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Pasteur et la pharmacie

 Pasteur et la Pharmacie

Les premiers rapports de Pasteur avec notre profession datent des années 1840-1842. Pasteur était alors élève en même temps que maître répétiteur au Collège Royal de Besançon, où il préparait ses baccalauréats ès lettres et ès sciences ainsi que le concours de l’Ecole Normale Supérieure. L’instruction chimique était toute livresque à cette époque dans les collèges et Pasteur éprouvait le besoin d’appuyer de démonstrations positives des leçons théoriques trop abstraites. En présence de cette situation, nous rapporte M. Vallery-Radot dans la Vie d’un savant par un ignorant, Pasteur s’en fut trouver un pharmacien de la ville, le priant de bien vouloir consentir à lui donner quelques répétitions particulières à l’insu de son professeur dont il ne voulait pas froisser l’amour-propre. « Là, nous raconte M. André-Pontier dans son Histoire de la Pharmacie, mettant à profit ses après-midi de congé, le jeudi, Pasteur se livrait derrière le comptoir du pharmacien à des expériences de chimie. Il se familiarisa ainsi de très bonne heure avec les réactions et les propriétés organoleptiques des sels, des bases et des acides. Ce modeste apprentissage technique lui donna certainement une supériorité sur ses concurrents dans les concours qu’il affronta par la suite ».

Ce sont sans doute ces quelques heures hebdomadaires passées dans l’officine du pharmacien qui ont donné lieu à cette légende d’après laquelle Pasteur aurait fait son stage en Pharmacie, légende que l’autorité de Mr Petit, président de la 20° assemblée générale de l’Association des Pharmaciens de France, a servi à accréditer. Le 22 avril 1897, M. Petit, en prenant possession du fauteuil présidentiel de cette assemblée, cite dans son discours Pasteur comme ayant, ainsi que la plupart de nos grands chimistes, passé par la pharmacie. Mais, en résumé, ajoute M. André-Pontier, « si Pasteur puisa dans la pharmacie les premières notions de manipulations, il ne fut jamais, en propres termes, élève en pharmacie, ni inscrit à aucune école de pharmacie ».

De ce pharmacien, chez qui Pasteur se rendait les jours de congé, André-Pontier dit seulement qu’il était professeur de chimie à l’Ecole Secondaire de Médecine et de Pharmacie de Besançon, et M. Vallery-Radot, qu’il s’était distingué autrefois par un travail inséré dans les Annales de Chimie et de Physique. Il s’agissait de Desfosses, qui n’est pas seulement une célébrité locale dont est justement fière la ville de Besançon (bien qu’il fût né à Moulins), mais aussi une personnalité dont peuvent s’enorgueillir la pharmacie et la chimie. Il avait découvert, en 1821, dans les baies de la morelle noire, la solanine, cette curieuse substance chimique qui possède à la fois les propriétés d’un alcaloïde et d’un glucoside. Il avait démontré que le picroglycion, corps signalé par Pfaff dans la douce-amère, n’était qu’un mélange de solanine et de sucre. Il avait obtenu, le premier, du cyanure de potassium, en faisant passer directement de l’azote sur un mélange en ignition de charbon et de potasse, réalisant, en quelque sorte, la synthèse du cyanogène. Elu membre de l’Académie de Besançon, le 24 août 1822, il y avait fait deux communications, l’une en 1823 sur « les services que la chimie a rendus et les avantages qu’elle peut présenter », la seconde en 1832 sur « l’encre ineffaçable composée par Bose d’Antic ». Il semble bien que Desfosses ait tenu dans sa ville d’adoption une place de premier rang. Et il est fort probable que c’est la réputation de bon chimiste qu’il s’y était acquise qui avait attiré vers lui le jeune Pasteur.

 

L’accueil que la pharmacie va réserver à Pasteur normalien à son arrivée à Paris ne va pas être moins favorable. Son génie naissant va trouver soutien et encouragements en la personne de deux chimistes éminents qui occupent à ce moment la scène scientifique et qui sont tous les deux pharmaciens : Balard et Dumas. Si Balard a fait ses études de pharmacie et a été pharmacien, Dumas n’a pas poussé jusqu’à son diplôme et n’a été qu’élève en pharmacie, mais il se souviendra toujours de ses origines pharmaceutiques et il se plaira à le rappeler à l’occasion. Quand Pasteur arrive à Paris, Balard est maître de conférences à l’Ecole Normale Supérieure, Dumas professeur à la Sorbonne. Celui-ci deviendra professeur de chimie à la même école, celui-là professeur au Collège de France et il occupera les plus hautes fonctions de l’Etat. C’est du Laboratoire de l’Ecole Normale que sortent les premiers travaux cristallographiques de Pasteur : recherche sur le dimorphisme.

Lambert des Cilleuls n’a pas manqué, dans son Histoire de l’Ecole Supérieure de Pharmacie de Strasbourg (1903) de mentionner Pasteur dans son énumération des professeurs en titre, suppléants et agrégés de cette école du 15 janvier 1801 au 28 novembre 1870. Grâce à son travail consciencieux, nous savons que Pasteur succédait à Kopp (qui avait été mis en congé le 1° janvier 1849, par suite de son élection de député à l’Assemblée nationale), dans la suppléance de la chaire de chimie dont Persoz était titulaire, et que Pasteur occupa cette suppléance du cours de chimie du 4 juin 1849 au 17 janvier 1851, date à laquelle il demanda à être déchargé de ses fonctions. Ce fut son beau-frère, Loir, qui fut nommé immédiatement après lui à ce poste qu’il abandonnait volontairement, par excès de travail, sans doute.

Autre contact avec la Pharmacie : La Société de Pharmacie de Paris, sur le rapport de M. Grassi, décerne à Pasteur, en novembre 1853, le prix de 1500 Francs qu’elle avait mis au concours en 1851, sur les deux questions suivantes : « Existe-t-il des tartres qui contiennent l’acide racémique tout formé ? et Déterminer les circonstances dans lesquelles l’acide tartrique pourrait être transformé en acide racémique ».

C’est à Strasbourg que Pasteur fit la connaissance de Béchamp, qui devait être plus tard un de ses plus passionnés contradicteurs à propos des générations spontanées et des ferments. Béchamp, interne à l’hôpital civil, s’était fait recevoir pharmacien de première classe en 1843, à Strasbourg. Bachelier ès lettres en 1847, ès Sciences en 1850, agrégé en pharmacie en 1851, licencié ès sciences en 1852, docteur ès sciences physiques en 1853, Béchamp, comme on le voit, quoique plus âgé que Pasteur (il était né en 1816), était beaucoup plus en retard que lui dans la conquête des grades universitaires. Est-ce à ces années de Strasbourg que l’on doit faire remonter ses premières hostilités avec Pasteur ? C’est possible. Nous ne pouvons nous étendre ici sur cette longue querelle, sur ce passionné débat avec Pasteur. Il n’apparaît pas en tout cas que Pasteur ait gardé rigueur aux pharmaciens des controverses très vives qu’il avait eues à soutenir avec certains d’entre eux. Il semble, bien au contraire, qu’ayant appris à bien connaitre cette profession, au cours de sa glorieuse carrière, il l’ait tenue en estima particulière. Nous croyons pouvoir en trouver la preuve dans le fait suivant : une de nos sociétés provinciales, la Société des Pharmaciens du Loiret, lui ayant décerné en juin 1886, au lendemain de la guérison de la rage, le titre de Membre correspondant de la Société, Pasteur, bien que parvenu au faîte des honneurs, accepta l’hommage qui lui était ainsi rendu. Il adressait, le 20 juillet, de Paris, la lettre suivante au secrétaire de cette société : « Je suis très sensible à la distinction qui n’est confère par MM. Les membres de la Société des Pharmaciens du Loiret. Soyez, je vous prie, Monsieur, l’interprète de mes sentiments de gratitude auprès de tous ses membres ». Auprès de tous ces membres ! Ce tous, n’est-il pas éloquent ! Ce tous ne prend-t-il pas, en vérité, sous la plume de Pasteur, arrivé au soir de sa vie, une valeur toute spéciale ! En écrivant ce mot « tous », Pasteur ne revoyait-il pas, en cet instant, et son premier maître bisontin, et ses protecteurs de la première heure, Balard, Jean-Baptiste Dumas, et ses collègues de l’Ecole de Strasbourg, et son beau-frère Loir, et tous les pharmaciens qu’il avait rencontrés sur sa route dans sa montée vers l’immortalité, et ne confondait-il les uns et les autres, en cet instant, dans une même pensée ?

 Source : Extrait d’un article de M. SERGENT dans le Bulletin d’Histoire de la Pharmacie, avril 1923, N°38
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