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Les représentations du Christ apothicaire

La pharmacie comme la médecine ont souvent été utilisés comme métaphores de la prise en charge de la santé de l’âme ! La présente exposition complète celle déjà réalisée il y a quelques années et va en montrer davantage  d’exemples parmi les multiples représentations du Christ apothicaire provenant de calendriers allemands ou français et d’autres sources diverses.

 

Cette peinture du Christ apothicaire a été réalisée par l’artiste Hubert Zanol (1936-2004) dans la pharmacie « Peer’s Town » de Brixen (UK) en 1985. Le Christ est représenté ici comme « l’Homme des douleurs » avec des stigmates. On le montre tenant un médicament avec sa main droite. (Source : Apotheker-kalender, 1995)

 

Comme l’indique notre collègue Guy Devaux dans un article de la Revue d’histoire de la pharmacie en 19851, quatre siècle après la première figuration dans un manuscrit rouennais du Christ dans l’officine (1537) formulant son ordonnance mystique pour Adam et Eve après la faute, le thème du Christ apothicaire a inspiré de nombreux autres artistes comme Wilhelm Baur, Peter Troschel, Simon-Thaddaùs Sondermayr, Andreas Ehmann, Ruth Schaumann, par exemple.

 

« Le Christ dans la pharmacie des âmes ». Ce tableau de la chapelle St Wendelin, à Trillfingen, bourg du Jura souabe, montre le Christ, en buste, derrière un comptoir de pharmacie, sur lequel sont disposés deux boites en bois portant les inscriptions « Justice » et « Douceur », un petit jeu de poids et un sac avec mention « Racines de Croix ». Les petites croix que le Christ sort du sac signifient symboliquement que tout chrétien croyant doit porter sa croix. Contrairement à d’autres représentations représentations dont le fond est neutre, on trouve ici, en arrière plan, une officine de pharmacie, avec ses tiroirs et ses étagères remplies de boites et un aperçu sur deux pièces voisines , pareillement décorées. Il est probable que ce tableau n’a été peint que vers la fin du XVIIIe siècle. « Le Calendrier des pharmacien », Pr. Hein, 1987

 

Le sujet du Christ proposant ses remèdes spirituels à l’humanité malade de ses péchés, plus ou moins implicite dans certains passages de l’Écriture, repris par saint Augustin et d’autres auteurs ecclésiastiques, semble avoir pris corps en France au VIe siècle avec la miniature du manuscrit de Rouen ; mais c’est ensuite surtout dans les pays germanophones (Allemagne, Autriche, Nord de la Suisse) qu’il s’est le plus largement développé, même si des représentations du Christ apothicaire ont été retrouvées jusqu’en Russie, en Grèce ou dans les pays Scandinaves. On sait d’ailleurs tout ce que l’étude de ce sujet doit aux auteurs allemands parmi lesquels il convient de citer particulièrement Fritz Ferchl et surtout le professeur Wolfgang-Hagen Hein2.

 

Cette peinture à l’huile sur plaque de cuivre est la première représentation connue du thème du Christ dans une pharmacie des âmes. En haut, on peut voir deux anges à gauche portant une inscription indiquant que la peinture a été terminée le 7 février 1619 par l’artiste de Nuremberg Michael Herr. Le Christ est représenté dans son préparatoire en train de peser des petites croix avec une balance qu’il tient de sa main droite. Il est le médecin-pharmacien divin où vient le malade pour être soulager. Autour de lui, on aperçoit des boites étiquetées « Foi », « Espérance », « amour » et un coffre à épices. Au fond, on voit les tables de la loi et une vase de fleurs symboliques. En bas à droite, le peintre s’est représenté avec sa famille. Il tient une ordonnance sur laquelle est écrit « Puisse mon espoir en Dieu m’aider ». 4 pages accrochées montre la naissance, la résurrection, le Bon Pasteur, et l’Ascension du Christ. Cette peinture de Herr a été utilisée comme frontispice du livre de jury des barbiers-Chirurgiens de Nuremberge en 1626.   « Calendrier des pharmaciens », Pr. Hein, 1994.

 

Florissant au début du XVIIe siècle, le thème du Christ apothicaire le restera fort avant dans le XIXe en se développant selon différents types, avec des caractéristiques propres à certaines régions. D’une façon très générale, on peut distinguer quatre modèles : le Christ en demi-figure derrière le comptoir ; le Christ avec des assistants ou dans une officine représentée en détail ; le Christ avec des pécheurs repentants; le Christ devant l’officine.

Le sujet a été cultivé dans les parties aussi bien protestantes que catholiques de l’aire germanophone. Une différence réside dans le texte des citations de la Bible. Une autre est la présence, dans les représentations catholiques, d’instruments du culte propres au catholicisme ou du Cœur de Jésus.

 

« Le Christ dans l’apothicairerie des âmes ». Ce tableau se trouvait à l’origine dans le monastère de Pfullendorf, dans le Wurttemberg et montre le Christ portant une balance dans la main gauche, tandis que près de lui un petit ange, figurant en assistant, s’occupe du mortier. Sur la table, au premier plan, une série de poids ; à côté et, à l’arrière-plan, sur le mur, des boites en bois avec les titres de médicaments des âmes. Ce tableau est d’inspiration catholique ainsi que l’indique la longue inscription qui décrit une ordonnance spirituelle. Dans la légende, les croyants recommandaient cette pharmacie à la Sainte Trinité, l’Esprit Saint étant l’apothicaire, Dieu le Père, le Docteur céleste et le Christ, le médecin.   Ici, le Sauveur se présente comme l’incarnation de cette Trinité, sous les traits d’un médecin-pharmacien. Comme sur de nombreux tableaux de ce type, il prend dans un petit sac posé devant lui sur la table, des petites croix. Ce tableau, qui se trouve à Bâle, date des environs de 1700. « Calendrier des pharmaciens », Hein, 1988

 

Les médicaments spirituels dont les noms figurent sur les récipients sont avant tout les trois vertus théologales et les quatre vertus cardinales, mais aussi les sept dons du Saint-Esprit et les sept œuvres de charité. Souvent ils portent les noms de plantes qui symbolisent ces mêmes vertus dans le folklore ou jouent un rôle dans la symbolique chrétienne.  Quant aux officines, leur représentation correspond en général fidèlement à la réalité contemporaine moyenne, sans faste particulier.

Voici quelques autres exemples de représentation du Christ apothicaire :

 

Le Christ pharmacien, peinture à l’huile par Apelli, datée de 1731

 

Le Christ apothicaire, peinture à l’huile du peintre strasbourgeois Wilhelm Baur représentant une officine vers 1626-1630 © Collections histoire de la pharmacie, Ordre national des pharmaciens

 

Le Christ pharmacien prépare une ordonnance pour Adam et Eve. Miniature tirée du manuscrit « Chants royaux du Puy de Rouen » (1519-1528), Bibliothèque Nationale, Paris

 

 

Christ apothicaire avec un pécheur repentant, entouré des remèdes de la « pharmacie de l’âme » : foi, amour, charité , espérance, constance, etc. Le crucifix dans le plateau droit de la balance pèse plus que les péchés et le petit monstre diabolique, symbole du mal, dans l’autre plateau. 1747 Vienne, Österreichisches Museum für Volkskunde, collection d’art populaire religieux de l’ancien couvent des Ursulines Photo Bruno Bonnemain©

 

 

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Le Christ en tant que pharmacien dans la pharmacie céleste : la balance des âmes fait référence au Jugement dernier ; les trois vertus : foi, espérance et charité, sont symbolisées par la coupe, le cœur et l’ancre. S’y ajoute une série de « médicaments de l’âme ». En arrière-plan, on voit la guérison biblique de l’aveugle par Jésus. Le tableau, qui se trouve dans le musée de la pharmacie du château  d’Heidelberg, date de la première moitié du 18e siècle. L’artiste est inconnu.

 

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Christ apothicaire. (Christus als segmender Apotheker mit Gedichttert ö, 1750, Diëzean museum, Freising). On peut voir sur la peinture les pots de pharmacie correspondant aux 3 vertus théologales (foi, espérance, charité), aux 4 vertus cardinales (prudence, tempérance, force et justice).

 

Comme nous l’avons vu, il existe des exemples plus récents de ces « Christ apothicaires ».

 

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Christus als Apotheker, Ausstellung im Focke-Museum Bremen (Afiche) Focke Museum, 1975, Bremen © Collections histoire de la pharmacie,

 

Guy Devaux a présenté dans notre Revue deux gravures de 19851, ci-dessous :

Cette gravure de 1985 de Frank-Ivo Van Damme présente le Christ apothicaire à la fois comme le refuge de l’humanité malade et comme l’alchimiste spirituel capable de réaliser la plus impensable des transmutations. Le décor de l’apothicairerie est simple. Au premier plan, un comptoir sur lequel sont disposés les instruments et les drogues nécessaires à la confection du remède salvateur : parmi les premiers, l’œuf philosophique, matras où se réalise l’Œuvre ; parmi les secondes, un sac de « Kreutzwurtz » (racines de la croix), part de souffrance et de sacrifice inhérente à toute rédemption. Sur la gauche, un bouquet d’angélique décore l’officine divine. Sur la droite, tout au fond et au dessus d’un meuble, quelques vases en céramique brillent dans la pénombre. Un homme et une femme s’avancent dans la pièce : en un geste implorant et avide, la femme tend un récipient vers le Christ, tandis que l’homme, accablé, se tient le front dans une main, appuyant l’autre sur l’épaule de sa compagne, comme pour l’encourager dans sa démarche. Nimbé d’une large auréole, le Christ, dont émane une sereine majesté, se tient derrière le comptoir, interrompant la préparation qu’il exécutait pour prêter attention à la supplication de la femme. Guy Devaux1
Dans cette seconde gravure de Frank-Ivo Van Damme (1985), on voit un Christ apothicaire s ‘offrant lui-même comme remède. Pour donner force à cette proposition, c’est un Christ ressuscité qui est ici représenté, crédible parce qu’ayant déjà victorieusement traversé l’épreuve de la mort et prouvé par là-même l’efficacité salvatrice de sa médication. L’officine est une pièce voûtée rappelant les apothicaireries monastiques ou hospitalières du Moyen-Age. On devine le long d’un mur l’alignement des pots contenant les drogues, tandis qu’un long comptoir au premier plan supporte un mortier, un livre et divers récipients de verre ou de céramique. Un bouquet mêle le roseau et l’angélique, sceptre de dérision pour le crucifié et fleur de félicité pour le racheté. Derrière le comptoir, deux personnages : d’un côté, les bras croisés sous le suaire qui l’enveloppe, immobile et sans visage, la Mort attend ; de l’autre, l’Homme des douleurs — celui qui a été dépouillé de ses vêtements et dont les poignets portent à jamais les stigmates du supplice — devenu au matin de Pâques l’éternel Vivant, auréolé d’une éclatante gloire, se penche avec douceur et sollicitude vers la pénitente assise devant le comptoir. Il lui présente, sous la forme de l’hostie, le Médicament de la Vie. Guy Devaux1

 

1. Devaux Guy. Nouvelles représentations du Christ apothicaire. In: Revue d’histoire de la pharmacie, 73ᵉ année, n°266, 1985. pp. 203-207.

2. HEIN (Wolfgang-Hagen) : Christus als Apotheker. 2. neubearbeitete Aufl.- Frankfurt am Main, Govi- Verlag, 1992, 103p.

Nous avons retrouvé une bonne partie de ces peintures grâce au don de notre collègue François Locher, de Lyon, qui a donné à la SHP d’un grand nombre de calendrier des pharmaciens allemands.

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