Exposition temporaire :Alambics et mortiers :
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Suite de l’exposition | |||
Alambics et mortiers sont avec la balance ce qui est le plus souvent représenté pour illustrer la pharmacie. La présente exposition a pour objet d’en découvrir un peu plus sur l’alambic (et la distillation) et sur le mortier. Le passé lointain de la distillation a passionné le grand chimiste Marcellin Berthelot. Dans un des nombreux articles qu’il lui a consacrés, il émet l’idée que c’est en versant, sur la braise des sacrifices, des vins capiteux (comme le sont les vins Méditerranéens) que les Anciens remarquèrent l’apparition d’une buée inflammable et qu’ils apprirent ainsi l’existence de l’alcool. Le texte suivant de Théophraste, remontant à 371 avant Jésus-Christ, bien fait pour appuyer son hypothèse : « Le vin versé sur le feu, par exemple pour des libations, jette un éclat soudain et produit une flamme brillante ». C’est là une constatation, d’ailleurs très sommaire, de la distillation naturelle ; mais aucun document certain ne nous prouve que la distillation artificielle était connue avant l’ère chrétienne. Zozime le Panopolitain, Dioscoride, Pline et Synésius décrivent, à l’époque Alexandrine et à l’époque Romaine, des cornues de verre chauffées au bain-marie. Ils racontent comment le cinabre était placé dans une coupe de fer renfermée elle-même dans un vase de terre soigneusement luté qui comportait une sorte de bec ; le tout était chauffé au charbon ; le mercure se sublimait et venait se condenser dans le bec du vase, où on le recueillait en raclant.
Il existait, d’après ces auteurs, un procédé ingénieux pour l’extraction de l’essence de térébenthine : la résine était chauffée dans un pot sur l’ouverture duquel était tendue une épaisseur de laine : on n’avait plus qu’à tordre la laine pour obtenir l’essence. Le pompholyx ou oxyde de zinc était préparé d’une façon semblable. Enfin, selon Alexandre d’Aphrodisias, les marins du IIIe siècle savaient rendre potable l’eau de mer en la chauffant dans des chaudières et condensant la vapeur sur des couvercles superposés. Le dessin ci-contre qui figure dans un manuscrit de la Bibliothèque Nationale, qui est lui-même une copie d’un manuscrit grec du Xe siècle conservé à Venise, montre que les appareils étaient déjà très pratiques.
Les Arabes n’ont donc pas inventé la distillation, pas plus que le Florentin Taddes ou le maître Montpelliérain Arnaud de Villeneuve, comme on l’a cru assez longtemps. Mais ils nous ont fourni le mot alambic ; et encore, ils l’avaient volé aux Grecs. Ambix est un des nombreux mots que les Grecs possédaient pour désigner leurs vases de terre. Les Arabes l’ont fait précéder de leur article al. Il est vrai que s’ils n’ont inventé ni le mot ni la chose, ils se sont servis de l’un et de l’autre à outrance. Avicenne, Benzoar, Averroès en parlent sans cesse. Les extraits de plantes et de fleurs les intéressent tout particulièrement ; en revanche, ils s’abstinrent absolument – peut-être par sagesse- de brûler le vin. Nos ancêtres occidentaux n’imitèrent pas cette réserve. Voici une de leurs recettes pour l’eau ardente extraite du « Livre des feux » de Marcus Graecus : elle est du XIIe siècle : Prenez du vin vieux, épais. Pour un quart de livre, ajoutez deux scrupules de soufre vif en poudre impalpable, une ou deux livres de tartre extrait d’un bon vin blanc et deux scrupules de gros sel. Placez le tout dans un bel alambic de plomb, ajustez le chapiteau au dessus et vous distillerez l’eau ardente. Vous la conserverez dans un flacon de verre bien bouché. A Paris, les apothicaires eurent le monopole de la distillation et de la vente de l’eau-de-vie et des alcools jusqu’à l’ordonnance royale de 1514 qui vint entamer ce privilège au profit des vinaigriers. C’est que jusque-là l’alcool n’était considéré que comme un remède ; on l’utilisait parfois en bains de vapeur. Froissart raconte la fin tragique du roi de Navarre, Charles le Mauvais, brûlé vif dans son lit par l’inflammation de l’ « eaue ardant » qu’on lui envoyait « à air volant » au moyen d’une buccine.
Les appareils à distiller d’autrefois ont affecté des formes très variées et fort pittoresques. Michel Savonarole (1384-1462), médecin Padouan, raconte dans son De confidencia aqua vitae que les distillateurs de son époque donnaient au cou de leur alambic une longueur démesurée pour obtenir une eau-de-vie parfaite du premier coup. C’est ainsi qu’un de ses amis avait placé la chaudière au rez-de-chaussée de sa maison et le chapiteau eu dernier étage. Un ouvrage de Georges Agricola montre clairement par le texte et par l’image comment on distillait l’huile au XVIe siècle ; un autre, de J.-B. Porta (1608), décrit une invention italienne, la distillation solaire. Le système est simple et peu coûteux. On attachait ensemble deux grands flacons de verre, goulot contre goulot ; on avait préalablement rempli d’herbes ou de fleurs l’un des deux, celui qui devait rester exposé au soleil la tête en bas ; les essences se condensaient dans le vase inférieur qui était maintenu à l’ombre. « Les femmes de Bologne-la-Grâce, dit Liébaut, distillent de cette façon eau de fleur de ronce pour les yeux ». Pour finir sur les alambics, signalons une variété d’alambic peu connue imaginée vers 1750 par un original de Sarrelouis, Polycarpe Poncelet. C’est de cette manière bien pacifique que la Sarre attirait sur elle à cette époque l’attention des peuples : « Je regarde une liqueur bien entendue, écrivait Poncelet, comme une sorte d’air musical. Sept tons pleins… sont la base de la musique savoureuse ». En vertu de ce principe, il fit construire un buffet d’orgue portatif dont les tuyaux étaient étroitement combinés avec les cornues distillant ratafias, eaux parfumées, huiles essentielles. Quand les tuyaux vibraient harmonieusement, les gobelets se remplissaient, paraît-il, de liqueurs exquises ; les sons discordants déclenchaient au contraire d’abominables mixtures…
Le mortier :
Celui qui, le premier, s’est servi de deux pierres pour broyer les graines, a inventé le mortier. Ce n’était pas même un homme, mais quelque ancêtre commun de l’homme et du singe… Ce n’est donc pas en siècles, mais en millénaires, qu’il faudrait chiffrer l’existence du mortier. Il est resté en usage quotidien tant que le moulin n’a pas été connu. L’écrasement du grain dans cet ustensile a été chanté par Hésiode, et c’est une scène couramment représentée dans les fresques d’Egypte ou sur les vases grecs. Mortarium est le nom latin du mortier ordinaire, moretum celui d’un mets qu’on prépare avec son aide… et aussi celui d’un poème rustique attribué à Virgile, mais qui est seulement de son époque. On y voit un gourmand du nom de Simulus cueillir de l’ail et du persil et les traiter dans le creux d’un mortier. De sa main gauche, il retient sa tunique contre la région velue de sa personne ; la droite, munie d’un pilon, broye d’abord l’ail odorant, puis écrase tout le reste et forme une pa^te bien homogène. Sous un tournoiement rapide, chaque élément perd l’aspect qui lui était propre : de vingt couleurs, il en résulte une… Souvent des bouffées piquantes montent aux narines de Simule, qui grimace et maudit sa propre cuisine… Cependant la besogne avance, le pilon roule plus moëlleusement et frotte un peu plus la pierre. L’homme verse goutte à goutte l’huile de l’arbre cher à Pallas, ajoute un filet de vinaigre, bat, mêle, pétrit, obtient la mixture rêvée. Voilà une recette de l’ailloli qui remonte loin. Dans la Rome impériale, l’utilisation médicinale du mortier est si considérable qu’à côté des séplasiaires et des herboristes, il existe une catégorie de pharmaciens, les pharmacotribes, spécialisés, comme leur nom le dit, dans le broyage des médicaments. L’art de fabriquer les mortiers, et surtout de choisir la matière dont on les ferait, avait été poussé d’autant plus loin que cette matière comptait pour beaucoup dans la composition définitive du produit à obtenir. Ainsi, Pline expose que pour composer un hydrargyre qui tenait lieu de vif-argent, on pilait du minium en présence de vinaigre dans des mortiers de cuivre. De même on préparait une sorte d’eau de plomb en battant longuement un mortier de plomb contenant de l’eau de pluie avec un pilon du même métal.
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Daumier : le Docteur Véron, journaliste,
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Référence : E-H. Guitard. Les Annales Coopératives Pharmaceutiques, Janvier (n°1) & Février (n°2) 1936 |