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Louis Charles Théophile Bruntz

Le professeur et recteur
Louis Charles Théophile Bruntz

(Bourmont, 1877 – Nancy, 1944)

 Auteur : Pierre Labrude

Louis Bruntz est né le 22 juin 1877 à Bourmont, en Haute-Marne, dans le Bassigny autrefois lorrain, – où le collège porte aujourd’hui son nom -, d’une mère originaire de Lorraine, Claire Louise Marchand, et d’un père alsacien venu en France à la suite de l’Annexion, François Joseph Bruntz. Bachelier ès sciences le 9 novembre 1894, il est d’abord élève en pharmacie et étudiant en sciences à Nancy : il est licencié ès sciences naturelles en juillet 1900 et pharmacien de 1e classe en novembre 1901. Poursuivant ces études par la préparation d’une thèse de doctorat ès sciences, il soutient celle-ci le 3 décembre 1903. Il est docteur en médecine en 1911 ; il sera un proche du professeur de médecine et doyen Louis Spillmann avec lequel il travaillera et publiera.

Le professeur et le directeur de l’Ecole supérieure de pharmacie ; le doyen de la Faculté

Entré dans les cadres de l’Ecole supérieure de pharmacie de Nancy, d’abord préparateur (assistant), il est chargé d’un cours complémentaire d’histoire naturelle le 1er novembre 1902. Il est également nommé chef des travaux pratiques de micrographie (l’étude des coupes végétales au microscope) au cours de cette année. Le décès brutal du professeur Camille Brunotte, titulaire de la chaire de matière médicale de l’Ecole (et associé-correspondant de notre compagnie), le 10 janvier 1910, ouvre une succession inattendue (Brunotte n’a en effet que cinquante ans). Louis Bruntz est nommé chargé de cours magistral le 2 juin 1910 et il est titularisé dans la chaire le 1er décembre 1911. A partir de 1913, il préside la section locale de la Ligue de l’enseignement.

Ce qu’on peut appeler la période scientifique de la carrière du professeur Bruntz s’effectue de 1902 à 1911. Ses recherches portent sur des sujets de médecine et de physiopathologie qui sont en lien avec le fait qu’il est étudiant en médecine et proche de celui qui deviendra le doyen Spillmann. Il travaille sur l’excrétion, le rôle des cellules excrétrices et des organes excréteurs, sur les cellules phagocytaires, sur les sécrétions des cellules rénales et la structure des canaux excréteurs de certains animaux. Il étudie l’activité des leucocytes dans les infections et les intoxications, et, avec Spillmann, certaines dermatoses. Il s’intéresse aussi aux effets des injections de métaux colloïdaux, qui se pratiquent à l’époque en raison de leur action microbicide et de stimulation des défenses de l’organisme et d’élimination des toxines.

La matière médicale (aujourd’hui pharmacognosie), dont il est le professeur à l’Ecole, étant l’étude des drogues dont on se sert pour la préparation des médicaments, et celles-ci étant d’origine végétale, animale et minérale, il est normal de trouver des travaux des chercheurs de cette discipline dans des domaines variés. C’est dans cette orientation que se situent les travaux que Bruntz a menés en zoologie sur des sujets qui semblent dispersés et peu pharmaceutiques : orthoptères africains, coraux, pêcheries, autruche, éléphant. Résolument plus proches du domaine de sa chaire sont les travaux de botanique : étude de la structure de la tige des phanérogames en 1902 ; inventaire des ressources botaniques des pharmacopées étrangères en 1918 (travail couronné par le prix Barbier) ; même inventaire dans la pharmacopée française, avec son élève Jaloux ; culture et récolte des drogues végétales, avec Léon Thiriet, et, pendant le conflit de 1914-1918, avec la collaboration des enfants. Ses travaux lui valent d’être lauréat de l’Académie de médecine en 1912 et de l’Institut de France en 1914.

Une nouvelle succession est ouverte peu d’années après sa nomination à une chaire avec le décès du professeur Julien Godfrin, qui est aussi le directeur de l’Ecole. Le professeur élu dans un premier temps s’étant récusé, Bruntz est élu directeur le 1er juin 1913. Il va le rester jusqu’à la transformation des écoles en facultés, en mai 1920. Il est alors nommé doyen le 27 mai. Il est le président de l’Association générale des étudiants de Nancy (AGEN), alors qu’il est jeune professeur, et son nom reste attaché à « l’hôtel des étudiants », avec son restaurant universitaire, dit « AG », rue de la Pépinière (aujourd’hui Gustave-Simon), dont la façade et le fronton sont maintenant intégrés dans le nouveau bâtiment du musée des beaux-arts.

Pendant la Première Guerre mondiale, Louis Bruntz est mobilisé sur place et il continue à assurer la direction de l’Ecole supérieure de pharmacie tout en dispensant ses enseignements et en collaborant étroitement avec l’Armée et particulièrement avec le Service de santé. Il met à la disposition de l’Armée tout un ensemble de locaux et d’équipements de l’Ecole, en particulier le laboratoire d’enseignement de pharmacie industrielle qui est unique dans notre pays ; il fait en sorte que l’Ecole accueille des sessions d’enseignement destinées à des élèves en pharmacie en vue de l’obtention du grade de pharmacien auxiliaire. Son affectation met à profit sa double formation pharmaceutique et médicale dans le cadre du laboratoire régional de bactériologie. Plusieurs laboratoires de l’Ecole deviennent des laboratoires militaires, ce qui simplifie sa tâche journalière. Deux fois cité, il est nommé chevalier de la Légion d’honneur peu après le conflit.

Louis Bruntz est conseiller municipal de Nancy de 1912 à 1923. A l’issue de la guerre, toute son activité est consacrée à l’Ecole qui est transformée en faculté, puis au rectorat dont il devient le titulaire en 1929. L’une des tâches importantes est la reconstruction de l’Ecole qui a subi un premier bombardement en début d’année 1918 et qui est la victime collatérale d’un second en fin d’année, le 31 octobre 1918. Non seulement l’argent est rare, mais la question administrative est difficile en raison de la propriété des bâtiments. Bruntz a aussi depuis longtemps deux grands projets, qu’il a déjà évoqués à différents moments et endroits : la transformation des écoles supérieures en facultés et la création d’un doctorat d’Etat en pharmacie. La transformation intervient peu après la fin du conflit puisqu’elle est effective le 14 mai 1920. Si le décret ne dit mot des raisons qui ont motivé cette élévation, les archives montrent que Bruntz a joué un rôle important dans les démarches qui ont abouti à cette transformation. Pour sa part, le doctorat n’est pas obtenu à ce moment, ce qui aurait pourtant dû être automatique, cette absence étant un non-sens puisque la collation du grade de docteur est l’une des prérogatives des facultés. Il faut attendre 1939 pour qu’il le soit, ce qui met un terme à l’interminable difficulté que les pharmaciens ont dû subir pour aboutir à la plénitude de l’appartenance et des prérogatives universitaires.

Le recteur de l’Académie de Nancy, ses réalisations et ses difficultés

Le professorat et le décanat de Louis Bruntz s’achèvent lorsqu’il est nommé recteur de l’académie de Nancy, le 17 janvier 1929. Il accède alors à l’honorariat de ces deux fonctions. Il succède au recteur Charles Adam, qui a occupé le fauteuil rectoral pendant seize années (du 1er juin 1913 au 17 janvier 1929) et qui a été le grand recteur de la Première Guerre mondiale, comme Bruntz a été dans les mêmes années le grand directeur puis le doyen de l’Ecole puis Faculté de pharmacie. A l’image de ses prédécesseurs Mourin, Gasquet et Adam, Bruntz marque intensément sa fonction. Il a été écrit qu’il est le « densificateur de la fonction rectorale à Nancy, l’édificateur matériel et moral, et l’inlassable bâtisseur au service de l’élévation de ses concitoyens ». Effectivement, son rectorat est marqué par les nombreuses constructions et transformations : cité universitaire de Montbois (qui avait été commandée par Adam) inaugurée par le président de la République, fêtes universitaires de 1932 et pose de la première pierre de la bibliothèque de droit par le même Albert Lebrun, nouvelle faculté de pharmacie, nouvel institut dentaire, bibliothèque de médecine, musée de zoologie de la rue Sainte-Catherine, institut botanique agricole et colonial, acquisition du terrain de sports d’Essey, agrandissements de plusieurs facultés et amélioration des locaux de l’institut de géologie, transformation du statut de l’Ecole de chimie. Même si certaines actions sont oubliées dans cette liste, celle-ci montre l’importance et la diversité des aménagements que le recteur fait réaliser. Ce rectorat se démarque donc par son ambition. Le recteur réunit autour de lui une « sorte de fédération empreinte d’un nouvel humanisme », d’un prestige et d’un rayonnement qui bénéficiera à son successeur, un autre grand recteur, Félix Senn, doyen de la Faculté de droit, qui lui est proche.

Louis Bruntz, qui est pharmacien colonel de réserve et commandeur de la Légion d’honneur à titre militaire, se préoccupe de sa mission en cas de mobilisation. Bien que celle-ci soit prévue par les textes, il lui apparaît que presque rien n’est préparé. L’université doit se replier à Poitiers. Bruntz s’y rend à titre privé pendant des vacances d’été. Reçu par les autorités locales, il refuse le plan prévu. A la mobilisation, les archives sont mises en sûreté à l’Ecole normale de Maxéville et au château d’Houdemont. S’il signe les ordres de dispersion, il refuse de fermer les internats comme l’autorité militaire le demande en raison des risques de bombardement. C’est un peu la répétition de l’action d’Adam en 1918. Il se préoccupe aussi de sa propre mobilisation, qui aura effectivement lieu, mais sous la forme d’une affectation spéciale de durée limitée. Il demande que le baccalauréat soit maintenu, ce qui ne peut se faire en raison des évènements. Toutefois, il réussit à organiser une session d’examen à Commercy en octobre 1940. Le doyen Senn fait de même pour ses étudiants de la Faculté de droit.

Le professeur Bruntz mène une longue carrière dans les réserves du Service de santé militaire, et sa biographie ne peut pas faire l’impasse sur celle-ci. Après avoir contracté un engagement de trois années au 109e régiment d’infanterie de Chaumont le 9 novembre 1897, et effectué une courte année de service militaire puisqu’il est libéré le 17 septembre 1898 (c’est une situation classique pour les bacheliers et les étudiants), il est affecté au 20e corps d’armée à Nancy et nommé pharmacien aide-major en 1902 avec promotion à la 1e classe (lieutenant) en 1908. Il est affecté à l’hôpital militaire de Nancy le 1er août 1914 en qualité de chef du service de bactériologie, et promu pharmacien major en 1915 et 1916 (1e classe, soit commandant). Bien qu’étant affecté à Nancy, il n’est placé en congé de démobilisation qu’en 1919. Pharmacien principal de 2e classe (lieutenant-colonel) en 1924 et pharmacien colonel en 1936, il effectue de nombreuses périodes et reçoit différentes lettres de félicitations et témoignages de satisfaction. Placé « en position hors cadres et en affectation spéciale », il reste en activité jusqu’au 1er janvier 1940 et est rayé des cadres le 3 janvier 1941 pour compter du 28 août 1940. 

Le rectorat de Louis Bruntz se termine dans la tristesse. C’est d’abord la défaite et l’Occupation.

C’est le 5 octobre qu’il reçoit de la Kommandantur l’autorisation de réouverture de l’université. Le courrier est assorti des conditions imposées par les Allemands. Par son action, Bruntz prépare la résistance de l’Université dont l’acteur sera le recteur Senn. La seconde épreuve est sa destitution, qui est la conséquence de sa résistance. Il est en effet l’une des victimes de la loi du 17 juillet 1940 et de celle du 23 octobre de la même année qui autorisent les ministres à relever de leurs fonctions les magistrats et les fonctionnaires et agents civils et militaires de l’Etat, par un décret pris sur le seul rapport du ministre concerné. Un arrêté du 12 novembre 1940 prenant effet le 15 relève de leurs fonctions à Nancy le recteur Bruntz, l’inspecteur d’académie Laye et l’inspecteur primaire Mennessier. Cet arrêté paraît au Journal officiel du 30 novembre. Bruntz est remplacé par le professeur Félix Senn, doyen de la Faculté de droit (membre de l’Académie, président en 1947) qui conserve sa fonction décanale, et qui est nommé par un arrêté du même jour (12 novembre). Bruntz est ultérieurement placé en position de retraite. Le conseil de l’université lui décerne la médaille de l’université pour laquelle il remercie le 17 février 1941. Le recteur Bruntz est symboliquement réintégré dans ses fonctions le 1er octobre 1944 par le ministre de l’Education nationale André Capitant. Il est alors officiellement admis à la retraite le même jour. Louis Bruntz meurt à Nancy le 13 décembre 1944. Ses obsèques ont lieu le 18 décembre.

Le musée de pharmacie de la Faculté

Bruntz a été en 1913 le créateur de la galerie des portraits des professeurs de pharmacie de Strasbourg et de Nancy qui est aujourd’hui encore exposée dans les locaux de la faculté. Il a fondé en même temps un musée de pharmacie soutenu par une association. Celle-ci a déposé ses collections d’objets au Musée lorrain en 1937. Ils y sont encore. L’ensemble des livres anciens que conservait ce musée est resté à la faculté jusqu’à une époque récente. Il a aujourd’hui rejoint le fonds ancien à la bibliothèque du campus santé de Brabois à Vandoeuvre-les-Nancy.

L’élection à l’Académie de Stanislas

Louis Bruntz est élu associé-correspondant de l’Académie de Stanislas le 4 juillet 1930 et est promu membre titulaire le 16 juin 1931. Jusqu’à son décès en 1944, sans doute trop occupé par sa fonction décanale jusqu’en 1940, puis certainement ébranlé par sa destitution à la fin de cette année, il n’a pas prononcé de communication, et je n’ai pas trouvé de mention d’un discours de réception. Les Mémoires indiquent en 1931 que le prix Kowalewski lui est attribué par le 8e congrès international de zoologie, et qu’il est promu officier de la Légion d’honneur. Ceux de 1935 notent sa nomination dans l’ordre de Saint-Sava (Sint-Sava) de Serbie.

Les nombreuses distinctions

Louis Bruntz a reçu de nombreuses décorations au cours de sa carrière civile et militaire. Il est nommé officier d’Académie (aujourd’hui chevalier des Palmes académiques) le 13 juillet 1908 et chevalier du Mérite agricole le 28 septembre 1909. Il est promu officier de l’Instruction publique (officier des Palmes académiques) le 8 août 1913. Ayant reçu la croix de guerre 1914-1918 pour deux citations obtenues en février 1919, l’une à l’ordre du corps d’armée et l’autre à l’ordre du service de santé de la VIIIe armée, l’une et l’autre pour ses activités de laboratoire et secondairement de direction de l’Ecole de pharmacie, il est nommé chevalier de la Légion d’honneur le 16 juin 1920. Il est promu officier le 30 décembre 1931 puis commandeur le 16 décembre 1937. Il est également titulaire de la croix des services militaires volontaires en août 1934 et officier du Mérite agricole. Il a aussi reçu au moins trois décorations étrangères, dont la cravate de commandeur dans l’ordre polonais Polonia Restituta, et dans l’ordre serbe de Saint-Sava. A Nancy, un amphithéâtre portait son nom dans l’ancienne faculté de la rue Albert-Lebrun, et une rue lui a été dédiée près de celle-ci.

Eléments de bibliographie

Archives de l’Académie de Stanislas, dossier Bruntz ; 1872-1972 Faculté de pharmacie de Nancy, plaquette commémorative du centenaire de la faculté, Lunéville, Imprimerie Paradis, 1973, 100 p., ici p. 24 ; Anonyme, « Recteur sous Vichy », dans Bicentenaire de la fonction de recteur en Lorraine, ouvrage collectif rédigé à la demande et sous la direction du recteur Michel Leroy, service de communication du rectorat et centre régional de documentation pédagogique de Lorraine, 2008, 98 p., ici p. 50-57 ; Louis Bruntz, « Discours au banquet de l’assemblée générale du 13 juin 1920 », Bulletin de l’Association des anciens étudiants de la Faculté de pharmacie de Nancy, 1914-1920, n°8, p. 10-13 ; Marie-Thérèse François, « Le recteur Louis Bruntz (1877-1944) », Annales pharmaceutiques françaises, 1945, vol. 3, p. 100-102 ; Pierre Labrude, « Le professeur Bruntz, la transformation des Ecoles supérieures de pharmacie en Facultés et la question de la création du diplôme d’Etat de docteur en pharmacie », Revue d’histoire de la pharmacie, 2000, n°328, p. 509-519 ; « L’Ecole supérieure de pharmacie de Nancy pendant la Première Guerre mondiale : un bilan d’activité très positif », Mémoires de l’Académie de Stanislas, 2015-2016, 8e série, vol. 30, p. 249-263 ; Service historique de la Défense, Château de Vincennes, état des services de Louis Bruntz, 8 YE 8678.

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