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Jean-Baptiste Thyrion

L’apothicaire Jean-Baptiste Thyrion

(ca 1720 – ca 1800),

chimiste à Metz au XVIIIe siècle

 

Pierre Labrude

 

 

Les historiens qui évoquent les débuts de l’enseignement de la chimie dans notre pays ne manquent jamais d’évoquer les cours dispensés à Metz par l’apothicaire Jean-Baptiste Thyrion, même s’ils n’ont pas duré plus de quelques années, alors que celui de son successeur Henri Michel du Tennetar, qui a eu plus de succès, est souvent passé sous silence. Quelle a donc été « l’activité chimique » de Jean-Baptiste Thyrion pendant ces décennies ?

 

L’origine de Thyrion, son mariage et sa descendance

Jean-Baptiste Thyrion naît en 1720 ou 1721, dans la paroisse Saint-Nicolas à Luxembourg. On ne sait rien de ses premières années, ni surtout de la manière dont il apprend la pharmacie, ni du moment précis où il arrive à Metz. Il va y résider et y exercer pendant toute sa vie, du moins selon ce que nous savons de son existence. Il s’installe au plus tard en 1746, puisque c’est le 25 novembre qu’en association avec Charles Gimel et Étienne Burthe, il y « finance un office d’inspecteur et contrôleur des apothicaires » de la ville. Le 24 janvier 1747, en l’église Saint-Victor, il épouse Jeanne Dequicq, âgée de vingt-deux ans, avec certaines dispenses de ban et après des fiançailles célébrées ce même jour. Le marié est dit « âgé de vingt-six ans ».

Thyrion s’établit comme apothicaire en ville, et ses enfants y naissent. Adrien voit le jour le 19 octobre 1746 et, à son baptème célébré le même jour, son père est qualifié de « maître apothicaire ». C’est ensuite Marguerite en 1748, Marie en 1749, Madeleine en 1751 et enfin Jeanne en 1752. Jeanne est connue parce qu’elle a été pendant toute son existence « l’amie » de Déodat de Gratet de Dolomieu (1750-1801) qui avait quasiment le même âge qu’elle et qui avait fréquenté le laboratoire de son père pendant son séjour à Metz.

Dès la fin de l’année 1750, c’est dans une maison de la rue du Faisan que se trouve la « boutique de pharmacie », selon l’expression du temps. Jean-Baptiste Thyrion l’acquiert du « sieur Jean-Charles Nouroy (ou Nauron) » le 11 octobre 1750. La pharmacie y est-elle déjà ? Nous ne le savons pas et nous ignorons où il a exercé jusqu’alors. Toutefois, nous ne connaissons aucune autre adresse de Thyrion. Les recensements de la paroisse Saint-Victor de 1758 et 1767 le situent là. Il en est de même en 1788 où il est qualifié d’apothicaire-major de l’hôpital militaire, ce qu’il est effectivement à ce moment, et où réside aussi dans la maison le « sieur Zagu, apothicaire », ce qui doit signifier que ce dernier, ancien élève de Thyrion, s’occupe de l’officine. Jean-Nicolas Zagu a été reçu à la maîtrise à Metz en 1784.

La date de la réception de Thyrion dans la communauté des apothicaires de Metz est le « 9 décembre 1750 ». Ceci peut signifier que la communauté l’a fait attendre. Une telle réticence n’aurait rien d’étonnant puisque son arrivée à Metz à l’occasion de la création d’un office « d’inspection et de contrôle » s’est faite dans des conditions qu’elle n’approuve certainement pas. Mais il se peut aussi qu’elle ait attendu l’achat par Thyrion d’une maison avec un local à usage de pharmacie.

La participation de Thyrion à la Société royale des sciences et des arts de Metz

Au moment de sa candidature et en dépit du fait que ses cours de chimie n’ont pas commencé, Thyrion passe pour un bon expérimentateur, et même pour un chimiste, quand, en 1764, il se présente, ou que ses amis présentent sa candidature à la Société royale. Néanmoins, on ne sait pas bien ce qui peut la justifier car il n’a encore rien fait de tangible en chimie.

L’académie comporte nombre d’aristocrates et il semble de ce fait assez difficile d’y admettre un simple apothicaire, car cela ne correspond pas aux idées de l’époque… Thyrion est cependant jugé digne d’être accueilli avec le rang d’associé libre et il est élu en cette qualité le 17 décembre 1764. L’élection ayant été validée par le protecteur de l’institution, le duc de Belle-Isle, la réception peut avoir lieu, ce qui est fait le 21 janvier 1765 où Thyrion prononce un discours dans le style ampoulé et littéraire de l’époque, qui est consacré à deux sujets de chimie et a été publié en entier. Après les remerciements habituels, il présente un « Mémoire sur un sel alkali très fixe […] » et ses usages, suivi d’un second travail sur « L’esprit de vin réduit en alkool ». L’association de ces deux sujets apparaît curieuse car ils n’ont rien de commun. Le texte est difficile à comprendre de nos jours,  car il ne correspond plus à nos habitudes d’écriture ou de présentation orale, ni à nos conceptions de la chimie, et n’est pas toujours éloigné du charabia.

Thyrion n’est sans doute pas satisfait de son rang. Il aurait, et c’est naturel, préféré être titulaire. Une offensive a lieu en ce sens. Le 13 janvier 1772, Boutin propose d’organiser un scrutin en vue de le promouvoir sur le siège rendu vacant par la vétérance (aujourd’hui l’honorariat) accordée au président de Chazelles. Dupré de Geneste, secrétaire perpétuel, rappelle la position prise à l’occasion de l’élection de 1764 ; mais, en dépit de l’irrégularité de la présentation, les académiciens élisent Thyrion membre titulaire par les deux tiers des voix. C’est le début d’une assez longue suite de désagréments pour les différents protagonistes de l’affaire qui est portée devant le protecteur de l’académie, qui ne sanctionnera jamais l’élection. Aussi Thyrion reste-t-il associé libre, ce qui ne l’empêche pas d’écrire qu’il est titulaire, comme il le mentionne par exemple dans son mémoire sur « la pierre à chaux et la maçonnerie en Pays messin », adressé à l’Académie royale des sciences en 1777.

Les cours de chimie organisés par Thyrion à Metz

Quand Thyrion décide d’organiser un enseignement de chimie à Metz, il y existe plusieurs précédents : celui de Bécoeur et Hillaire, celui de la Société des Philatènes et celui de la Société d’étude. Ces tentatives ont pris fin au plus tard au début de la décennie 1760, mais il doit exister en ville un désir latent d’effectuer à nouveau une telle démarche. C’est fort de la reconnaissance en quelque sorte officielle que constitue son élection à la Société royale des sciences et des arts qu’il entreprend d’ouvrir son premier enseignement de chimie quelques jours plus tard. En effet, dans son discours de réception, il mentionne qu’il a été reçu « pour la chimie », bien que ce ne soit pas le cas, d’abord parce que l’académie n’est pas assez ancienne pour avoir déjà des sièges spécialisés, et qu’elle n’est pas divisée en classes, ensuite parce que la chimie n’est pas encore totalement reconnue comme une science. Thyrion mentionne quelques lignes plus loin son « projet » dont il signale « que la qualité dont vous avez bien voulu m’honorer me donne le pouvoir de mettre en exécution ». C’est dire que la Société royale permet à Thyrion de concrétiser son projet et aussi qu’elle ne peut donc pas faire autrement que de le cautionner…

L’ouverture prochaine du premier cours « de chimie élémentaire et pratique » est annoncée dans la presse et par un prospectus. Thyrion indique que vingt-cinq auditeurs doivent être inscrits, chacun versant quarant-huit livres de droits. L’enseignement débute le 14 mai 1765 et se poursuit sur une durée de cinq mois, à raison de deux séances hebdomadaires de trois heures, les mardis et les vendredis de 14 à 17 heures. Il a lieu dans la pharmacie de Thyrion, sans doute assez vaste pour accueillir un tel auditoire, avec la capacité de réaliser des démonstrations, ce qui ne doit pas être très facile puisqu’il ne dispose pas d’un démonstrateur. Le second cours se déroule de novembre 1765 à avril 1766, et le troisième à partir d’octobre 1766. Cependant, l’auditoire ne se renouvelle pas, ce dont Thyrion aurait dû s’aviser avant de se lancer dans cette entreprise ou de demander un aussi grand nombre d’auditeurs. En effet, Metz ne comporte pas de faculté de médecine, une structure qui aurait pu attirer des étudiants, bien qu’il y aurait certainement eu des réticences importantes avec l’institution qui ne se serait sans doute pas privée de vouloir intervenir… Ce ne sont pas par ailleurs les élèves en pharmacie qui vont constituer un auditoire, car le nombre simultané d’apprentis et de  compagnons est forcément restreint. Il est possible cependant que des élèves de l’hôpital royal militaire aient suivi des leçons, car les chirurgiens et surtout les pharmaciens sont concernés par la chimie. Thyrion peut aussi s’appuyer sur les officiers d’artillerie et du génie de la garnison ainsi que sur les élèves de l’école d’artillerie. En effet, plusieurs officiers fréquentent sa pharmacie et y travaillent, et ils sont susceptibles de lui faire de la publicité.

Les effets de la raréfaction de l’auditoire, et donc du support financier nécessaire à l’achat des réactifs et de la verrerie, conduisent Thyrion à réduire la durée des séances d’une demi-heure et celle du cours à trois mois en 1768. Pour tenter de rendre régulière cette présence militaire et pour relancer l’intérêt des amateurs messins, Thyrion fait état de ses titres, réels ou supposés, dans l’annonce du troisième cours : « Membre de l’Académie Royale, Agrégé au Collège des Sciences de la même Ville, & Professeur en Chymie du Corps Royal, Proposé au Public sous l’agrément de la Société Royale ». L’intitulé du quatrième cours en diffère un peu : « Membre […], Agrégé […] en Qualité de Démonstrateur en Chymie, Proposé […] ».

Mais ces tentatives sont des échecs, et Thyrion n’organise pas de session en 1769. Pour tenter de se rétablir, il propose de créer une chaire de chimie au collège de la ville, dont il serait bien sûr le titulaire, et pour laquelle il voudrait qu’il lui soit versé un salaire de 400 livres. Il demande par ailleurs 500 livres à la couronne pour son enseignement de chimie à dix élèves de l’école d’artillerie, dont il s’est autoproclamé professeur de chimie. Il semble aussi espérer pouvoir accueillir des élèves civils qui le rémunéreraient. Rien de tout cela ne se réalise. Ces espoirs reposaient sur des chimères, mais aussi sur des usurpations de titres ! Pour sa part, dix années plus tard, en novembre 1778, Henri Michel du Tennetar ne sollicitera qu’une somme de 300 livres. 

La tentative d’entrée de Thyrion à l’Académie royale des sciences

Il n’est pas étonnant que Thyrion ait souhaité entrer dans cette illustre institution. D’autres apothicaires en étaient ou en avaient été, principalement des Parisiens. En dépit d’un dossier plus que mince, puisqu’en dehors de ce qu’il a présenté dans son discours de réception à la Société royale, il ne peut se targuer que des sessions de son cours de chimie, il entreprend de se faire connaître dans cette instance. La première étape consiste à lui adresser des mémoires. La compagnie désigne alors une commission de deux membres qui examinent le travail et rédigent ou non un rapport qui est lu en séance et peut ensuite être imprimé dans les mémoires qui s’intitulent alors Histoire de l’Académie royale des Sciences.

 C’est ainsi que, le 21 juin 1777, Thyrion communique un mémoire de plus de sept pages, rédigé sur du beau papier in folio, qui a pour titre « Observation chimique » et qui est signé « Thyrion de Metz ». Il a voulu concentrer de l’huile de vitriol noir dans une retorte, c’est-à-dire de l’acide sulfurique impur dans un ballon à distiller, et, à l’issue de cette opération, il a observé au fond du ballon, après lavage, des taches qu’il n’a pas pu faire disparaître et qu’il a observées à la loupe. Il a eu la surprise de constater qu’elles représentaient une étoile, « conforme aux étoiles astronomiques », comme « un globe céleste en miniature », et ceci l’a conduit à essayer d’expliquer ce phénomène pour lequel il avance et étudie cinq hypothèses. Il termine son mémoire en proposant d’offrir l’ustensile pour le cabinet d’histoire naturelle de l’institution. Les deux commissaires sont Macquer et Sage qui lisent leur rapport à la séance de l’académie du 2 juillet 1777. Ils y indiquent que les raisonnements de l’auteur montrent « qu’il a beaucoup de connaissances en chimie et qu’il est très capable de faire des découvertes importantes […] ». Ils pensent que le fait observé mérite qu’il en soit fait mention dans l’Histoire de l’Académie. Le rapport est de la main de Macquer.

Pour pousser sa candidature au rang de membre correspondant, Thyrion demande presque aussitôt au baron Théodore de Tschudy, qu’il connaît par la Société royale des sciences et des arts, d’adresser à l’Académie des sciences une attestation sur ses travaux et publications. En effet, elle doit désigner le 13 août les commissaires rapporteurs sur les quatorze candidatures qui ont été déposées pour la seule place alors vacante de correspondant. Thyrion et Dolomieu en sont. Les rapporteurs de Thyrion sont Macquer et Lavoisier. Le texte lu le 23 août ne nous est pas connu, mais ce n’est pas Thyrion qui est élu, ni Dolomieu qui le sera l’année suivante.

Théodore de Tschudy (ou Tschoudy), né à Metz en 1734, est grand bailli d’épée de la ville et membre de la Société des Philathènes et de la Société royale. L’attestation dithyrambique qu’il produit sur Thyrion est fausse pour l’essentiel. Tschudy passe en revue les travaux de son protégé, et d’abord la question du salpêtre artificiel. En 1775, l’Académie royale des sciences avait mis au concours la question de la formation artificielle du salpêtre, question effectivement importante car ce composé, connu aujourd’hui sous le nom de nitrate de potassium, est l’un des constituants de la poudre noire. Le tome xi des « Mémoires […] présentés à l’Académie […] », paru en 1786, publie des extraits des dossiers adressés par les trente-huit candidats au premier concours (1775-1777), qui n’a pas abouti et auquel Thyrion a pris part. Rien n’y rappelle sa prose. Tschudy cite ensuite des mémoires publiés par lui dans le célèbre Journal de physique de l’Abbé Rozier. En réalité, il ne s’agit que de la citation de son nom et sans doute de sa participation dans un travail que le duc de La Rochefoucauld a réalisé dans le laboratoire de Thyrion avec d’autres chercheurs et qu’il décrit dans le journal scientifique en question. Enfin Tschudy cite sans plus de précision les « forges délabrées » que Thyrion aurait « remontées » et qui se situent dans les Trois-Évêchés, vers Sarrelouis et dans les montagnes vosgiennes. Une telle attestation ne pouvait guère émouvoir l’Académie des sciences.

Quelques jours plus tard, Thyrion fait encore une tentative en adressant à l’Académie un « Mémoire chimique sur la pierre à chaux et la maçonnerie du Pays Messin », qui est lu à la séance du 5 septembre 1777. Mais les commissaires Macquer et Lavoisier, jugeant le travail insuffisant, n’en font pas de rapport. En tête de son travail, Thyrion cite le nom de son correspondant parisien, « le chevalier de Saint-Leu, membre de l’Académie de Paris ». M. de Saint-Maurice de Saint-Leu, militaire, ami de M. de Tschudy, est membre des Économistes et l’auteur de plusieurs écrits, mais il n’appartient à aucune académie. Ainsi s’achèvent les essais menés par Thyrion pour devenir membre de cette compagnie !

Le contenu des cours publics de chimie organisés par Thyrion

Le programme des premiers cours n’est pas connu. Celui du quatrième enseignement, qui débute le 1er février 1768, a été publié. Théorique et pratique, il commence comme souvent par « histoire et origine de la chimie » et « principes élémentaires et affinités des corps », un sujet qui ne saurait être passé sous silence. La seconde partie est consacrée au règne végétal en raison de son importance en pharmacie : huiles essentielles, sels, résines, extraits, colorants, suie, charbon, etc., distillation, « esprit recteur », principe igné et phlogistique, combustion et alkali fixe, fermentations spiritueuse, acide et putride, phosphores, camphre, « benzoës » et bitumes. La troisième partie est dévolue au règne minéral : les différents corps, les acides et leurs propriétés, les différents types de sels, et la métallurgie (métaux, demi-métaux) en insistant sur le phlogistique, la « décomposition » des métaux et leur réduction. Ce programme ne comporte aucune mention sur le règne animal, hormis celle des phosphores, issus de l’urine.

Le programme de Thyrion propose des rubriques similaires à celles que comporte celui de Guillaume-François Rouelle dans lequel la partie consacrée au règne animal est modeste, comme à Metz. La similitude me semble plus importante avec l’enseignement de Baumé et avec celui qui est professé à Rouen par l’apothicaire Mesaize de 1777 à 1781. Enfin, les Éléments de chimie rédigés d’après les découvertes modernes qui paraissent à Metz en 1779 et servent de support au cours d’Henri Michel du Tennetar, professé dans le cadre de la Société royale, contiennent beaucoup d’intitulés identiques à ceux employés par Thyrion plus de dix années plus tôt.

Les méthodes de Thyrion, leur succès et leur insuccès…

La présence de nombreux apothicaires parmi les organisateurs des cours de chimie aux xviie et xviiie siècles ne doit pas étonner car, à ce moment, la pharmacie et la chimie sont indissociables et, même, selon certains auteurs, mal distinguables. Elles se séparent cependant peu à peu, la première demeurant pratique et la seconde acquérant les caractéristiques d’une science avec l’apparition d’aspects théoriques. La célèbre théorie des affinités et celle du phlogistique en sont des exemples. La séparation est atteinte avec Lavoisier dont le Traité élémentaire de chimie ne fait pas mention de pharmacie. L’apothicaire, de formation par l’apprentissage et d’activité essentiellement manuelle, a acquis plus de dignité grâce à son activité de chimiste. Par ailleurs, en comparant des ouvrages du xviie et du xviiie siècle, on constate un glissement des contenus de la pratique vers la théorie. Or, le cours de Thyrion est encore très marqué par les aspects pratiques. Est-ce une des raisons de son essoufflement et de sa disparition ? 

Cette dignité est également obtenue grâce à la collaboration de l’apothicaire avec le médecin. En effet, beaucoup de cours sont donnés par un binôme médecin-apothicaire, où le médecin assure la partie théorique tandis que l’apothicaire réalise les démonstrations, ce qu’il est seul à pouvoir faire. Il est étonnant que Thyrion soit resté seul pour effectuer l’un et l’autre.

Les collaborations et les rencontres avec des personnages importants ou qui le deviendront

L’un des plus illustres est François Pilastre, dit « Pilâtre de Rozier ». Il est entré comme apprenti chez Thyrion en 1772, et c’est pendant la période de trois années où il est dans son officine qu’il découvre sa vocation pour la chimie. Il ne suit pas le cours puisque sa dernière édition date de 1768, mais il rencontre les personnalités qui fréquentent le laboratoire attaché à la pharmacie, et ceci joue certainement un grand rôle dans ses choix de vie.

Déodat Guy Silvain Tancrède de Gratet de Dolomieu est issu d’une famille noble du Dauphiné, où il est né en 1750. Il arrive à Metz en 1771 ou 1772, avec le régiment des Carabiniers où il est officier, et il y fait la connaissance de Thyrion, qui est réputé lui donner des leçons de chimie. C’est à ce moment qu’il découvre le volcanisme et qu’il fait la connaissance de Louis Alexandre de la Rochefoucauld d’Enville, qui lui enseigne ou lui fait découvrir l’histoire naturelle et avec qui il reste lié pendant toute sa vie. À la pharmacie, il fait la connaissance de Jeanne Thyrion avec qui il correspond jusqu’à la fin de son existence puisqu’on connaît une lettre de Jeanne à Dolomieu, qui est datée de 1800. Dolomieu a donné son nom à la dolomie, une roche formée de dolomite, ainsi qu’au massif calcaire italien des Alpes orientales que nous connaissons sous le nom de « Dolomites » ou d’« Alpes dolomitiques ».

Louis Alexandre de La Rochefoucauld d’Enville, né en 1743, grand seigneur, séjourne à Metz dans le cadre de ses fonctions militaires puisqu’il est colonel du régiment de la Sarre. C’est dans ce contexte qu’il est membre honoraire de la Société royale des sciences et des arts en 1775, et qu’il rencontre Thyrion et Dolomieu. C’est lui qui fait découvrir l’histoire naturelle à Pilâtre et à Dolomieu ainsi qu’en témoignent les papiers de Benjamin Franklin conservés à l’université de Yale. Ardent défenseur de la cause américaine en France, mais aussi scientifique de renom, il appartient à la Société royale de médecine et à l’Académie royale des sciences. Il est à coup sûr la personnalité la plus importante que Thyrion a rencontrée au cours de son existence.

Il est possible d’ajouter à ces fréquentations et collaborations celle de Jacques Louis de Bournon. Né à Metz en 1751, fils du seigneur de Retonfey et d’abord officier dans le régiment de Toul-artillerie en garnison à Metz, il est connu comme minéralogiste, et en particulier pour s’être occupé de cabinets de minéralogie en Grande-Bretagne, puis avoir été le directeur de celui de Louis xviii. Auteur de nombreux travaux dans ce domaine, ainsi qu’en cristallographie, en physique et en astronomie, il est mort à Versailles en 1825. On lui doit la description de plusieurs « espèces », et la bournonite lui est dédiée.

Personnages importants par leur naissance pour trois d’entre eux, ils sont tous les quatre entrés dans l’Histoire et dans l’histoire des sciences. Ils ont été plus ou moins les élèves de Thyrion et ont fréquenté son laboratoire ; La Rochefoucauld y travaillait et Thyrion les y a côtoyés. Il a pu en concevoir a posteriori une légitime fierté. Le baron de Tschudy peut être ajouté à cette liste.

Les dernières années

Plusieurs difficultés assaillent Thyrion à l’aube des années 1780 : la création du cours de chimie d’Henri Michel du Tennetar en 1778, l’échec qu’il a subi à l’Académie des sciences l’année précédente, l’impossibilité dans laquelle il se trouve de faire interdire le cours de Michel au début de 1779 en dépit de ses relations et malgré ses proclamations qu’il est le seul à avoir le droit d’enseigner la chimie en ville, et enfin la cession de sa pharmacie, non sans malversations, à Jean-Baptiste Burthe et à son épouse Luce Gaudraz le 1er janvier 1779. Ces soucis le conduisent à se « réorienter ». C’est ainsi qu’en 1780 il est dit « inspecteur des pharmacies militaires du royaume et de celles de charité ». Une telle nomination étonne car Thyrion n’a pas fait carrière dans l’armée ni dans les hôpitaux civils, et là encore sa modeste notoriété ne le recommande pas à un tel emploi. On peut augurer que ce sont ses relations parisiennes (La Rochefoucauld ?) qui lui ont fait obtenir cette fonction. Le 1er juillet 1781, Thyrion succède à Philippe Henning à l’hôpital militaire en qualité d’apothicaire-major et de démonstrateur.

 Les dates de décès de Jean-Baptiste Thyrion et de sa fille Jeanne ne sont pas connues avec certitude. Il est vraisemblable que Madame Thyrion est déjà décédée au moment où son mari traite avec Burthe à propos de sa pharmacie. Thyrion cesse d’être mentionné en 1790 et il est sans doute décédé en 1800 ou un peu avant.

Conclusion

 En dépit de ses défauts et sans doute de ceux de ses cours, Jean-Baptiste Thyrion mérite que la mémoire reste attachée à son essai d’enseignement de la chimie à Metz au cours de la décennie 1760-1770. S’il n’a pu le maintenir au delà de quatre sessions, il conserve le mérite d’avoir été le premier à le tenter réellement, les essais de ses prédécesseurs n’ayant été que très fugaces. La disparition de l’enseignement après quatre sessions est due à plusieurs facteurs : un public messin limité par nature, un coût relativement élevé et une prononciation qui rend difficile la compréhension du discours. Mais il y a peut-être d’autres raisons…

Personnage entreprenant et sans doute habile, ambitieux, Thyrion gâche la bonne réputation qui pourrait être la sienne par des comportements répréhensibles. Il enseigne la chimie parce que cette activité peut lui permettre une promotion sociale et lui rapporter de l’argent. Aussi se pare-t-il de titres qu’il ne possède pas et de publications imaginaires ; aussi tente-t-il de forcer les portes des académies et d’obtenir un titre de professeur. Ceci n’apparaît pas dans les ouvrages sur la chimie où les cours messins sont envisagés en une ou deux lignes. C’est pourquoi il reste de lui, deux siècles et demi plus tard, le fait qu’il a été le premier vrai professeur de chimie à Metz et même en Lorraine, tant française que ducale.

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