Mortiers
Mortier de forme vase, décoré en plein de feuillages stylisés. Fonte à cire perdue. Italie, Venise, XVIe siècle. H: 108mm, D: 128 La fonte à cire perdue employée par les célèbres fondeurs au XVIe siècle a permis de réaliser de purs chefs-d’oeuvre. « C’est le procédé le meilleur et le plus propre à produire des pièces irréprochables. Cette méthode ne permettait d’obtenir qu’un seul exemplaire avec un moule qui était ensuite détruit, et réclamait un personnel spécialisé longuement dressé et possédant un sens artistique que n’exigeaient pas les autres travaux de l’atelier » (Henri Havard). L’emploi de cette technique est absolument exceptionnelle pour un mortier |
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Comme le disait avec humour le docteur Ox, « celui qui, le premier, s’est servi de deux pierres pour broyer les graines, a inventé le mortier. Ce n’était pas même un homme, mais quelque ancêtre commun de l’homme et du singe… Ce n’est donc pas en siècles, mais en millénaires, qu’il faudrait chiffrer l’existence du mortier ». Les préhistoriens ont découverts de nombreux mortiers dans leurs fouilles, aussi bien en Europe qu’en Asie ou en Amérique. L’absence du métal réduit les possibilités de trouvailles au bois et à la pierre et les mortiers de bois ne peuvent être rencontrés, sauf exception, que dans les cités lacustres alpines du Néolithique et du Bronze. Antérieurement n’ont été signalés que des mortiers de pierre. Ainsi, il parait possible de définir le mortier préhistorique comme une pierre creusée, brute ou façonnée, au fond de la quelle on a trouvé soit des traces de pilonnage (écrasements ou polissage), soit la matière pulvérisée, soit, associés, les stigmates d’utilisation et la matière. Le pilon ne peut guère être défini que comme une pierre présentant à un pôle les mêmes stigmates que le mortier, mais l’abondance des galets percutés, les usages éventuels multiples de telles pierres (en particulier percuteurs pour la taille du silex) rend incertaine la destination des pilons. Des traces de matières broyées, lorsqu’elles existent, sont évidemment plus suggestives. Des mortiers ont été trouvés parmi les antiquités gauloises et gallo-romaines. Jusqu’au XII° siècle de notre ère, les mortiers semblent en France avoir toujours été creusés dans des pierres dures ou dans du marbre. il n’en était pas de même chez les Arabes. Ainsi, en Espagne, fut trouvé à Monzon, près de Palencia, un mortier de bronze près d’un chateau arabe ruiné, tombé au début du XI° siècle entre les mains de Chrétiens. Ce mortier de bronze, circulaire, avait douze pans coupés prismatiques. Deux têtes de lion devaient servir d’anneaux de suspension ou de poignées. Plus proche de nous, à partir du XVI° siècle, il semble beaucoup plus aisé de distinguer les mortiers d’apothicaires des mortiers utilisés dans les cuisines familiales. Pourtant, dès le Moyen-Age, le mortier fut l’indice de la profession d’apothicaire. Dans les frontispices des ouvrages pharmaceutiques, on constate le plus souvent la présence de mortiers et généralement de compagnons apothicaires pilant dans ceux-ci un produit médicamenteux. Il en est ainsi, par exemple, au centre de celui qui orne la Boutique pharmaceutique de Jean de Renou. Nombreuses furent les enseignes Au mortier d’or.
Le Mortier d’argent n’est pas moins fréquent, par exemple à Poitiers ou à Paris. Le mortier, symbolisant la profession d’apothicaire, devait évidemment figurer assez souvent dans les armoiries choisies par – ou pour les praticiens de l’ancien régime, dans les sceaux, les médailles ou les jetons des communautés, les bannières des confréries et aussi dans les ex-libris non seulement des vieux apothicaires mais encore des pharmaciens modernes. Parmi les armoiries personnelles d’apothicaires, on peut citer en Bretagne celles de Jean l’Amiral, maître apothicaire à Rennes, qui avait « d’azur à une ancre d’argent, accompagné de deux mortiers d’or, garnis chacun d’un pilon de même ». Au XIX° siècle, les caricaturistes, et particulièrement Daumier, se plurent à tourner en dérision les apothicaires tout en donnant à leurs oeuvres une très nette intention politique. Dans une de ses planches, Daumier a mis en scène le Docteur Véron, qui fut directeur de l’Opéra, journaliste, marchand de produits pharmaceutiques et mémorialiste célèbre. On voit le docteur Véron armé d’un gigantesque pilon tenter d’écraser dans un mortier un petit bonhomme coiffé d’un chapeau de folie et qui fait un pied de nez à celui qui l’attaque. Dans le mortier, se trouve également engagé un journal qui fut célèbre à son époque : le Charivari.
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Source : Les mortiers d’apothicaires, par Mme Roger Cazala, Allier Imp., Grenoble, 1953
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