Marcel GUERBET (1861-1938)(par René Fabre (1939), extraits) Voir aussi GUERBET (entreprise) |
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« Marcel Guerbet naquit à Clamecy le 5 juillet 1861. Après avoir accompli de brillantes études secondaires au Collège de sa ville natale, il entreprit ses études pharmaceutiques. Son stage régulier une fois terminé, il devient étudiant à l’Ecole Supérieure de Pharmacie de Paris, où il fut de suite remarqué par son travail et son intelligence ; c’est ainsi qu’il obtint le Prix Lebeault en 1885 et le Prix Buignet en 1886. Il entreprit concurremment sa licence, il était licencié ès Sciences en 1887, puis peu de temps après, pharmacien. Ne se contentant pas de tels succès universitaires, il se présenta à l’Internat. Reçu N°2 au concours de 1884, il obtenait la Médaille d’Or en 1887, et, dès 1889, il était, à la suite d’un brillant concours, nommé Pharmacien des Hôpitaux de Paris. Marcel Guerbet n’allait pas s’arrêter en aussi bonne voie, et, en 1894, il soutint avec succès sa thèse de Doctorat ès Sciences physiques. D’ailleurs, en même temps qu’il préparait sa thèse, il remplissait les fonctions de préparateur aux Travaux pratiques de chimie de l’Ecole Supérieure de Pharmacie, puis au Cours de Chimie Générale que M. Jungfleisch professait au Conservatoire des Arts et Métiers. Tels sont les titres remportés de main de maître par Marcel Guerbet en dix années de travail acharné ; un de ses camarades d’étude et d’internat me rappelait récemment encore la volonté tenace et intelligente du jeune lauréat qui, malgré sa santé délicate, persévérait avec acharnement dans ses efforts jusqu’au succès. Son apparence chétive et frêle contrastait avec la volonté de son regard, et l’on ne manquait pas d’être frappé par l’énergie de Marcel Guerbet qui, résolument, s’engagea dans la voie des concours universitaires. Sa carrière universitaire s’ouvre en 1899 par sa nomination de Chef de Travaux Pratiques de Chimie à l’Ecole Supérieure de Pharmacie ; reçu premier au concours d’agrégation en 1904, il fut chargé d’abord des conférences préparatoires aux Cours de Chimie analytique et de Chimie minérale. En 1911, on lui confiait le cours de Minéralogie et d’Hydrologie. Enfin, en 1918, il était nommé Professeur de Toxicologie, chaire qu’il devait occuper jusqu’au jour de sa retraite. Marcel Guerbet faisait partie de la Société de Pharmacie depuis 38 ans. Elu en 1900, il en fut le Secrétaire annuel en 1905, le Président en 1915. Il était, en outre depuis longtemps, membre et doyen du Comité de publication du Journal de Pharmacie et de Chimie auquel il réservait la publication de ses travaux qui sont nombreux et d’un grand intérêt. Marcel Guerbet rédigeait ses mémoires dans un style clair et précis, qui ne manque pas de frapper le lecteur : les expériences y sont décrites avec la plus grande minutie, et, dans sa grande modestie, leur auteur ne laissait pas apparaître les difficultés expérimentales qu’il ne put surmonter que grâce à sa parfaite maîtrise de l’expérimentation qu’admiraient ses élèves. La plupart des travaux de Marcel Guerbet portent sur la chimie organique ; il les poursuivait dans la solitude de son laboratoire hospitalier et ses internes se rappellent tous que, bien tard dans la nuit, le patron était dans son laboratoire de Bichat, de la Maison Dubois, de Tenon, de l’Hôtel Dieu surveillant une combustion ou le four à tubes scellés, notant les moindres incidents qu’il observait avec l’esprit critique le plus avisé et dont il ne manquait pas de tirer les conclusions les plus utiles pour la poursuite de ses recherches. La thèse de Doctorat ès Sciences de Marcel Guerbet a pour sujet l’étude de l’acide campholique et de ses dérivés. Cet acide, difficilement préparé jusqu’à cette époque en petite quantité, fut obtenu avec un excellent rendement en chauffant pendant 24 heures à l’autoclave à 280-290°, le camphre avec deux fois son poids de potasse caustique. Il se forme, en même temps, un peu d’acide iso-campholique, acide fort, tandis que l’acide campholique est un acide si faible qu’il est déplacé de ses combinaisons par un courant d’anhydride carbonique. Sa vitesse d’estérification est très minime, mais ses esters, une fois formés par action du chlorure de campholyle sur les alcools, ne sont plus saponifiables par les alcalis ; seul un traitement à l’acide iodhydrique en permet l’hydrolyse. On sait maintenant que le carboxyle de l’acide campholique est lié à un carbone tertiaire, tandis que dans le cas de l’acide isocampholique, la liaison se fait avec un carbone primaire ; il existe une relation, dès lors évidentes, entre la constitution et la force des acides, parfaitement démontrée dans un cas fort net mais bien difficile à élucider. Les réactions de condensation grâce au sodium ont retenu l’attention de M. Guerbet. En perfectionnant la technique de Montgolfier, le camphre condensé de la sorte avec lui-même ou avec le bornéol, l’a conduit au bornylène-camphre, puis au bornylcamphre. En présence de méthylate de sodium, excellent agent de condensation fort étudié par Marcel Guerbet, et en opérant en tubes scellés à 100-180°, le camphre fournit, avec un bon rendement, l’isodicamphre qui n’est souillé, par réaction secondaire, de bornylcamphre que l’on a opéré à une température supérieure à 180°. En étudiant l’application des condensations de ce genre au cas des alcools, Marcel Guerbet a établi une excellente méthode de synthèse des alcools monoatomiques. Celle-ci repose sur la réaction qui s’effectue entre les alcools et les alcoolates de sodium ou de baryum chauffés en tube scellé à 200-250°. Cette réaction s’applique aussi bien aux alcools secondaires qu’aux alcools primaires, l’enchaînement des molécules d’alcools se faisant toujours par l’un des groupements carbonés voisin du groupement fonctionnel, et de préférence, par le plus hydrogéné des deux. Qu’il s’agisse d’alcools primaires ou secondaires, la condensation entre alcools différents se fait toujours aux dépens du groupement fonctionnel de l’alcool le plus riche en carbone, et le rendement est d’autant meilleur que l’on s’adresse à des alcools plus élevés dans la série. Cette méthode générale de synthèse des alcools de poids moléculaire élevé, s’est montrée très fructueuse et d’un très grand intérêt. Au cours des recherches poursuivies pendant plusieurs années, Marcel Guerbet l’a appliquée avec succès à de nombreux produits qui ont consacré la valeur de la méthode et sa généralité. Ces réactions ne sont, d’ailleurs pas aussi simples que l’indique l’équation théorique. L’hydroxyde alcalin se formant lors de la condensation de deux molécules d’alcool en présence de sodium, agit en oxydant une partie de l’alcool primitif, surtout dans les termes élevés de la série, et, par la réaction bien connue de Dumas et Stas, conduit à l’acide correspondant avec dégagement d’hydrogène… Des problèmes de Chimie pharmaceutique ont retenu l’attention de notre collègue dans ses fonctions de Pharmacien des hôpitaux. C’est ainsi que, vers 1900, les lactates de mercure étant fort employés en thérapeutique, Marcel Guerbet entreprit de préparer à l’état de pureté le lactate mercureux et le lactate mercurique. Or il observa que le lactate mercurique, en solution aqueuse, se décompose à chaud en lactate mercureux, aldéhyde acétique, et anhydride carbonique, et il réussit, par la généralisation de cette réaction à l’acide gluconique, à isoler l’arabibinose-d. C’est là une nouvelle méthode de dégradation des aldoses permettant de passer du glucose en C6 à l’arabinose-d en C5, par l’intermédiaire du sel de mercure de l’acide gluconique. Grâce à son sens aigu d’observation, Marcel Guerbet réalisa ainsi une réaction de dégradation des plus intéressantes et d’une grande facilité d’exécution. Toujours guidé par le souci d’appliquer ses connaissances de Chimie organique aux produits utilisés en thérapeutique, il étudie l’essence de Santal des Indes orientales, et il réussit à élucider la composition de ce produit complexe dont la partie principale est formée de deux alcools isomères sesquiterpéniques, les santalols α et β. D’aussi belles recherches devaient attirer l’attention des Sociétés Savantes et, en 1909, notre collègue fut lauréat de l’Académie des Sciences qui lui attribua le prix Jecker. Depuis sa nomination à la chaire de Toxicologie, Marcel Guerbet étudia diverses questions se rattachant à son enseignement. On ne saurait passer sous silence la préparation d’un acide dialcoylarsinique asymétrique, l’acide méthyléthylarsinique, par action, en présence de potasse alcoolique, de l’oxyde de méthylarsine sur les chlorures d’alcoyles. Cette réaction permet l’étude facile d’une série importante de composés organo-métalliques remarquables par leur grande toxicité. L’identification de la crocine du safran est essentielle pour caractériser avec sûreté les intoxications par le landanum ; elle est aisée par la technique mise au point par notre collègue. Les alcaloïdes, tels que la cocaïne ou l’atropine, et les composés voisins, furent l’objet de ses investigations. Ces alcaloïdes contenant un radical benzoïque ou pouvant fournir celui-ci par oxydation, conduisent aisément à un azoïque coloré, par une suite de réactions simples permettant une diagnoses précieuse pour la recherche de ces toxiques qui possèdent, on le sait, peu de réactions sensibles et sûres. Dans son laboratoire de la Faculté, Marcel Guerbet accueillit de nombreux élèves, leur confiant, soit des recherches constituant une suite de ces propres travaux de Chimie pure ou appliquée, soit des questions de Toxicologie s’adressant aux domaines les plus variés : Toxicologie du mercure, du bismuth, des opiacés, des barbituriques ou de l’atropine… Mais à côté de ses élèves qui eurent le rare privilège de travailler avec lui, d’autres plus nombreux furent formés également à son Ecole. Ce sont les étudiants en pharmacie qui, de 1919 à 1932, suivirent son enseignement de la Toxicologie à la Faculté de Pharmacie. Dans ses leçons, Marcel Guerbet apportait le même souci de l’exactitude et de la précision que dans es recherches de laboratoire. Il tenait à donner un enseignement expérimental parfaitement adapté aux besoins de notre profession et il y réussissait fort bien. Malgré le poids des années et sa santé souvent défaillante, il assura ponctuellement son enseignement – au prix de quelle surprenante volonté ! – jusqu’à l’heure de la retraite…. Il avait dirigé vers les études pharmaceutiques son fils André qui avait auparavant été un très brillant élève de l’Ecole Centrale des Arts et Manufactures….» Marcel Guerbet a été à l’origine, avec Lafay, du Lipiodol, huile iodée synthétisée par Marcel Guerbet en 1901, qui donnera naissance 25 ans plus tard, à la création par son fils du Laboratoire André Guerbet. Marcel Guerbet est décédé en décembre 1938 à Paris.
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Source :
R Fabre. Marcel Guerbet. Notice Nécrologique. Journal de Pharmacie et de Chimie, 1939 : 280-290 |