C’est sous ce titre qu’a été publié en 1983 une thèse de pharmacie1. Cette exposition nous permet d’en reprendre quelques éléments et d’y ajouter des illustrations. Traditionnellement, on situe cette période entre 1890 et 1914, une époque charnière entre le XIXe et le XXe siècle. Dans de nombreux domaines, c’est une période de profonds changements, d’affrontements politiques et sociaux, et de développement artistique. Dans le domaine de la pharmacie et du médicament, c’est le timide début de la chimiothérapie mais aussi de la sérothérapie et de l’opothérapie. Des découvertes scientifiques majeures ont été faites sur cette période : découverte des rayons X (1896), du radium (1898), de la « théorie de la relativité » d’Eisntein, etc.
Dans le domaine de la formation des pharmaciens, c’est en 1898 qu’est supprimé le diplôme de pharmacien de 2° classe. On commence à voir apparaître quelques femmes diplômées. Elles sont 34 à Paris en 1901. C’est aussi la période où les matières enseignées augmentent avec l’introduction en 1909 de l’enseignement de l’hygiène, de la microbiologie et de la législation pharmaceutique. Les documents de référence pour les pharmaciens restent la pharmacopée française avec un supplément édité en 1895 et une nouvelle édition en 1908, mais aussi l’Officine de Dorvault et de nombreux formulaires (Gilbert et Yvon, Bouchardat…).
L’introduction croissante des spécialités pharmaceutiques amène à publier des ouvrages de référence comme le « Formulaire des principales spécialités de parfumerie et de pharmacie » de Cerbelaud (1909). Le Dictionnaire des spécialités de Vidal paraitra, quant à lui, à partir de 1914. Les médecins et les pharmaciens reçoivent aussi de nombreux documents publicitaires de l’industrie pharmaceutiques naissante. Les journaux d’entreprise (House-organ) sont nombreux de même que les almanachs et autres brochures présentant les produits sans donner leur composition dans la plupart des cas. Ces spécialités sont l’objet de nombreux débats quant à leur existence même, mais aussi sur leurs prix et les marges laissées aux pharmaciens d’officine. Les syndicats créés à la fin du XIXe siècle jouent un rôle majeur pour tenter de réglementer et d’harmoniser les tarifs appliqués. Des groupements de pharmaciens font leur apparition comme la Pharmacie Centrale de France, et la COOPER qui passe de 100 membres en 1905 à plus de 1100 en 1909.
Albert Salmon raconte en 1909 la fondation de la Cooper. Il explique que les pharmaciens déçus étaient nombreux et qu’il eut l’idée de commercialiser des spécialités en commun : « Ayant une excellente pharmacie, je n’avais pas besoins des « Pastilles Salmon » pour vivre et j’entrepris cette affaire par conviction, pour la réalisation d’une idée, par goût, comme d’autres font du sport… Le nombre de collaborateurs augmentait rapidement : partis de 100, nous arrivions à 750 et nous atteignons les 100 000 boites fin septembre 1907… Les nouveaux locaux se révèlent bien vite insuffisants, du fait de l’exploitation en commun.
De nouveaux produits prennent la suite des pastilles Salmon : la Laxiline, les Sandol, le Roze, le Jacquet, l’Alesia, le Dépuratif anglais, etc. » Albert Salmon finit par céder sa pharmacie pour se consacrer uniquement à la Cooper. Par ailleurs, des fournisseurs de produits achetés par les pharmaciens sont créés sur cette période. Il existait déjà la Pharmacie Centrale de France, mais la Maison Fournier, Bon et Cie constitue un bon exemple de ce que furent les premiers grossistes des officines à la Belle Epoque.
Cet établissement Fournier, fondé le 1er janvier 1880 par l’herboriste P. Bon et Eugène Fournier, tous les deux non-pharmaciens, se charge de vendre aux pharmaciens tous les produits revenus par les officines : produits chimiques et galéniques, herboristerie, verrerie, articles de conditionnement, etc. La droguerie joue aussi le rôle de répartiteur pour un certain nombre de spécialités dont elle a le dépôt. Les fondateurs s’associent à un pharmacien de Dijon, Pingeon, qui apporte une compétence industrielle et un produit : les « capsules Pingeon ». Par la suite, Fournier deviendra une des entreprises prospères dans le domaine des spécialités pharmaceutiques. D’autres laboratoires prospèrent à cette époque : Dausse, Nativelle, Houdé, Choay…
Les produits et articles vendus en officine à la Belle Époque.
Les médicaments et les spécialités.
Pour avoir une idée du matériel utilisé à l’époque, il faut examiner les catalogues comme celui de la Pharmacie Centrale de France ou celui des Établissements B. Baudart et Cie.
A côté des mortiers et piluliers classiques, on trouve le matériel de fabrication des cachets qui constituent une part prépondérantes des préparations officinales de la Belle Epoque.
Les ovules ont fait leur apparition vers 1893, et les capsules sont une des spécialités des établissements Fournier et Cie.
La préparation des tablettes est également possible, contrairement aux comprimés qui peinent à trouver encore leur place en officine et même dans l’industrie en France.
Les préparations magistrales sont encore nombreuses. Dans certaines pharmacies en 1907, on en dénombre entre 8 et 25 par jour : mélanges, potions, élixirs, vins, sirop, cachets, pilules, paquets, poudres, collyres, etc.
Quant aux spécialités, elles se développent fortement comme le montre le dictionnaire Carmouche de 1885 : 543 produits déjà dont dix-sept portent un nom de fantaisie comme le vin Mariani, l’Ergotine Bonjean, le fer Bravais ou encore le quinium Labarraque. Quelques produits radioactifs font leur apparition au début du XXe siècle comme le Mycidol Badel, à base de sels de radium, le Néothorium Lauryle ou encore le Cethocal, association de sels de terres rares, cérium, thorium… pour les dermatoses. L’Exopectine Mesothoriée, « à base de benzogaïacetate sodique et de Mesothorium », est proposée pour la voie intramusculaire pour les bronchites aigues et pour les pneumonies. Il existe également un générateur de radon, le Coradium.
Les autres marchandises vendues à l’officine.
De très nombreux autres produits sont vendus à l’officine en dehors des médicaments durant cette période : seringues, canules à injections, ventouses, gants, poires en caoutchouc, vessies à glace, etc. On trouve également des produits de parfumerie, essences, dentifrices, brosses à dents. Le matériel de photographie et d’optique (lunette et pince-nez) sont également présents. Une partie importante des officines est consacrée aux eaux minérales.
Parmi les évènements pharmaceutiques caractéristiques de cette Belle Epoque, il faut noter la présence des pharmaciens aux Expositions Universelles. « Tout le monde connaît les dates des dernières expositions parisiennes du XIXème siècle : 1867 (Au Champ de Mars et à l’île de Billancourt), 1878 (construction du Trocadéro), 1889 (Tour Eiffel), enfin 1900. La Préface de l’Histoire de la Pharmacie d’André-Pontier, est consacrée tout entière à la description de la section pharmaceutique de l’exposition de 1889, dont André-Pontier était le président. On y admira toutes sortes de fabrications nouvelles, et les pilules enrobées de Blanchard père et le capsuleur de Capgrand-Mothes, et le galactimètre d’Adam, et surtout l’œuf électrique qu’avait inventé Berthelot pour réaliser sa première synthèse, celle de l’acétylène.
La tendance rétrospective de cette démonstration se retrouve, encore accentuée, dans celle de la classe 87 – « Arts chimiques et pharmaceutiques » – de l’exposition universelle de 1900 : elle comportait en effet un musée centennal réparti en une dizaine de vitrines. On y voyait les portraits et la biographie des principaux chimistes et pharmaciens du siècle finissant, des pots prêtés par l’Assistance publique, les appareils du laboratoire de Lavoisier.
Comme leurs aînées – et comme leurs cadettes -, les expositions de 1889 et de 1900 atteignirent leurs buts, stimulant les inventeurs et amusant le bon peuple ; mais elles eurent pour la pharmacie en particulier, un autre effet assez inattendu, qui fut de contribuer fortement à développer en France le goût du passé de la profession : la célèbre Histoire d’André-Pontier, parue en 1900, est elle-même issue des recherches d’archives que son auteur avait entreprises en vue de rédiger les notices de ses vitrines » (E-H Guitard (Dr Ox), Les Annales Coopératives Pharmaceutiques, Août 1937).
Enfin, quelques pharmaciens vont marquer cette époque : Alfred Houdé, Bourquelot, Moissan, Guignard, Behal, Deniges, Grimbert, Planchon, Marcellin Berthelot, Béchamp, Adrian, Bouchardat, M. Guerbet, Hérissey, M. Mérieux, M. Radais, A. Valeur, Midy, Perrot, Fourneau ou encore Toraude, parmi d’autres !
1. L’officine en France à la Belle Epoque (1870-1914) / Marie-Hélène Breton ; [sous la direction de] Sylvette Huichard, Université de Bourgogne, 1983.