Les spécialités dont la publicité apparait dans la Journal du Dimanche de 1934 à 1936*
Nous avons déjà vu deux expositions temporaires sur les spécialités dont les noms sont présents dans les formulaires de 1904 à 1933, et plus spécialement le formulaire Cerbelaud et le Formulaire des Pharmaciens Français (FPF). Nous allons poursuivre ici l’histoire de quelques autres produits à partir du Journal du Dimanche des années 1934-1936. Sur cette période juste avant la guerre, le Journal du Dimanche poursuit sa politique de diffusion de publicité qu’il a commencé dès le début du XXe siècle avec, par exemple avec celle de l’Urodonal (parue en 1913), ou celle du Jubol, en 1914, et bien d’autres. Selon les éditions du journal, la forme peut changer pour le même produit ou au contraire rester constante pendant les deux années qui nous intéressent ici. On trouve en général dans ces publicités Grand Public souvent les mêmes types de pathologies concernées : principalement les cors aux pieds, les problème digestifs, les affections des voies respiratoires et la grippe et les stimulants. Il faut y ajouter l’indéboulonnable Dentol qui sévit depuis la fin du XIXe siècle !! C’est en même temps l’occasion de relever quelques articles parus dans le Dimanche Illustré sur cette période.
Évoquons justement le Dentol, ce dentifrice à base de phénol qui existait en poudre, pâte et liquide. Ses nombreuses publicités – basées sur ses propriétés antiseptique et antidouleurs – se retrouvent un peu partout : journaux, cartes postales, chromos, coloriages pour enfants, etc. Ce produit avait été créé à la fin du XIXe siècle par Eugène CHOAY lorsqu’il travaillait pour la Maison Frère, fondée en 1828. En 1857, M. Frère signait avec Duclou et Pelletier, un traité qui le rendait propriétaire d’une douzaine de spécialités dont les plus célèbres sont la le Quinium Labarraque et le Charbon de Belloc. Après la mort de M. Frère, la maison passa successivement sous la direction de M. Torchon, dont la principale acquisition fut le Goudron Guyot, de M. Champigny qui créa de nombreuses agences à l’étranger. Le Dentol agrémente ses publicités de dessins plus ou moins humoristiques, et a même fait appel au dessinateur Poulbot pour certaines d’entre elles. Il est intéressant de noter qu’on retrouve la plupart de ces spécialités dans le Journal du Dimanche en 1934-1936 : Quinium Labarraque, Charbon de Belloc, Goudron Guyot. Il faut noter que le Dentol reste sous le nom de la Maison Frère en 1934 alors que cette entreprise a été rachetée par Vaillant en 1916.
Mais le Dentol n’est pas un médicament, contrairement à cet autre produit de la même entreprise : le Charbon de Belloc, l’une des rares spécialités officiellement approuvées par l’Académie de médecine au XIXe siècle (en 1849, très précisément). Une série d’article est publiée en 1882 dans le Bulletin général de thérapeutique médicale et chirurgicale qui montre l’intérêt de ce médicament pour les problèmes digestifs. « Le charbon végétal est un des médicaments qui ont tour à tour été l’objet de faveur et de discrédit au point de vue thérapeutique », indique l’auteur. « C’est alors que le Dr Belloc qui avait expérimenté sur lui-même les bons effets du charbon végétal, fit une étude spéciale des divers charbons végétaux, de leurs propriétés, ainsi que de leur mode de préparation, et après de nombreuses expériences, présenta sur ce sujet un mémoire des plus intéressants à l’Académie de médecine de Paris… ». On peut lire dans un article ultérieur de la même revue : « L’efficacité du charbon de Belloc et des pastilles de charbon de Belloc… est véritablement merveilleuse contre les gastralgies, gastro-entéralgies, dyspepsies, pyrosis, contre la plupart des affections nerveuses de l’estomac et des intestins, les digestions pénibles et la constipation… ».
Dans un article de notre Revue, Pierre Julien, résume un ouvrage de Liliane Pariente: « Très anciennement connu, l’usage thérapeutique du charbon, végétal en particulier, semble avoir été quelque peu abandonné au fil du temps. Toutefois, dans sa Pharmacopée royale de 1676, Charas signale une poudre antiépileptique de Saxe à base de charbon de tilleul et, dans sa Pharmacopée universelle, Lémery propose le charbon d’épongés et le charbon de corne de cerf. C’est à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe que les propriétés hygiéniques et thérapeutiques du – on devrait dire des – charbon commencent à être étudiées de près, avec notamment le pharmacien Lowitz et le médecin Brachet dans ses Considérations sur l’usage du charbon en médecine, thèse de 1803 – époque où le pharmacien Boullay vendait différentes préparations de charbon sous le nom d’oxyde de carbone hydrogéné. Le Codex en français de 1819 consacre plusieurs articles au charbon. Mais un Récamier aura beau s’en montrer l’adepte dans « toutes les affections abdominales avec production de gaz », l’usage interne du charbon végétal ne prendra son essor qu’à partir du milieu du siècle. Dans l’édition de 1847 de son Officine, Dorvault en fait un large éloge, accompagné toutefois de réserves sur l’emploi du « charbon de cervelle de mouton » conseillé vers 1800 par le Dr Nauche contre… la migraine. Guéri de graves troubles gastriques par le charbon de peuplier, le médecin militaire Camille Belloc, né en 1807 à Agen, entreprend en 1848 d’en faire connaître les mérites dans le Journal de médecine de Bordeaux… Assurée par l’usine Frère, Labarthe et Torchon, la fabrication du charbon de Belloc connaît un accroc en 1869, où il cesse momentanément de donner satisfaction, l’usine recevant de son fournisseur de matière première un bois non conforme aux spécifications du Dr Belloc. Du décès de ce dernier en 1876 jusqu’à la Grande Guerre, le charbon médicinal conserve toute son importance dans l’arsenal thérapeutique. Il a pris de multiples formes pharmaceutiques jusqu’à celles d’opiat pour l’usage externe, de cachet et de lavement pour l’usage interne. »
Le Charbon de Belloc est, dans les années 1930, concurrencé par d’autres produits comme le Charbon Fraudin, « Association de charbon de peuplier et de saule sélectionnés, doués d’une grande porosité », nous dit le Dictionnaire Vidal de 1932.
Un autre produit pour faciliter la digestion est très présent dans le Dimanche illustré de cette période : La Magnésie bismurée. Elle est décrite dans le Vidal de 1932, préconisée contre l’acidité stomacale. Le paragraphe « indications » est le suivant : »La magnésie bismurée donne d’excellent résultats dans la plupart des troubles digestifs. Elle peut être considérée comme le médicament-type de la douleur et de l’hyperacidité stomacale. Elle sera donc particulièrement recommandée dans les affections suivantes : Dyspepsies, gastrite aiguë et chronique, gastrite éthylique… » Elle se présente sous forme de poudre, de comprimés et de cachets. La forme des publicités varie d’une édition à l’autre du journal. En janvier 1935, on passe « de l’Enfer au Paradis » grâce à la Magnésie Bismurée ; en décembre 1934, le slogan était : « Des milliers d’estomacs soulagés en trois minutes »; en février et avril 1936, il devient : « Bouche amère !, langue blanche !!, Estomac détraqué !!! ». En avril 1936, on peut lire : « Esclaves de l’estomac ! Libérez vous de vos maux ».
Le produit est commercialisé par Scott et fils, pharmaciens à Paris. Curieusement, cette information n’apparait sur aucune publicité du Dimanche illustré, mais c’est la mention « En vente dans toutes les pharmacies (ou l’équivalent) qui est présente. Là encore, la concurrence est très présente : « Magnésie lourde de Durel » (magnésie anglaise calcinée, Vidal 1932), Magnésie Storke, de Lancosme (Vidal 1938), Magnelax (Vidal 1938)…
Le Thé des Familles fait aussi partie des produits destinés à améliorer la digestion. Il fait souvent l’objet d’un encart publicitaire dans le Dimanche Illustré, avec ses 18 plantes : « 4 agissent sur le foie, 3 agissent sur l’estomac et régularisent la digestion, 5 plantes réveillent l’intestin, et 6 plantes aromatiques donnent au Thé des Familles son goût délicieux. » Comme l’explique Thierry Lefebvre dans son article de la RHP paru en 2002, « Salacrou est l’heureux copropriétaire (par alliance) de deux spécialités pharmaceutiques déposées par son père, Camille Salacrou, qui exerce sporadiquement la profession d’herboriste au Havre 12 : la Marie-Rose et le Bon Vermifuge Lune. Viendront ensuite le Vin de Frileuse (du nom d’un quartier du Havre où se trouve l’herboristerie Salacrou) et le Thé des Familles. Fervent adepte des techniques publicitaires (il créera d’ailleurs sa propre société), Salacrou recourt à ces dernières pour « doper » les ventes. » Ce produit avait fait l’objet, semble-t-il, d’une lutte acharnée entre les deux frères Salacrou, comme le rapporte Thierry Lefebvre en 2003 :
« Le 13 novembre 1906, Camille Salacrou déposa deux marques pharmaceutiques : la Tisane des Familles et le Thé des Familles. On le sait, c’est cette deuxième appellation qui devait prévaloir par la suite. L’étiquette aux motifs floraux, de « style Mucha » pour reprendre l’appréciation d’Armand Salacrou 2, se divisait en deux blocs : le tiers gauche représentait une jeune femme auréolée par la formule « Thé des Familles », avec en pied la mention « Marque déposée » ; les deux tiers droits précisaient la nature du produit : « Thé des Familles contre vice du sang, constipation, maux d’estomac, les vers, les glaires. Remède de famille préparé par Camille Salacrou, diplômé de l’École de médecine et de pharmacie, 82 rue Casimir-Delavigne, Le Havre. Prix de la boîte : 1 fr. 25 ; France, 1 fr. 40. Se trouve dans toutes les bonnes pharmacies et herboristeries. » Huit mois plus tard, le 20 juillet 1907, ce fut au tour d’Ulysse Salacrou de déposer sa propre spécialité, baptisée Thé de Santé du Pharmacien. Le mot « pharmacien » n’était bien sûr pas innocent : il visait à démarquer ce remède de celui, probablement similaire, confectionné par son herboriste de frère. La composition générale de l’étiquette présentait de nombreuses similitudes avec celle du Thé des Familles : même répartition un tiers/deux tiers, même recours aux motifs floraux, même mention « Marque déposée » en pied.
Seule différence : Saint- Vincent- de-Paul (référence au nom de la pharmacie d’Ulysse Salacrou, dite Pharmacie Saint- Vincent-de-Paul) se substituait à la jeune femme « à la Mucha » du Thé des Familles. L’auréole du saint était cette fois bien réelle. Quant aux mentions écrites, elles s’agençaient à peu près comme sur l’étiquette du Thé des Familles : « Thé de Santé du Pharmacien. Vices du sang, antiglaireux, dépuratif, laxatif, digestif, contre les vers, les glaires, la constipation. Préparé par le pharmacien U. Salacrou. Prix de la boîte : 1 fr. 25. Dépôt général : Pharmacie-Herboristerie Saint- Vincent-de- Paul, 102 rue d’Étretat, Le Havre, et dans toutes les pharmacies. »
Toutes ces similitudes étaient évidemment délibérées : mêmes indications (« Vices du sang », « les vers », « les glaires », etc.), même prix (« 1 fr. 25 »). Tout indique qu’Ulysse Salacrou avait voulu contrer de cette manière l’initiative de son frère cadet. L’accent était également mis sur les différences statutaires entre les deux préparateurs : Ulysse revendiquait le titre de pharmacien, son Thé était d’ailleurs celui « du pharmacien ». »
Comme nous l’avons vu précédemment, Salacrou possède d’autres spécialités dont la Marie-Rose, « la mort parfumée des poux ». Ce produit a droit, lui aussi à une large publicité dans le Dimanche Illustré de cette période. Ce qui caractérise cette publicité, c’est que la Marie-Rose est l’occasion de raconter de petites scènettes à propos des poux : « Un cri dans la nuit » raconte l’histoire d’un enfant qui se réveille à cause des poux. Un autre encart, plus discutable, associe les poux à la transmission de la tuberculose ! Cette spécialité donna lieu également à des spots publicitaires comme Thierry Lefebvre l’a raconté dans notre Revue.
Toujours dans les publicités du Dimanche Illustré, un autre produit de la même entreprise est largement mis en valeur : le Vermifuge Lune : Les encarts sont présents quasiment dans tous les numéros du journal sur cette période. Destiné aux enfants, ce produit a donc une publicité adaptée pour les parents et, là encore, raconté des petites histoires, différentes pour chaque encart publicitaire. L’article de Thierry Lefebvre déjà cité nous donne un éclairage sur l’histoire de la conception de ce produit : Selon A. Salacrou, l’idée du Bon Vermifuge Lune naquit le 13 août 1930. « Après le déjeuner, je bavarde avec mon père : » Le succès de la Marie-Rose, c’est très bien, mais surtout pour nous montrer le chemin. Nous devrions lancer une autre spécialité offrant de plus grandes possibilités de vente. » Mon père, tout de suite alléché : » Tous les gosses prennent des vermifuges et je possède une excellente formule ne contenant pas de santonine, médicament qui est quelquefois mal supporté. Et c’est une formule de poudre. Alors, pas de verrerie, pas de casse… » – » Existe-t-il déjà des vermifuges poudre ? » – » Je pense bien ! Celui qui se vend le mieux, c’est le vermifuge Soleil. Curieux nom, puisque les mères prétendent que c’est pendant la pleine lune que les vers se manifestent. » – » Existe-t-il un vermifuge « Lune » ? » – » Je n’en connais pas. » –
» Fais des recherches et si tu ne trouves rien, dépose tout de suite la marque : Le vermifuge Lune. Non ! dépose la marque : Le bon vermifuge Lune. Il faut toujours aider les acheteurs à bien penser. » » (A. Salacrou, op. cit., p. 253-254.) En juin 1931, Armand et Camille Salacrou préparent le lancement du Bon Vermifuge Lune. « Je me demande où mon père a pu dénicher le dessinateur de la petite boîte qui enfermera les six paquets de poudre, de la dimension d’un double timbre poste. Dans les environs d’Yvetot en 1900 ? À gauche, une pleine lune, avec des yeux, un nez épaté et une bouche rigolarde. À droite, un croissant de lune où le nez et la bouche se voient de profil sur l’arête du croissant, les deux reliés par des nuages en coton blanc sur fond bleu de nuit. Il est très content de la maquette. » Ça plaira à notre clientèle ! » Encore va-t-il falloir la trouver. » (A. Salacrou, op. cit., p. 280.) Le démarrage de la spécialité va s’avérer difficile.
Le 27 février 1932, Armand Salacrou trouve à l’Agence Havas, rue de Richelieu, à Paris, ce qu’il cherchait depuis plusieurs semaines : « la photo d’un enfant de deux ans qui » fait la lippe » avec des yeux au bord des larmes. C’est le gosse du photographe du service technique. J’achète la photo qui devient la propriété de notre affaire. » (A. Salacrou, op. cit., p. 288.) En novembre ou décembre 1932, l’écrivain rédige deux textes publicitaires pour accompagner la photographie du bébé qui pleure. « Je les ai fait imprimer par l’agence [Havas] du Havre, et je les écris à nouveau. Puis je donne le bon à clicher (25 lignes de photos et 55 lignes de texte) sur une colonne qui passera en troisième page. » (A. Salacrou, op. cit., p. 294.) À cette occasion, Salacrou imagine la formule « En vente chez votre pharmacien », qui remplacera le trop classique « En vente dans toutes les pharmacies », utilisé jusqu’alors par la majorité de ses confrères.
Quant au Vin de Frileuse, également de Salacrou, il est également très présent dans le Dimanche Illustré. Thierry Lefebvre raconte : « Comme le rappelle A. Salacrou, Camille Salacrou fit construire en 1933 une officine au Havre, dans le quartier de Frileuse, place de la Liberté. « Un » prête-nom » [C. Salacrou n’était pas pharmacien] assurait la légalité de l’entreprise, et mon père ne délogeait plus de l’officine, regrettant que les pilules soient maintenant vendues préparées en petits flacons ; il aurait tant aimé les rouler encore à la main comme au temps de ses rêves. Je craignais une révolte des pharmaciens du Havre, qui n’aimaient pas notre réussite. J’essayais d’expliquer à mon père que la pharmacie de Frileuse, petit tenitoire de l’empire que nous rassemblions, ne devait pas risquer de nous faire trébucher. Bien d’accord avec moi, il jurait de ne plus recommencer et le lendemain, comme un amoureux, il retournait jouer au pharmacien. […] Dès que je le pus, j’avais engagé comme secrétaire personnel un jeune diplômé d’HEC, puis je fis entrer dans l’affaire un docteur en pharmacie. J’exigeai que mon père ait sous ses ordres un secrétaire général compétent. Mais sa timidité, sa crainte d’être inférieur à son employé, lui fit ajourner tant qu’il le put l’engagement d’un secrétaire général […]. Un jour, rue de Paris, un slogan me traversa l’esprit : » le plus fort des fortifiants « . Je rappliquai au pas de course aux labos : » Trouvez-moi une formule, originale si possible, de fortifiant. On va lancer un fortifiant ! » – » Mais il y a déjà la Quintonine, solidement installé sur le marché… » – » Oui, mais la Quintonine n’est pas le plus fort des fortifiants ! » – et je donnai l’ordre de déposer la formule publicitaire. » (A. Salacrou, op. cit., p. 298-299.)
Quelque temps plus tard, Salacrou rencontre un « jeune pharmacien sans clientèle » du Havre. « Il venait d’épouser une chanteuse de la troupe du Grand Théâtre, et il m’épatait un peu pour la seule raison qu’il était docteur en pharmacie, avec une médaille d’or de la faculté de Strasbourg. – » Mais que voulez- vous que j’en fasse de ma thèse sur l’ uvaria de Madagascar ? Rien du tout ! Elle ne m’aide pas dans la vente de tubes d’aspirine à des clients rares et indifférents. […] »-
» Uvaria de Madagascar ? – Une plante indigène, un stimulant dont les Malgaches se servent comme les Indiens usaient de la coca et de la cola. . . » –
» Docteur, votre fortune est faite. Mon slogan qui flotte en ce moment dans le vide : le plus fort des fortifiants va s’accrocher à votre médaille d’or de Strasbourg et à cet uvaria de Madagascar ! Établissez-moi la formule du Vin de Frileuse ! Et vite ! je veux démarrer dans six mois ! » » (A. Salacrou, Dans la salle des pas perdus. Les amours, p. 27.)
Le pharmacien en question, J.-M. Coisnard, exerçait au Havre depuis 1930 et avait effectivement soutenu en 1929 une thèse intitulée Recherches chimiques sur les fruits de V uvaria catocarpa (Annonacée de Madagascar).
Quelques mois après cette rencontre inopinée, la production quotidienne de Vin de Frileuse dépassera les 4 000 bouteilles… »
Grippe, rhume, bronchites, affections des voies respiratoires : de très nombreux produits se vantent de les soulager, voire de les guérir comme le Vin de Frileuse. Parmi ceux qui se trouvent dans le Dimanche Illustré, on peut s’intéresser au Goudron Guyot.Ce dernier, commercialisé par la Maison Frère, eut droit, comme les autres produits de l’entreprise comme le Dentol, à de très nombreuses publicités au début du XXe siècle avec, entre autres des dessins de Poulbot. Il fit en tout cas partie des grands produits de la Maison Frère acquise ensuite par Vaillant en 1916. On peut lire sur les publicités que ce goudron n’est évidemment pas du goudron de houille mais du goudron de Norvège, c’est à dire du goudron extrait des pins maritimes.
Mais un autre produit revendique aussi de soigner les affections pulmonaires : la poudre du Docteur Legras. Cecile Raynal, dans un article de notre Revue de 2007 évoque « ces poudres de plantes antiasthmatiques. Il s’agit pour la plupart de spécialités, « leurs formules heureusement combinées sont d’une exécution trop longue et trop compliquée pour pouvoir être préparées extemporanément dans les pharmacies sur prescription médicale ».
Leur mode d’utilisation est simple et ne varie pas selon les marques : « On place une bonne pincée de poudre sur un dessous de tasse [ou sur une grille métallique fournie] ; on y met le feu avec une allumette ; on aspire la fumée ; ensuite on couvre avec la base d’un cornet en papier dont on a coupé la pointe et on aspire par le petit bout ; nous conseillons de commencer l’aspiration sans cornet, afin que le remède agisse graduellement ; les accès les plus pénibles sont calmés instantanément et l’opération peut se répéter à volonté car elle est inoffensive [.. .] ».
À partir du moment où les plantes furent inscrites au Codex, de nombreux pharmaciens purent imaginer le même type de poudre antiasthmatique… Louis Legras, pharmacien chimiste de première classe, fournisseur du ministère du Commerce, de l’Industrie et des Colonies, conçut une spécialité à base de datura, de résine de benjoin et d’azotate de potasse. Existant depuis 1883, son arrêt de commercialisation fut prononcé le 15 juillet 1992. Entre-temps, les laboratoires Berthiot, puis Monal en furent les propriétaires. ».
Enfin, on trouve aussi dans le Dimanche illustré de ces années 1934-1936 le fameux Thermogène. En 2006, Thierry Lefbevre a évoqué ce produit dans notre Revue : « Lancé au début du XXe siècle par le pharmacien belge Charles Vandenbroeck, le Thermogène fut popularisé en 1907 par une affiche célèbre de Leonetto Cappiello. Cette ouate, imprégnée de pili-pili et teinte en rouge à l’éosine, était fabriquée dans une usine située à Gastuche, près de Wavre. « Invisible sous ses vêtements, [le Thermogène] agit sur le mal et assure en même temps les bienfaits d’une chaleur constamment entretenue », pouvait-on lire dans la notice d’utilisation. Dans les années 1930, l’exploitation de la marque et de ses déclinaisons se poursuivait avec succès. Apparemment très prisée elle aussi, la Thermocuirasse était « constituée de deux feuilles de Thermogène cousues sur de la gaze hydrophile et taillée de façon à obtenir les bienfaits d’une chaleur constamment entretenue ».
Dans son ouvrage La Campagne de publicité, publié en 1945, le journaliste et publicitaire Victor de Mendez signale un usage pour le moins inattendu du Thermogène et de la Thermocuirasse au début de la Seconde Guerre mondiale : « Autre exemple d’adaptation aux circonstances, à l’occasion d’une opportunité passagère : Thermogène fabrique une ouate révulsive se plaçant généralement contre la poitrine ou le dos, soit à l’état brut, soit sous la forme perfectionnée de » Thermocuirasse « . Au début de la guerre, des personnes ingénieuses – et ayant les pieds sensibles au froid – ont l’idée de découper des semelles dans de la ouate Thermogène et d’en garnir leurs chaussures. Thermogène saute sur ce débouché inattendu et fait campagne pour suggérer l’envoi de semelles semblables à nos soldats, exposés plus que quiconque aux intempéries. Nul doute qu’après la guerre – la firme ayant son siège en Belgique -, Thermogène exploitera méthodiquement la chose et nous sortira une semelle perfectionnée pour pieds frileux. »
Toujours dans le domaine des troubles respiratoires, de la grippe, etc., nous avons la publicité pour les gouttes livoniennes de Trouette-Perret. La Société existe depuis 1878 : les deux pharmaciens, François- Auguste-Édouard Trouette (né en 1855) et Perret, créent le laboratoire qui porte leurs noms. Les spécialités sont nombreuses à l’époque : la papaïne, bien sûr, dont Trouette revendique l’invention, mais aussi la Poudre de Viande et d’autres produits très divers. Ces gouttes sont dans le Vidal de 1932, 1946 et 1960. Il s’agit de Capsules de Goudron de Norvège, Crésote de Hêtre et de Baume de Tolu, destinées aux « Affections chroniques des voies respiratoires (Toux, Bronchites, Catarrhes). En 1932, les indications étaient beaucoup plus larges et incluaient « l’antiseptie des voies digestives ».
Nous avons vu que les produits mis en avant concernent souvent la digestion et les pathologies respiratoires. Mais d’autres domaines sont également largement exploités. Celui des fortifiants est l’un d’entre eux. On y retrouve la Maison Frère avec le Quinium Labarraque, approuvé en 1857 ! qui a bénéficié d’une publicité énorme depuis le début du XXe siècle et qu’on retrouve encore ici dans le Dimanche Illustré sur la période 1934-1936. On connait le pharmacien Antoine Labarraque et l’invention de son fameux « chlorure d’oxyde de soude et de chaux » qui est une variété d’eau de Javel. Mais il n’est pas à l’origine du Quinium qui portait son nom. C’est son cousin, Alfred, qui exploita, avec A. Delondre, le Quinium Labarraque.
C’est ce même Alfred qui édite en 1856 et 1858 la brochure sur le Quinium, mais c’est A. Delondre qui vendra la spécialité à Frère le 18 mars 1862.
Augustin-Pierre Delondre (1790-1865) avait présenté en 1861 à l’Académie de Médecine, une importante note ayant pour titre : Essais d’analyse qualitative et quantitative des quinquinas, puis une Notice sur l’extrait de salsepareille. Poursuivant avec une ténacité inlassable son idée de préparer un extrait total de quinquina, le quinium, il avait monté à Gravilie, près du Havre, sous la raison sociale Labarraque et Cie, une usine pour mettre an point cette « préparation ». Dans l’Officine de Dorvault (1928 et suivants), on trouve une longue description de la préparation : « On obtient le Quinium ou extrait alcoolique de quinquina par la chaux, Extrait complet ou polychreste de quina, de Delondre et A. Labarraque, en broyant un mélange de quinquinas (de composition telle qu’il représente 4 ou 2 p. de quinine et 1 p. de cinchonine) lui ajoutant moitié de son poids de chaux éteinte, traitant ce mélange par l’alcool bouillant jusqu’à épuisement, et évaporant ; le résidu est le quinium qui contient 33/100 de son poids d’alcaloïdes, plus les autres principes solubles du quinquina, en un mot toute la matière de celui-ci, moins le ligneux. Il est donc beaucoup plus actif que les extraits ordinaires de quinquina. »
Autre produit phare dans le domaine des fortifiants : la Quintonine !! Les publicités sur ce produit furent très nombreuses et le plus souvent différentes d’un journal à l’autre et surtout d’un numéro à l’autre du même journal. Ici, nous avons deux exemples de publicités ; « L’été accable les faibles » (publié en juillet 1936), et « Plus de mémoire et l’examen approche ! », deux façons très différentes de recourir à ce produit miracle !! mais qui n’était pas vendu comme médicament.
Dernière grande catégorie de maux où la publicité s’affiche : les cors au pieds. Il est étonnant de voir le nombre de produits et l’importance de la publicité dans ce domaine pendant la première moitié du XXe siècle. On trouve d’abord le Diable.
La publicité nous est présentée sous forme de petites histoires amusantes avec des titres accrocheurs comme « Incident à l’Opéra », « On arrive à guérir les fous », « la conférence du désarmement », etc. pour rappeler à chaque fois que « le Diable » enlève les cors en six jours.
Mais le Diable est concurrencé… par les Saltrates Rodell, produit pour lequel le Dimanche Illustré fait paraitre de nombreuses publicités dont le texte varie au grès des éditions. Les Saltrates Rodell étaient déjà présents dans les journaux depuis plusieurs années. René Cerbelaud le décrit de la façon suivante : « Chlorure de sodium décrépité pulvérisé, carbonate de magnésium pulvérisé, carbonate de potassium pulvérisé, carbonate de lithium pulvérisé, sulfate de calcium pulvérisé, borate de sodium pulvérisé, bicarbonate de sodium pulvérisé, carbonate de sodium anhydre pulvérisé, hyposulfite de sodium pulvérisé, perborate de sodium pulvérisé » sont mélangés, tamisés et répartis dans « des boîtes en carton ».
Cette poudre pour « bain de pieds adoucissant et décongestionnant » est parfumée « à l’essence de verveine du Tonkin et à la coumarine moulinée ou pulvérisée ». Ces bains de pieds ont une triple action : ils adoucissent et décongestionnent « les pieds fatigués par la marche ou par une compression exagérée due aux chaussures, ils « resserrent le tissu épidermique » et « suppriment la transpiration exagérée et l’odeur désagréable résultant de la fermentation de la sueur ».
La concurrence vient aussi des feuilles de saule et la publicité qui vient avec elles.
Faute de place, nous n’évoquerons pas le papier Andreu, papiers azotés pour l’asthme, la poudre Alex-C-Maclean, pour les maux d’estomac, les Sels Vaillant pour rajeunir l’organisme, le sirop Lune, « sirop dépuratif antiglaireux absolument merveilleux », la Tisane des Chartreux « pour ne pas vieillir, le Mousticol, un « soulagement immédiat des piqures de moustiques… », les pilules Galton pour maigrir, ou encore la Radiocrémaline, pommade radioactive : « Son efficacité surprenante due aux propriétés merveilleuses de sa radioactivité officiellement contrôlée vous assure la guérison rapide et radicale de toutes les affections de la peau, des plus graves aux plus bénignes ». Enfin, il faut citer au nom étrange : la Tisane du Gran Chaco venant du Laboratoire du même nom (de Monbahus, dans le Lot et Garonne) ! Le Gran Chaco est un vaste espace géographique, partagé entre le nord de l’Argentine, le sud-est de la Bolivie, le nord-ouest du Paraguay et le sud-est du Brésil. Il constitue le deuxième espace boisé après l’Amazonie. Mais quel rapport avec la Tisane ???
* Toutes les publicités sont issues du journal « Le Dimanche Illustré », les numéros nous ayant été fournis par JM Pras que nous remercions.