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Les apothicaires et les pharmaciens, membres de la « Société royale des sciences et belles-lettres de Nancy », devenue l’« Académie de Stanislas »

 Les apothicaires et les pharmaciens n’ont pas été très nombreux en un peu plus de deux cent soixante-dix années dans les rangs de la Société royale des sciences et belles-lettres de Nancy, devenue l’Académie de Stanislas au milieu du XIXe siècle (en 1852), à l’issue des vicissitudes des différents régimes politiques qui se sont succédé dans notre pays depuis 1789. Le duc-roi Stanislas qui lui donne son nom est en effet son fondateur en 1750, le changement de dénomination ayant pour but de ne plus être obligé de modifier le nom de la compagnie (royale, impériale, etc.), selon le régime du moment. Le recensement de ses membres pharmaciens ne me semble pas avoir été fait jusqu’à nos jours, et il m’est apparu intéressant de le faire en quelques lignes, sans insister sur chacun d’entre eux, simplement pour faciliter les éventuelles recherches des historiens.

Brève histoire de l’Académie

En l’année 1750, le roi de Pologne, duc de Lorraine et de Bar, décide de former à Nancy une bibliothèque publique et de fonder des prix annuels destinés à récompenser des œuvres qui en seraient jugées dignes par des censeurs. L’édit de constitution de la bibliothèque est signé le 28 décembre 1750 et quatre censeurs royaux sont nommés. Par une instruction du 16 janvier 1751, le collège des censeurs, auquels sont adjoints des censeurs honoraires, est transformé en « Société littéraire de Nancy » qui doit se réunir le jeudi de chaque semaine, tenir trois assemblées publiques annuelles et publier annuellement un recueil contenant des extraits des œuvres primées et de ses propres travaux. Le 27 décembre de cette même année 1751, Stanislas donne à la « Société littéraire » les statuts de « Société royale des sciences et belles-lettres de Nancy » avec pour composition cinq pensionnaires, douze membres honoraires non obligatoirement résidents et appartenant au clergé et à la noblesse, quinze membres titulaires résidents et huit associés étrangers. La Société, quelquefois appelée « Académie de Nancy », s’installe dans l’ancien palais ducal au cœur de la « vieille ville », et les censeurs se donnent un directeur annuel et un patron, saint Stanislas, évêque de Cracovie.

En 1763, la société et la bibliothèque sont transférées à l’hôtel de ville, sur la place Royale, où une grande partie du premier étage leur sont attribués, et où les séances publiques ont lieu dans le salon d’entrée, ou « Salon carré » encore appelé jusqu’à nos jours « Salon de l’Académie ». Les académies sont supprimées le 8 août 1793 sur la proposition de l’abbé Grégoire, un Lorrain…, et les livres sont transférés à l’université, aujourd’hui « Bibliothèque publique de Nancy ». Après la Révolution, le 21 juillet 1802, le préfet de la Meurthe accorde à l’institution le droit de se reconstituer, d’abord sous la forme d’une « Société libre » qui tient ses séances au premier étage de l’immeuble de l’université. Après avoir porté plusieurs dénominations, la société prend comme nous l’avons vu le nom d’« Académie de Stanislas ».

L’académie a donc depuis le début du XIXe siècle rejoint les livres qui sont à l’origine de sa création. Elle siège dans l’immeuble de la bibliothèque où elle bénéficie de locaux, tandis que les livres qu’elle reçoit y sont versés. Elle utilise comme autrefois les salons de l’hôtel de ville pour ses séances solennelles et pour certaines séances dites « hors les murs ». Trente-six membres titulaires, entourés d’un nombre non fixé d’associés-correspondants régionaux, natinaux et étrangers, composent aujourd’hui l’Académie, dont le bureau, comme à l’origine, est renouvelé chaque année.

La source documentaire

Les Tables établies par Messieurs Justin Favier, Paul d’Arbois de Jubainville et, pour la période récente et contemporaine, par le Général Jacques Tommy-Martin et le Professeur Jean-Claude Bonnefont, rendent aisé ce recensement. La liste n’est pas longue. Elle comporte beaucoup d’universitaires, quelques officinaux, quelques historiens et quelques confrères, ou pseudo-confrères, mal classables mais éminents, que j’ai « rencontrés » à l’Université ou de-ci de-là au cours de mes travaux.

 

Un premier bilan

Les quatre décennies du XVIIIe siècle qui s’étalent de la création de la compagnie en 1750 jusqu’à sa disparition en 1793, n’ont conduit à l’accueil que de deux apothicaires. En comptant les correspondants, la Société (royale) des sciences, lettres et arts de Nancy, recréée au tout début du XIXe siècle, et devenue Académie de Stanislas, a jugé seize pharmaciens dignes de figurer dans ses rangs, en réalité un peu moins car tous n’avaient pas jugé utile de passer leurs examens… Le XXe siècle a été moins favorable à nos confrères, puisque je n’en ai recensé que six, l’un d’entre eux, devenu romancier, n’ayant pas, comme quelques prédécesseurs, terminé les études qu’il avait entreprises dans notre cité. L’Académie ne compte que trois pharmaciens actuellement.

Le XVIIIe siècle

La Société royale des sciences et belles-lettres, est fondée à la fin du mois de décembre 1750. C’est un peu plus de trois ans plus tard, en 1754, qu’elle élit Jean-François Laugier, l’un des six apothicaires de Nancy, qui a la réputation d’être un « apothicaire fameux ». Remarquons ici qu’elle fait preuve d’un esprit d’ouverture ou encore « des Lumières », car la profession d’apothicaire n’est pas partout jugée digne d’un tel honneur. Laugier est toutefois reçu en tant que botaniste, ce qui peut atténuer la force de cette remarque, et il choisit la chimie, encore balbutiante, comme thème de son discours de réception. Il s’y montre un adepte convaincu de cette science, au sens que nous lui donnons aujourd’hui, et un ennemi de l’alchimie. Après Laugier, qui décède peu d’années après son élection, il faut attendre 1782 pour assister à la réception d’un second apothicaire, et non des moindres, puisqu’il s’agit de Pierre-François Nicolas, apothicaire et médecin, professeur de chimie à la Faculté de médecine, chercheur et expérimentateur très actif. Il sera, jusqu’à la suppression des sociétés savantes en 1793, un membre très actif de l’académie.

Le XIXe siècle

A sa re-création en juillet 1802, la compagnie accueille concomitamment deux pharmaciens éminents de Nancy, qui en seraient très certainement devenus membres auparavant si la Révolution n’était pas survenue. Il s’agit de Pierre Remy Willemet et de Joseph Sigisbert François Mandel, installés l’un rue des Dominicains et l’autre rue Saint-Dizier, face au marché, et qui, depuis leur accession à la maîtrise, se sont fait constamment remarquer par la qualité et le nombre de leurs travaux et de leurs activités pharmaceutiques. Ils avaient tous deux été les confrères, mais aussi le premier le collaborateur, et le second le contradicteur, de Pierre-François Nicolas, à qui sa qualité de professeur avait plus aisément ouvert les portes, et ils méritaient totalement l’honneur qui leur était fait à ce moment. En même temps, est accueilli Parmentier, élu correspondant national.

Henri Braconnot est élu en 1809. Il est de ceux que la pharmacie a marqués pour toujours, alors qu’il n’a jamais voulu être ni apothicaire ni médecin, mais chimiste, qu’il n’a pas passé ses examens à l’Ecole de Paris et qu’il a été pharmacien militaire à deux reprises… Jusqu’en 1854, il présente aux séances un nombre considérable de notes sur des sujets variés. Mais il est essentiellement un chimiste du règne végétal, et il est « passé » assez près de la découverte des alcaloïdes. Braconnot a présidé l’Académie en 1833 et a été l’un de ses bienfaiteurs, comme il l’a été de la Ville qui a donné son nom à une rue.

C’est dix ans plus tard, en 1819, qu’est accueilli Hubert-Félix Soyer-Willemet, petit-fils de Pierre Remy Willemet, apothicaire comme lui et son successeur, mais qui ne va pas tarder à se reconvertir en devenant sous-bibliothécaire puis bibliothécaire de la ville. C’est à ce titre qu’Hubert-Félix est connu, et que son portrait a été dressé dans un discours de réception. La même année que Soyer-Willemet, la société élit Antoine Laurent Apollinaire Fée, pharmacien militaire avant de devenir professeur à la Faculté de médecine.

Le XIXe siècle est une période où de nombreux pharmaciens s’illustrent par des travaux importants réalisés dans leur laboratoire officinal ou sur le terrain, en botanique, minéralogie, géologie, hydrologie, météorologie, hygiène et démographie, etc.. Tel est le cas des deux Toulois Husson, père et fils, respectivement admis comme correspondants en 1849 et 1883. La liste de leurs publications est longue. Husson fils était promis à une grande carrière académique lorraine et parisienne qui a malheureusement été interrompue très prématurément par la maladie. L’élection de Napoléon Nicklès, « investigateur et collectionneur infatigable », frère du professeur de la Faculté des sciences, en 1895, relève de la même démarche.

Il est clair que la re-création de facultés à Nancy donne un nouvel essor à l’Académie de Stanislas en lui permettant l’accueil de personnalités scientifiques. C’est ainsi que le professeur Jules Emile Planchon, le successeur de Braconnot au jardin botanique, est élu membre titulaire peu de temps après sa nomination à Nancy. Mais il ne reste pas à Nancy et obtient rapidement son transfert à l’université de sa ville natale, Montpellier. Il en est de même en 1855 avec les élections des professeurs Chautard et Nicklès. Jules Chautard, né à Vendôme, fils de pharmacien, ancien interne en pharmacie des Hôpitaux de Paris, mais me semble t-il, n’ayant pas terminé sa scolarité pharmaceutique, est nommé professeur de physique à la Faculté des sciences nouvellement créée. Il quittera Nancy en 1876 pour une autre faculté. Pendant les deux décennies où il est Nancéien, il se montre extrêmement actif à la faculté et à l’académie. Physicien, il est aussi chimiste et spécialiste du camphre, ce qui sera bien utile à Albin Haller pour sa thèse. C’est aussi un grand spécialiste de numismatique dont les travaux sont toujours cités de nos jours.

Jérôme Nicklès est le premier professeur de chimie de la Faculté des sciences. Comme tant d’autres et comme Chautard, la pharmacie l’a conduit à la chimie. Comme Chautard aussi, il participe très activement aux activités de l’académie, et la liste de ses interventions dans les Tables est impressionnante. Il meurt jeune, en 1868, sans doute intoxiqué par les produits qu’il a manipulés. Puis viennent les conséquences académiques de la Guerre de 1870 et du transfèrement à Nancy de la Faculté de médecine et de l’Ecole supérieure de pharmacie de Strasbourg en 1872 : les professeurs qui s’installent à Nancy avec l’université deviennent peu à peu membres de la compagnie. Le premier est Eugène Théodore Jacquemin, déjà associé en 1866 alors qu’il est professeur adjoint de chimie à Strasbourg, et qui devient membre titulaire en 1874 alors qu’il est devenu titulaire de la chaire de chimie de l’Ecole. Gustave Marie Bleicher, professeur d’histoire naturelle et en même temps chargé de cours à la Faculté de lettres, est élu en 1877, et Frédéric Schlagdenhauffen, professeur de physique et toxicologie, et expert judiciaire, en 1887. Ils seront moins proches de l’académie que Jacquemin, Chautard ou Nicklès. Deux pharmaciens historiens sont aussi élus dans cette seconde partie du siècle : Louis Antoine Cap en 1857, l’auteur en 1850 du premier ouvrage d’histoire de la pharmacie dans le monde, Histoire de la pharmacie et de la Matière médicale depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours, et le Déodatien Henri Bardy en 1882.

Le XXe siècle

Trois autres professeurs deviennent membres de l’académie au XXe siècle. C’est d’abord Camille Brunotte, titulaire de la chaire de matière médicale et le créateur du jardin alpin de Monthabey à la Schlucht, le prédécesseur aujourd’hui oublié du jardin du Haut-Chitelet, élu en 1903 mais qui meurt brutalement en 1910. Il s’agit ensuite en 1931, de Louis Bruntz, alors recteur de l’Académie après avoir été le directeur de l’Ecole supérieure de pharmacie en 1913 puis le premier doyen de la Faculté en 1920, et le créateur d’un musée de pharmacie aujourd’hui en dépôt au Musée historique lorrain. Il a été un « recteur bâtisseur » : de la bibliothèque de Médecine et de celle de Droit, d’une cité universitaire, des bâtiments de la Faculté des sciences, rue Sainte-Catherine, de la Faculté de pharmacie et de l’Institut dentaire dont l’usage a cessé récemment. Il s’agit enfin, en 1946, de Pierre Donzelot, d’abord licencié ès sciences et pharmacien, chargé du cours et des travaux pratiques de physique à la Faculté, devenu ensuite professeur à l’Ecole supérieure des industries chimiques. Mais je suis persuadé que c’est au moins autant le résistant et le maire de Nancy à la Libération que le pharmacien, qui a été élu en 1946… A côté de ces universitaires, un seul autre apparenté à la pharmacie est élu : Henri Gaudel, qui n’a pas terminé ses études et qui est devenu romancier, élu correspondant en 1923.

Il ne reste, pour la seconde partie du XXe siècle, que le professeur Jean Gustave Marchal, spécialiste des pigments bactériens, élu en 1975, et Marcel Thiriet, pharmacien à Saint-Nicolas-de-Port, historien de saint Nicolas et préservateur de la très ancienne et très importante basilique de sa ville, à une dizaine de kilomètres de Nancy, élu en 1994. Leur activité académique n’a pas été importante.

Le XXIe siècle

Les deux pharmaciens titulaires actuels se rattachent au XXIe siècle. Pierre Labrude, élu associé-correspondant en 1997, a été promu titulaire en 2006, et Madame Colette Keller-Didier, ancienne présidente du conseil régional de l’Ordre, spécialiste de mycologie et ancienne présidente de l’Académie lorraine des sciences, élue associée-correspondante en 2000, a elle aussi été titularisée en 2006. Les deux premières décennies du siècle n’ont vu se dérouler qu’une seule élection de pharmacien, en qualité d’associé-correspondant comme traditionnellement. Il s’agit de M. Dominique Notter, maître de conférences honoraire à la Faculté, spécialiste d’Emile Coué et animateur de la mise en valeur de son village de Blénod-les-Toul, bien sûr dans le Toulois, qui rejoint la compagnie en octobre 2013.

Conclusion

Comme on peut le constater, très peu de pharmaciens ont été élus à l’académie pour leur compétence et pour leurs activités professionnelles dans leurs spécialités respectives. Dès l’origine, Laugier a été élu comme botaniste et Nicolas comme chimiste et professeur. A son renouveau, au XIXe siècle, l’Académie a distingué deux notabilités scientifiques de la ville, pharmaciens par ailleurs : Willemet et Mandel. Un peu plus tard Braconnot a été élu en tant que botaniste et Soyer-Willemet en tant que bibliothécaire municipal. Arrêtons-nous ici sans ré-envisager leurs successeurs. Presque tous ont été élus en raison de leurs activités extra-pharmaceutiques, de leur notoriété et de leur ouverture d’esprit, ce qui est d’ailleurs le propre des académies et inscrit dans leurs statuts.     

Pierre Labrude

Mai 2020

 

 

 

 

 

 

 

 

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