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L’ESPRIT
DES
LIQUEURS(Austin de Croze) |
Nous avons souvent l’occasion, dans nos expositions temporaires, de parcourir des ouvrages publicitaires pharmaceutiques du XIXe et XXe siècles.
Le document que nous allons feuilleter ici a été publié probablement dans les années 1920-1930 par les Laboratoires Réaubourg « en hommage au corps médical auquel se recommande la Passiflorine, princesse de calme et de sérénité ».
A l’intérieur, on peut lire que l’Office d’Edition d’Art a réalisé cette plaquette pour les Laboratoires de la Passiflorine. On peut donc penser que ces deux entités (Les Laboratoires Réaubourg et celui de la Passiflore) n’en faisaient en réalité qu’une seule.
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L’ouvrage a pour objectif de mettre en valeur les liqueurs de fin de repas. « Un gastronome, un vrai gastronome ne peut faire fi des desserts, ni des liqueurs. Or, il est un fait certain c’est que si, grâce aux femmes, le goût du dessert complet subsiste toujours, celui des liqueurs décline au point qu’on ne les déguste que de moins en moins. C’est tout juste si on les « passe » à la va-vite, après le café », indique Austin de Croze (1866-1937), un spécialiste du folklore et de la gastronomie.
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Après avoir exploré tous les avantages des liqueurs et la façon d’optimiser leur dégustation, Croze déroule une liste impressionnante de liqueurs dont certaines étaient d’origine pharmaceutique. Il expose en particulier longuement les produits du pharmacien Claude Brun (1760-1831), qui s’établit à Voiron en 1807. Il va alors démarrer une longue carrière de liquoriste en lançant d’abord le « Nectar des chevaliers de la Légion d’honneur », qui sera suivi d’une liste de produit aux noms très évocateurs. « En 1814, il nous en donne deux, coup sur coup : la Valeureuse sur l’étiquette de laquelle un émule de Carle Vernet a minutieusement buriné le carré de la Garde à Waterloo, croisant la baïonnette devant les Ecossais à qui Cambronne, à cheval, tourne le dos, cependant qu’au bas de l’étiquette la devise rappelle que « La Garde meurt mais ne se rend pas ». L’autre liqueur s’intitule « l’Elixir des Braves » et, précurseur d’un Detaille, l’artiste a représenté une scène militaire sur la lisière d’un camp dont une accorte cantinière semble l’Egérie ». |
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Quelques années plus tard, en 1824, le pharmacien de Voiron sort le Nectar de Washington (Wasington sur l’étiquette !), puis « Le Nectar des Américains » en 1825. Sur cette étiquette, on voit La Fayette entouré d’amérindiens. En 1826, c’est le « Nectar des Mexicains » où le même La Fayette sert la liqueur à une « jeune et jolie mexicaine court vêtue » précise de Croze. Deux ans plus tard, Brun commercialise le « Combat de Navarin dont un critique d’art décrit ainsi l’étiquette : « Au milieu des lames furieuses, les vaisseaux alliés flottent victorieusement ; dans le lointain, les frégates de la flotte turco-égyptienne errent, démantelées, et sombrent au milieu des flammes. Des marins et des femmes abordent à la nage, et un soldat français, immobile sur la grève, les considère paisiblement l’arme sur l’épaule. Et notons bien que c’est là une étiquette et non une affiche ! »
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En 1830, le pharmacien lance après les journées de juillet « L’eau de Consolation » où des soldats sont massés autour de la colonne Vendôme et boivent un verre de la liqueur. La même année, il commercialise également le Nectar de la Charte de 1830 où un chasseur à cheval, un grenadier, un artilleur et un fantassin en uniformes, entourent et protègent la Charte que le coq gaulois couvre de ses ailes. Après la prise d’Alger, Brun propose le Nectar de la Marine. Toutes voiles dehors, nous dit de Croze, un vaisseau surgit des murs mêmes du Fort de l’Empereur, à Alger, tandis qu’au premier plan un soldat embrasse une bergère.
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Beaucoup d’autres créations se succèdent ainsi dont voici quelques exemples :
Le Schénik du soldat laboureur
Le Zanzibar des Arabes
Le Petit-Lait d’Henry IV, orné d’un portrait assez réussi,
La Crème de Moldavie
L’anis des Indes
L’Eau de noix stomachique
La Crème de Violettes
La Crème de Jasmin
La Vanille superfine
L’Eau du Chasseur
Le china-China, élixir vital
Le china-China, Sch-Kastum de Lausanne.
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Associé à Perod, ce dernier poursuit la tradition et vend le Nectar de Mazagran : « une nuée d’Arabes se rue à l’assaut d’un fortin qui domine une tour sur laquelle flotte un large drapeau français ; des voltigeurs en rangs serrés garnissent les remparts et repoussent les assaillants » (de Croze).
En 1844, la polka est introduite en France et la maison Brun produit alors une Liqueur à la Polka : de Croze commente : « vêtu en polonais, un extraordinaire Chicard danse le cancan devant une délicieuse grisette qui relève coquinement ses jupes jusques… aux mollets. Des personnages de Murger et de Paul de Kock entourent la composition à la manière des frises romantiques de cette époque ».
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Sans doute intéressé par l’Italie et son accession à l’indépendance, la société produit « L’Elixir Garibaldi » et le « Nectar de l’indépendance italienne ». Plus tard, on voit apparaitre, en 1855, la liqueur des Braves dont l’étiquette atteste l’alliance turco-anglo-française dans la guerre de Crimée, puis la « Liqueur de Sébastopol » où une ruée de soldats français bondissent à l’assaut des russes ; au loin, la rade avec nos vaisseaux tonnant de tous leurs canons. C’est toujours en 1855 que le nom de Perod apparait sur les étiquettes. Le China-China, ou Chartreuse Noire, faite de merises, était une liqueur très appréciée par Claude Brun dès l’origine. Après de multiples étiquettes du produit, c’est en 1855 qu’on ajoute sur l’étiquette une fontaine monumentale et la médaille que la maison Brun-Perod vient d’obtenir.
Dernière création sans doute de la maison voironnaise, la « Liqueur des pompiers » !
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Mais l’ouvrage de de Croze n’en reste pas là pour autant et décrit de très nombreuses autres liqueurs, avant de terminer par un chapitre consacré aux « très anciennes et curieuses liqueurs ». On y trouve quelques-unes des recettes reproduites ici : l’Hypocras à la violette, le Maquevin, la foudraine, etc. |
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La plupart des liqueurs dont les recettes sont données ici par Croze, sont des liqueurs de table qui n’ont pas de rapport avec la pharmacie. On trouve cependant sinon des remèdes anciens, en tout cas des terminologies utilisées dans les anciennes pharmacopées ou dans les ouvrages de référence du XIX° et même du XX° siècle comme le Dorvault.
Sur cette page, on voit par exemple l’Hypocras à la violette. Lémery, dans sa Pharmacopée, a consacré un long paragraphe à l’hypocras ou « vin hippocratique » (Vinium Hippocraticum), à base de sucre, d’amandes douces, de cannelle. Les trois produits sont mélangés et infusés dans du vin rouge et de l’eau-de-vie. Lémery conclut « Coule-les ensuite deux ou trois fois par la manche d’hippocras, puis dissolvez dans la colature clarifée (un) demi-grain d’ambre gris et autant de musc pour faire un vin hippocratique ». Dans les « remarques » qui suivent, Lémery indique que cette préparation a été appelé hippocras ou vin d’Hippocrate, « soit parce qu’Hippocrate a inventé quelque liqueur qui en approchait, soit parce que la chausse dont on se sert pour la passer, a été mise en usage par le même Hippocrate »
Pour le même Lémery, l’Hypocras est « bon pour aider à la digestion, pour résister au venin, pour donner de la vigueur à ceux qui n’en ont pas assez, mais il n’est ordinairement employé que pour les délices. On en prend depuis une once jusqu’à quatre. Dans la méthode ordinaire de faire de l’hippocras, on y fait entrer des girofles, du macis, du cardamone, du gingembre, du poivre long, du galanga; mais comme ce vin est plus souvent employé pour le délice que pour les remèdes, on retranche ces ingrédients qui lui donneraient un goût de Médecine trop âpre ».
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Une autre série de produits apparait dans les ouvrages de référence On trouve par exemple le Ratafia de Grenoble ou de Tesser (sic) dans le Dorvault 1925. C’est en effet Mathieu Teisseire (né en 1688 à Belgentier) qui aurait inventé au XVIIIe siècle, à Grenoble, un ratafia de cerise
On trouve aussi le Ratafia d’oeillet chez Dorvault, mais aussi chez Guibourt et dans la Pharmacopée de Lémery.Pour ce dernier, le remède est constitué d’oeillets rouge bien épluchés dont on enlève les parties blanches et herbeuses et que l’on fait infuser dans de l’eau-de-vie, puis qu’on mélange avec du sucre, des noyaux de pêche et d’abricots concassés, de la cannelle, de la girofle concassée. On voit que c’est assez loin de la recette rapportée par Croze. Pour Lémery, ce ratafia d’oeillets (Ratafia Caryophyllorum hortensium) était « propre pour fortifier toutes les parties vitales & principalement le cerveau, il réjouit le coeur, il ranime la mémoire, il préserve de la malignité en temps de peste : la dose en est depuis deux dragmes jusqu’à une once, il a un goût fort agréable ».
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Une autre liqueur qu’on trouve fréquemment dans les pharmacopées et ouvrages de référence, c’est l’eau de sauge. Elle est décrite par Lémery, mais aussi Guibourt et Bouchardat. Lémery évoque dans sa Pharmacopée l’Eau de sauge composée (Aqua Saviae, Composita) : des feuilles de sauge, de marjolaine, de thym, de lavande, d’épithyme et de bétoine sont mélangées avec des racines d’iris, de souchet rond, de salamus aromatique, de la cannelle, du storax calamite et du benjoin et bien sûr de l’esprit de vin rectifié. Le tout « marine » pendant 4 jours et on distille ensuite au bain-marie.
Lémery recommande ce remède « pour fortifier le cerveau et les jointures ; on peut en donner dans l’épilepsie, dans l’apoplexie, dans les autres maladies de cerveau : la dose en est depuis une dragme jusqu’à (une) demi-once) ».
Quant à l’eau cordiale, c’est évidemment un terme très général qui recouvre des recettes de formules extrêmement diverses. Chez Lémery, on trouve de l’eau cordiale froide, de l’eau cordiale chaude et de l’eau Divine cordiale, par exemple. Son « Eau Cordiale, Hercules de Saxe » était proposée pour « fortifier le coeur et l’estomac, elle résiste à la malignité des humeurs, elle réveille les esprits, elle excite la semence, elle pousse par la transpiration : la dose en est de^puis deux dragmes jusqu’à une once ».
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L’huile de Vénus qu’on trouve ici existe également dans le Dorvault de 1925. On trouve dans le traité raisonné de la distillation quelques explications sur cette « huile » qui est « une espèce d’élixir, dont feu M. Cigogne (Sigogne dans d’autres sources), médecin, fut l’inventeur. « Cette liqueur est digne d’éloge : on ne peut les lui refuser & nous devons de la reconnaissance au travail de son auteur, autant que le public doit être mécontent de voir que les Distillateurs ont peu suivi sa recette…. La base de cette liqueur sont les graines de chervi, de carvi, & celle du daucus, & la teinture qu’on lui donne est celle du safran. C’est une espèce d’escubac extrêmement cordial que cet élixir que nous devons à M. Cigogne : son alliage est extrêmement bien raisonné, tout y est parfait. … »
Quant à l’huile de Girofle, elle est décrite chez Lémery et Charas. Ce dernier y consacre près de 3 pages dans sa Pharmacopée Royale et conclut : « On estime beaucoup l’huile de Girofle pour fortifier le coeur et le cerveau et toutes les parties nobles. On l’ordonne avec un heureux succès dans les maladies froides de l’estomac et des intestins, et dans celles de la matrice, de même que pour hâter la circulation du sang, et pour soulager ceux qui ont le Scorbut. On la donne depuis une jusqu’à deux ou trois gouttes, incorporées avec du sucre fin en poudre, et délayées dans quelque liqueur propre.
On la met aussi dans les Bols, les Pilules, les Opiates, les Tablettes, et dans plusieurs autres remèdes. On l’emploi aussi dans les Baumes odorants, et en onction sur l’estomac, l’ayant incorporée avec l’huile exprimée de Noix Muscades. On en met aussi fort à propos avec du coton dans les dents cariées pour en apaiser la douleur. L’eau spiritueuse de Girofle peut servir à peu près aux mêmes usages, en une dose à peu près semblable à celle de l’Eau spiritueuse de Canelle… »
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Parmi les liqueurs de l’ouvrage des Laboratoires Réaubourg, la plus commune dans les Pharmacopées anciennes est sans doute le Vespetro qu’on trouve chez Dorvault, Guibourt et bien d’autres. Mais là encore les compositions varient considérablement d’un auteur à l’autre. Ainsi le Traité raisonné de la distillation evoque ce ratafia qui, dit-il « fut autrefois une liqueur extrêmement à la mode ; elle est excellente pour les maladies occasionnées par des vents ; elle réunissait deux excellentes qualités : elle guérissait & fait fort plaisir. Son règne est passé, elle est tombée en bourgeoisie. Sa chûte n’est pas encore si mauvaise, & la bourgeoisie n’est peut-être pas la portion la moins sage de la société ; on pourrait dire plus : un nouveau nom fait quelquefois fortune plus qu’un mérite ancien et reconnu.
On emploit pour ce ratafia sept sortes de graines ; qui sont l’anis, le fenouil, l’angélique, la coriandre, la graine de carotte, celle de l’aneth & de carvi. ». Le tout est mis dans l’eau-de-vie et tamisé après 6 semaines, puis on ajoute du sucre, et de la teinture de coquelicot si l’on veut une couleur rouge. Cette formulation, comme on peut le voir, est assez éloignée de celle rapportée par l’ouvrage présenté ici.
En conclusion, une belle brochure des Laboratoires de la Passiflorine qui sort de la Pharmacie, en partie, pour distraire les médecins qui recevaient cette brochure.
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