Les remèdes d’origine animale dans les thérapeutiques anciennes (poissons et batraciens)
On trouve dans plusieurs ouvrages de référence du XVIIIe siècle (Geoffroy, Lémery, Charas…) de nombreux usages médicaux des poissons et batraciens comme on peut le voir ici (Voir à la fin de l’exposition la définition des termes médicaux au XVIIIe siècle) :
La grenouille : On donnait à la grenouille beaucoup de vertus thérapeutiques. Ainsi Pline considérait qu’elle était le moyen de guérir les affections oculaires par le port d’une amulette : « Si l’on porte pendu à droite du cou, l’oeil droit d’une grenouille, ou à gauche son œil gauche, on se guérit ainsi de la chassie de l’oeil. la même amulette, s’il a été enlevé à la grenouille au moment de l’accouplement, et qu’il soit renfermé dans une coque d’œuf, guérit les taies blanches ». Le même Pline précise que la bave de grenouille éclaircit la vue et leur chair dissipe les douleurs des yeux sur lesquels on les applique. Pline, toujours lui, donne à la fois des préparations à base de grenouilles pour faire pousser ou faire tomber les poils. Dans le premier cas (faire croître les poils), il indique un mélange de fiel de scorpion marin et de grenouilles calcinées vivantes avec le fiel dans un pot de terre ; la cendre ainsi obtenue est appliquée avec du miel, ou mieux avec de la poix fondue. Comme dépilatoire, Pline donne une autre recette : Certains prennent « … quatre grenouilles qu’ils percent d’outre en outre avec un jonc, et qu’ensuite ils placent dans un pot de terre qui n’a pas encore servi; le suc qu’elles rendent, mêlé avec la larme de vigne blanche, empêche la renaissance des cils aux paupières. Pline recommande aussi les injections de graisse de grenouille contre les douleurs d’oreille. Mais il consacre un grand chapitre à l’usage de la grenouille pour les affections dentaires. « Les grenouilles cuites dans du vinaigre, à la dose d’une hémine par grenouille, sont bonnes pour les dents. L’autre option pour empêcher la chute des dents était d’attacher des grenouilles entières aux mâchoires !
D’autres auteurs vont s’intéresser à la grenouille, comme Schröder qui recommande les foies de grenouilles pour traiter l’épilepsie. Valmont de Bomare, dans son Dictionnaire d’Histoire Naturelle reproduit ce qu’il a reçu des auteurs anciens et ajoute quelques lignes sur l’emploi du potage de grenouille : « les grenouilles qu’en emploie en Médecine doivent être de rivière ou d’étang ; il faut qu’elles soient vertes, bien nourries, prises vivantes dans le temps de la pleine lune. Leur cendre est astringente : leur chair est un peu dure étant fraiche, mais elle devient tendre étant gardée : elles sont regardées prises à l’intérieur, comme humectantes et incrassantes et propres pour adoucir les âcretés de la poitrine : elles sont restaurantes et bonnes dans la consomption. On en fait aussi des potages fort sains, qui conviennent dans les chaleurs d’entrailles et pour dissiper les boutons du visage. »
On trouve dans la littérature de nombreuses autres applications de grenouilles vivantes : contre les affections du cerveau, ou pour « pomper le venin ». On emploi aussi la cendre de grenouilles contre les hémorragies. Charas les recommande dans le saignement de nez et pour arrêter le sang des plaies. Autre utilisation intéressante : le vin de grenouille contre l’alcoolisme : on fait mourir des grenouilles dans du vin et on en fait boire aux alcooliques. Ce breuvage les dégoûte, parait-il, du vin et des autres boissons fortes. Enfin, le frai de grenouilles rencontra du succès en cosmétique. il entre à ce titre dans le fiel de bœuf cosmétique cité par de Blégny que l’auteur recommande pour les taches du visage et pour se garantir de hâle. Pour N. Lémery, l’eau de frai de grenouilles est fort rafraichissante, condensante, propre pour les hémorragies, pour calmer la douleur de la goutte, pour les cancers, pour les érésipèles et pour les autres rougeurs de la peau. On trouve enfin de nombreuses formules d’huile de grenouilles. Voici la recette d’huile de frais de grenouilles de Lémery : « Prenez de l’huile commune, trois livres. Du frais de grenouille, 2 livres. Faites-les cuire ensemble à petit feu jusqu’à l’entière consomption de la partie aqueuse… Coulez ensuite la décoction et la gardez pour l’usage… Elle est anodine et résolutive, elle apaise les inflammations. »
On trouve aussi les emplâtres de grenouilles. Jean de Vigo en met dans son emplâtre mercuriel. On trouve aussi chez Lémery un emplâtre de frais de grenouilles « propre pour les paies où il y a inflammation ; il déterge, il adoucit l’âcreté de l’humeur et il dessèche: on s’en sert pour les paies de yeux… »
Voici une recette de Maître Fournier : « Huile de Grenouilles. Recette : grenouilles vivantes, douze, huile de lin, une livre et demi. Cuisez les dans un pot de terre bien bouché, ensuite coulez et exprimez la décoction, puis gardez la colature pour l’usage. VERTUS : Elle adoucit, elle tempère les inflammations, elle excite le sommeil étant appliqué aux tempes, elle apaise les douleurs de la goutte, on y frotte les parties douloureuses. »
Le crapaud : Au XVIIe siècle, au moment de la retentissante Affaire des poisons, le crapaud est très employé par les empoisonneurs. Tantôt, le criminel prend un crapaud, le fouette, lui fait avaler une poudre arsenicale et le laisse crever dabs la tasse de la personne qu’il veut intoxiquer. Le venin, l’arsenic et les ptomaïnes déterminées par la putréfaction de l’animal assemblent leurs propriétés toxiques et créent un poison foudroyant. On utilise aussi simplement le cadavre de crapaud. A l’inverse, on fait des amulettes de crapaud pour arrêter un saignement de nez ou guérir les écrouelles. Schroder écrit que « le crapaud renferme en soi un anodin catholique et universel en vertu de quoi l’os de son bras calme la douleur des dents ». Digby (en 1700) affirme que les pattes de crapaud guérissent définitivement la migraine : « Coupez le bras d’un crapaud et laissez-le aller, après cela faites bien calciner ce bras sur une tuile, et qu’une personne sujette à la migraine porte toujours cette poudre sur le cœur, elle en guérira pour toujours en moins de trois mois ».
Quand à Lémery, il donne une indication intéressante sur la pierre de crapaud : « On trouve quelquefois dans la tête des plus gros et des plus vieux crapauds une petite pierre blanche ou d’autre couleur qu’on appelle ordinairement crapaudine ou pierre de crapaud ; on l’enchâsse dans les bagues, et on la porte au doigt, croyant qu’elle ait une grande vertu pour résister à la malignité des humeurs; on l’attache aussi pour la fièvre quarte ; mais je n’ai guère d’estime pour ces amulettes, et je crois qui, si elle est capable de produire quelque effet, c’est quand on la prend intérieurement après l’avoir réduite en poudre. Elle est apéritive. »
Le crapaud se présente en thérapeutique sous bien d’autres formes : poudres, distillats, cérats, huiles, sérum, etc. En voici quelques exemples : La poudre de crapaud était recommandée par Schröder qui indiquait qu’il fallait les tuer en leur perçant la tête avec un bâton pointu. Lémery explique la façon d’obtenir la poudre : « on prendra donc, par exemple, des crapauds, après les avoir tués, on les lavera et on les pendra par un pied en quelque lieu exposé au soleil pour les y faire sécher.. On en applique en poudre sur les bubons ou charbons pestilentiels, et sur les bubons vénériens, il en attire la malignité en dehors, et il les fait suppurer ; on en donne aussi par la bouche pour l’hydropisie, depuis demi-scrupule jusqu’à demi-dragme. »
On pouvait aussi réaliser une distillation des crapauds. La recette de Charas consistait à couper les crapauds secs en morceau, puis « on les met dans une Cornue de grez ou de verre bien environnée de lut, et l’ayant placée au fourneau du Réverbère clos, et adapté à son bec et parfaitement bien luté un grand récipient, on en tire par un feu gradué un sel volatil et une huile, accompagnez de beaucoup de flegme qu’on trouve ensemble dans le Récipient. » Il recommande le mélange de Sel volatil et de sel fixe (ce qui reste dans la Cornue) dans le traitement de l’hydropisie. Le cérat de crapaud était, quant à lui, considéré par De Blegny comme souverain contre l’ascite. Mais le grand médicament à base de crapaud était l’huile : huile simple, huile composée et baume tranquille. L’abbé Rousseau, désireux de rendre plus actif le Baume Tranquille que vient d’inventer son ami l’abbé Aignan, ajoute à cette préparation « autant de gros crapauds vifs qu’il y a de livres d’huile ou à peu près ». Cette addition rend le remède « admirable contre la peste et toutes les maladies vénéneuses et contagieuses. »
Brochet : Geoffroy (1756) explique que le brochet est employé en médecine pour sa graisse, son fiel, et sa mâchoire, ainsi que les petits os de la tête. « La mâchoire inférieure du brochet est absorbante, alcaline, et détersive ; ce qui fait qu’on l’ordonne comme un spécifique de la Pleurésie et dans l’Esquinancie. Ettmuller prétend que par sa qualité alcaline, et diaphorétique, elle absorbe l’acide coagulant qui cause des effervescences dans ces maladies. Mais ce remède nous parait bien faible pour de si grands maux… La graisse de brochet est résolutive et adoucissante ; on en oint la plante des pieds et la poitrine des enfants pour détourner les catarrhes, pour apaiser la toux et pour leur procurer du sommeil. Le fiel de ce poisson est recommandé pour les maladies froides accompagnées de l’inactivité de la bile il passe aussi pour guérir les fièvres intermittentes, étant pris au commencement de l’accès. » L’auteur indique également qu’on en tire une eau qui est très bonne pour les maladies des yeux, mais cependant moins efficace que le fiel pour emporter les taches et les taies de la Cornée. Enfin, il signale que la mâchoire de Brochet entre dans la composition de la poudre anti-pleurétique de la Pharmacopée de Bates.
Carpe : Geoffroy explique qu’on trouve « au haut du palais de la Carpe un os pierreux, triangulaire, large et blanc comme aussi deux petites pierres ovales au dessus des yeux. On réduit le tout en poudre ; cette poudre est diurétique, absorbante… Extérieurement, le fiel est détersif, ophtalmique. » Lémery évoque aussi cette pierre qui est « propre pour exciter l’urine, pour atténuer les pierres du rein et de la vessie, pour l’épilepsie, pour adoucir l’âcreté des humeurs, pour arrêter les cours de ventre… Le fiel de carpe est propre pour éclaircir la vue. »
Truite : Après une description détaillée de la Truite, Geoffroy indique que les mâchoires et les dents de la Truite sont regardées en médecine comme absorbantes et diurétiques. On les met en poudre pour « pousser les sables et les graviers, et pour prévenir la colique néphrétique. La graisse de truite est adoucissante, résolutive, propre pour les hémorroïdes et les autres maladies de l’anus, pour les ulcères du sein, et pour les fistules des mamelons. On s’en sert en liniment sur ces parties. » Quant à la truite « Ombre » que Geoffroy considère très proche de la Truite, « sa graisse est bonne pour les taches de la petite vérole, pour la surdité, pour les bruissements d’oreille, pour les taies et les ongles des yeux ». Lémery ajoute que « sa graisse est résolutive, adoucissante, propre pour les crevasses du sein, pour les hémorroïdes et pour les autres maladies de l’anus. »
Saumon : Geoffroy ne dit pas grand chose du Saumon, sinon que « son fiel s’emploie dans les maladies des yeux et des oreilles. »
Merlan : « On trouve dans la tête du Merlan, deux pierres ou os blancs, oblongs. Leur poudre est absorbante, diurétique. » (Geoffroy, 1765). Lémery donne un peu plus d’informations : « Les pierres qui se trouvent dans la tête du Merlan contiennent un peu de sel qui les rend apéritives, propres pour la pierre du rein, pour la colique néphrétique ; elles sont propres aussi pour arrêter le cours de ventre, pour absorber les acides. On les prépare en les broyant au porphyre. »
Goeffroy décrit également l’utilisation de très nombreux autres poissons et leurs propriétés thérapeutiques : l’Esturgeon, l’Anguille, la Morue, la Baleine, la Cachalot, le Narval, le Requin, l’Alose, la Tanche et la Perche.
Termes médicaux au XVIIIe siècle (Geoffroy)
Acerbe : c’est un goût qui tient de l’aigre et de l’amer.
Adoucissants : remèdes qui corrigent l’âcreté des humeurs. Agglutinatifs : Remèdes qui réunissent et recollent les plaies. Alexipharmaques ou alexitères : remèdes qui résistent aux venins, fièvres malignes, peste, etc. Il y a en a pour l’intérieur et pour l’extérieur. Anodins : remèdes qui calment les douleurs. Antiépileptiques : remèdes contre l’épilepsie ou mal caduc. Antihystériques : remèdes contre les vapeurs de matrice. Antiscorbutiques : remèdes contre le scorbut. Antispasmodiques : remèdes contre les convulsions ; Apéritifs : remèdes qui rendent les humeurs moins épaisses et plus coulantes. Astringents : remèdes qui resserrent les pores et s’opposent au cours immodéré des humeurs. Béchiques : remèdes qui conviennent aux maladies de poitrine. Calmants : c’est la même chose qu’anodins : voyez ce mot. Carminatifs : remèdes qui dissipent les vents. Caustiques : remèdes qui brûlent les chairs Céphaliques : remèdes bons pour les maladies de la tête. Cicatrisants : remèdes qui affermissent et dessèchent les nouvelles chairs des plaies. Consolidants : remèdes qui servent à la réunion des plaies. Cordials : remèdes qui rétablissent les forces abattues Décoction : préparation de drogues médicinales qu’on fait bouillir dans quelque liqueur pour en tirer les vertus. Dentifrices : drogues pour nettoyer les dents. Dépilatoires : drogues qui font tomber le poil. Désobstruants : remèdes qui enlèvent les obstructions ou embarras, causés par l’épaississement des humeurs. Dessicatifs : remèdes qui consomment les humidités superflues, intérieurement et extérieurement. Détersifs : remèdes qui nettoient les plaies, en dissolvant les humeurs visqueuses qui s’y attachent. Diaphorétiques : remèdes qui font dissiper les humeurs, par la transpiration. Digestifs : remèdes qui disposent à la suppuration. Discussifs : remèdes qui dissolvent et dissipent les humeurs. Diurétiques : Remèdes qui adoucissent l’acrimonie des humeurs et les poussent par les urines. Emétiques : remèdes qui excitent le vomissement Emollients : remèdes qui ramollissent les tumeurs, en relâchant les fibres. Errhines : c’est la même chose que sternutatoires : voyez ce mot. Hépatiques : remèdes capables d’enlever les obstructions. |
Hydragogues : remèdes purgatifs qui évacuent les eaux et les sérosités.
Hystériques : remèdes qui excitent les règles. Incisifs : remèdes qui divisent les humeurs grossières Incrassants : remèdes qui épaississent les liquides, et leur donnent de la consistance. Infusion : médicaments qu’on fait seulement tremper dans quelque liqueur chaude et non bouillante, pour en tirer les vertus. Laxatifs : remèdes qui lâchent le ventre, et purgent doucement par bas. Masticatoires : drogues qui se mâchent, et attirent par la bouche les eaux et les sérosités. Maturatifs : remèdes qui disposent les plaies à suppuration. Narcotiques : remèdes qui calment les douleurs et procurent l’assoupissement. Nervins : remèdes qui fortifient les nerfs. Ophtalmiques : remèdes propres aux maladies des yeux. Otalgiques : remèdes bons pour les maux d’oreilles. Pectoraux : c’est la même chose que béchique. Voyez ce mot. Pénétrants : remèdes actifs qui divisent les humeurs. Purgatifs : remèdes qui purgent par bas seulement. Rafraichissants : remèdes qui tempèrent la trop grande agitation des humeurs. Répercutifs : remèdes extérieurs qui repoussent les humeurs en dedans. Résolutifs : remèdes extérieurs qui dont dissiper par la transpiration les humeurs arrêtées dans quelque partie du corps. Spléniques : remèdes propres aux maladies de la rate Sternutatoires : drogues qui excitent l’éternuement Stiptiques : c’est la même chose qu’astringents : voyez ce mot. Stomachiques, stomacales : remèdes propres à faciliter la digestion. Sudorifiques : remèdes qui excitent la sueur Suppuratifs : Remèdes extérieurs qui facilitent la suppuration Tempérants : remèdes qui apaisent la trop grande fermentation. Vomitifs : c’est la même chose qu’émétiques : voyez ce mot à la lettre. Utérins : c’est la même chose qu’antihystériques. Vulnéraires : remèdes propres à la guérison des plaies. Vermifuges : remèdes qui font mourir les vers ou les chassent du corps. Vésicatoires : remèdes caustiques, qui attirent les sérosités vers la superficie de la peau |
Références
1. M. Bouvet. Les origines de l’Opothérapie : la grenouille. La Pharmacie française, mars 1929 : 1-8.
2. M. Bouvet. Le crapaud dans la thérapeutique. La Pharmacie française, mars 1925 : 1-8
2. Cabanes. Remèdes d’autrefois, Paris, 1910 : 67-83.
3. Cabanes. Remèdes d’autrefois, Paris, 1910 : 102-112
4. Fournier 1753. Le Manuel ou formules de différentes espèces de médicaments faciles à préparer, utiles à toutes sortes de personnes, avec dix remarques pour faciliter la juste application des remèdes qui sont contenus dans ce traité, ensemble leurs vertus et les doses de chaque remède