Poèmes et chansons
Depuis la Haute Antiquité, l’art de guérir est associé à la réalisation d’œuvres lyriques et poétiques. Les pharmaciens ont contribué à cette association en écrivant poèmes et chansons associés ou non au médicament et au métier de pharmacien. En 1537, Thibaut Leispleigney, apothicaire à Tours, édite le Promptuaire des médecines simples en rithme joïeuse avec les vertus et qualités d’icelles et plusieurs aultres adjunctions facétieuses pour recréer l’esprit des bénévolons et gracieux lecteurs. Plus près de nous, Paul Contant, apothicaire à Poitiers, publie en 1609 le Jardin et Cabinet poétique et Aubin Gauthier publie une Pastorale en 5 actes Union d’amour et chasteté (1606). Bien d’autres pharmaciens vont ainsi participer au mouvement littéraire de leur temps : ainsi Moyse Charas (Echiosophisme, poème sur la vipère en 518 vers, publié en 1669), Demachy, Antoine Baumé, Charles-Louis Cadet de Gassicourt, Christophe Opoix, Louis Figuier, Henri Moissan, H. Deniges, etc.
Parmi les écrivains du XXème siècle, on peut bien sûr signaler Toraude (1868-1945) qui édita plusieurs ouvrages : Les Contes d’un fileur de verre, Voyage autour de mon berceau, Les Galéniennes et des comédies : Le Gant, l’Equilibre, etc. Dans Les Galéniennes , ouvrage publié en 1919, Toraude rédigea de nombreux poèmes sur la pharmacie, dont voici un court extrait à propos du pharmacien :
« Or
D’abord
Apprends que notre aïeul « L’Apothicaire » est mort !
Les bons vieux fabricants
D’onguents
De baumes, de cérats, de doux électuaires
Sont partis… Et Molière a filé leurs suaires
Dans la trame d’ardente et suprême ironie
De son immense génie !
A chacun son goût sur la terre :
« Le pauvre homme ! » il avait en horreur le clystère !
Aujourd’hui
(Seigneur ! Où donc m’as-tu conduit ?)
Notre métier n’est plus sacré ministère :
C’est un métier
Rien qu’un métier,
– Fichu métier ! –
Où le papier…
La cire et le cachet et la rose ficelle
Sont chargés d’amener le malade à la selle
Et les ducats dans l’escarcelle !
C’est plus joli
Et plus poli
Et ça ne salit pas, au moins, les draps du lit !… »
(L.G. Toraude, Ecce Homo, Les Galéniennes, p.8)
Ou encore Toraude écrit, à propos de la potion :
« Elégante, svelte et coquette,
Pimpante sous son étiquette,
Joli chapeau… sur le bouchon ;
Cordonnet blanc, vert écarlate,
Formant élégamment cravate,
Avec un rien de folichon…
…Et, telle une bergère aux plus beaux jours de fête
De superbes rubis ne parant point sa tête,
Modeste en son éclat plain de distinction,
J’ai l’honneur… et l’émotion
– Protocolairement ! – à votre attention
De présenter : « La Potion ». »
Toraude profite aussi de cet ouvrage pour y inclure un ballet en deux actes (Les Fleurs) et un conte moderne : « Pharmacienne ».
Autre œuvre littéraire, celle de Pascalou et ses Refrains de l’officine, poésies, parue en 1908 dont voici un extrait, à propos du pilon :
« Pilon de fer ! Pilon de bois
Dans ma jeunesse, je m’honore
De t’avoir brandi…bien des fois,
Sur les flancs du mortier sonore !
L’échelle a plus d’un échelon
Qui conduit, plus tard à l’Ecole
Respectant le dur Protocole,
J’ai commencé…par le Pilon. »
On peut aussi mentionner le Docteur Paule Fougère, pharmacien à Paris, qui b=obtint le grand prix du Roman Policier pour son ouvrage La Mort Blanche. Jean Bruneau, pharmacien à Aulnay sous bois, quant à lui, publia aussi plusieurs ouvrages poétiques : Glanes ; Mon père, ce médecin, et plus récemment, en 1964, En potardisant. Il y écrit un poème amusant sur le pharmacien :
« Patient, qui que tu sois : Homme – Courbant le dos
Sous le poids accablant des humaines misères ;
Femme – Mère éplorée – et qui te désespères
Et que l’angoisse étreint sur un petit dodo…
Adolescent – pour qui l’effort est un fardeau
Vieillard – dont l’œil se voile aux terrestres lumières ;
Adulte – qui, parfois, souffres des nuits entières
Quand le soir, sur la terre, a tiré son rideau…
Crois-moi. Va le trouver. Et que ce soit le même,
Celui qui te connaît, te devine et qui t’aime,
Qui souvent t’a vu naître et reste ton ami.
Parle. Ouvre-lui ton cœur. Car c’est le bon apôtre
Qui, luttant avec toi contre cet ennemi ;
Le Mal, te guidera, toujours mieux qu’aucun autre. »
Et de conclure plus loin, à propos du métier de pharmacien :
« Bien qu’il ne porte plus la toque vénérable
Ni le bésicles d’or – et n’ait plus désormais,
Qu’un lointain souvenir avec Monsieur Homais,
Il n’en reste pas moins un savant respectable.
Penché sur son micro, ses recherches, sa table,
Vigilant – car il doit ne se tromper jamais –
En digne successeur de maîtres estimés,
Il offre à la misère une âme secourable.
Qu’on l’appelle épicier, potard…Que lui importe !
Et, quel que soit le faix des tristesses, des ans,
La joie ou le regret que le Temps lui apporte…
Derrière son comptoir, malaxant ou pesant,
Chevalier de l’Espoir, toujours il est présent
Pour soulager le mal, quand on frappe à sa porte. »
Pour terminer ce chapitre « Chansons et poèmes », il faut mentionner tous les documents publicitaires pharmaceutiques du XXème siècle qui mettent en valeur la littérature, les poèmes et la chanson comme support des produits pharmaceutiques. Il y a bien sûr la série des Revues Chanteclair, éditée par les Laboratoires de la Carnine Lefrancq, à Romainville, Revue Artistique et Littéraire dont chaque numéro a son originalité (celui de janvier 1936 par exemple porte sur la Peinture décorative chez les Maîtres de la Renaissance italienne, de Giotto à Tiepolo. (Le même laboratoire éditait le Glaneur français, Revue Illustrée, artistique et littéraire qui inclut des poèmes). La Lettre pharmaceutique éditée par les Laboratoires Paul Métadier est un autre exemple de Revue à caractère littéraire. Son numéro de juin 1937 contient un poème en quatre chants de Berchoux intitulé La Gastronomie. Le Laboratoire « Les Iodures CROS » éditaient de leur côté un opuscule intitulé Quelques vieilles chansons avec quelques chansons peu connues comme Le Curé et sa servante (1775), Corbleu Marion (1784) ou encore La Mère Bontemps (1809 attribuée à Corvisart. Les Laboratoires Camuset ont édité Poèmes et sonnets du Docteur, ouvrage illustré par J. Touchet, avec cet avant-propos :
« Lorsque j’étais impatient
La Muse m’a dit : Je suis tendre
Je n’amène pas le client
Mais je console de l’attendre »
Signé : Dr Camuset
Avec, à propos du ver solitaire cette conclusion :
« Oui, c’est un beau spectacle, et l’on doit respecter
Le sentiment profond qui me pousse à chanter
En vers de douze pieds le ver de douze mètres ».
Dans un genre différent, les Phosphatines Falières ont édité une série de Menues accompagnés de poèmes. Ainsi la série des Menues intitulée L’ORANGE à travers le monde est accompagnée de poèmes de Maurice Vaucaire : Obéissance et Patience ; Japonerie, etc…
Ces éphémères pharmaceutiques, support de la littérature, de la poésie et de la chanson, ne sont que quelques exemples parmi beaucoup d’autres de l’activité des laboratoires pharmaceutiques dans ce domaine au XXème siècle.