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Lucien Henri Armand (Pascalon)

Lucien Henri Armand, dit Pascalon,

pharmacien, poète et humoriste (1860-1940 ?)

par Henri Bonnemain et Thierry Lefebvre

Bonnemain Henri, Lefebvre Thierry. Lucien-Henri-Armand Coullon, dit Pascalon, pharmacien, poète et humoriste (1860-1940 ?). In: Revue d’histoire de la pharmacie, 82ᵉ année, n°301, 1994. pp. 183-190

Communication présentée à la Société d’Histoire de la Pharmacie le 14 mars 1993.

 

 

Il y a quelques années, notre collègue Paul Bellet faisait don à la Collection Bouvet d’un fort curieux ouvrage intitulé Les Refrains de l’officine et signé d’un certain Pascalon. Il s’agissait, à l’évidence, d’un pseudonyme. Restait à percer à jour la réelle jldentité de l’auteur. Le mérite en revint au regretté professeur Jean-Émile Courtois : ce fier Bourguignon identifia immédiatement son compatriote Coullon.

Lucien-Henri- Armand Coullon vit le jour le 20 mai 1860 à Larrey (Côte-d’Or). Son père, Charles-Romain Coullon, était jardinier. Sa mère, Anne, née Lecomte, n’exerçait apparemment aucune profession. «Garnement rebelle à l’obéissance, gaillard des plus polissons»2, Lucien est mis en pension vers l’âge de douze ans ; expérience amère dont il témoignera plus tard dans certains de ses poèmes :

« Sous prétexte de… Bachot,

On vous met dans un cachot ! »3

Devenu bachelier à dix-huit ans, il décide, sur la proposition de ses parents, d’apprendre la pharmacie. Ses trois années d’apprentissage lui laisseront un souvenir mitigé :

Pascalon (1860-1940 ?) : Portrait extrait de son recueil <em>Les Rimes de l'Officine</em>
Pascalon (1860-1940 ?) :
Portrait extrait de son recueil Les Rimes de l’Officine

« Tout en rêvant à ma cousine Je m’assoupis sur le Codex. »

« Mais parfois, je sens l’iodoforme : Pour être aimé, c’est un écueil ! »4

« Humble garçon, dans un laboratoire, Je suis chargé des humbles travaux : C’est moi qui fait l’onguent vésicatoire ; De l’alambic j astique les tuyaux. »5

Une fois son stage validé, Coullon monte à Paris et suit avec assiduité les enseignements dispensés à l’École de Pharmacie. La chimie et la botanique captent d’emblée son attention :

« Travaillons, pleins d’ardeur, en retroussant nos manches, Et, du CHLORE, bravons la perfide douceur ; En été, nous irons aux bois tous les dimanches, Avec Monsieur Guignard, notre cher Professeur. »6

Esprit curieux, il se passionne également pour la microbiologie triomphante et s’attaque, en quelques alexandrins pathétiques, aux insondables mystères de 1 infiniment petit :

« L’élégant Microscope, en surprises fertile,

De son œil de cristal, explore le Grand Tout ;

Pour lui rien de caché ; nulle chose futile ;

C’est le microbe obscur qu’il pourchasse surtout :

Bacilles, vibrions, à l’allure traîtresse,

Nous saurons dévoiler vos multiples noirceurs. »7

En dépit de sa soif de connaissance, Coullon ne reste pas insensible aux attraits de la vie parisienne ; les fêtes et les conquêtes féminines viennent rapidement à bout de son maigre pécule — cette lettre imaginaire à son père en témoigne :

« J’n’ai plus d’vêtements : on voit ma peau…

Grande est ma gêne… .

Et Lison voudrait… un chapeau…

Ton fils : EUGÈNE. »8

Ces dépenses justifient au moins en partie son inscription, en 1887, au concours de l’Internat : il y est finalement reçu treizième et prend aussitôt ses fonctions à l’hôpital Bicêtre.

Bien des années plus tard, son oral d’Internat lui laissera un souvenir amusé :

« J’fus des plus éloquents

En parlant des Onguents ;

Et j’ fournis aux jurés surpris,

Force détails sur… l’onguent gris…

Me trouvant trop bavard

L’un d’eux m’ dit: « Mon gaillard,

Pas la pein’ d’appuyer,

On voit… qu’vous savez l’employer !  » »9

L’humour de Coullon, « un peu gaulois, mais jamais libertin »10, va alors s’affirmer au contact des salles de garde. Les allusions à l’onguent gris (ou Pommade mercurielle simple) sont fréquentes dans ses poèmes. Sous sa plume, les femmes de petite vertu gagnent en piquant et les amours clandestines sont croquées sans fioritures. Tel ce sonnet apparemment dédié à la femme idéale et qui se clôt sur une chute on ne peut moins romantique :

« Je me réjouissais déjà de la surprise,

Quand elle dit : — soudain dissipant ma méprise —

S’il vous plaît ! donnez-moi… pour deux sous d’ONGUENT GRIS. »11

Dans sa préface aux Refrains de l’officine, Paul Bru tente de caractériser le style de Pascalon/Coullon :

« À côté de Sylvestre (sic) et près de Rabelais,

Parmi les « auteurs gais » tu viens prendre ta place ;

Et tu pourrais signer ces vers, si tu voulais :

Pascaton-La Fontaine ou… Pascalon-Boccace. »

La filiation avec Armand Silvestre nous paraît fort justifiée : les Aventures gauloises de ce dernier, en 18 tomes, connurent, à la fin du XIXe siècle, un vif succès, tandis que sa Semaine joyeuse apportait, hebdomadairement, son lot d’hitoires cocasses et polissonnes. D’ailleurs, l’un des illustrateurs préférés de Silvestre était Charles Clérice, que nous retrouvons, avec J. Malet, à l’origine des illustrations des Refrains de l’officine.

Plusieurs poèmes de Coullon s’inspirent directement de cette littérature. Dans La Foire au pain d’épices, il évoque des souvenirs égrillards avec Fanchon, sa maîtresse. Dans La Grève des omnibus, il fait l’apologie des transports en commun, lieux de rencontre par excellence. Le Rendez-vous égrène quelques souvenirs d’étudiant, le tout dans une ambiance d’adultère.

Ici, une parenthèse : dans son livre Chanson, sociabilité et grivoiserie au XIXe siècle (Aubier, 1992), Marie-Véronique Gauthier cite à deux reprises Coullon, qui aurait été l’un des membres les plus actifs du Caveau. Le Caveau était, avec la Lice, l’un des fers de lance de la « sociabilité chansonnière ». A l’évidence, le style de Coullon doit beaucoup à cette microsociété bourgeoise : inspiration épicurienne et « sociomimésis » (c’est-à-dire une approche sociale sous forme d’imagier). Notons d’ailleurs qu’Armand Silvestre faisait lui aussi partie du Caveau.

Sans nous attarder sur cette remarque, nous pensons qu’il serait bon, à l’avenir, d’étudier plus attentivement les rapports entre l’humour pharmaceutique et la verve chansonnière. .

Mais revenons à Coullon. En 1890, son diplôme de pharmacien en poche, il se retire au pays et exerce dans une officine. Finies les amours étudiantes et l’insouciance de l’Internat :

« Amis, quand nous serons apothicaires,

Le pilon battra

Le mortier sonn’ra !

Et… si l’on fait de brillantes affaires,

Garçons ou maris

Nous viendrons souvent à Paris ! »12

Dès lors, la nostalgie prend le pas, et nous découvrons un Coullon mélancolique, quelque peu désabusé :

« Que j’exécutai de formules,

De Juleps calmants pour la toux !

Que j’en ai roulé de Pilules !

— Celles du grand RICORD surtout […]

Pour me distraire, le Dimanche,

Où, durant les longs soirs d’hiver,

Ma vieille Muse a carte blanche,

À quarante ans ! je fais des vers,..

Mon épouse, vers moi se penche

Et… se moque de mon travers ! »13

 

Dans le même temps, son humour pharmaceutique s’épanouit au contact d’une clientèle variée. Chaque médicament devient prétexte à versification : Le Purgatif, Le Lavement, La Pilule, Le Rigollot, La Sève capillaire, etc.

Il serait long et fastidieux de répertorier ces textes délicieux. Nous ne retiendrons ici que L’Analyse d’urine, long poème qui met en scène Amaryllis, une jeune fille de dix-neuf ans apparemment chaste. Son médecin, la trouvant anémique, lui prescrit une analyse d’urine, art pharmaceutique s’il en est. La fin de ce divertissement littéraire est un chef-d’œuvre en soi, à la fois savante et parfaitement inconvenante :

« Chez l’ami Bezuquet, dont le laboratoire

Jouit, dans tout le quartier, d’un renom très notoire,

Le… liquide arriva le mercredi suivant…

En compulsant Yvon — ouvrage fort savant —

Le potard, gravement, en expert, examine

L’aspect, flaire l’odeur, en faisant grise mine ;

Filtre la liqueur d’ambre et, dans un petit pot,

Recueille avec grand soin le précieux dépôt.

Pas de trouble en chauffant ; par l’acide nitrique,

Aucun précipité. De la liqueur cuprique,

Bouillante, comme il sied, rien ne trouble l’azur.

Donc: Glucose, néant; c’est absolument sûr !

D’autre part, n’ayant point décelé l’Albumine,

Bezuquet, très marri, déblatère et fulmine :

—  » Travail peu lucratif; je ne puis, au client,

Réclamer que Cent sous ; c’est très humiliant.

Ah ! ce n’est point avec du pipi de pucelle

Que je pourrai jamais remplir mon escarcelle,

Ni me payer… un Saccharimètre Laurent.

Un cas aussi banal me laisse indifférent.  »

Et, tout en rajustant ses lunettes de myope,

— « Je vais vois tout de même avec le microscope.  »

Ayant soumis la plaque au puissant objectif,

Bezuquet, devenu, soudain, plus attentif,

— Parmi des sédiments plus ou moins rhomboïdes

Contemplait, ahuri… des Spermatozoïdes… »14

Au total, Coullon publia trois ouvrages, tous trois sous le pseudonyme de Pascalon : Les Refrains de l’officine, Mes Premiers Cent Sonnets et Sonnets de Guerre. Il s’agit de recueils de poèmes parus entre 1906 et 1920 dans Le Journal de la Côte7d’Or. Il écrit aussi dans L’Union pharmaceutique, aux côtés de Jean-Émile Courtois. Les deux hommes se rencontrent régulièrement au déjeuner trimestriel de « La Grappe », une association de Bourguignons résidant à Paris, animée par Coullon. Au dessert, ce dernier se lève et déclame ses derniers vers entre la poire et le fromage.

La fin de la vie de Pascalon est assez mystérieuse. Aucune trace de son décès ! Selon Courtois, celui-ci doit se situer durant la seconde guerre mondiale, ce qui expliquerait qu’il ne soit pas mentionné dans les registres de l’état civil de Larrey, sa ville ^natale. Auparavant, Coullon aurait exercé au laboratoire de l’Institut d’Éducation Physique de Join- ville, où ses talents d’analyste se seraient épanouis.

Pour terminer, nous ne résistons pas au plaisir de citer encore quelques vers tirés d’un poème intitulé Voyage en Suisse et daté de 1905. Il s agit du voyage de noce d’un apothicaire et le propos n’est pas sans démarquer une pièce fameuse des Hanlon-Lees. On y verra une allusion au monopole japonais sur la vente du camphre (qui date de 1903 selon Dorvault) et une autre, assez graveleuse celle-là, aux propriétés prétendument anaphrodisiaques de ce produit (« fort douteuses » selon Dorvault) :

« Poursuivant son raisonnement :

— « Le Camphre — dit l’Apothicaire,

Coûte ici, deux francs, seulement,

Le kilo : quelle Donne affaire !

Chez nous (à cause du Japon)

Cette drogue est fort renchérie :

Tu pourrais bien, sous ton jupon,

En cacher : cinq kilos, chérie !  »

Brusquement Suzanne dit :  » Mais !

Je trouve inepte ta demande :

Passer du camphre ! Non, Jamais !

C’est vraiment., trop de Contrebande !  » »

1. Pascalon, Les Refrains de l’officine, Paris, chez l’auteur (108, rue Vieille-du-Temple), 1908, in-8°, XIII-302 p.

2. La Complainte du Potard (1890), in: Les Refrains de l’officine.

3. Op. cit.

4. La Chanson de l’Élève, in : Les Refrains de l’officine.

5. La Chanson du Garçon !, in : Les Refrains de l’officine. ,

6. La Chanson de l’Étudiant : in : Les Refrains de l’officine.

7. Op. cit.

8. Lettre d’un jeune potard à son père, in : Les Refrains de l’officine.

9. Le Concours de l’Internat (Aux Confrères de la promotion de 1887), in : Les Refrains de l’officine.

10. Épître liminaire, in : Les Refrains de l’officine.

11. Heures grises, in : Les Refrains de l’officine.

12. La Chanson du départ, in : Les Refrains de l’officine.

13. La Chanson du pharmacien ! in : Les Refrains de l’officine.

14. L’analyse d’urine, in : Les Refrains de l’officine.

 

 

 

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