Opothérapie |
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L’Opothérapie (grec opos, suc), ou Organothérapie, est le nom générique sous lequel on comprend la thérapeutique par les produits d’origine animale. Dès l’origine, on retrouve cette idée très simple que les viscères, séparées du corps, conservant une partie de leurs propriétés et que leur ingestion supplée à l’insuffisance des organes similaires. Cette idée conduit, aussi bien en Chine qu’en Inde, en Grèce que chez les arabes, au Moyen-Âge et au Grand Siècle, à l’usage thérapeutique de produits organiques tels que le sang, le foie, la bile, les testicules, dans des conditions presque semblables à celles que nous préconisons aujourd’hui. Mais en même temps l’attraction naturelle de l’homme malade vers le fantastique et le merveilleux faisait employer une série de remèdes animaux, dont le caractère, extraordinaire ou répugnant, constituait la seule valeur, et qui, par là même, étaient susceptibles de frapper violemment les esprits et d’impressionner par suggestion les imaginations morbides. L’homme s’est ainsi délecté d’excréments et d’animaux immondes : il a absorbé avec la même ferveur les bouillons de vipères et de scorpions, les fientes de chiens, de chauve-souris. Mais les extravagances de certains pratiques finirent par discréditer tous les médicaments animaux, mêmes les plus utiles. L’Opothérapie sombra ainsi dans le ridicule et l’oubli. Brown-Séquard, reprenant les vieilles traditions, apparut comme un hardi novateur. 1°) Opothérapie chez les peuples anciens. De très nombreux peuples ont fait usage des organes animaux en thérapeutique. Sans être exhaustif on peut parler des Chinois qui employaient, contre les maladies d’intestin, les matières fécales desséchées ; contre le ballonnement du ventre, la fiente de poule ; contre certaines paralysies, la peau de couleuvre ; le sang d’âne guérissait de la folie. Le Hébreux connaissaient l’usage du fiel dans les ophtalmies, et Tobie guérit la cécité de son père en lui frottant les yeux avec du fiel de poisson ; cet usage se retrouve, du reste, en Grèce et à Rome. Les anciens Grecs utilisaient aussi de nombreux remèdes animaux. Homère raconte comment Chiron le Centaure fortifiait Achille en lui faisant ingérer de la moelle de lion. On donnait à un hémoptysique du sang de taureau. Les temples d’Esculape recommandaient aux lépreux la chair de vipère. Hippocrate donne une longue liste de médicaments d’origine animale. Il donnait, comme diurétique, une infusion de cantharides dont il ôtait les ailes et les pattes. Le fiel de taureau, en suppositoire avec du miel, était un remède contre l’engorgement intestinal. Arétée inventa les cantharides en vésicatoire. Musa introduisit, à Rome, la chair de vipère contre les ulcères malins. A Rome encore, les épileptiques descendaient dans l’arène boire, encore chaud, le sang des gladiateurs ; on mangeait le foie de pigeon frais et cru dans l’hépatite, le foie de renard desséché dans l’asthme, les limaçons pilés avec leur coquille étaient cicatrisantes, etc. Pline l’Ancien trouve les remèdes animaux plus efficaces que ceux des plantes. Il en relate une variété considérable : foie de loup, de belette, etc. dans la maladies du foie ; la cervelle de chameau ou d’âne dans l’épilepsie ; la présure de chevreau, de lièvre, de cheval dans les gastrites. Les cantharides, pilées avec de la poix fondue, guérissent l’épilepsie. Manger des escargots est un excellent remède pour l’estomac. Quant aux serpents, Pline pensait qu’ils avaient été rangés parmi les attributs du dieu de la Médecine, parce qu’ils fournissaient des remèdes précieux. Avicenne, quant à lui, aux environs de l’an 1000, conseille, contre les douleurs articulaires, de l’huile de renard obtenue en faisant cuire un renard dans l’huile. 2°) Opothérapie au Moyen-Âge & jusqu’à la fin du XVI° siècle. La tradition se poursuit sur cette période. Jean de Gaddesden, au commencement du XVI° siècle, rétablit la mémoire avec le cœur de rossignol, traite les hémorragies par les excréments de porc, et fait tomber les dents avec la graisse de reinette « dont l’efficacité est telle, dit-il, qu’un bœuf qui vient à mordre, par hasard, un de ses reptiles, perd, à l’instant même, toutes ses dents ». Paracelse cherche, par des moyens chimiques à extraire la quintessence des organes et à se mettre à l’abri des putréfactions animales ; il fait des distillats par la chaleur « afin qu’il ne reste rien qui tende à monter ». Il emploie surtout des remèdes fantastiques, la glue du ver de terre, la mousse des crânes de cadavres, la cendre de grenouille. A cette époque, on prisait fort une certaine liqueur odorante, de la consistance du miel, recueillie dans les anciens tombeaux d’Egypte, la « mumie » : « C’est une liqueur esparse par tous les membres du corps, de telle vertu et force qu’il est requis, divisée toutefois de cette façon : en la chair selon la nature de la chair, en l’os, selon la nature d’icelui, aux artères et ligaments selon leur nature, en la moelle, aux veines et au cœur comme ès autres…D’où s’ensuit que la mumie de la chair guérit les playes de la chair ». La graisse humaine était également très appréciée. De Thou nous raconte qu’en 1572, au massacre de la Saint Barthélémy, le peuple de Lyon jetait au Rhône et à la Saône les cadavres des protestants « à la réserve des plus gras qu’on abandonna aux apothicaires qui les demandaient pour en avoir la graisse » Nicolas Lemery donne la recette du magistère de crâne humain « Pour le faire, on calcine le crâne et on le pulvérise subtilement…On fera mieux d’employer du crâne de jeune homme mort de mort violente ». Au XVII° siècle, la poudre de crâne humain se vendait couramment chez tous les apothicaires et on recherchait surtout les crânes portant une moisissure verdâtre, qui provenait de la longue agonie des suppliciés et de l’exposition prolongée aux intempéries. Cela se consommait en poudre ou bien en teinture alcoolique. 3°) Opothérapie aux XVII° et XVIII° siècle Les essais opothérapiques se poursuivent et se précisent. Bacon admet que les animaux qui ont une longue gestation et se nourrissent de chair, vivent plus longtemps. Puis vinrent les transfusions de sang (Libavius, François Pottler, Folli, Lower, Denys) avec de tels abus et de tels accidents que la Cour de Rome condamne le procédé, de même que le Parlement de Paris. Kirkirus, dans son Art Magnétique, formule que les parties des animaux conviennent aux mêmes parties de l’homme : par exemple, les foies de loup conviennent aux hépatiques. Charas, en 1669, préconise les préparations de vipères, surtout pour les sujets dont la vue a besoin d’être fortifiée : car chacun connaît l’œil vif et perçant de la vipère. Mme de Sévigné écrivait à sa fille « Mlle de la Fayette vient de prendre du bouillon de vipère qui lui donne des forces à vue d’œil ». Lémery cite quelques remèdes originaux : pour combattre la colique, les crottes de souries desséchées et réduite en poudre ; contre la colique néphrétique : la poudre de cloporte ; contre l’épilepsie, des hirondelles de la première nichée, etc. Après l’abus, vient la décadence : les préparations organiques, si difficiles à conserver, si répugnantes, aussi bien à l’esprit qu’à l’estomac, disparaissent, et l’on emploie plus guère, comme remèdes animaux, que les cantharides, le castoréum, les yeux d’écrevisse. Pourtant le bouillon de grenouilles eut l’honneur, en 1791, de conduire à la découverte de la pile électrique : ce fut en effet, en préparant lui-même, pour sa femme qu’il adorait, du bouillon de grenouilles que Galvani observa, pendant un orage, les mouvements électriques des pattes qu’il avait pendues à un balcon de fer ; il rechercha les lois du phénomène. La géniale découverte à laquelle il aboutit n’est pas un des moindres titres de gloire de l’Opothérapie. 4°) La Période scientifique de l’Opothérapie. Claude Bernard pose le principe des Sécrétions internes : « J’ai appelé, disait-il en 1867, sécrétions externes celles qui s’écoulent au dehors, sécrétions internes celles qui sont versées dans le milieu organique intérieur ». On emploie, en thérapeutique, certains extraits digestifs : la pepsine, la pancréatine, la bile, l’huile de foie de morue, etc. ; on utilise l’hémoglobine, le sérum, etc.. Brown-Séquard, en 1889, édifie l’Opothérapie en un véritable corps de doctrine, reprenant, presque dans les mêmes termes et avec une conception aussi simpliste des choses, ce qu’avaient proclamé les peuples anciens. Aujourd’hui l’Opothérapie s’est révélé essentielle dans bien des domaines, de l’hormone de croissance aux cellules souches. Si de nombreuses hormones sont aujourd’hui d’origine synthétique, d’autres substances ou produits d’origine naturelle sont encore importants dans la thérapeutique moderne. |
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