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Remèdes d'autrefois (Cabanès) (1) Les rois guérisseurs

Le docteur Cabanès a publié, en 1910 puis en 1913, un ouvrage en deux volumes intitulé « Remède d’autrefois ». Le premier tome s’était intéressé aux remèdes tirés de toutes les ressources naturelles. Le second volume avait l’ambition de balayer différents aspects de la maladie et de la guérison, des « rois guérisseurs » aux « saints médecins », en passant par « l’action curative des couleurs », la « médecine vibratoire », etc. Au cours de cette exposition, nous allons balayer chacun de ces chapitres qui pourraient, à eux seuls, constituer une exposition.

Salomon, portrait de Pedro Berruguete réalisé vers 1500

Tout d’abord, les « Rois guérisseurs », pour lesquels Cabanès évoque d’abord la figure du roi Salomon, un grand botaniste qui connaissait, dit le Livre des Rois, « depuis le cèdre qui croît sur le Liban, jusqu’à l’hysope qui vient sur les murailles. Salomon aurait rédigé plusieurs formules détruites par son arrière-petit-fils, Ezéchias, pour que Dieu ne soit pas offensé « par les maléfices en lesquels avaient été convertis les salutaires secrets de son bisaïeul ». Cabanès passe en revue les activités médicales et pharmaceutique du roi de Perse, Cambyse, fils de Cyrus, fabriquant lui-même ses onguents, et celles des Égyptiens : au dire de Manéthon, quatre mille ans avant notre ère, Athotis, second roi de la première dynastie, écrivit six livres de médecine.

Attale III

Attale Philométor, roi de Pergame (134 ans avant J.-C.) se distingua par ses connaissances en botanique et en pharmacologie. Il cultivait dans ses jardins la jusquiame, l’aconit, la ciguë, l’ellébore et fit de nombreuses expériences sur ces plantes.

Mithridate

Le plus célèbre de ces souverains pharmaceutes, nous dit Cabanès, fut, sans contredit, Mithridate Eupator, roi du Pont qui fit sur des criminels et lui-même l’essai de toutes les substances vénéneuses. Il est particulièrement célèbre comme inventeur d’un électuaire qui se composait de 54 substances et qui aboutit ultérieurement à la Thériaque.

Agrimonia Eupatoria

Ce goût de Mithridate pour la pharmacologie resta dans les mémoires. Cratevas dédia à Mithridate son ouvrage sur les végétaux et donna le nom de ce souverain à deux plantes : l’aigremoine (Agrimonia Eupatoria) et le Mithridatium (Erythonium dens canis, L.). Pline évoque Zachalias qui dédia à Mithridate un ouvrage sur les pierres précieuses.

Artémise, reine de Carie et femme de Mausole (380 avant J.-C.) donna son nom à l’armoise (Artemisia vulgaris). Gentius, roi des Illyriens, découvrit et baptisa la gentiane. Certains empereurs romains portaient avec eux des médicaments, qu’ils offraient en signe d’amitié. Tibère fabriquait lui-même des pommades et des onguents pour le traitement des dartres dont il était atteint.

 

Alphonse X.

Au Moyen-âge, le roi Alphonse X (1221-1284), que son amour pour la science avait fait nommer « le Savant », s’était beaucoup occupé d’astrologie et d’alchimie.

Charles II de Navarre, dit le Mauvais (illustration Grandes chroniques de France)

Charles le Mauvais, qui périt dans un bain d’eau-de-vie enflammée, passait pour très capable dans la science hermétique et surtout dans la connaissance des poisons. Plusieurs pontifes se sont aussi occupés de remèdes et de poisons : Alexandre VI passait pour un redoutable sorcier et ont trouva dans ses papiers des recettes propres à conserver la santé. Enfin, il faut rappeler que Louis XIV avait une apothicairerie à Versailles « où il travaillait, seul, à faire des remèdes pour l’hernie ».

Buste de Pyrrhos provenant de la villa des Papyri d’Herculanum – Museo Archeologico Nazionale – Naples

Représentant la puissance divine sur cette terre, les rois eux-mêmes pouvaient guérir leurs sujets grâce au « toucher royal «  auquel Cabanès consacre un long chapitre. Pendant de longs siècles, les rois de France ont eu le don de guérir les écrouelles, rien qu’en les touchant de leurs mains ointes, au préalable, avec le Saint-Chrême ou huile sainte. Ce privilège est fort ancien : les chrétiens semblent avoir hérité cette pratique des païens : Pyrrhus, le fameux roi d’Epire, en touchant de l’orteil de son pied droit une personne qui avait la rate « opilée », la désopila sur-le-champ par ce simple attouchement (Pline).

Aurélien

Adrien et Vespasien pouvaient guérir, selon Suétone, certaines maladies par le toucher. Il assure que celui-ci fit voir un aveugle et guérit un estropié, en lui marchant sur la main. Quant à Aurélien, selon Juvénal, il ressuscitait les morts !

 

 

 

Concernant les rois de France, l’origine en remonte à Clovis : Thomas d’Aquin raconte qu’il avait un page atteint d’une tumeur scrofuleuse et qu’un ange lui était apparu une nuit qui lui avait dit :

Robert II le Pieux, roi de France (996-1031). Gravure de Delannoy (1845) d’après une peinture de Merry-Joseph Blondel (1837)

« pour guérir ton page préféré, il te suffit de toucher son col de tes mains royales et saintes et de dire : « je te touche, Dieu te guérit » « . Et Clovis fit ce que lui ordonnait l’ange et son page fut guéri.

Mais les premières traces historiques de ce toucher du roi remonte à Robert le pieux, fils de Hugues Capet. Ses successeurs, Louis VI et son frère Philippe Ier, eurent aussi le don de guérir les écrouelles, don qui fut transmis aux successeurs de Louis VI. Henri IV, venant à Reims en 1606, toucha 600 malades. Henri III, lors de son passage à Poitiers en 1577, s’était vu présenter plus de 5000 écrouelleux.

Henri II guérit les écrouelles dans le prieuré de Saint-Marcoul de Corbeny (Aisne) après son sacre à Reims. Enluminure extraite du Livre d’Heures du roi (1547)

Dans les origines, avant de pratiquer le toucher des écrouelles, les rois étaient tenus de faire un pèlerinage à Corbeny, lieu où les princes mérovingiens venaient passer le temps qu’ils ne consacraient pas à la guerre. Dans la chapelle du château se trouvait les restes de Saint-Marcoul qui, pour remercier Childebert de lui avoir donner un domaine pour construire son monastère, « lui assura, de la part de Dieu, pour lui et pour ses successeurs, la continuation du privilège que Clovis avait obtenu de Dieu, par saint Remi, de guérir les écrouelles », selon son biographe.

Saint Louis guérit les écrouelles. Enluminure extraite des Grandes Chroniques de France (vers 1340)

Ce fut Louis IX qui établit la confrérie de Saint-Marcoul, dont les rois de France devinrent les protecteurs et les premiers membres. Dans le procès de canonisation de Saint-Louis, on distingua d’ailleurs ses miracles proprement dits et les guérissons des écrouelles, ces dernières étant un privilège des tous les rois de France. Cependant, les malades touchés par le roi ne guérissaient pas toujours : ou bien le malade n’était pas en état de grâce ;

ou le roi lui-même n’avait pas la conscience en repos, n’avait pas prié avec assez de ferveur ; ou il n’avait pas fait suffisamment pénitence. Au quinzième siècle, les malades, après avoir été touchés et après que le Roi s’était lavé les mains, buvaient de l’eau qui avait servi à cet usage et observaient le jeûne pendant neuf jours. Après ce jeûne, ils se déclaraient guéris.

Louis XIV touchant les malades des écrouelles Jean-Baptiste Jouvenet – abbaye de Saint-Riquier

Louis XIV puis Louis XV ont maintenu la tradition : En 1694, Louis XIV toucha 1400 malades, en 1695, plus de 1700, et plus de 2000 en 1796. Louis XV toucha, à son sacre, 2400 scrofuleux. Mais ce fut le dernier roi à faire le pèlerinage à Saint-Marcoul. Charles X fut le dernier roi à user du privilège de guérir les écrouelleux. Cabanès conclut : « Mais si la fonction thérapeutique, si le pouvoir curatif des rois s’est perpétué à travers les âges, c’est, selon l’expression d’un ingénieux critique (André Mary), comme « le geste ancestral du guérisseur, qui continue, à travers les générations, le geste divin qui faisait, il y a des centaines de siècles, trembler et s’extasier de respect, de terreur et de vénération, les peuplades quaternaires. C’est le simulacre de l’antique imposition des mains, c’est l’exercice d’une vertu merveilleuse attachée, de temps immémorial, à la dignité royale… ». De nos jours, le médecin est-il jamais plus puissant, que lorsqu’il donne à la pratique d son art toutes les apparences d’un sacerdoce ? ».

 

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