Les publicités pharmaceutiques dans le l’Almanach du Miroir des sports (1928-1940)
Grâce à notre collègue Jean-Michel Pras qui en possède toute la collection, nous avons eu accès à l’Almanach du Miroir des sports de 1928, date de sa première parution, jusqu’à 1940 où il cessa d’être publié. C’est une bonne occasion de voir sur plus de dix ans l’évolution de la publicité dans un document adressé aux amoureux du sport mais aussi au grand public car cette publication était destinée à tout le monde. Cet almanach provenait du Journal le « Miroir des sports » paru à partir de 1920. Il s’arrête en 1939 et reprend en 1941 jusqu’à la libération où il est interdit pour fait de collaboration, puis reprend de 1951 à 1968. L’objet de cette exposition est de montrer les publicités de la période 1928 à 1940
Les publicités pharmaceutiques dans cet almanach ont d’abord été assez rares, puis ont progressivement pris de l’importance au fur et à mesure des années. On ne trouve dans l’édition de 1928 qu’une seul publicité : celle pour le Dentol. Ce dentifrice créé par la Maison Frères (et Eugène Choay) eut un succès considérable et une abondante publicité depuis la fin du XIXe siècle jusqu’aux années 1920, y compris sur les tickets de métro à Paris. Le produit sera repris par les Laboratoires Vaillant à la fin des années 1920.
La publicité précise que ce dentifrice, « créé d’après les travaux de Pasteur, raffermit les gencives. En peu de jour, il donne aux dents une blancheur éclatante. Il purifie l’haleine et est particulièrement recommandé aux fumeurs. Il laisse dans la bouche une sensation de fraicheur délicieuse et persistante ». Le journal « La Publicité » fait une analyse de ces campagnes pour le Dentol en novembre 1921 : « En matière de publicité faite pour des spécialités pharmaceutiques, chaque semaine qui s’écoule nous apporte quelque révélation nouvelle. La Maison Frère tient toujours le record de l’ingéniosité. Vous avez vu sans doute dans les quotidiens l’annonce du « concours Poulbot ». Il s’agit d’un album contenant « la première série des spirituels dessins Dentol du grand artiste Poulbot » et que tout un chacun a loisir de demander, en vue de la mise en couleur des dessins. D’où un concours avec des prix en espèces, et décernés par un jury d’artistes. Voilà de l’amusement sur la planche pour d’innombrables théories de « gosses », amusement doublé de tranquillité pour les parents. C’est le rêve ! Pendant ce temps, la réclame opère : Dentol, Dentol, Dentol partout. Voulez vous que nous la classions, cette réclame, suivant une formule ? C’est la publicité par l’obsession. »
En 1929, et jusqu’en 1937, c’est un autre produit phare qui prend le relais : le Quinium Labarraque. Ce vin à base de quinquina était apparu en 1857 et vendu à la société Frère par A. Delondre en 1862. Choay explique dans un rapport paru en 1903 qu’en « imaginant cette préparation, Delondre et Labarraque se proposaient de doter la thérapeutique d’un fébrifuge plus économique que le sulfate de quinine, alors très couteux. »
Ce Quinium eut un tel succès qu’il va conduire à la création de pâles copies dénommées, elles aussi, quiniums, qui étaient fort différentes de l’original.
Comme on peut le lire sur le texte de la publicité, le Quinium Labarraque est vanté pour ses mérites de fortifiant, mais aussi pour sa capacité à lutter contre les fièvres les plus tenaces qui « disparaissent rapidement devant cet héroïque médicament ». La Maison Frère fait encore appel à Poulbot pour illustrer les qualités du Quinium, comme on peut le découvrir dans l’Almanach de 1932, avec exactement le même texte d’accompagnement. L’année suivante, on trouve encore une publicité pour le fameux Quinium, toujours signé par Poulbot.
Le succès du Quinium Labarraque ne se dément pas dans les années suivantes. On trouve encore deux publicités pour le produit, respectivement en 1934 et 1937, sous des formes renouvelées. Le dessin de 1934 est signe Jacques Nam ( de son vrai nom Jacques Lehmann : peintre et humoriste 1881-1974) qui avait exposé au Salon d’Automne, aux Artistes Décorateurs et aux Indépendants. Il est surtout connu pour ses dessins d’animaux stylisés (chats, félins) dont il fait sa spécialité car c’est un grand admirateur d’Edouard Manet (1832-1883) et en particulier de son affiche « Le rendez-vous des chats»(1868).
D’autres publicités vont paraitre au cours des années. Le pharmacien Binac installé rue Saint-Ferdinand, à Paris, fait de la publicité en 1934 pour les pilules Foster et pour l’onguent Foster. Les pilules Foster dont on ne connait pas la composition exacte, étaient destinées à traiter les maux de reins et de la vessie. D’après le Formulaire Cerbellaud de 1920, sa composition était proche de la suivante :
Colophane pulvérisée ou mieux :
Résine pulvérisée 0 gr. 020
Fenouil pulvérisé 0 gr. 020
Ache des marais pulvérisée 0 gr. 020
Lupulin pulvérisé … 0 gr. 020
Nitrate de potasse pulvérisé 0 gr. 025
Extrait de baies de genévrier 0 gr. 030
Extrait d’uva ursi 0 gr. 010
Extrait de pariétaire 0 gr. 010
Poudre de gomme arabique Q. S. pour 1 pilule de 0 gr. 16 dragéifiée, N° 1000
C’est à l’époque et depuis plusieurs années un médicament très populaire, sans doute un concurrent de Urodonal et des pilules Pink, par exemple. L’entreprise américaine Mc Clellan qui en est à l’origine s’est implantée à la suite de sa concurrente canadienne des pilules Pink (« Pink Pills for Pale People ») présente dès 1893. La société, implanté en France en 1905 avait pris un accord avec le pharmacien Binac pour limiter les risques juridiques. Comme on peut le lire sur un blog Internet anonyme, l’entreprise américaine avait déjà une stratégie mondiale : « La stratégie développée en France se retrouvait à l’identique dans de nombreux pays du monde. Le groupe disposait en 1916 de filiales à Londres, Sydney, Shangaï, Amsterdam, Bruxelles et Milan. Il avait en outre des agences à Rio, Buenos Aires, le Caire et Bombay. Sa présence dans d’autres pays que la France était assurée sous d’autres formes juridiques. On a connaissance aujourd’hui de brochures en Anglais, Français, Espagnol, Italien, Afrikander, Flamand, Arabe et Chinois. La stratégie de Mc Clellan était très en avance sur son temps : à une époque où la volonté de développement sur les marchés étrangers était, en France en particulier, très peu courante, Mc Clellan n’hésitait pas à considérer que le monde entier était son marché, l’importante publicité directe réalisée parce que le laboratoire faisait de ses spécialités des « produits pré vendus » spontanément demandés par la clientèle.Quant à l’Onguent Foster, le Formulaire Cerbellaud en donne une formule approchée : « Calomel finement pulvérisé… 10 gr. ; Oxyde de zinc pulvérisé. 33 gr. ; Tanin à l’éther, purifié.. 0 gr. 25 ; Poudre d’hamamelis virginica 0gr. 25 ; Acide phénique neige ……… 0 gr. 50 ; Vaseline jaune (Chesebrough) 57 gr. ; Cire jaune d’abeille…3 gr. »
La même année 1934, un autre produit s’intéressait aux maux de reins : la tisane Sanifer, là aussi vendue par la Maison Frère, et qui traitait, grâce aux plantes, toutes sortes de pathologies digestives mais aussi les migraines et l’embonpoint. Comme on peut le voir, la Maison Frère avait une politique de publicité très active !! En 1935, c’est un autre produit, le seul pour cette année-là, qui bénéficie de la publicité dans l’Almanach du Miroir des sports : le Coaltar Le Perdriel, qui venait s’ajouter à une série de produits de l’entreprise. Le nom complet du produit était Coaltar saponiné Le Beuf qui était un antiseptique créé par Ferdinand Le Beuf, pharmacien à Bayonne. Il s’agissait de goudron de houille (coaltar) à 2% émulsionné dans la teinture de Panama (Quillaya saponaria dénommé également buisson à savon), selon le Dictionnaire Vidal de 1960. Bouchardat indique que l’émulsion s’obtient en mélangeant la teinture de Quillaya coaltarée (100 g) avec de l’eau distillée (400 g). « On s’en sert étendue de 10 fois son poids d’eau ». De nombreux médicaments à cette époque sont à base de goudron de houille ou de goudron végétal. On trouve alors au Codex l’eau de goudron et le sirop de goudron.
En 1936, un autre produit, est mis en avant par l’Almanach : L’Elixir complexe Naïphédra, promus par la Pharmacie Notre-Dame, de Metz. Cette publicité pharmaceutique se trouve au milieu d’autres qui n’ont rien à voir ! Le Taupicide (pour détruire le taupes, bien sûr), le jambon Olida, une publicité pour les voitures Renault, mais aussi une pour l’horoscope du professeur Roxroy, astrologue, et celui du professeur El-Tanah, « célèbre occultiste et astrologue » de l’ile de Jersey, et celui également du professeur OX qui peut « vous révéler les plus intimes secrets de votre vie ». Il y a enfin un encart vantant les consultations du professeur Djemaro, « doyen des astrologues de France, chevalier de l’Ordre universel du Mérite Humain » !
On trouve aussi, à nouveau une publicité pour la Tisane et les grains Sanifer. Pour en revenir à l’Elixir complexe Naïphédra pour le traitement de l’asthme qui « il y a quelques années encore était inguérissable », nous n’avons aucune information sur ce produit ni sur sa composition !
En 1937, l’Almanach s’intéresse encore au Quinium Labarraque et à la Tisane Sanifer, mais vante aussi l’intérêt d’un autre produit célèbre à cette époque : le Thé Chambard.
Jules Chambard, pharmacien à Paris en 1840 créé en 1844 le Thé Chambard dont on connaitra ultérieurement la composition à base de séné (Cassia) et d’anthyllide vulnéraire. Sur une étiquette du produit au Portugal, on trouve la composition exacte du Thé Chambard : 40% de séné d’Inde, 20% de racine de guimauve, 15% de frêne, 7% de menthe poivrée, 7% d’hysope, 3% de fleurs d’anthyllide, 1.5% de fleurs de souci et 0.5% de petite centaurée. Cette formule portugaise était sans doute la même en France mais avec des proportions différentes.
Le séné entrait également dans le « Thé de Saint-Germain », produit très souvent cité dans les ouvrages de référence du XIXe siècle et présent au Codex.
Dans l’Officine de Dorvault de 1844, on trouve la « poudre de longue vie », avec comme noms synonymes : « Thé de santé ; Espèce pectorale de Saint-Germain » dont la composition est la suivante : séné, sureau, fenouil, anis, crème de tartre. Quelques années plus tard, le même ouvrage ajoute à propos des espèces purgatives de Saint-Germain : « Le thé purgatif, le thé de Smyrne ou de santé, de Chambard et autres, ne sont que des variantes de cette préparation ». Le produit sera commercialisé jusqu’à la fin des années 1940 dans différents pays.
L’année 1938 s’intéresse encore au Quinium Labarraque, « le plus actif des vins de Quinquina », et à la Tisane Sanifer, mais aussi à un produit de la pharmacie Bonvoisin, le Rhinospir, qui « vous sauvera » de Coryza. On trouve ce même produit dans l’Almanach de l’Action française en 1936, venant de la « Pharmacie du Rhinospir », à la même adresse. Mais sa composition reste inconnue.
Un autre médicament revendique cette année là son efficacité contre le rhumatisme, de la pharmacie Verdier, à Toulouse. C’est l’Hervéa.
En plus de la Tisane Sanifer, on trouve deux autres produits en 1939 : le liniment Sloan et la poudre DOPS. Cette dernière, indiquée pour les maux d’estomac, était encore présente dans le Dictionnaire Vidal de 1960 avec la composition suivante : Hydrogénocarbonate de sodium, carbonate de calcium, phosphate tricalcique, hydroxyde de magnésium et oxyde de titane.
Commercialisé en 1938 par le Laboratoire du Dr Dubois, la Poudre DOPS est entre les mains des Laboratoires de Dr Dumesny en 1960, et a été finalement retiré du marché en 2011. Quant au Liniment du Dr Sloan, il a été créé par l’américain Earl Sawyer Sloan (1848-1923), avec son père et un vétérinaire local pour traiter les claudications des chevaux. Sloan avait rapidement découvert que son liniment était efficace chez l’homme pour traiter les courbatures et les douleurs et créa son entreprise en 1900. Son produit était indiqué pour les rhumatismes, les lumbagos, l’arthrite et les courbatures, etc. Ses principaux constituants étaient l’extrait de piment de Cayenne (Capsicum frutescens), le salicylate de méthyle, le camphre, l’essence de térébenthine et l’essence de pin.
En 1940, dernière année de parution de l’Almanach, la page de couverture montre que la guerre a débuté : le sportif porte l’uniforme ! et l’almanach publie tout un article très illustré sur « les sportifs aux armées ». Plusieurs médicaments sont promus dans cette édition : On retrouve le Liniment Sloan, la poudre DOPS, l’élixir Nephédra, mais il y a un nouveau venu : la Tisane de longue vie de l’abbaye des Bénédictins (Formule du Père Claudius) qui porte aussi le nom de CURHEPAT « qui soigne votre foie et facilite votre digestion ». C’est l’une des multiples tisane de longue vie mises au point par des moines ou des laïcs tout au long des siècles. Mais on ne sait rien de ce Père Claudius ni de sa tisane !!
En conclusion, cet Almanach du Miroir des sports contient peu de publicités sur une période 12 ans mais les rares élues nous permettent de découvrir de nouvelles illustrations, même pour le Quinium Labarraque et le Dentol qu’on trouve pourtant souvent ailleurs.