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La légende du Castor et le castoreum

 
Exposition temporaire  :

La légende du Castor
et
le castoreum

A beau mentir qui vient de loin » dit un vieux proverbe. Le grand succès du castor, ou bièvre, dans la thérapeutique de l’antiquité et du Moyen-âge est dû vraisemblablement à son exotisme. Seule la licorne… qui n’existait point – a pu rivaliser avec lui. Un produit transporté est naturellement cher, et la santé – pensaient nos ancêtres – appartient à qui veut bien y mettre le prix. En outre les légendes, qui constituent une excellente publicité pour les remèdes, sont d’autant plus incontrôlables : la distance les embellit certainement.

Les mœurs du castor sont assez curieuses, mais son intelligence et son courage ne lui ont évidemment jamais permis de s’opérer lui-même pour que les chasseurs le trouvent dépourvus de ses testicules contenant le fameux castoreum, et pour qu’ils s’abstiennent ainsi de l’abattre. Cette croyance extraordinaire était pourtant si répandue chez les Romains que Juvénal y fait allusion dans sa XII° satyre : d’après lui, Catulle, naviguant vers Rome avec toutes sortes d’objets précieux, les jeta par-dessus bord pour alléger le navire, à un moment critique, « imitant le castor, qui se rend lui-même eunuque, heureux se sauver sa vie en sacrifiant un… fragment de sa personnalité, dont il connaît parfaitement la valeur pour la pharmacie ».

Isidore de Séville, en ses Etymologies, affirmera plus tard, après bien d’autres, que le mot castor vient de castrare. Ainsi, la légende aurait créé le mot : nous croirons plutôt que le mot créa la légende. Au reste, le castoreum n’est point tiré des testicules, mais bien des glandes préputiales du castor. C’est une substance noire, amère et puante, qui durcit et devient cassante en séchant ; on y trouve, en plus des matières organiques habituelles, des substances résineuses et de la castorine.

Au temps de Pline, les naturalistes sérieux ne croyaient déjà plus à l’histoire de l’autocastration. Mais il faudra attendre la parution, en 1588, de l’Histoire des poissons, de Rondelet, le célèbre régent de l’Université de Montpellier, pour voir enlever aux génitoires de l’animal la paternité du castoreum. Un siècle plus tard, la question est de nouveau agitée : les poches à castoreum, affirme Pierre Pomet, ne sont point ces « petits testicules, assortis de tous leurs vaisseaux nécessaires à la génération, que Messieurs de l’Académie Royale des Sciences découvrirent il y a quelques années au-dedans des cuisses et près des aînes d’un castor ». C’est sans doute le résultat définitif de ces dissections que Michel Sarasin, médecin du roi au Canada, a publié en 1704, dans les Mémoires de l’Académie des Sciences. Cette découverte rendit plus difficile une sophistication qui était courante au temps de Pomet : on faisait un mélange de poussières variées, dont on remplissait des bourses d’agneaux ou de chevreaux, qu’on suspendait ensuite dans la cheminée pour les rendre sèches et noires.

Imitant un auteur de l’époque de Trajan, Archigène d’Apamée, qui consacra au castor un traité aujourd’hui perdu, un médecin d’Ulm, Johannès Marius, a écrit au XVII° siècle une Castorologia, dont le manuscrit fut augmenté et publié après sa mort par les soins d’un de ses confrères Johannes Francus (Augsbourg, 1685) : une traduction française de cet ouvrage eut un gros succès à Paris en 1746 sous le titre Traité du Castor.

Quelle était donc cette étonnante vertu de la poudre castorienne pour tenir une telle place dans la littérature médicale ? Suivant Pline, elle excite l’éternuement, provoque le sommeil dès qu’on s’en frotte la tête tandis qu’elle réveille au contraire les léthargiques. Excellente contre la frénésie et contre l’hystérie (appliquée en pessaire, elle est aussi emménagogue, combat vertiges, spasmes, névralgies, paralysies, piqures d’animaux venimeux, empoisonnements végétaux et bien d’autres misères. Pour l’administrer, on l’incorporait au vin, à l’eau miellée ou au vinaigre. Marius ne recommande pas seulement les glandes du castor, mais aussi sa graisse, qui agit en faveur des nerfs, son sang qu’il a victorieusement opposé à l’épilepsie, ses dents, qui, enfilées autour du cou des enfants, facilitent la sortie de leurs quenottes. Quant au castoreum proprement dit, son maximum d’efficacité est obtenu, d’après Marius, si on le mélange aux cendres de deux jeunes corbeaux du mois de mars calcinés dans un pot qui n’ait encore jamais servi.  Mais il y a mieux, et la Castorologie de ce savant auteur nous dévoile peut-être le secret de la sagesse du roi Salomon :  

Un juif de ma connoissance étant venu me rendre visite il y a quelque tems, et ayant sçu que je travaillois à cet ouvrage, me communiqua un secret qu’il avoit appris de ces ancêtres, qui le tenoient eux-mêmes de Salomon, qui l’avoit éprouvé. Tl m’assura donc qu’il suffisoit pour acquérir une mémoire prodigieuse et pour ne jamais oublié ce qu’on a vu une fois, de porter un chapeau de peau de Castor, de se frotter tous les mois la tête et l’épine du dos avec de l’huile de cet Animal et de prendre deux fois par an le poids d’un écu d’or de castoreum. Comme ce fait a beaucoup de rapport à mon sujet, je n’ai pas voulu l’obmettre. Je laisse cependant à chacun la liberté d’en croire ce qu’il voudra.

A l’exposition des Enseignes et Réclames organisée par la Bibliothèque nationale en 1928, on pu voir un beau prospectus illustré de 1820 préconisant une pommade de Castor contre la calvitie. Quelle chute depuis Salomon ! Peut-être son inventeur, le pharmacien Pigeau, s’était-il inspiré d’un passage de l’ouvrage de Sarrasin affirmant que les femmes des Peaux-Rouges se parfumaient les cheveux avec l’huile des bourses du castor : »Mais, ajoute Sarrasin, elle sent mauvais et ne peut être un appas (sic) que pour les sauvages ».

Le castoreum entrait naguère dans la composition des pilules de cynoglosse. Aujourd’hui, les Anglais utilisent couramment le castor oil et les Russes l’huile castorka ; mais ce sont là des restes purement verbaux de la splendeur passée, car sous ces étiquettes on débite simplement … l’huile de ricin.


Le castor, d’après l’Historia medica, de G. Van Bosche, Bruxelles, 1639

On trouve chez les Marchands des bourses de Castoreum, les unes plus grosses, les autres plus petites, suivant que le Castor dont elles ont été tirées étoit plus ou moins grand. Les meilleures nous sont apportées de Dantzik, & elles sont les plus grosses. Il faut les chosir grosses, pésantes, de couleur brune, d’une odeur forte et pénétrante, remplies d’une matière dure, cassante et friable, jaunâtre, brune, entrelacée de membranes forts déliées, d’un goût âcre; elles contiennent beaucoup d’huile éxaltée & du sel volatil.
Le Castoreum attenüe les humeurs visqueuses; il fortifie le cerveau; il excite les mois aux femmes ; il abaisse les vapeurs ; il résiste à la corruption ; il chasse par transpiration les mauvaises humeurs; il est propre pour l’épilepsie, par la paralisie, pour l’apoplexie ; il remédie à la surdité. La liqueur onctueuse contenüe dans les bourses intérieures du Castor, est fort résolutive ; elle fortifie les nerfs étant appliquée extérieurement.

Dictionnaire Universel des Drogues Simples. Lémery, Edition 1760

Le Castor est chaud, dessicatif, histerique, convient à l’apoplexie, aux vertiges, à l’épilepsie, au tremblement des membres, à la suffocation de la matrice & resiste au venin. La dose intérieure est depuis quinze grains jusqu’à un scrupule en pilules ou dissous dans quelques potions ou liqueurs convenables aux maladies. On s’en sert extérieurement pour la douleur des jointures, pour la goutte, pour les tintements d’oreilles, pour les maux de dents, & autres fluxions, appliqué sur les parties affligées. Il est encore employé pour le Thériaque & pour en faire l’huile qui en porte le nom & autres compositions.

L’on tire encore du Castor une teinture de la même manière que celle du safran, qui peut être employée aux mêmes maladies que dessus, depuis quatre gouttes jusqu’à douze, & vingt dans des liqueurs convenables aux maladies.

A l’égard du poil de Castor dont on fait des Chapeaux, c’est une des plus belles & riches marchandises que nous ayons en France, & qui paye de plus gros droits : & comme ces peaux garnies de leur poil, sont aussi en quelque façon partie de notre négoce, c’est le sujet pour lequel on les choisira ; sçavoir, les Castors maigres, que le poil en soit long, doux, & soyeux, & que le cuir en soit moilleux comme celui d’un Lièvre nouvellement tué. Le Castor gras est beaucoup plus estimé que le maigre.

Pomet, Histoire Générale des Drogues, 2° édition, 1735

 

Pour aller plus loin, voir le Traité du Castor (1745)
et lelivre « Faune des médecins ou Histoire des animaux et de leurs produit » (1823)

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