Etablissements Goy 1910.
©Collection Bruno Bonnemain
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L’huile de foie de morue : un incontournable pour la publicité pharmaceutique |
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L’huile de foie de morue a reçu au XIXe siècle et une bonne partie du XXe siècle la faveur du corps médical et a conduit à de multiples marques et produits dérivés. La publicité autour de ce produit a produit des richesses iconographiques et artistiques comme nous allons le voir dans cette exposition. Pour planter le décor, voici ce qu’on peut lire dans le formulaire Bouchardat de 1932 sur l’huile de foie de morue : » Modificateur des plus utiles. Combien, en effet, ne trouve-t-on pas d’occasions d’employer une substance qui, en augmentant le plus souvent l’appétit, est facilement absorbée par les chylifères ! C’est le remède principal de la misère physiologique. Quand il est utilisé, il rend de grands services dans tous les cas de réparations insuffisantes des éléments de la calorification, aux prédisposés à la tuberculisation, aux glycosuriques, aux enfants pauvres et cachectiques des villes, etc. Son efficacité est incontestée dans le rachitisme. Outre les corps gras facilement assimilables, l’huile de foie de morue contient du chlore, du brome et de l’iode, du phosphote sous forme d’acide phosphorique et glycéro-phosphorique. contient de plus la vitamine A antirachitique et antixénophtalmique.
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©Collection Bruno Bonnemain |
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L’acide morrhuique, principe cristallisable de l’huile de foie de morue, a été préconisé sous forme de morrhuate de soude et d’éthyle, en injections intra-musculaires dans la lèpre et contre la tuberculose (débuter par 1/10 de cc. de solution à 3 pour 100).
L’huile de foie de morue est utile dans les maladies chroniques de la peau, telles que le lupus, l’ichtyose, le favus, avec constitution délabrée ; dans les rhumatismes chroniques consécutifs à l’appauvrissement général de l’économie ; dans les affections scofuleuses qui présentent les manifestations suivantes : carie des os, tumeurs blanches, fontes purulentes. On a proposé de substituer l’huile de foie de morue des ext. alcooliques d’huile de foie de morue : Morrhurhuol, Panguadine, en éliminant la majeure partie des corps gras : ces préparations, utiles dans quelques cas, ne remplacent pas l’huile naturelle, dans laquelle les corps gras facilement assimilables jouent un rôle important. L’huile de squale agit comme l’huile de foie de morue. « |
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Verso de l’image de gauche. ©Collection Bruno Bonnemain |
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Le formulaire Bouchardat donne ensuite différentes formulations de l’huile de foie de morue ou des produits dérivés :
– Emulsion d’huile de foie de morue
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T. Drivin (1900). |
Almanach François 1932. ©Collection Bruno Bonnemain |
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Mais ces informations du Formulaire Bouchardat de 1932 sont déjà basées sur les connaissances grandissantes sur les vitamines, ce qui n’est pas le cas au début du XXe siècle (la découverte des vitamines remonte à 1911). Ainsi, le Précis de Pharmacologie et de matière médicale de Pouchet, publié en 1906, consacre plusieurs pages à l’huile de foie de morue. Pour l’auteur, on distingue alors trois types d’huile : l’huile vierge, l’huile blonde ambrée et l’huile brune, cette dernière étant impropre aux usages thérapeutiques « en raison de son odeur et de sa saveur repoussantes. Elle renferme une notable proportion de produits formés au cours de la putréfaction ». Pouchet ajoute : »Comme substances actives sur l’organisme, et en dehors des graisses qui constituent d’importants éléments alibiles, l’huile de foie de morue contient les éléments médicamenteux ci-après : ammoniaques composés (méthyl, propyl, butyl, amyl, hexyl-amines) à côté desquelles on peut ranger des représentants du groupe des ammoniums quaternaires (chlorines, névrines, et bétaïnes), des bases de la série pyridique (notamment dihydrolutidine), des alcaloïdes spéciaux (aselline et morrhuine), un acide particulier (l’acide morrhuique), des lécithines, des combinaisons organiques indéterminées riches en soufre, phosphore, iode, brome, fer ». | ||
©Collection Bruno Bonnemain |
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Plusieurs pharmacies d’officine et entreprises industrielles vont se lancer dans la commercialisation d’huile de foie de morue. on en voit ici quelques exemples
– Les Etablissements GOY
Mais la publicité la plus abondante va venir de la Société Scott. Alfred B. Scott fut d’abord courtier puis vendeur pour la Société chimique Scott et Platt. En 1874, cette dernière s’associa à Bowne et devint « Scott & Bowne ». Par la suite, au 20° siècle, la société sera rachetée par Beecham. La publicité de Scott pour l’huile de foie de morue est caractérisée par un homme portant un poisson sur son dos, image qui apparait pour la première fois en 1884 sur des cartes publicitaires de Scott et Bowne. Ni l’un ni l’autre ne verront la découverte des vitamines ! La compagnie qu’ils avaient créé va commercialiser au début des années 1930 une pilule contenant un concentré d’huile de foie de morue. |
©Collection Bruno Bonnemain |
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L’invention sans doute la plus intéressante de Scott est la mise au point d’une émulsion d’huile de foie de morue. Tout le monde s’accordait à dire que l’huile de foie de morue était difficile à boire tellement son goût et son odeur étaient désagréables. Quand Alfred Scott et Samuel W. Bowne arrivent à New York, ils expérimentent pour trouver une huile de foie de morue moins désagréable à ingérer et mettent au point une émulsion. Non pharmaciens ni médecins, les deux associés vont être très actifs pour valoriser leur produit et vont créer des usines dans plusieurs pays : Canada, Angleterre, Espagne, Portugal, Italie et France et faire beaucoup de publicité. A l’époque, on proposait différentes façons de prendre l’huile pour en masquer le goût (mélange avec le café, le lait ou l’alcool, pendant les repas, avec du hareng, ou avec du ketchup, etc. Scott et Bowne, contrairement aux autres fabricants de produits qui sont des remèdes secrets dont on ne connait pas la formule, vont publier le contenu de leur émulsion : 50% d’huile de foie de morue, 6 g d’hypophospite de calcium, 3 g d’hypophosphite de sodium par once de produit, le tout émulsionné avec du mucilage (probablement de la gomme d’acacia) et de la glycérine.
La première marque déposée par Scott et Bowne, en 1879, inclut les initiales P.P.P. et 3 mots : « Perfect, Permanent, Palatable » : Une émulsion stable et surtout acceptable pour le goût. L’une des publicités mentionne que le goût (de l’huile) est entièrement masqué par la glycérine comme le font le sucre ou la gélatine pour les pilules. |
©Collection Bruno Bonnemain |
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La concurrence était très rude comme on peu le lire dans l’Officine de Dorvault dans son édition de 1945. « On a essayé de bien des façons de faciliter l’absorption de l’huile de foie de morue, d’en masquer l’odeur et la saveur : en la mêlant avec l’éther, dans la proportion de X à XX gouttes de celui-ci pour 8 g. d’huile ; en la chauffant à 50 ou 60° avec du café moulu et torréfié et du noir animal ; en en faisant un saccharure en poudre granulée ; en la mêlant avec 1/100 d’eucalyptol ; en l’incorporant à de la farine, pour en faire du pain ; en la rendant effervescente au moyen de l’acide carbonique, l’huile ainsi préparée conserverait beaucoup plus longtemps son phosphore sans décomposition.
On a également proposé de l’émulsionner ou de l’incorporer à des gelées préparées avec la gélatine ou le fucus crispus, le blanc de baleine. Sous le nom de solution d’huile de foie de morue dans l’extrait de malt, on vend un produit qui se présente sous forme de gelée obtenue en incorporant à de l’extrait de malt 30, 40 et même 50 pour 100 d’huile de foie de morue. |
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On prépare maintenant des concentrés d’huile de foie de morue qui sont environ 200 fois plus riche en vitamines que l’huile elle-même. Despinoy et Garreau ont proposé l’emploi thérapeutique des eaux de foie de morue, en les concentrant sous forme d’extrait, dont ils ont fait des sirops simples et ferrugineux, des pilules simples et ferrugineuses. Les pilules et capsules de foie de morue, de Meynet et Vivien, ont la même base. Sous le nom de Morrhuol, Chapeteaux a proposé le produit obtenu en épuisant l’huile de foie de morue par de l’alcool à 90°. Ce dernier, séparé de l’huile et distillé, donne le morrhuol qui renferme tous les principes actifs de l’huile de foie de morue. S’emploie sous forme de capsules contenant 0.2 de morrhuol correspondant à 0.5 g. d’huile »
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Publicité pour l’émulsion Scott, 1899, Le Stéphanois(gauche)
Publicité pour l’émulsion Scott, 1905, The Warrensburgh News (droite) |
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Catalogue Pharmaceutique Dorvault 1877. ©Collection Bruno Bonnemain |
Catalogue Pharmaceutique Dorvault 1877. ©Collection Bruno Bonnemain |
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On peut lire avec intérêt l’ouvrage du pharmacien Hogg « Etude sur l’Huile de foie de morue naturelle ou du meilleur procédé d’extraction de cette substance destinée aux usages de la médecine », paru en 1856 et qui se trouve sur gallica (BNF). L’auteur explique la démarche de production de son huile et rappelle l’histoire de l’huile de foie de morue en thérapeutique. C’est en particulier à la fin de 1853 que l’Académie impériale de médecine de Paris, voyant l’extension pratique que prenait l’usage de l’huile de foie de morue, décida d’instituer un concours de 1000 francs qsur la question : « Quelle est la valeur de l’huile de foie de morue comme agent thérapeutique ? « . Il fait référence à l’ouvrage de de Jongh, médecin hollandais qui avait publié en 1853 un ouvrage sur l’huile de foie de morue en citant de nombreuses fois l’huile de Hogg. Cet ouvrage est également accessible sur internet.
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L’Officine de Dorvault donne enfin quelques produits dérivés : – l’huile de foie de morue créosolée – l’huile de foie de morue composée, de Fougera – l’huile de foie de morue iodo-ferrée de Devergie – l’huile de foie de morue phosphorée ©Collection Bruno Bonnemain |
Etablissements Goy 1910.
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En parallèle à cette histoire de l’huile de foie de morue, les connaissances se développent sur son intérêt mais surtout sur les vitamines qu’elle contient. Le rachitisme est une maladie connue depuis très longtemps. Vers 1645, les médecins anglais l’on décrite et codifiée. A la fin du XVIIIe siècle, on découvre l’intérêt de l’huile de foie de morue dans le traitement du rachitisme. C’est le Dr Dale Perceval, en Angleterre, qui administre ce produit aux enfants atteints de rachitisme en 1782. Bretonneau le fera à son tour en France en 1827. Trousseau associe en 1865 ce traitement avec l’exposition au soleil. C’est en 1922 avec Elmer McCollum qu’on observe la présence dans l’huile, en plus de la Vitamine A, d’une autre vitamine, la D. En 1932, Windaus parvient à isoler la vitamine D2 puis, en 1936, la vitamine D3 à partir de l’huile de foie de thon. Enfin, c’est en 1952 que Woodward réalise la première synthèse de la vitamine D3, ce qui lui vaut le prix Nobel en 1965.
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Liste de prix du Catalogue Dorvault de 1855. ©Collection Bruno Bonnemain |
Liste de prix du Catalogue Dorvault de 1855( Extrait de la page de gauche). ©Collection Bruno Bonnemain |
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Pour conclure en images, voici quelques unes des nombreuses images format carte postale que Scott a publié en France pour son émulsion d’huile de foie de morue. Tous les départments ! avec ici des exemples dont le contenu est souvent intéressant sur le plan historique. On y décrit en effet les points forts de l’économie locale qui ont souvent bien changés ! C’est en tout cas un des supports souvent utilisés par l’industrie pharmaceutique ou les promoteurs du médicament au XXe siècle : la géographie française. C’était sans doute principalement destiné à instruire les jeunes élèves qui recevaient ces bons points ou cartes en récompenses de leurs efforts scolaires. Ce n’empêche pas aujourd’hui de considérer que huit français sur dix manquent de vitamine D !! (Source : Sciences et Vie, juillet 2012)
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Le guide du Foyer. Les pharmacies SOGEDROF |
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Pour aller plus loin, vous pouvez lire avec intérêt deux articles parus dans la Revue d’histoire de la pharmacie :
– Les iles Saint-Pierre-et-Miquelon productrices d’huile de foie de morue (C. Guyotjeannin et J. Lehuenen)
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