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Théodore Huraut

Théodore Huraut (Commercy 1813 – Paris 1855),

une courte mais brillante carrière parisienne

 

Auteur :  Pierre Labrude

 

La naissance, les premières années et les études de pharmacie

Théodore Huraut est né à Commercy, dans le département de la Meuse, le 23 décembre 1813 (et non en septembre comme généralement indiqué), où son acte de naissance est rédigé le lendemain. Il est le fils de Pierre Huraut, boulanger dans cette bourgade, et de son épouse Marie Antoinette Billoret, tous les deux issus de villages proches de Commercy. Pierre Huraut est originaire de Saint-Aubin-sur-Aire, village situé à douze kilomètres au sud-ouest de Commercy. Fils de Théodore Huraut, maçon, et de Marianne Guillaume, il est né vers 1785 et il a été boulanger à Saint-Aubin avant de s’installer à Commercy. Marie Antoinette Billoret, la mère de Théodore, est née vers 1784 à Naives-en-Blois, à onze kilomètres au sud de Commercy, où ses parents, Claude Billoret et Marie Rouyer, sont agriculteurs. Pierre Huraut et Marie Antoinette Billoret se sont mariés à Naives le 8 janvier 1812. Théodore porte donc, comme c’est fréquent, le prénom d’un de ses grands-pères.

Les études de pharmacie de Théodore Huraut sont quelque peu énigmatiques car son biographe et ami, Decaye, qui écrit peu de temps après son décès et donc à un moment où la mémoire est encore précise, ne dit à peu près rien de son parcours théorique à l’Ecole de pharmacie de Paris, pour se concentrer sur quelques aspects et non sans commettre des erreurs… Après ses études « humanitaires » au collège de Commercy, indique t-il, ce qui laisse penser à l’obtention, qu’il ne mentionne pas, du baccalauréat ès lettres à l’issue de la vraisemblable poursuite d’études secondaires à Bar-le-Duc, Théodore Huraut est élève (on dirait aujourd’hui stagiaire) à la pharmacie Dommartin de cette ville de 1833 à 1836. Dommartin est remercié dans la thèse de Théodore qui poursuit ses études à Paris où il aurait été l’élève de Nicolas Denis Moutillard pendant sept années. Ceci est manifestement faux puisqu’il termine ses études en 1839 par la présentation d’une thèse. Par contre, nous voyons bien pourquoi Théodore a choisi d’effectuer sa formation pratique parisienne chez Moutillard fils, dont le père est pharmacien à Commercy et qui a été un brillant élève à Paris.

En 1838, Théodore Huraut est admis à prendre part aux travaux de l’Ecole pratique instituée à l’Ecole de pharmacie depuis 1831 et qui est à l’origine des travaux pratiques dans l’enseignement de la pharmacie. Cette école ne reçoit pas tous les élèves, faute de place, ce qui fait que l’enseignement reste théorique pour la plupart d’entre eux et que cette formation pratique s’acquiert au cours des stages et du travail effectué à l’officine. Ses élèves constituent donc une sorte d’élite et prennent part à un concours en vue de l’attribution de prix. Théodore, classé troisième sur onze condidats, reçoit le premier accessit assorti d’une médaille à la suite du concours organisé le 8 décembre 1838. Les notes de l’année étaient prises en compte et les élèves devaient analyser un alliage binaire et préparer différents produits. Nous n’en savons pas plus sur ses études à l’Ecole en dehors de leur achèvement par la soutenance d’une thèse. Il s’agit ici d’une thèse de fin d’études qui a lieu le 12 mars 1839 et dont le mémoire est conservé. Moutillard y est remercié au même titre que Dommartin. Intitulé Dissertation chimique sur l’hydrogène, suivie d’un nouvel aperçu sur la nature de ses sels, ce travail sort du cadre habituellement restreint inhérent à ce type de présentation à caractère académique, et il apparaît si remarquable aux professeurs qu’ils en votent à l’unanimité l’impression aux frais de l’Ecole ! Il s’ajoute à cela le fait certainement rare que ce travail fait l’objet d’une longue analyse lue par Félix Henri Boudet à la Société de pharmacie de Paris et qui paraît dans le Journal de pharmacie et des sciences accessoires. Boudet y signale « les connaissances étendues et profondes » de son auteur. Decaye consacre une page à cette thèse dans sa notice nécrologique.

La vie pharmaceutique officinale à Paris

 Théodore Huraut succède à Nicolas Denis Moutillard, contraint de se séparer de sa pharmacie en raison de son état de santé, à une date qui semble aujourd’hui impossible à préciser : 1840 ou 1841 selon Decaye, 1844 selon les historiens parisiens récents. Peut-être faut-il voir là l’imprécision des textes sur la durée du stage de Huraut chez Moutillard. Si Huraut ne lui a succédé qu’en 1844, il a pu demeurer en quelque sorte son élève et son remplaçant jusqu’à sa prise officielle de possession de la pharmacie à la fin de l’année 1843.

Au cours de son exercice, Huraut se fait remarquer par ses qualités professionnelles, son assiduité et sa vigilance dans la direction de l’officine, son honnêteté et son éloignement des manoeuvres des charlatans. C’est sans doute la raison de l’accolement à son nom de celui, respecté indique Decaye, de son Maître et prédécesseur, une association qui fait croire à une parenté. Désireux par ailleurs de contribuer au progrès des sciences, Huraut sollicite dès 1841 son admission à la Société d’émulation pour les sciences pharmaceutiques. Cette date n’est pas indifférente : est-il déjà titulaire ou a t-il encore assez de liberté pour se livrer à des recherches scientifiques ? En effet, pour être admis à cette société, qui a été fondée par les internes en pharmacie des hôpitaux de Paris, donc l’élite des élèves, mais qui est ouverte à ceux qui ne le sont pas, il convient de lui soumettre un mémoire scientifique original. C’est ainsi que Huraut présente un travail intitulé Etude sur la constitution des produits désignés sous le nom d’uréthane, oxaméthane, etc., et leurs analogues. Il présente ensuite de nombreux travaux à la société entre 1841 et 1848, comme en font état les comptes rendus des séances. Certains des mémoires sont imprimés dans le Recueil des travaux de la Société d’émulation. Nous les envisagerons plus loin.

 En 1846, Huraut est élu membre de la Société de pharmacie de Paris, où il présente également un nombre important de travaux entre 1847 et 1854. Il se dévoue aussi pour des activités administratives et philanthropiques pour lesquelles il est remarqué et récompensé. Mais sa santé s’altère et, en dépit des soins qu’il reçoit et de sa vie calme et régulière, il meurt en 1855, soit de onze à quatorze années seulement après le début de son activité de pharmacien titulaire, à l’âge de quarante-deux ans… La pharmacie est reprise par Ambroise Buirat à une date mal précisée. C’est lui qui assurera le transfert de l’officine vers la rue Soufflot. Là encore la date est imprécise et varie selon les auteurs.

Les publications scientifiques

 Il est toujours difficile de réaliser un recensement complet des publications car, souvent, tout n’est pas publié, ou, à l’inverse, publié dans des revues peu connues ou d’existence éphèmère. Par contre, à l’époque, un même travail apparaît souvent successivement dans deux revues, ou sous la forme d’une traduction, sans aucun changement de fond ou de forme.

Dix communications sont présentées à la Société d’émulation de 1841 à 1849 sans qu’une parution en soit faite, à ma connaissance, dans le Recueil des travaux. Elles portent sur : une substance gélatineuse, la falsification des farines, le rôle de l’azote atmosphérique sur la vie, la matière colorante du nerprun, le nitrate de potassium dans la belladone, la falsification du valérianate de zinc (avec Antoine Larocque qui est le premier auteur), le baume Tranquille, le tartrate de magnésium et ses falsifications, les acides nitrique et sulfurique et le foie de morue, enfin l’urine des personnes atteintes par le choléra. Sept sont publiées dans le Recueil : l’origine du soufre dans les végétaux, la production de l’essence de valériane, la préparation de la limonade citro-tartro-magnésienne, les sucs éthérés des plantes, la préparation de l’extrait de cigüe, une falsification de l’acide citrique et la préparation du chloroforme, celle-ci encore avec Larocque comme premier auteur. Six de ces notes paraissent aussi au Journal de pharmacie et de chimie entre 1843 et 1848 : la question du soufre, le valérianate de zinc, l’essence de valériane, l’extrait de cigüe et le chloroforme, avec Larocque, le baume Tranquille enfin.

Le Journal de pharmacie et de chimie accueille huit autres notes entre 1848 et 1854. Elles portent sur les préparations de l’iodure de plomb, sur un appareil destiné à préparer les extraits sous vide (ce sujet l’intéresse particulièrement et il y avait déjà consacré une note en 1846 à la Société d’émulation), le sirop de ratanhia et les sirops à base d’extraits, l’hydroferrocyanate de potassium et d’urée, l’essai du gaiac, l’altération des pastilles, le sirop de violettes (deux notes), ainsi que deux rapports, l’un sur un travail de Larocque relatif à la volatilisation des sels dans la vapeur d’eau, l’autre sur un ouvrage de son confrère François Dorvault, portant sur l’iode.

Tout ceci représente donc un nombre très significatif de publications, qui ont trait aux différents aspects de l’art pharmaceutique du milieu du XIXe siècle, où le pharmacien prépare les médicaments qu’il dispense et se trouve confronté aux éventuelles difficultés de leurs méthodes de réalisation, à la qualité des drogues qu’il emploie, donc à leurs falsifications, et à des questions de chimie. Aussi ces travaux portent-ils sur la pharmacie galénique et la technologie pharmaceutique, la chimie et la pharmacie chimique, mais aussi sur la biologie et la chimie clinique. Parmi eux, certains ont été remarqués par les historiens : la question de l’azote atmosphérique et celle du soufre dans les végétaux. Il faut aussi mentionner les procédés technologiques d’évaporation employés par Huraut et cités par Dorvault : un appareillage qui transforme l’alambic en un véritable appareil sous vide et qui constitue sans doute un précurseur du lyophilisateur. Par ailleurs, selon Vigier, c’est Huraut qui a donné à Dorvault l’idée de son célèbre ouvrage. Vigier écrit en effet : « (…) c’est lui qui donna à son ami Dorvault l’idée de L’Officine et l’aurait également signée si la mort ne fût venue le surprendre (…) ». Ceci ne manque pas de surprendre quand on sait que la première édition de cet ouvrage est de 1844 et que Huraut meurt en 1855 ! L’Officine mentionne le nom de Huraut-Moutillard à propos du soluté de proto-iodure de fer de Dupasquier dont Théodore a amélioré la méthode de préparation.       

 

Les activités administratives et philanthropiques

Huraut, élu à la Société d’émulation en 1841, en devient le trésorier l’année suivante et le reste jusqu’en 1850 selon Decaye qui mentionne qu’il est aussi administrateur du bureau de bienfaisance, de la caisse d’épargne, et membre du conseil de salubrité de son arrondissement. Il se dévoue lors de l’épidémie de choléra qui atteint Paris en 1849 et cela lui vaut l’attribution d’une médaille d’argent. Il est enfin le secrétaire annuel de la Société de pharmacie en 1850.

 

Conclusion

Théodore Huraut est mort jeune à l’issue d’une vie professionnelle qui a été décrite comme exemplaire, et aussi au terme d’une vie scientifique riche, comme peu d’officinaux en mènent : une thèse de fin d’études remarquée et analysée dans une revue pharmaceutique de référence, une admission à la Société d’émulation puis à la Société de pharmacie, et un nombre important de publications se rapportant aux différentes facettes de l’art pharmaceutique de l’époque.

Pourtant, en dépit de ses activités et de sa notoriété, Théodore Huraut semble avoir été vite oublié. Dans une publication qui montre des étiquettes utilisées par son successeur, on lit avec surprise : « Pharmacie Moutillard, Buirat successeur », ce qui est faux mais qui est peut-être la conséquence de l’accolement du nom Moutillard à celui de Huraut et de la croyance à une parenté. Buirat ne pouvait cependant pas ignorer la réalité. Aussi l’oubli de Huraut apparaît-il ici comme particulièrement inconvenant, et ceci d’autant plus qu’en dépit des incontestables qualités de Moutillard, Théodore Huraut en avait aussi, cependant que sa liste de publications dépassait de beaucoup celle de son Maître, qui avait été élu à la Société de pharmacie en 1811… Pour sa part, Buirat semble n’avoir rien écrit et il n’a pas été membre de la Société.

 

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