Le sinapisme Rigollot,
une histoire de plus de 150 ans !*
Le sinapisme Rigollot fait partie des cataplasmes. Les cataplasmes et emplâtres sont des médicaments composés externes et sans doute une des formes de médicament les plus anciennes. Ils étaient composés de pulpes, poudres, farines et de différents liquides et pouvaient être appliqués à plusieurs endroits du corps. L’homme primitif a pris des bains de boue, a pansé ses plaies avec de l’origan. Le papyrus Ebers qui date de la XVIIIe dynastie, en Egypte, vers 1500 av. J.C., décrit des emplâtres d’ail écrasé de pain moisi ou de bois pourri. En Grèce, Hippocrate employait un grand nombre de décoction de plantes et ou de pulpes de fruits sous forme de cataplasmes. Il traitait les plaies et les ulcères à l’aide de cataplasme de bouillon blanc, de trèfle, de « polium ». Jean de Vigo, dans son Traité de chirurgie, décrit un emplâtre « traitant de curation du mal de Naples ou grosse vérole » où entrent de nombreux produits : grenouilles, vers de terre, graisse de porc et de veau, graisse de vipère, huile de camomille, de lys, litharge, cire, mercure. Vers le milieu du XIXe siècle, les formulaires renfermaient plus d’une soixantaine de recette de cataplasmes et des centaines d’emplâtres. On distinguait classiquement les sinapismes (faits avec de la moutarde), les épicarpes (destinés à être appliqués sur les poignets), et les suppédanes (pour la plante des pieds). Si les sinapismes étaient sans doute les plus connus, on préparait au XIXe siècle un cataplasme de mie de pain, le cataplasme narcotique, le cataplasme de quinquina et de camphre et bien d’autres. Les emplâtres demeurent une forme commercialisée. Ils étaient encore très important à la fin du XIXe siècle. Vidal (1825-1893) en a inventé plusieurs : le sparadrap bleu, le sparadrap à l’huile de foie de morue, le sparadrap à l’oxyde de zinc. On trouve aussi l’emplâtre du Pauvre Homme ou papier goudronné (à base de colophane, goudron végétal purifié et de cire jaune).
L’un des sinapismes les plus célèbres est sans doute le sinapisme Rigollot inventé par Jean-Paul Rigollot. Ce dernier, né à Saint-Etienne en 1810, fut reçu pharmacien vers 1834. C’est vers 1866-1867 qu’il inventa le « papier sinapisme » chez Menier, produit qui fut présenté à l’Exposition Universelle (1867). La même année, il présenta son invention à l’Académie de Médecine. Cependant, Rigollot est-il comme on le dit le véritable inventeur de la moutarde en feuilles ? Ce n’est en tout cas pas l’avis de Pierre Vigier (1887) qui lui voit deux précurseurs : Huraut et Boggio. C’est Huraut, pharmacien à Paris, qui a trouvé « qu’en privant la farine de moutarde, soit par la presse, soit par le sulfure de carbone des 28% environ d’huile fixe qu’elle contient, cette farine se conserve presque indéfiniment et prend une activité prodigieuse. Boggio, pharmacien à Paris, frappé de la petite quantité de moutarde sèche qu’il fallait pour obtenir un révulsif énergique, résolut de tirer parti de cette précieuse propriété. Il couvrit une feuille de papier d’une solution très concentrée de gomme, il la saupoudra d’une forte couche de farine de moutarde privée d’huile et très sèche ; il fit passer cette feuille au laminoir pour égaliser la surface et compléter l’adhérence, il la recouvrit enfin d’une mousseline très claire destinée à retenir la moutarde qui se séparait du papier, dès que la gomme se trouvait en présence de l’eau. Boggio, dit Vigier, est donc le véritable inventeur du papier-moutarde ; son sinapisme n’est pas parfait, c’est vrai, mais il était facile à perfectionner, c’est ce qu’a parfaitement compris M. Rigollot, et il a cherché dans les vernis hydrofuges, si communs dans l’industrie, le vernis nécessaire à la bonne confection du sinapisme ».
Le 6 août 1867, Paul-Jean Rigollot dépose une note à l’Académie de Médecine sur sa découverte : « En Angleterre, où il mentionne le produit anglais de Cooper : « Je suis parti des mêmes idées qu’avait Cooper : 1°) éviter aux malades et aux personnes qui les soignent le désagrément et la malpropreté du sinapisme sous forme de cataplasme ; 2°) de supprimer l’emploi du linge, qui fait quelquefois défaut chez les célibataires et les familles pauvres ; 3°) de rendre portatif et immédiatement applicable sans préparatifs préliminaires, le dérivatif par excellence. Seulement j’ai respecté scrupuleusement la tradition médicale en ne présentant que la moutarde. Je n’ai innové qu’une nouvelle forme dans le sinapisme. Sur une feuille de papier d’une certaine résistance, je fixe une couche d’une certaine épaisseur de farine de moutarde d’Alsace… » La découverte de Rigollot fut approuvée par l’Académie de médecine et elle fut officialisée par l’édition de la Pharmacopée 1884 et les éditions suivantes. Le produit est également présent dès la première édition du Vidal en 1914. Cette invention avait été mise au point par Rigollot alors employé chez Menier, à l’Usine de Saint-Denis.
La fabrique de Rigollot, fondée en 1867, est passé dans les mains de Léon Darrasse et Cie en 1868. Elle a été transférée à Fontenay-sous-bois (proche de l’actuel « carrefour des Rigollots ») en 1872 sur une superficie de 4000 m2 où elle employait une quinzaine de personnes.
L’entreprise fabrique alors 25 000 sinapismes Rigollot par jour. L’énergie était produite par une chaudière à vapeur tubulaire, également utilisée pour chauffer ateliers et bureaux. Il y avait plusieurs ateliers : fabrication, conditionnement, mécanique, imprimerie, etc. , des locaux administratifs et un pavillon d’habitation attenant à l’usine, pour le directeur. Les fabrications nécessitaient l’emploi de quantités importantes de solvants inflammables, essence pour le déshuilage de la farine de moutarde, et benzène pour la dissolution de caoutchouc formant la colle utilisée pour la fixation de la farine sur le papier. Un dispositif de récupération perfectionné permettait d’éviter la diffusion des vapeurs dans les ateliers et dans l’atmosphère.
En outre, le personnel était soumis à une surveillance médicale très stricte. D’après le rapport de l’Exposition Universelle de 1910, l’effectif était alors passé à 22 hommes et 14 femmes. A l’exposition Universelle de San Francisco où la Société Rigollot était présente, cette dernière expose : 1) les sinapismes Rigollot ou moutarde en feuilles, en vrac et en boites de 10, 25 et 100 feuilles ; 2) la poudre de moutarde Rigollot, pour cataplasmes sinapismes ; 3) la poudre de moutarde dehuilée Rigollot, pour usage vétérinaire, en vrac et en boites de 500 g. Ayant reçu de nombreuses récompenses aux Expositions Universelles de 1900 à 1913, le sinapisme Rigollot connut une diffusion en Europe, Outre-mer et en Amérique Latine. Le produit faisait aussi partie de l’approvisionnement du Service de Santé de l’Armée. L’entreprise fut une source de revenus considérable pour Darrasse.
Par la suite, la fabrication et la vente ont été reprises par les Etablissements Vaillant-Defresne, qui fabriquaient également l’Autoplasme Vaillant, rue Falguière à Paris. Plus récemment, au début des années 1990, la fabrication fut assurée par les Laboratoires ARDEVAL implantés en Ardèche, dans leur usine de Palluat où était produit également la Jouvence de l’Abbé Soury, le Charbon de Belloc et les Autoplasmes Vaillant. A cette période, 2.000.000 de sinapismes étaient vendus chaque année. Plus récemment encore, ce sont les Laboratoires Augot puis la Société Promedica (à Monaco) qui étaient en charge de la commercialisation du produit jusqu’au 29 avril 2011 où fut déclaré l’arrêt de commercialisation du produit, repris ensuite sous forme de dispositif médical par la SERP (Monaco), de même que l’Autoplasme Vaillant. Un autre sinapisme, le Pneumoplasme, commercialisé par Natur et Pharm avait, pour sa part, été retiré du marché en 2000 et pris en charge par Tradiphar comme dispositif médical.
*Informations issues d’une conférence de Henri Bonnemain le 13 décembre 1993.