Nous avons vu une première exposition sur les remèdes d’autrefois, par Cabanès (1913). Ce dernier s’intéresse à l’usage de la musique dans les maladies. Il évoque l’épisode de Saül dans la Bible : « L’Esprit du Seigneur se détourna de Saül, et un esprit mauvais, envoyé par le Seigneur, se mit à le tourmenter. Les serviteurs de Saül lui dirent : « Voici qu’un mauvais esprit de Dieu te tourmente. Un seul mot de notre maître, et les serviteurs qui sont devant toi chercheront un bon joueur de cithare ; ainsi, quand un mauvais esprit de Dieu viendra sur toi, cet homme jouera de son instrument, et cela te fera du bien. » Saül répondit à ses serviteurs :
« Voyez donc s’il n’y a pas pour moi un homme qui soit un bon musicien, et amenez-le-moi. » L’un des garçons prit la parole et dit : « J’ai vu, justement, un fils de Jessé, de Bethléem, qui sait jouer. C’est un homme de valeur, un vaillant guerrier ; il parle avec intelligence ; c’est un bel homme et le Seigneur est avec lui ! »
Alors Saül envoya à Jessé des messagers pour lui dire : « Envoie-moi ton fils David, qui est avec le troupeau. » Jessé prit un âne qu’il chargea de pains, ainsi qu’une outre de vin et un chevreau, et il envoya son fils David les porter à Saül.
David arriva auprès de Saül et se tint à sa disposition/ Ainsi, lorsque l’Esprit de Dieu venait sur Saül, David prenait la cithare et en jouait. Alors Saül se calmait et se trouvait bien : l’esprit mauvais s’écartait de lui. »(1 Samuel 16:2).
On lit déjà dans Homère que la musique fut prescrite à Ulysse, pour lui faire oublier la douleur consécutive à la morsure d’un sanglier.
Plus tard, Galien recommandait l’emploi de la musique contre la morsure des vipères et des scorpions. Démocrite assure que la musique est un remède contre la peste.
Au Moyen-âge, le peintre Hugues Van der Goes, atteint d’aliénation mentale, vit tristement au fond d’un monastère. En 1878, un peintre belge, Émile Wauters, représente la scène où on le traite grâce à la musique : le prieur, debout derrière le malade, étudie les effets de ce remède d’un nouveau genre, sur le visage du malheureux confié à ses soins, et d’un geste il encourage les chanteurs.
Un autre exemple historique concerne le roi Don Pedro qui, dans son terrible deuil d’Inès, éprouvait un besoin étrange de danse et de musique. Quelquefois, quand il ne dormait pas, il prenait des trompettes d’argent avec des torches et s’en allait dansant dans les rues; le peuple alors se levait aussi et soit compassion, soit entraînement méridional, ils se mettaient à danser tous ensemble. Cette espèce de vertige collectif se manifesta également en Italie lors d’une curieuse maladie, le tarantisme, qui fut longtemps attribuée à la morsure de la tarentule. Une fin tragique était ordinairement la fin de cette maladie qui se signalait par un abattement extrême, accompagné de délire et d’un penchant insurmontable à se détruire. L’unique remède consistait à jouer d’un instrument : flûte, guitare ou même trompette. Les sujets se réveillaient et finissaient par se livrer à la dans la plus passionnée.
Sous le règne de Louis XIII, Porta, auteur de Magia Naturalis, était d’avis qu’on pouvait guérir toutes sortes de maladies par la musique, pourvu qu’on fit les instruments avec le bois des plantes passant pour efficace dans la maladie qu’on avait à traiter. Ainsi prétendait-il guérir les maniaques avec des flageolets de tige d’ellébore, de même qu’il restituait aux impuissants leur virilité avec des flageolets de de roquette ou de satyrium.
C’est au XVIIIe siècle qu’on tente de codifier la « mélothérapie ». Au début de ce siècle, Jacques Bonnet avait édité l’Histoire de la musique et de ses effets : il y raconte qu’étant à La Haye en 1683, un écuyer du Prince d’Orange lui fit entendre un petit concert qui était la potion cordiale dont son maître se servait pour dissiper la mélancolie ou pour se soulager quand il était malade. Burette parle de plusieurs maladies que la musique est susceptible de guérir : la fièvre quarte, la peste, la syncope, la surdité, la sciatique, etc.
Récamier avait rédigé une ordonnance pour une duchesse du faubourg Saint-Germain : « L’estomac aime le rythme. madame la duchesse prendra ses repas au son du tambour« . Pour les patients qui n’avait pas les moyens de le faire, il prescrivait de suivre la musique militaire qui se jouait tous les soirs place Vendôme. Et on voyait en effet, tous les soirs, une interminable file de gastralgiques et de dyspeptiques, qui, en suivant les tambours et les clairons de la place Vendôme, suivaient religieusement l’ordonnance de l’original chirurgien. Cabanès donne de nombreux autres exemples de guérisons par la musique et conclut que « la musique est le plus souvent un antispasmodique ou plutôt un modificateur des impressions nerveuses ; elle est en outre nous l’avons vu, antidyspeptique… Elle est aussi sédative.. »
Un autre chapitre de l’ouvrage de Cabanès est consacré aux processions dansantes. Il évoque surtout la peinture ci-dessus de Pierre Breughel.
Je cite : « Il existe, au Rijks Museum d’Amsterdam un très curieux dessin à la plume, attribué à Breughel le Vieux, et dont l’artidte a eu soin d’établir lui-même la légende. « Voici, écrit-il, les pélerins qui, le jour de la Saint-Jean, doivent danser à Muelebeek, près de Bruxelles ; quand ils ont dansé ou sauté sur un pont, ils sont guéris de mal de Saint-Jean pendant une année entière. » L’image date de 1569. « Une série de femmes,soutenues chacune par deux hommes et précédées par des joueurs de cornemuse, soufflant à plains poumons dans leurs instruments, se dirigent, en dansant, sur une seule file, vers une chapelle qu’on aperçoit dans le lointain et où se trouvent sans doute déposés les restes du saint.
Ce sont des gens du commun, car leur mise est à peu près celle des paysans qui figurent dans les tableaux de Teniers et de Brouwers. L’ordre de la procession se trouve de temps en temps troublé ; plusieurs pélerins, en effet, en proie aux tourments d’attaque dont le caractère ne peut être méconnu, gesticulent, se contorsionnent et se débattent sous l’étreinte de leurs compagnons ; ceux-ci -c’est la peut-être leur principale fonction- font tous leurs efforts pour les contenir et les empêcher de tomber à terre. Sur le second plan, se voit un ruisseau, où des serviteurs empressés vont puiser à l’aide d’écuelles. L’eau qui y coule est douée peut-être de propriétés curatives ; en tout cas, elle pouvait servir à étancher la soif dont souffraient les principaux acteurs. »(Charcot : les démoniaques dans l’art, 1887).