Le professeur Théodore Guilloz (1868-1916),
pionnier et victime de la radiologie
Auteur : Pierre Labrude
Après la découverte des rayons X par Roëntgen le 8 novembre 1895 à l’université de Würzburg et la première radiographie qu’il publie, la main et la bague de son épouse prises le 22 novembre, de nombreux physiciens et médecins commencent à s’adonner à la radiologie. A Nancy, le créateur de cette nouvelle discipline est Théodore Guilloz, médecin hospitalier qui avait obtenu son diplôme de pharmacien en 1892. Ses premières radiographies datent du 11 mars 1896, alors qu’il est depuis peu agrégé de sciences physiques à la Faculté de médecine. Guilloz est originaire de Rougemont, dans le Doubs, où il est né le 18 mai 1868. Bachelier ès sciences le 22 juillet 1884, il suit à Paris les cours de l’Ecole des mines lorsque des raisons familiales le rappellent auprès de sa mère, qui est veuve, et l’amènent à se réorienter en pharmacie, médecine et sciences. Il s’inscrit alors comme stagiaire à la pharmacie Nicklès à Besançon, dont le titulaire Joseph-Adrien Nicklès (1853-1936), issu d’une famille bien connue de pharmaciens alsaciens, est aussi un écrivain et un historien. Guilloz poursuit en même temps des études de médecine tout en exerçant comme externe des hôpitaux de Besançon, et des études de sciences qui sont sanctionnées par la licence ès sciences physiques le 13 juillet 1889. Il est reçu à son examen de validation de stage officinal avec la mention bien, à Besançon, le 13 novembre 1889.
Comme Besançon ne possède à l’époque qu’une Ecole préparatoire de médecine et de pharmacie, et que celle-ci est placée sous la tutelle de la Faculté de Nancy, ses professeurs président les jurys à Besançon tandis que les étudiants bisontins se déplacent en Lorraine pour y subir certaines épreuves. C’est ainsi que Guilloz vient passer un examen devant le professeur Charpentier, titulaire de la chaire de physique, qui, au vu de ses titres et de ses connaissances, lui propose aussitôt l’emploi de chef des travaux pratiques de physique à la Faculté, fonction qui prend effet le 21 novembre 1889.
Guilloz s’inscrit alors à l’Ecole supérieure de pharmacie de Nancy où j’ai retrouvé sa fiche d’élève. Une décision ministérielle du 16 décembre le dispense des quatre premières inscriptions, cependant que les huit suivantes sont prises entre le 14 janvier 1890 et le 26 octobre 1891. Reçu aux examens de fin de 1e année le 28 décembre 1889 puis de 2e année le 4 novembre 1890, Guilloz quitte l’Ecole de Nancy pour celle de Paris en octobre 1891 et il y passe ses examens de fin d’études pour obtenir le diplôme de pharmacien de 1e classe le 24 novembre 1892.
La thèse de doctorat en médecine de Guilloz, consacrée à un sujet de physique ophtalmologique, qui est alors le thème de recherche du professeur Charpentier, est soutenue à Nancy le 4 décembre 1893, et il reçoit le prix de thèse pour ce travail. Il est reçu au concours d’agrégation de médecine dans la section de sciences physiques le 25 juin 1895 et, la même année, la Faculté crée un service de consultations pour électrodiagnostic et électrothérapie dont il reçoit la direction. Au cours de la première année, 381 malades sont traités et nécessitent 2743 applications diverses. Dès l’annonce de la découverte des rayons X et de leurs potentialités, Guilloz ajoute à son service un laboratoire de radioscopie et de radiographie et modifie le thème de ses recherches, jusque-là consacrées à l’optique où il a déjà publié des travaux considérés comme remarquables. Il se consacre alors entièrement à la radiologie et à l’électrothérapie. Dès mars 1896, Guilloz présente à la Société de médecine de Nancy ses premiers résultats avec en particulier la localisation intra-thoracique d’une balle qui peut être extraite. Avec son collègue Jacques, il applique les rayons X à l’étude de l’anatomie fœtale, et leurs travaux sont présentés à la « Réunion biologique », prédécesseur nancéien de la Société de biologie dont Guilloz est le premier secrétaire général de 1903 à 1910.
C’est le 15 janvier 1897 qu’est ouverte aux Hospices civils de Nancy (Hôpital central en 1931) la clinique complémentaire d’électrothérapie de la Faculté de médecine. Elle est installée provisoirement dans le sous-sol du pavillon Virginie-Mauvais qui abrite les services de médecine et chirurgie infantiles, puis dans celui du pavillon Léonie Bruillard-Balbâtre nouvellement construit. Ces locaux et leur personnel s’avèrent rapidement insuffisants. En 1899, tenant compte de la circulaire du ministre de l’Intérieur en date du 23 juin 1898 et aussi à la demande de Guilloz, le conseil municipal de Nancy vote un crédit d’urgence de 2500 F pour adjoindre à son service hospitalier un équipement radiographique et créer un service municipal gratuit de radiographie, ouvert aux malades des hôpitaux et hospices, mais aussi à ceux des médecins de l’assistance publique, du bureau de bienfaisance et des sociétés charitables.
Le 15 février 1901, le conseil de l’université inclut cette clinique d’électrothérapie et de radiologie dans les enseignements de clinique complémentaire qu’il finance et, le 7 décembre 1913, la charge de cours de l’enseignement complémentaire fondé par l’université devient une charge de cours d’Etat avec Guilloz comme titulaire. Pourtant, en dépit de ses services et de la volonté de la Faculté de le conserver dans ses cadres, sa situation professionnelle n’est toujours pas réellement assurée puisque les chefferies de travaux pratiques sont soumises à renouvellement annuel et que les fonctions d’agrégé sont limitées dans le temps. Arrivé en fin d’exercice, Guilloz est prorogé pour trois ans à compter du 1er novembre 1904 puis encore en 1907 et ultérieurement. Il devient ainsi le plus ancien des agrégés de la Faculté et demeure aussi chef de travaux jusqu’à sa mort. Le 28 juillet 1906, le ministre de l’Instruction publique lui confère cependant le titre de professeur adjoint, ce qui lui assure un rang universitaire et hospitalier convenable, et la stabilité en attendant la vacance d’une chaire.
Plusieurs récompenses démontrent la valeur des activités du médecin et de l’enseignant : les palmes d’officier de l’Instruction publique le 1er janvier 1903, la nomination au grade de chevalier de la Légion d’honneur dans la promotion du 20 octobre 1909 décernée à l’occasion de l’Exposition internationale de l’Est de la France à Nancy où Guilloz a exposé ses matériels et ses réalisations, l’élection comme correspondant national de l’Académie de médecine, dans la division de physique et chimie médicales, le 14 juin 1910.
Au cours de ces années, Guilloz a beaucoup travaillé dans les deux domaines d’activité de sa clinique comme en témoignent les nombreuses publications recensées chaque année dans les comptes rendus de la séance solennelle de rentrée de l’université. En électrologie, par exemple, il a étudié l’action du courant continu sur les échanges et la respiration du muscle et inventé un appareil de thermo-cautérisation à courant de haute fréquence. En radiologie, il s’est intéressé aux calculs et a conçu un radioscope pour délimiter la position de l’estomac. Il est aussi le concepteur d’un « photomètre physiologique » et d’un tube à deux anticathodes pour la stéréoradiographie. Dans le Traité de radiologie médicale de Bouchard, il a rédigé le chapitre consacré à l’ophtalmologie.
Au début de sa pratique radiologique, et comme les autres praticiens de cette nouvelle discipline médicale, Guilloz ignorait leur nocivité. Aussi, dès 1898, il a les mains très abîmées par une radiodermite à la suite de leur exposition fréquente au rayonnement des tubes, de très près et sans protection, et aussi en raison des longues poses nécessaires aux clichés. Puis les lésions s’accentuent et il doit subir des amputations au niveau du membre supérieur gauche. On tend à ignorer leur existence car les photographies les cachent soigneusement. Il reçoit en 1909 la médaille d’or de la fondation Carnegie.
Guilloz n’oublie pas l’Ecole supérieure de pharmacie de Nancy puisqu’on trouve son nom sur la liste des membres de l’Association des anciens élèves dès sa création le 2 juin 1907 et dans le premier numéro du bulletin. Cette proximité fait que l’école pense à lui comme recours pour des enseignements. C’est ainsi que, lors de ses séances des 17 et 23 octobre 1912, le conseil de l’Ecole, ayant des démêlés avec son agrégé chargé du cours de physique, demande au ministre que le cours soit assuré par Guilloz, ce que le ministre n’accepte pas. Le conseil fait la même démarche lors de sa séance du 29 novembre, et il en est encore question le 28 janvier 1913. Girardet reste cependant chargé de son enseignement de physique.
A la déclaration de guerre de 1914, Guilloz est immédiatement mobilisé comme médecin major de 2e classe (capitaine) au service de radiologie de la place de Nancy où il a à assurer l’organisation des laboratoires des hôpitaux militaires créés au moment des batailles de Morhange et du Grand Couronné de Nancy. Il met sur pied à la Faculté des sciences un service de réparations des tubes de Crookes. La guerre se prolongeant, le Service de santé militaire décide d’installer dans chaque région militaire des centres de spécialités et, en XXe région (Nancy), les Hospices civils sont désignés pour se charger de cette organisation. Le 14 novembre 1914, Guilloz est nommé chef des services radiologiques des XXe et XXIe (Epinal) régions militaires. Là encore, il faut doter les formations hospitalières d’équipes de radiologie. Ce sont souvent des professeurs des lycées et des facultés des sciences, et c’est ainsi qu’à Nancy le professeur Rothé remplace à l’hôpital le collaborateur de Guilloz, Lamy, et que Jacquot, de l’Ecole de pharmacie, ancien collaborateur de Guilloz, participe à l’activité du service de radiologie de l’hôpital installé au lycée Henri-Poincaré. Au commencement de l’année 1915, Guilloz construit un appareil de repérage des projectiles dans les tissus. Dans le centre de spécialités, il peut ensuite faire revenir Lamy auprès de lui, et il y est aussi aidé par le pharmacien aide-major Emile Thomas, diplômé à Nancy en 1906 et titulaire d’une officine place Saint-Jean, non loin du lycée.
A ce moment, la santé de Théodore Guilloz ne lui permet plus de soutenir une activité aussi intense. Venu se reposer (?) dans la région rhodanienne, il meurt à Mézieu, dans l’Isère, le 26 mars 1916, à l’âge de 48 ans. La radiodermite dont il est atteint est accusée d’avoir eu raison de lui. Pourtant une photographie présente dans ma documentation (figure 1), où il est en uniforme dans sa maison au début du conflit, ne laisse pas penser à une santé déficiente, mais plutôt à un embonpoint déjà avéré. Théodore Guilloz figure en 1920 dans la liste des morts de l’Ecole de pharmacie pendant la guerre de 1914-1918. Il reste présent dans les souvenirs de l’Ecole et de la Faculté puisqu’en 1920 et 1930, deux articles du bulletin de l’Association des anciens étudiants évoquent encore sa brillante carrière et son décès prématuré.