La Thériaque*
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La Thériaque est un électuaire, c’est-à-dire un médicament administré par voie orale, composé de très nombreuses substances dures pulvérisées, mêlées à des produits tels que du miel, un sirop ou du vin, lui conférant une consistance molle.
Il faut remonter au II° siècle avant notre ère, c’est-à-dire il y a 2000 ans, à une époque où vivait à Colophon, en Ionie, un médecin-poète, Nicandre, auteur d’un poème intitulé Ta Theriaca, qui était un traité sur les morsures de bêtes sauvages, particulièrement les serpents et animaux venimeux, sur les précautions à prendre pour les éviter, et sur les remèdes propres à les guérir. En effet, en grec ancien, « Therion », c’est la vipère, le serpent, et, par extension, c’est le poison en général. Car, la lutte contre les poisons était le but initial de ladite Thériaque, renfermant déjà des produits qui paraissent bien fantaisistes, comme la poudre de vipère, la lie de vin séchée, ou la poudre de testicule de cerf… Au siècle suivant, en 65 avant JC, Mithridate, roi du Pont, craignant toujours d’être empoisonné, composa le contrepoison qui conservera son nom, le Mithridate, renfermant 46 substances, notamment de l’opium et des herbes aromatiques. Et c’est Criton, le médecin de Trajan, qui donnera le nom de Thériaque à cet électuaire, entre-temps complété à 71 substances par Andromaque, médecin de Néron, avant que Galien, qui tenait encore officine sur la Voie sacrée, ne lui donna l’élan qui devait lui permettre de traverser encore 18 siècles.
…Car il n’y a pas qu’une formule de la Thériaque mais une multitude de formules, simultanées ou successives, dont je vous fais grâce ! Par exemple, aux siècles où la Thériaque était reine, les XVIIème et XVIIIème siècles, il s’y trouvait plusieurs groupes de poudres, les unes purgatives (aloès et rhubarbe), fébrifuges (valériane), antiseptiques (cannelle, poivre, gingembre), fortifiants (lavande, menthe), des aliments, comme les semences de lentilles et de navets, des stimulants à l’odeur agréable (myrrhe et encens) et surtout de l’opium en quantité non négligeable, aux propriétés sédatives et calmantes (voir élixir parégorique actuel). En dehors des végétaux, on y incorporait de la terre sigillée, du bitume de Judée, du sulfate de fer, mais aussi du castoréum et, bien sûr, des vipères desséchées ; longtemps considérées comme l’ingrédient principal, on faisait des vipères un antidote contre tous les poisons, en application anticipée de la célèbre formule homéopathique « Similia similibus curantur ». Mais il y eu d’innombrables variantes, locales et régionales, je pense : – aux Thériaques de Venise, de réputation mondiale – à la Thériaque de Strasbourg, dite Thériaque Céleste – au Polycreste de Poitiers, destiné à combattre la peste, en 1605 – à l’Orviétan, tel qu’il figure, par exemple, dans la Pharmacopée royale de Moyse Charas en 1676** – aux « triacles, falsifications de la Thériaque vendues à prix réduits, sur les marchés de province, par les « triacleurs », pouvant se réduire à « du miel jaune fondu, dans lequel il entre quantités de méchantes racines, pourries, gâtées, et vermoulues ». Il y eut aussi la Thériaque Réformée qui ne traduit pas du tout son origine protestante, mais une variante créée, me semble-t-il, par Baumé vers 1780, et ne comportant pas plus de 20 substances ! Etaient-elles vraiment actives ? Car dès la fin du XVIIIème siècle, Vitet, dans sa célèbre Pharmacopée de Lyon de 1778, concluait déjà, sans appel : « …vous aurez la Thériaque, que les modernes ont réformé…sans pouvoir en faire un remède utile ! » Et au XIXème siècle, l’unanimité se fit peu à peu contre la Thériaque, et son injustifiable caractère polypharmaceutique. La persistance de sa formule jusqu’au Codex de 1884, avec 52 composants, dont un excipient formé de térébenthine, de miel, de vin de grenache, cette persistance, dis-je, doit plutôt être considérée comme une manifestation de respect pour les traditions, que comme une reconnaissance de sa valeur thérapeutique. Qualifiée, dès 1850, de « chaos infâme », de « chef d’œuvre d’empirisme », la Thériaque mourut de sa bonne mort à la fin du siècle dernier (XIX°), ne subsistant plus que par les splendides vases portant son nom ! Sic transit gloria mundi…
En effet, quelles pouvaient bien être les réelles indications thérapeutiques de la Thériaque ? Deux actions pouvaient réellement découler de l’administration orale de la Thériaque : – une action antispasmodique, due à l’opium (4 grammes de la Thériaque du Codex de 1886 représentait 0,05 gramme d’opium brut) ; – une action antiseptique intestinale, due à des drogues à essence (cannelle, girofle, origan, lavande…)
Les XVIIème et XVIIIème siècles représentent l’âge d’or de la Thériaque, et en particulier de sa préparation solennelle, publique et, semble-t-il, annuelle, dans d’innombrable pharmacies hospitalières, tant en Europe qu’en France ; cette tradition, remontant à Galien, avait été interrompue, puis reprise à la fin du XVème siècle, en particulier à Venise. C’est ainsi qu’en 1606, Laurent Cathalan, maître-apothicaire montpelliérain, convoque le « théâtre anatomique, les hauts personnages de la cité, les messieurs de la justice, et les professeurs de l’Université…Après son exposé oral, il se met à l’œuvre, pulvérise, tamise, dissout, délaie, fixe les règles de la conservation…Une certaine partie est vendue à la foire de Beaucaire… ». Le reste aux apothicaires du proche Languedoc, lesquels sont d’ailleurs contrôlés par les professeurs de l’Université. De telles démonstrations publiques, précédées par la présentation solennelle des n+1 composants, se déroulaient dans toute la France, on en a des comptes-rendus circonstanciés, au XVIIème siècle, à Lyon, à Paris, à Nantes, à Toulouse… et à Annonay, où la Thériaque de l’apothicaire Abrial fut présentée par François Chomel (1607-1682) médecin et conseiller du Roy dans cette ville, vers 1650, et vraisemblablement à l’hôpital de Notre-Dame-la-Belle, seul établissement digne de ce nom à cette époque . Cette Thériaque, vivaroise, était ensuite délivrée au public, probablement par la pharmacie du même hôpital. *Extraits de la Conférence de Michel Faure, Journée d’études Yssingeaux, 5 août 1995 sur « La pharmacie hospitalière et son matériel ». **De l’Origine du nom de Thériaque (Moyse Charas, 1668) « Les Anciens ont donné le nom de Thériaque à plusieurs compositions après avoir bien éprouvé la vertu qu’elles pouvaient avoir contre les venins ; jusque là qu’ils ont donné le nom de Thériaque à quatre drogues jointes ensemble, et même ils l’ont donné à une seule ; car ils ont appelé l’Ailla Thériaque des Pauvres. Et de là il apert, que nous n’aurons pas beaucoup de peine à juger que les vertus que la Thériaque a pour combattre et pour surmonter toute sorte de venins, lui peuvent avoir acquis en partie ce nom de « Therion » qui signifie feram, c’est-à-dire une bête farouche, pour dénoter que la Thériaque est propre, non seulement contre le venin de toute sorte d’animaux, mais aussi contre une infinité de maladies lesquelles ils comparent à des bêtes farouches. D’autres ont cru qu’Andromachus a voulu changer le nom de Mithridat en celui de Thériaque, à cause des Vipères, auxquelles il a attribué le nom de « Therion », et lesquelles il a ajouté pour la base principale de sa composition. Cette pensée me semble la plus raisonnable de toutes, puisque la Thériaque n’a commencé de prendre ce nom là que lorsque la chair des Vipères est entré dans sa composition. » |
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