Le pharmacien militaire Pierre-Charles Rouyer
(Verdun, 1769 – Paris, 1831),
membre de l’Expédition d’Egypte et pharmacien de Napoléon
De nombreux militaires ont vu le jour en terre meusienne. Si beaucoup d’entre eux sont aujourd’hui complètement oubliés, il n’en est pas de même pour le Verdunois Pierre-Charles Rouyer auquel plusieurs notices ont été consacrées depuis un siècle. Pharmacien des guerres de la Révolution et de l’Empire, il a participé à l’Expédition d’Egypte et y a trouvé la matière à plusieurs publications. Resté dans les cadres à la Restauration alors que tant d’autres étaient placés en « demi-solde », il est aussi l’un des sept pharmaciens à avoir été décoré de l’Ordre de la Réunion par Napoléon. Il existe de lui un portrait dû à Dutertre qui a participé à l’expédition et réalisé un grand nombre de profils. Aussi est-il opportun de rappeler la mémoire de ce pharmacien en lui donnant un visage et en décrivant les travaux de recherche auxquels il s’est consacré.
La carrière militaire
Selon l’extrait d’acte de naissance figurant dans le dossier établi à l’occasion de sa nomination au grade de chevalier de la Légion d’honneur, Pierre-Charles Rouyer naît à Verdun, paroisse Saint-Pierre le 12 mai 1769 et il est baptisé le lendemain. Il est le fils d’Antoine Louis Rouyer, marchand et bourgeois de la ville, et de son épouse Catherine Mabire. Selon ses biographes, à l’issue de ses humanités, il entre à l’hôpital militaire de la ville, sans doute celui qui se trouve place du Marché, en qualité de gagnant-maîtrise et, lorsque les armées de la Révolution nécessitent l’emploi de nombreux officiers de santé, il rentre dans les cadres de la pharmacie militaire qu’il ne quittera plus.
La carrière de Pierre-Charles Rouyer jusqu’en 1821 figure dans un document établi le 2 janvier 1822, qui se trouve dans le dossier précité de la base Léonore. Les renseignements officiels de grade et d’affectation qu’il fournit ne sont pas en total accord avec ce qu’ont écrit ses biographes depuis un siècle. Malheureusement, ce document ne précise rien de ses activités. Selon sa propre déclaration, Rouyer est tout d’abord employé à l’armée de la Moselle, du 30 novembre 1793 au 17 décembre 1794, dans le grade de pharmacien de 3e classe, terme qui s’emploie dans les corps de troupe et qui correspond au grade de lieutenant. A compter de ce jour et jusqu’au 12 juin 1796, il reste employé dans cette armée avec le grade de sous-aide qui est le plus subalterne des grades des officiers de santé. Il rejoint alors l’hôpital militaire du Val-de-Grâce à Paris, où il reste jusqu’au 16 avril 1798. Il est alors affecté à l’armée d’Egypte.
L’expédition d’Egypte commence en 1798 et se termine en 1801. Le corps expéditionnaire comporte 38.000 hommes dont 70 officiers de santé dirigés par Larrey, chirurgien en chef, Desgenettes, médecin en chef, et Boudet, pharmacien en chef. Rouyer est d’abord l’adjoint de Boudet, dont le grade correspond approximativement à celui de général de brigade, et qui est membre de la commission des sciences et des arts de l’Institut d’Egypte. Celle-ci est riche de 167 membres dont 11 officiers de santé répartis en sept chirurgiens et médecins et quatre pharmaciens : Boudet, Lerouge, Roguin et Rouyer. Devenu lui-même membre de la commission des sciences et des arts le 11 avril 1798, Rouyer rédige des notices que nous examinerons plus loin.
Il reste membre de la commission des arts jusqu’en janvier 1800 et est nommé adjoint au pharmacien en chef de celle-ci le 23 février par le général en chef Kléber. C’est encore Kléber qui le nomme pharmacien de 1e classe, grade sensiblement équivalent à celui de colonel, à titre provisoire, le 13 février 1802. Ses biographes indiquent qu’il devient le responsable du magasin général des médicaments et simultanément de la pharmacie de l’hôpital de la citadelle du Caire. Il semble que c’est lui qui, au siège de Jaffa, accepte d’administrer une dose massive d’opium aux pestiférés dont l’état est désespéré, en vue d’abréger leurs souffrances, ceci à la suite de la demande de Bonaparte à qui Desgenettes a opposé un refus. Lors de l’évacuation de l’Egypte, il rentre en France sur le navire qui transporte les malades atteints de cette maladie, peut-être en raison de son activité à Jaffa. Il a sollicité cet honneur, qui le fait partir un mois après l’armée. De retour en France, il est quelque temps en disponibilité dans le grade de pharmacien de 3e classe.
Le 2 juin 1802, Rouyer est affecté à la pharmacie, souvent appelée « infirmerie », de l’Hôtel des Invalides à Paris dans le grade de pharmacien sous-aide-major où il demeure jusqu’au 26 novembre 1807. Il est alors nommé « faisant fonction d’aide-major ». Il est enfin promu à ce grade le 22 juin 1811. A ce moment, le service pharmaceutique de l’Hôtel se compose d’un pharmacien-chef, d’un aide-major et d’un sous-aide-major. Entre-temps, il a rejoint en 1808 le service de santé particulier de Napoléon avec le titre de « pharmacien (adjoint) ordinaire », ce qui le conduit à suivre l’Empereur dans ses campagnes d’Espagne, de Russie et d’Allemagne au sein de « l’ambulance du chef du gouvernement », tout en restant semble-t-il attaché à l’établissement des Invalides. En 1810, la fonction est rémunérée 3000 francs annuellement.
Le 25 mai 1809, Rouyer obtient le diplôme de pharmacien à l’Ecole de pharmacie de Paris. Deux textes, l’un de 1803 et l’autre de 1804, ont en effet indiqué que les membres du Service de santé militaire doivent obtenir le diplôme de docteur en médecine auprès des facultés, et celui de pharmacien auprès des écoles, mais ces praticiens n’ont pas eu jusqu’alors le temps de s’y conformer. Le plus souvent en effet ils ne détiennent pas de diplôme civil, soit parce qu’ils sont issus des hôpitaux amphithéâtres militaires qui, avant la Révolution, assuraient une formation particulière sanctionnée par un brevet militaire, soit parce qu’ils ont été recrutés depuis 1789, généralement alors qu’ils étaient en apprentissage et qu’ils ont complété leur formation « sur le tas ». Lorsqu’ils se mettent en règle, ces officiers de santé confirmés et dont certains sont titulaires d’un grade ou d’un rang élevé, ne suivent pas les études mais se limitent à soutenir la thèse de médecine ou à passer les examens terminaux de pharmacie. En 1793, lorsqu’il a été recruté, Rouyer n’avait que vingt-quatre ans et il n’avait pas effectué le nombre d’années nécessaires pour obtenir ses lettres de maîtrise par ancienneté et qualité de ses services ; de ce fait il n’est pas diplômé. Nous connaissons par Balland la composition du dossier qu’il dépose le 24 février 1809 pour lequel l’Ecole « ayant reconnu toutes ces pièces valables, arrête que M. Rouyer sera admis à subir les examens prescrits par la loi ».
Le 26 mars 1813, Rouyer reçoit de Napoléon l’Ordre impérial de la Réunion. Cette décoration a été créée par l’Empereur le 11 ou le 18 octobre 1811 à l’occasion de la réunion de la Hollande à l’empire, en vue de remplacer les distinctions que les annexions abolissent et de récompenser ceux qui se sont distingués dans des fonctions judiciaires, administratives ou militaires. L’ordre, supprimé en 1815, comporte un cordon bleu ciel auquel est suspendue une étoile à douze rayons séparés par trente flèches.
L’empire ayant disparu, la Restauration conserve Rouyer dans les cadres avec son grade d’aide-major et il reste affecté à l’Hôtel des Invalides où, le 15 août 1823, il est promu au grade de pharmacien-major avec la fonction de pharmacien en second. La réforme de 1823 organise en effet le service pharmaceutique avec un pharmacien en chef, un adjoint et un sous-aide-major. Rouyer a largement l’âge d’être promu… L’Annuaire de l’état militaire de la France… de 1823 le classe dans les pharmaciens-majors avec la mention « aide-major à l’hôtel… » tandis que celui de 1824 le positionne toujours parmi les majors mais sans autre mention. Ceci corrobore donc une promotion en cours d’année 1823. Pierre-Charles Rouyer occupe cette fonction, sous la direction successive de Folliart puis de Blondel, jusqu’à sa mort survenue le 31 mai 1831, donc à l’âge de 62 ans. Il avait été nommé chevalier de la Légion d’honneur le 25 avril 1821 et le brevet avait été signé le 30 mars 1822. Précisons que le grade de major correspond approximativement à celui de commandant, et que, selon l’ordonnance du 18 septembre 1824, les pharmaciens brevetés, c’est-à-dire nommés par le roi, sont au nombre de 147, parmi lesquels un inspecteur, six principaux et trente majors.
La carrière scientifique
L’Expédition d’Egypte comporte un important volet scientifique avec la participation de nombreux savants emmenés dans ce but par Bonaparte et celle des officiers du Service de santé. L’Institut d’Egypte est créé le 22 août 1798 et il tiendra 62 séances jusqu’à l’évacuation du pays le 14 septembre 1801. L’exploration de la Haute-Egypte débute le 19 mars, et le départ de la 3e commission, dirigée par Fourier et à laquelle appartient Rouyer, a lieu le 18 août. La mission se termine le 27 octobre. Rouyer publie en 1799 une « Note médicale sur le Saïd, communiquée au citoyen Desgenette, premier médecin de l’armée d’Orient par le citoyen Rouyeres (sic) pharmacien et membre de la commission des arts », qui paraît dans les Mémoires sur l’Egypte…
Le Courrier de l’Égypte a indiqué en février 1800, que « Rozière, Rouyer et Regnault avaient rencontré (en Egypte) des pratiques particulières qui pourraient, si elles étaient connues de nos fabriques, en faire modifier quelques procédés d’une manière avantageuse ». Cette remarque s’applique aux arts céramiques en vue du rafraîchissement de l’eau en période de canicule ainsi qu’à l’éclosion des poulets et à l’élevage des poussins sans le secours des poules.
Après le retour en France des membres de l’expédition, c’est en février 1802 qu’est prise la décision d’éditer, aux frais du gouvernement, les résultats des découvertes et des travaux effectués. Le 21 avril est créée la commission de publication de ce qui s’intitulera Description de l’Egypte ou Recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Egypte pendant l’expédition de l’armée française, et qui paraîtra de 1809 à 1829. Cet ouvrage assure l’ouverture de la France à la culture du monde arabe.
Rouyer est l’auteur de trois textes parus dans la Description de l’Egypte… : une « Notice sur les embaumements des anciens Égyptiens », une « Notice sur les médicaments usuels des Egyptiens » et, avec F.-M. de Rozière, un « Mémoire sur l’art de faire éclore les poulets en Egypte par le moyen des fours ». Ces trois notes sont publiées dès le début de la parution de l’ouvrage. Dans un travail paru en 2013 sur l’histoire du cannabis en France au XIXe siècle, Arveiller indique que Rouyer a expérimenté les effets de cette drogue sur lui-même.
Pendant les années qu’il passe à l’Hôtel des Invalides, Rouyer reprend son travail sur les médicaments égyptiens, qu’il publie dans le Bulletin de pharmacie. L’année suivante, c’est son ancien supérieur en Egypte, Boudet, qui l’associe à une « Notice sur le pastel » qui est publiée dans la même revue. Enfin, dans l’édition que j’ai consultée de l’ouvrage Les pharmaciens militaires français, à la bibliothèque de la Faculté de pharmacie de Nancy, une mention manuscrite a été ajoutée à la fin de ses travaux dans la notice qui lui est consacrée : « Notice sur le séné, présentée à la Société de pharmacie de Paris (s.d.) archives de la Faculté de pharmacie de Paris, registre 51, m. 27 ».
Conclusion
Pierre-Charles Rouyer a effectué une longue carrière de pharmacien militaire qui s’est terminée par une affectation prolongée dans une institution prestigieuse, mais avec un grade modeste. Les années éminentes de sa carrière sont assurément celles de l’Expédition d’Egypte où il occupe des fonctions importantes et où il est membre de la commission des sciences et des arts, puis celles qui suivent où il participe à la publication de la Description de l’Egypte… et où il est membre de la maison médicale de l’Empereur. Celui-ci ne l’oublie pas lors de l’attribution d’une des décorations qu’il a créées, mais il est étonnant qu’à partir de 1802 il reste affecté avec ce grade modeste dans un établissement parisien, même s’il prend part aux conquêtes de celui qu’il a côtoyé en Egypte… L’a-t-il demandé, ou bien, exprimé autrement, n’a t-il rien demandé d’autre ? On peut le penser puisqu’il passe aux Invalides le reste de sa carrière de pharmacien militaire. Charles-Louis Cadet de Gassicourt, son contemporain, qui occupait la même fonction que lui chez l’Empereur, a écrit qu’il était « généralement estimé et digne de l’être, fort éclairé, plein de zèle et de philanthropie ». Ces qualités peuvent expliquer cette sorte d’effacement.
Pierre Labrude, janvier 2019