Comme nous l’avons vu lors d’expositions précédentes, de très nombreuses sociétés pharmaceutiques naissantes ont publié leur propre journal qu’on a appelé « House organ » dans les traités de publicité. Certains d’entre eux étaient financés par une société qui s’en appropriait totalement le contenu et la ligne éditoriale. D’autres au contraire étaient financés par la publicité provenant de plusieurs laboratoires parfois concurrents. Parmi ces derniers, il en est quelques-uns qui méritent une mention particulière car leur objectif était de faire rire ou en tout cas sourire les médecins qui lisaient ses « oeuvres » qui se présentaient sous forme de caricatures ou de textes humoristiques divers.
Le premier d’entre eux paru très peu de temps à partir de juin 1904, est intitulé Medica, financé par la source Lithium de Santenay, l’un des 4 sources existantes en 1889 à Santenay, et par les laboratoires de la Phosphatine Falières. On peut y voir diverses caricatures de « médecins célèbres » dont une caricature de Galien et une d’Avicenne, toutes deux signées Lucien Mativet (voir ci-dessus). Lucien Métivet (1863-1932) est né en 1863 à Paris, était l’ami de Nadar et de Toulouse-Lautrec et avait été le président du salon des humoristes. Il a travaillé pour plusieurs journaux de l’époque tels que le Rire, le Monde moderne, l’Assiette au beurre, le Monde illustré ou Exclesior.
On trouve également deux dessins intéressants la pharmacie : le premier signé de Jean Testevuide est intitulé « Etrennes utiles » et représente un paysan venant acheter un purgatif pour la fête de sa femme : « C’est rapport à not’ femme qu’est constipée, sauf respect, v’la bin un’ année… alors j’y voudrais faire offrande d’un’ petite purge, le mois qui vient, vu qu’c’est sa fête ! » . Jehan Testevuide (1873-1922) était aussi un humoriste bien connu à son époque.
Le second, signé Paul Balluriau (1860-1917), a pour titre « les effets de la potion » où un gendarme, devant un homme visiblement sous l’emprise de l’alcool, lui dit : « vous osez dire que c’est la potion du pharmacien qui vous a mis dans cet état ! ».
Et le bonhomme de répondre : « J’ vous l’ jure, mon agent ! … J’avais pourtant pris, après, quatr’ au sucre et deux nature pour faire passer l’goût… ell m’a quand même coupé les jambes. »
Paul Balluriau, également humoriste et caricaturiste renommé, a participé à de nombreux journaux, affiches, ouvrages,etc. Les publicités pour la source Lithium tendent à montrer des propriétés thérapeutiques extrêmement larges allant des céphalées à la constipation en passant par l’asthme, l’albuminurie, etc. Elle « entretient et restitue la souplesse des vaisseaux » et peut être considérée, nous disent les auteurs, comme « comburante, fluidisante, résolutive et dépurative au plus haut degré ».
Après la deuxième guerre mondiale, un nouveau journal destiné au corps médical fait son apparition : il s’appelle « Divertissements » : tout un programme ! Le numéro 1 d’octobre 1949 de ce « magazine mensuel réservé au corps médical » explique que « ce journal a été créé dans l’unique intention de vous divertir. Ces dessins inédits ou choisis parmi les meilleurs de la presse française ou étrangère, vous apporteront, entre deux consultations, délassements et sourires… » Il va paraitre une dizaine d’année jusqu’en 1955. Le contenu est donc principalement une reproduction de caricatures ou de dessins humoristiques venant d’autres sources. Le texte d’accompagnement est quasiment absent. Nous allons voir quelques exemples des dessins présentés entre 1949 et 1955.
Plusieurs rubriques ont été utilisées par la revue pour classer les dessins : « chasse et pêche », « du côté des enfants », « imprévus médicaux » « au moyen-âge », etc.
Plusieurs sociétés participent au financement du journal : Fournier Frères, les Laboratoires du Défébryl, les laboratoires Brothier, Dausse, les Laboratoires Bouchard, les Laboratoires du Dr Pinard, les Laboratoires Longuet, le laboratoire Logeais, le Laboratoire Galbrun, les laboratoires Loiseau, les Laboratoires Merminod, les Laboratoires Gonnon, le Laboratoire de l’Hépatrol, Sarbach, les Laboratoires Lescène, les Laboratoires Claude, les Laboratoires Houdé, et le laboratoire Leconte.
Si le journal a très peu de texte pour accompagner les images, il y a quand même, dans certains numéros, quelques « histoires drôles » plus ou moins osées, comme les dessins d’ailleurs ! Voici par exemple l’histoire qu’on peut trouver dans le numéro de novembre 1952 : »un couple de jeunes mariés, ayant visité une maison, décide de l’acquérir. Cette maison appartenait à un pasteur. Après la visite, ils se rappellent qu’ils n’avaient pas remarqué où se trouvaient les W.C. Ils écrivent pour demander ce renseignement au propriétaire. Le pasteur, ignorant la signification de l’abréviation W.C., crut que les visiteurs étaient protestants et qu’il s’agissait de la Weslieyen Chapel. Aussi, imaginez la surprise du jeune couple en recevant la lettre suivante : »Cher Monsieur, Excusez le retard apporté à vous répondre, mais j’ai dû m’informer. Le plus proche W.C de la région se trouve à environ sept miles de la maison. Cela est évidemment une circonstance fâcheuse si vous avez l’habitude de vous y rendre régulièrement. Cependant, je suis heureux de vous faire savoir que beaucoup de gens y prennent leur déjeuner et en font une partie de plaisir. Je vous dirai à ce sujet que les W.C. sont disposés pour 300 personnes et que le Comité a décidé de faire recouvrir les sièges de peluche pour leur donner plus de confort. Ceux qui ont des loisirs peuvent y aller à pied ; les autres y vont en chemin de fer et arrivent là-bas juste à temps. il y a des facilités pour les dames, sous la bienveillante surveillance du pasteur qui leur donne tout l’assistance désirable, tandis que les enfants sont assis tous ensemble et chantent pendant la cérémonie. Mes salutations distinguées. »
PS : des feuilles de cantiques sont fournies. Vous en trouverez toujours pendues à la porte ».
Le journal divertissements de juillet 1954 commence par ces mots « Pour ce que rire… » et par l’histoire suivante : « Un de nos chirurgiens les plus en vue dînait l’autre soir dans une maison amie. Comme la bonne apportait sur la table un superbe gigot bretonne (sic) accompagné de ses haricots blancs chantés par le regretté Raoul Ponchon, la maîtresse de maison dit à son hôte :
- mon cher docteur, nous comptons sur vous pour découper le gigot.
- Mais comment donc, ma chère amie.
On pousse le plat vers le célèbre opérateur qui, après avoir soigneusement affilé le couteau, enfonce la fourchette puis empoigne le manche en argent, pratique une forte et décisive entaille dans la viande à point saignante.. Que se passe-t-il à ce moment dans la cervelle de notre homme ? … Toujours est-il que le voilà qui repose le couteau sur la table, fouille dans la poche de son veston, en retire de la charpie, des bandes de linge, et fait au gigot un pansement selon les règles.
Comme disait le pauvre Willy, ex-mari de notre grande Colette, les convives en restèrent comme deux ronds de flan. Mais le chirurgien qui, sans doute, est fort loin de la table où l’on mange, explique avec conviction :-Et voilà ! … Avec du repos et des soins, ça ne sera rien !…
Sous la même rubrique, dans le numéro de mai 1954, voici un texte sur le « Jargon médical » : « Existe-t-il plus de maladies qu’on ne le croit communément, ou les médecins en inventent-ils de nouvelles ? Un docteur, récemment, établissait une nomenclature des phobies. C’est une longue liste aux noms barbares, et certaines de ces manifestations de troubles nerveux ou mentaux sont faites pour surprendre.
Ainsi, savez vous ce que c’est que d’être : mysophobe, microphobe, lyssophobe, thanaphobe, agoraphobe, amaxophobe, sidérodromophobe ? C’est vivre dans une crainte perpétuelle et maladive des poussières, des microbes, de la rage, de la mort, des lieux découverts, des endroits clos, des voitures et des chemins de fer. C’est déjà bien, mais il est des médecins qui exagèrent tout de même. C’est ainsi qu’un de nos amis, marié l’an dernier, inquiet de certains malaises qu’éprouvait sa jeune femme, trop discrète ou peut-être trop naïve, fit appeler un docteur du voisinage.
Celui-ci, interrogé, examine la malade :
– Eh bien, conclut-il, Madame est tout simplement atteinte d’une hyperembryohydrométrophie… Vous imaginez l’effarement des deux jeunes époux qui, cherchant à comprendre, échangent des regards anxieux. Le docteur prend pitié de leur épouvante et, s’adressant au mari, explique :
-Je veux dire que dans quelques mois, mon cher Monsieur, vous serez père !
En août 1954, la revue publient une série de petites histoires drôles dont celle-ci : Un curé de campagne interrogeait un de ses petits élèves :
– Voyons, mon garçon, peux-tu me dire comment se termina la lutte entre Eve et le serpent?
Le gamin réfléchit un court instant puis :
– Un à zéro, dit-il simplement.
Une autre histoire, datée celle-là de mai 1955 :
Un contravention pour excès de vitesse amenait, il y a quelques temps, un jeune médecin devant le tribunal de simple police d’une petite ville auvergnate.
-J’étais pressé d’arriver au chevet de mon malade, explique le docteur. Une minute gagnée, c’est parfois une vie sauvée. Les médecins devraient avoir le droit, dans l’intérêt de tous, de dépasser la vitesse normale.
Un sourire narquois aux lèvres, le juge de paix l’écoutait. Puis le médecin assis, il rendit le jugement suivant : « Attendu que nous ne saurions permettre aux médecins, en dehors des autres moyens qu’ils possèdent et qui nous échappent, de tuer leurs concitoyens en les écrasant, etc.. » Et d’infliger quelques milliers de francs d’amande au philanthropique chauffeur.
Un troisième exemple de journal humoristique nous provient de la société SOCA de Monte Carlo intitulé « Diversités ». il date très probablement des années 1960 mais il en existe peu d’exemplaires. Très riche en publicités pour les produits de la société, en voici un exemple, le N°4, avec de nombreuses histoires amusantes sur la base de faits ou anecdotes historiques ou encore de jeux de mots :
« Faguet enrageait lorsque quelqu’un disait ou écrivait le lendemain. Respectueux de l’étymologie, il n’admettait que l’endemain. En effet, à l’origine, le mot était endemain (lui-même déjà formé de la préposition en et du substantif demain), et l’article s’élidant, on disait l’endemain, forme qui fut seule connue jusqu’au XVe siècle. Puis, peu à peu, on agglutina l’article élidé au substantif, et on employa un second article le. Pendant tout le XVIe siècle, on retrouve les deux formes, celle qui était correcte et celle qui était erronée.
C’est celle-ci qui devait finalement triompher, et c’est la seule qui subsiste à partir du XVIIe siècle…. A propos de demain, il conviendrait d’éviter de dire demain matin, car cela constitue un pléonasme (puisque étymologiquement demain signifie le prochain matin). Mais on ne pourrait pas dire non plus demain soir, car cela constituerait un non sens, pour la même raison… ».
Un autre texte intéressant concerne le mot peindre : Lorsqu’un enfant dit qu’il a peinturé quelque chose, on peut croire qu’il fait une faute de français et que, trompé par le mot peinture, il fait dériver de celui-ci un verbe qui lui parait plus naturel que le compliqué : peindre. En réalité, l’enfant, dans ce cas, est un puriste, sans le savoir. Car si peindre signifie seulement représenter des gens ou des choses par la peinture, et, à la rigueur, par extension, recouvrir de peinture une surface qui n’était pas encore peinte, peinturer a un sens beaucoup plus précis. C’est donc tout simplement barbouiller comme on le dit familièrement,… et c’est bien ce que fait l’enfant.
Pour terminer cette partie sur les mots, « tout le monde sait la différence qu’il faut faire entre agonir (d’injures) et agoniser. Mais l’histoire des deux mots est assez amusante, car ils n’ont pas toujours coexisté. Le second n’est apparu que pour prendre la place du premier qui, victime d’une confusion, avait perdu son sens originel. Jusqu’au XVe siècle, agonir avait le sens actuel d’agoniser, c’est à dire être en agonie. Mais la consonance de ce verbe le fit confondre par le peuple avec ahonnir qui signifie faire honte, et par extension insulter, accabler (d’injures). Ainsi détourné de sa vraie signification, il s’inclina devant l’usage populaire, et à la fin du XVIe siècle, apparut agoniser, qui naquit du besoin d’éviter tout amphibologie, et qui reprit le sens initial d’agonir. »
Mais le journal s’intéresse surtout aux anecdotes historiques comme celle-ci : Pierre Loti, qui venait d’être reçu sous la Coupole, aborda un jour Renan, et il lui dit fièrement :
-Savez-vous que mes autographes sont plus appréciés que les vôtres ? On a vendu hier à la Salle des ventes dix francs une de mes lettres, et trois francs seulement une des vôtres.
-Oui, je sais, répondit Renan, qui avait été un de ses plus ardents électeurs. Et, fouillant dans sa poche : Tenez, voici la vôtre. C’est un de nos amis qui l’a achetée. Elle contient quatre fautes d’orthographe. Nous avons pensé que si on la laissait en circulation, cela nuirait à l’Académie. » Et il ajouta : « Si un jour vous êtes un peu gêné, vous pourrez à la rigueur la revendre ! ».
Autre texte de « Diversités » : « Il est rare que les bons mots soient le fait de ceux à qui on les attribue. Est-ce Sacha Guitry, Tristan Bernard ou bien Bernard Shaw qui a répondu « En silence » au coiffeur qui demandait : « comment voulez vous que je vous coupe les cheveux ? » Ne cherchez pas ! La même histoire nous est déjà rapportée par … Plutarque. Archelaüs, roi de Macédoine, fit cette même réponse à son barbier qui lui posait cette même question, quatre cents ans environ avant Jésus-Christ ! Ce qui prouve, en tout cas, que les coiffeurs ont toujours aimé bavarder en travaillant !
« Diversités » contient aussi un paragraphe intitulé « Science et technique ». en voici quelques extraits. « On demandait à Einstein qu’elle était d’après lui, l’invention de la chimie moderne qui avait eu la plus grande influence sur notre époque – « La décoloration des cheveux féminins », répondit-il. »
Un autre texte est consacré aux dictionnaires : « il existe dans le monde 50 000 périodiques scientifiques, publiés dans les langues les plus diverses… C’est pourquoi l’UNESCO se préoccupe d’établir des dictionnaires spécialisés édités en six langues. Le dictionnaire, consacré aux termes habituellement utilisés dans la recherche spatiale comprendra, à lui seul, environ 50.000 vocables… Mais ces dictionnaires ne seront que futilité à côté des eccetrons. Les eccetrons (du latin , ecce : voici) sont des dictionnaires automatiques, permettant d’obtenir instantanément, dans n’importe laquelle des langues usuelles, des références précises sur un sujet donné. Le problème de la documentation scientifique est en effet devenu aigu. Etant donné l’abondance des communications et des travaux dans le monde, comment un chercheur pourrait-il dépouiller tous ces matériaux savants, pour être informé de l’état le plus récent d’une question spécialisée ? Les eccetrons dont le père est un français, M. Marcel Locquin, attaché au Muséum d’histoire naturelle, ont fait l’objet d’une communication du professeur Dupouy à l’Académie des Sciences. Ils utilisent la mécanique, l’électronique et la photonique.
Plusieurs types sont prévus. « Ariane » répondra en une minute à des questions de trois à six mots sur 100 000 documents de longueur illimitée. Son volume sera celui d’un magnétophone. « Corymbe » répondra, également en une minute, à des questions de trente mots sur un million de documents. « Galaxie répondra à des questions de vingt-mille mots, portant sur un milliards de documents. Son volume sera de un mètre cube. »
Enfin, un dernier chapitre est consacré à « la vie et les hommes », avec, par exemple cette anecdote américaine : « Les rois, autrefois, lançaient la mode ; un caprice de leur part, et courtisans et bourgeois les suivaient aveuglément. Nous assistons actuellement à un phénomène analogue qui se produits aux Etats-Unis. Parce que le président Kennedy se balance sur un rocking-chair, dans son bureau de la Maison Blanche, en bavardant avec ses visiteurs (c’est une habitude qu’il a prise il y a quelques années après avoir subi une intervention chirurgicale dans la région dorsale), le pays entier se balance au même rythme. Ce genre de sport était surtout réservé, jusqu’ici, aux vieilles dames et aux retraités. Maintenant, chacun veut avoir le même chose que le Président, en chêne foncé, genre ancien, et le fabricant qui a fourni le siège présidentiel est débordé par les demandes de la clientèle, bien qu’il ait déjà triplé son personnel. »
Nous verrons dans la suite de cette exposition la star des journaux humoristiques au XXe siècle : Ridendo !