Remèdes d’autrefois (Cabanès) (3)
Le culte des pierres, des arbres et des eaux
Nous avons déjà parcouru plusieurs chapitres de l’ouvrage de Cabanès de 1913 sur les remèdes d’autrefois. La présente exposition s’intéresse au culte des pierres, des arbres et des eaux. Il existe une abondante littérature dans ce domaine et Cabanès en a tiré quelques exemples parmi des centaines.
Il explique que de nombreuses légendes véhiculent que les hommes ont été formé de pierre.
Dans l’Edda, l’homme nait d’une pierre léchée par une vache. Au sommet des montagnes, les pierres rappelaient un héros ou un dieu des voyageurs et des marchands, auxquels elles étaient consacrées, les pierres furent adorées comme les dieux qu’elles étaient censées représentées. Il y avait aussi un grand nombre de pierre sacrées en Asie. Charlemagne défendit de révérer les pierres et les arbres, de même que le Concile d’Arles en 452.
Le culte des arbres est très ancien : Comme l’indique Gourguene Karapetian dans notre Revue en 1971, « les citations historiques des prêtres arméniens païens Oghumpe et Bardazane, qui vivaient aux I° et IIe siècles de notre ère, confirment l’existence en Arménie de temples païens dans les profondeurs des forêts, sosiatz antar en arménien, consacrés à la vénération des arbres sacrés et au culte des plantes. Ces temples étaient dédiés aux déesses Anahite et Astrike, protectrices des femmes malades et enceintes ».
Le Noyer de Bénévento était un très vieux noyer – dit toujours vert – consacré au dieu germanique Odin, autour duquel une communauté de Lombards s’est réuni à partir du VIe siècle, dans les territoires habitée par les Samnites (Jacques Brosse).
Un peintre éthiopien a représenté une scène de culte aux esprits des arbres nommée adbar et pratiquée, ici, par des chrétiens orthodoxes.
Une femme oint de beurre un arbre pendant qu’un homme verse à son pied le sang d’une chèvre sacrifiée pour l’occasion. Une grande tablette pour le café est disposée au pied de l’arbre, révélant la dimension sociale et domestique de ce culte aux esprits de protection puisque le café est au centre de nombreuses interactions. Tout autour, on s’affaire à préparer un banquet et à le déguster : viande, bière, café, galettes de blé, fèves bouillies (nefro) sont au menu.
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Une charte de Chilperic prononça les peines les plus sévères contre ceux qui ne détruisaient pas les monuments de pierres qui couvraient les champs de la France. Ce culte va perdurer très longtemps comme le montre Cabanès : le menhir de Kerloaz (lieu de douleur), en Plouarzel, se termine en cône par les deux bouts. Les nouvelles mariées y mènent leurs maris, leur font baiser la pierre, pour être maitresses chez elles. Les hommes et les femmes se frottent le nombril contre ce pilier pour engendrer plutôt des garçons que des filles. La friction sur les pierres n’est pas efficace que pour la stérilité :
en passant par Guimale, les pèlerins qui se rendent au pèlerinage de Saint-Jean-du-Doigt se frottent le dos contre la plus élevée des treize pierres mégalithiques, de forme ovale, appelée Bez-an-Inkinérez (tombeau de la fileuse), dans l’espoir d’être préservée des rhumatismes. Les fragments ou poussières de pierre jouent le même rôle que les pierres elles-mêmes dans la médecine superstitieuse. Au Vietnam, au début du XXe siècle, Léopold Cadière a décrit de nombreux pierres sacrées, pierres fétiches et génies-pierres1. Le respect des pierres se manifesta aussi en Chine, en même temps que le culte des montagnes et des lieux élevés.
En France, on voyait, au début du XIXe siècle, une pierre merveilleuse dans l’église de Saint-Wast, à Arras. Lorsque les enfants tardaient à marcher, on les asseyait sur cette pierre ; et faisant allusion au nom qu’elle porte, on disait trois fois : Va, va, va, en l’honneur de saint Wast (Cabanès). Mélangées aux boissons des malades, les pierres auraient une efficacité toute spéciale, nous dit aussi Cabanès.
Enfin le culte des eaux et sources est évidemment très populaire et très ancien. Chez les Grecs et les Romains, les témoignages sont nombreux et toutes les divinités représentant les éléments naturels ou symbolisant des phénomènes atmosphériques ou terrestres, pouvaient concourir à la santé ou à la guérison des hommes ; elles entraient ainsi dans l’art médical, et les anciens leurs consacraient un culte, en plaçant leurs temples près des sources sacrées (Grasset). Jupiter avait sous sa dépendance la source Asbamée, dont l’eau rendait malades les parjures. Avant de traverser les fleuves, on leur faisait souvent un sacrifice.
Les Romains vénéraient les fleuves et en première ligne, le Tibre. On lui offrait un sacrifice le 8 décembre et les pécheurs célébraient sa fête le 7 juillet. Le culte des eaux a existé en Inde, en Égypte, en Perse, dans toute l’Asie, en Gaule, etc. Le christianisme n’a fait que transformer, sans pouvoir arriver à la détruire, ces vieilles coutumes païennes. L’historien de Beaune, Gaudelot, parle d’une fontaine de Saint-Romain, surmontée de deux têtes de pierre, qu’on croyait être celles de Neptune et de Dis. L’habitude des pèlerins de les gratter, pour en faire boire la poussière aux malades, les avaient complètement défigurées. On y apportait, de quatre à cinq lieues, les petits enfants malades ou leurs linges, qu’on trempait dans la fontaine. De nombreuses fontaines sont censées donner un lait abondant aux nourrices.
A Comelle, la fontaine de Sainte-Claire guérit les yeux. A l’Essetenne, les eaux délivrent de la fièvre les croyants, comme s’y pressaient les Celtes, il y a 2000 ans. Dans presque toutes les provinces de France, on retrouve le culte des sources. Dans le Limousin, on va se laver au mois de mai dans les bonnes fontaines de Saint-Martin pour soigner rhumatismes, érysipèle, etc. Avant de se retirer, on en fait trois fois le tour et on jette des pièces de monnaie, sans les compter. A Salins, près de Mauriac, une fontaine, dont l’eau passait pour guérir la teigne, avait été divinisée par les Gaulois. Chaque guérison était suivie de l’offrande de quelque monnaie, déposée dans la fontaine. Cette fontaine druidique est devenue celle de Saint-Martin, et le vieux culte se continue, nous dit Cabanès.
Une légende bretonne veut que Saint-Conogan, patron de la paroisse de Beuzit, ait traversé l’Océan sur une auge de pierre.
C’est cette auge dans laquelle on s’étend ou contre laquelle on se frotte, pour se délivrer de rhumatismes et de toutes sortes de douleur nerveuses. Quant à la fontaine, voisine de la chapelle, elle aurait la propriété de guérir les maux d’yeux.
A la fontaine Saint-Jean-Baptiste de Pierresixte (Pierre Fixte) (Eure-et-Loir), on plongeait les enfants, tous nus, dans l’auge, avec l’idée que ce bain glacial devait soit les guérir s’ils étaient destinés à vivre, soit les faire périr dans le cas contraire. Plusieurs fontaines n’agissaient que certains jours : La fontaine de Monies, près de Dourgnes, était surtout efficace le jour de la Saint-Jean, parce qu’au matin, le soleil levant dansait en éclairant ses eaux.
1. Cadière Léopold. II. Le culte des pierres. In: Bulletin de l’Ecole française d’Extrême-Orient. Tome 19, 1919. pp. 1-39