vipères d’or). Le règne végétal et le règne animal n’ont pas eu autant de succès sur les façades. En son « Décaméron » pourtant, Boccace parle d’une pharmacie «Au Melon ».

Quant aux ustensiles familiers à l’officine, ils ne pouvaient pas être oubliés. A Lisieux, l’enseigne des Trois –Cornets fut celle d’un apothicaire. A Nuremberg existe, depuis 1580, la Kannenapotheke ou pharmacie au Pot. On a fait appel aussi à l’alambic, à la seringue, enfin et surtout au pilon et au mortier. On voit un homme… ou des singes en train de piler dans la fameuse enseigne du Moutardier de Beauvais, celle du Musée Dobrée à Nantes, celle de Potlevoy (Loir-et-Cher), que Camille Enlart a reproduite dans son Manuel d’Archéologie à côté des Amoureux qui signalisent la Maison de l’Amour à Saint-Antonin.

Enseigne d’une pharmacie de Vailly (Somme), peinte à la fin du XVIII° siècle, détruite en 1860 (d’après un dessin d’Ed. Fleury)

Dans son ouvrage sur le Pharmacien dans la littérature (Berlin, 1898), Maubach raconte qu’un ancêtre, Becker, ayant réussi à s’établir à Postdam malgré les efforts de ses rivaux, fit représenter sur sa pharmacie un pileur écrasant des serpents dans un grand mortier, avec cette légende vengeresse : « Une fois réduite en poudre, l’Envie peut servir à purger les chiens de leurs vers. »

Pour réaliser ces enseignes, les apothicaires utilisèrent la pierre ou le bois, tantôt sous forme de modillons ou de rebords de poutres sculptées, tantôt au moyen de véritable statues abritées dans des niches. Un peu plus tard, ils fixèrent perpendiculairement aux façades d’élégants motifs de fer forgé. Pierre, bois ou métal étaient le plus souvent peints ou dorés. Au XVIII° siècle, venant d’Italie, la mode des enseignes peintes pénétra en France. De Chardin, nous possédons deux magnifiques tableau d’extérieur, où alambics et cactus voisinent harmonieusement.

 1. E-H Guitard. Enseignes d’autrefois, Les Annales Coopératives Pharmaceutiques, Mai 1936

 

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