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Le médecin des pauvres (Beauvillard)

Les expressions « médecin  des pauvres », « ouvrages charitables » ou équivalentes sont très nombreuses dans la littérature en rapport avec l’histoire de la médecine et de la pharmacie. De tout temps, les professionnels de santé, et pas seulement, ont cherché à mettre à la portée de tous des remèdes simples à préparer soi-même ou peu onéreux.

Cette tradition s’est perpétuée jusqu’au XXe siècle avec l’ouvrage que nous allons feuilleter aujourd’hui, le « médecin des pauvres et les 2000 recettes utiles, par le Docteur Beauvillard » (52° édition publiée en 1922 en 500 000 exemplaires par an). Ce document avait ainsi pris la suite d’un ouvrage publié jusqu’en 1911 par un pharmacien (?), le professeur Peyronnet auquel il est fait allusion régulièrement au fil des pages. Peyronnet avait dédié cet ouvrage à Nicolas II, « empereur de Toutes les Russies ». Il a été complété par un « Almanach du Médecin des pauvres » qui a été publié au moins en 1902, 1925 et 1939 mais qui paraissait sans doute chaque année.

Almanach du médecin des pauvres, 1925

 

Petit Houx (à gauche) et Grenadier. Médecin des Pauvres, 1922 (Dr Beauvillard)

Le médecin des pauvres du Dr Beauvillard paraitra donc à partir de 1911 au moins jusqu’en 1939 (87e édition) et donnera lieu à une nouvelle publication sous le même titre le 12 mars 2020. Pour cette dernière édition, l’auteur indique :  » À la fois manuel d’herboristerie répertoriant les plantes médicinales les plus utilisées et leur vertus, précis de « médecine » présentant les maladies les plus communes et leurs remèdes naturels, cet ouvrage rend hommage aux recettes de nos aïeux et aux connaissances pratiques de ces derniers ». On peut rapprocher cet ouvrage de celui que nous avons déjà présenté dans une exposition précédente, celui du Dr Dehaut qui fut édité plusieurs année au début du XXe siècle.

Le docteur Beauvillard, 1922

L’édition du « médecin des pauvres » de 1922 commence avec de très belles représentations de plantes et de champignons, en couleur. Il y a ensuite une introduction où le Dr Beauvillard se défend « de mettre entre les mains de mes lecteur un vade-mecum qui leur permette de soigner toutes les maladies sans le secours du médecin ».

1. Pavot, 2. Muguet, 3. Buis. Médecin des Pauvres, 1922 (Dr Beauvillard)

Il précise également (on est juste après la guerre de 1914) : « Vous n’y trouverez pas de composés chimiques boches auxquels je n’ai jamais accordé grand intérêt, bien que les Allemands en aient saturé notre pays avant la guerre… Je ne pense pas que leurs vertus aient prolongé la vie humaine d’un seul jour. On vivait aussi vieux du temps de Molière qu’au premier trimestre de 1914 ».

Il ajoute que « la cuisine chimique dont (l’Allemand) a abreuvé nos malades n’a pas eu plus d’efficacité chez nous que ses attaques furieuses devant Verdun et ailleurs ».

1. Joubarbe des toits, 2 .Rhubarbe palmée, 3. Seigle ergoté, 2 bis. Fleurs et fruits de Rhubarbe. Médecin des Pauvres, 1922 (Dr Beauvillard)

Curieusement, l’ouvrage commence, après l’introduction, par une « troisième partie » sur l’hygiène, suivie de 5 autres chapitres  : « Les cent plantes médicinales », « maladies et remèdes », « A propos de l’art vétérinaire », « Recettes utiles », « Notice sur quelques médicaments précieux que nous recommandons d’une façon toute spéciale ».

Avant d’examiner ces médicaments, le chapitre Hygiène est très instructif. On y apprend comment bien dormir, et surtout comment vivre vieux : « C’est très simple… Il suffit, pour arriver à ce résultat, de placer son lit du nord au sud dans la direction des grands courants magnétiques… »

Pour vivre heureux, le docteur Beauvillard rapporte les propos d’un médecin à son fils :

1. Serpolet ; 2. Rose sauvage ; 3. Tanaisie. Médecin des Pauvres, 1922 (Dr Beauvillard)

« Marche deux heures par jour. Dors sept heures toutes les nuits. Lève toi dès que tu t’éveilleras. Travaille dès que tu es levé. Ne mange qu’à ta faim, toujours lentement. Ne bois qu’à ta soif. Ne parle que lorsqu’il faut et ne dis que la moitié de ce que tu penses. N’écris que ce que tu peux signer. Ne fais que ce que tu peux dire. N’oublie jamais que les autres compteront sur toi, mais tu ne dois pas compter sur eux. N’estime l’argent ni plus ni moins qu’il vaut ; c’est un bon serviteur mais c’est un mauvais maître. »

Le chapitre 4 est consacré à « cent plantes médicinales » ainsi qu’au tarif de celles-ci. Le 5° chapitre concerne « les maladies et remèdes ». Quelques une d’entre elles méritent d’être citées. Par exemple, l’alcoolisme a droit a un long paragraphe : « L’alcool fait plus de victimes que toutes les épidémies réunies; il ruine les familles et nous prépare des générations d’enfants rachitiques et scrofuleux. il est le principal pourvoyeur des asiles d’aliénés, des hôpitaux, des prisons… Guerre à l’alcool.  » L’auteur décrit quatre périodes de l’ivrognerie : l’excitation ; la débilité musculaire ; la débilité mentale et enfin l’inconscience.

1. Bourrache ; 2. Pulmonaire ; 3. Petite Centaurée. Médecin des Pauvres, 1922 (Dr Beauvillard)

Autre paragraphe : les cauchemars où l’auteur propose un « traitement spécial » :  « Quand l’insomnie a pour cause la mauvaise digestion, le Thé digestif Peyronnet soulage en deux jours et guérit en peu de temps… Quand la constipation est la cause du mal, prendre du Thé des Chartreux. Quant à la chute des cheveux, il faut utiliser « l’Eau Notre-Dame… baptisé du nom d’Eau Merveilleuse. Sans rivale pour embellir, conserver et régénérer les cheveux et la barbe, elle en arrête la chute. »

Bonbons des Chartreux. Médecin des pauvres, 1901 (Pr Peyronnet).

Beauvillard propose aussi de traiter les vers intestinaux chez les enfants : « Mères de famille, je vous en conjure, au nom de l’humanité, ne laissez pas mourir vos enfants ! Ayez toujours chez vous le Vermifuge Peyronnet, le sauveur de vos chers bébés. Une toute petite tisane de ces plantes, et vingt minutes après les vers sont évacués sans douleur, sans coliques… ». Une septième partie est consacrée à des « recettes utiles » très variées allant des bains froids à la conservation des citrons en passant par le danger d’avoir des fleurs dans les chambres à coucher et la recette de la tarte à la crème ou des prunes à l’eau de vie.

L’auteur s’intéresse aussi à l’assistance médicale : « Tout individu privé de ressources, atteint par la maladie, DOIT ÊTRE SOIGNE » (loi du 15 juillet 1893). Cette prise en charge est assuré au frais de l’hôpital, ou en cas d’absence d’établissement de soin, au frais de la commune.

Spécifique pour les cors. Médecin des pauvres, 1901 (Pr Peyronnet).

Venons-en au chapitre sur les médicaments. Quels sont justement ces « médicaments précieux » (tableau 1) ? 

Il faut d’abord noter que ces médicaments sont vendus par un laboratoire pharmaceutique, les « laboratoires Feron et Beauvillard ».

Avant 1911, la production était semble-t-il assurée par le pharmacien Depardieu, à Paris.

Curieusement, on ne trouve aucune trace de ces producteurs, que ce soit le laboratoire ou les pharmaciens. De même, dans les ouvrages de référence de la fin du XIXe siècle et début du XXe siècle, on ne trouve aucune information sur ces médicaments, ni aucune critique de la part des pharmaciens de l’époque. Nous sommes pourtant dans une période où de nombreux professionnels de santé d’insurgent contre la vente de médicaments non autorisés et dont la formule est tenue secrète. Autres étonnement : aucun des produits cités n’ont fait l’objet d’un dépôt de marque, semble-t-il, malgré l’affirmation du contraire dans l’exemplaire de 1901 ! 

Thé des Chartreux. Médecin des pauvres, 1901 (Pr Peyronnet).

On constate enfin un changement entre la période la « Maison Peyronnet », avant 1911, qui indique que le professeur Peyronnet est « Directeur de l’Oeuvre humanitaire fondée en 1882 ; après 1911 apparaîssent les laboratoires Feron et Beauvillard. L’Oeuvre humanitaire n’est plus mentionnée. En examinant les différents intervenants, on peut constater que le pharmacien Depardieu avait une officine au 8 rue de Lyon, à Paris, de 1902 à 1906. Quant à Peyronnet (de 1903 à 1907), Feron et Beauvillard (de 1908 à 1920), ils étaient aussi pharmaciens, l’officine étant située 21 rue de Lyon, à Paris, mais aussi au 32 rue Crémieux (l’officine ouvrait sur deux rues adjacentes). Les dates ne coïncident pas tout à fait à l’édition de leur ouvrage !

Venons-en aux médicaments recommandés par Feron et Beauvillard. On ne peut pas ici les passer tous en revue. En revanche, certains méritent quelques commentaires.

Tout d’abord, la « liqueur péruvienne » (établie en 1882) qui se présente aussi sous la forme de comprimés. A une période où la forme comprimé est encore très mal vue des pharmaciens d’officine, les auteurs considèrent que la forme comprimé était plus adaptée. En effet, ce produit était à base d’extrait de quinquina, très amère. Ils expliquent que « le problème consistait à comprimer l’extrait concentré à l’aide d’une machine perfectionnée pour le présenter au public sous forme d’une élégante pastille. »

1. Liseron des haies. 2. Stramoine. Médecin des Pauvres, 1922 (Dr Beauvillard)

Ils ajoutent « Sans être une panacée universelle, le Comprimé Péruvien rend les services les plus marqués dans les cas suivants : Anémie, chlorose, pâles couleurs, pertes d’appétit, albuminurie, fièvres pernicieuses, fièvres intermittentes, scrofules, affections scorbutiques, neurasthénie. Là ne se bornent pas les propriétés curatives de ce produit… ».

Un autre médicament se présente sous forme de comprimés, les « comprimés hypnotiques » dont on ne connaît pas la composition : « Les personnes qui ne dorment presque pas, ou qui pendant leur sommeil sont dans un état d’oppression et de gêne se traduisant par des rêves étranges et pénibles, doivent faire usage de ce merveilleux remède… ».

La Roburine mérite également d’être examiné de près : « La Roburine est une poudre destinée à préparer des injections antiseptiques.

Publicité pour la Roburine Gyoux, Le Journal des contributions, 28 décembre 1902

C’est un préservatif souverain pour éviter les maladies des organes intimes de la femme.  Quand on regarde le terme Roburine, il apparaît à la même époque sous le nom de « Roburine Gyoux », « guérison radicale, en un mois, des maladies de la peau », vendu par le pharmacien Gyoux, de Beauvais, et indiqué comme « remède suédois ».

 

Publicité pour la Roburine dans le Journal « la diététique » du 1er février 1902.

Un autre produit sous le nom de Roburine est considéré en 1902 comme « le meilleur remède contre la neurasthénie. C’est un « glycéro-phosphate de fer et de quinine » vendu par Robert et Cie à Paris qui est un »reconstituant par excellence, tonique amer et agréable au goût. On peut donc voir que ce terme Roburine n’a rien de spécifique et est utilisé pour plusieurs médicaments.

 

Bande dessinée sur la Roburine. Nouvelles aventures extraordinaires de Riquet, Risque-Tout et Rirette « Les Belles Images », 18 mars 1926. (Gallica)

 

Un autre médicament attire l’attention : « l’Onguent à la Graisse de Marmotte ». Ce produit est destiné au traitement de rhumatismes, goutte et sciatique. « Beaucoup de montagnards de la Savoie et du Tyrol emploient la graisse de marmotte en frictions contre les douleurs… C’est surtout en Savoie et au Saint-Bernard  qu’on la rencontre en quantité… ». On en trouve aujourd’hui sur Internet provenant d’Autriche !

Publicité de Féron et Beauvillard, pharmaciens. BIU Santé Pharmacie, Paris Cité.

Plusieurs produits sont attachés à des noms, comme la pommade Jean Carpi, la poudre sédative de Homberg, les Capsules Saint-Thomas, et plusieurs produits attribués aux Chartreux : Thé, emplâtre, bonbons, nucléosine.

S’agissant de la poudre sédative de Homberg, c’est peut-être à rapprocher du « sel sédatif de Homberg » (acide borique). Homberg (1652-1715) est surtout connu pour ses travaux sur les diverses variétés de phosphore. Il a montré qu’un sel est obtenu par l’action d’un acide sur une base. Il a également étudié les huiles essentielles végétales et donné son nom à l’acide borique toujours appelé en pharmacie sel sédatif de Homberg.

 

Champignons vénéneux 1. Fausse oronge ; 2. Emétique ; 3. Panthère ; 4. Visqueux ; 5 Bolet Satan.  Médecin des Pauvres, 1922 (Dr Beauvillard)

 

Quant à la pommade Jean Carpi,médecin à Bologne-la-Grasse, on lui doit la découverte des propriétés antisyphilitiques du mercure. Les auteurs du « médecin des pauvres » la prescrive pour « combattre les boutons, les dartres, les démangeaisons. on peut douter que cette pommade soit à base de mercure !

Cette partie sur les médicaments se termine par une notice « utile à lire » où l’auteur se plaint de l’augmentation du prix des plantes médicinales, mais surtout du fait que « L’État a jugé utile de créer un impôt de 10% sur toutes les spécialités pharmaceutiques »…

 

Champignons comestibles. 1. Oronge ; 2. Chanterelle ; 3. Bolet comestible (cèpe de Bordeaux) ; 4. Hydnes ; 5. Coulemelle. Médecin des Pauvres, 1922 (Dr Beauvillard)

 

 

 

 

Tableau 1 : Médicaments humains et vétérinaires
des laboratoires Féron & Beauvillard (1922)

 

Mélange tonique
Comprimés péruviens
Liqueur péruvienne
Dragées toniques
Vin Peyronnet
Thé des Chartreux
Mélange diurétique
Diurétique au vin blanc
Tisane diurétique
Poudre diurétique
Capsules pour reins et vessie
Thé Peyronnet
Poudre absorbante
Gastérasine
Graines de longue vie
Mélange pulmonaire
Emplâtre des Chartreux
Capsules Saint-Thomas
Grains de Salsepareille composée
Bonbons de Chartreux
Onguent à base de graisse de marmotte
Liqueur antirhumatismale
Mélange dépuratif
Salsepareille composée
Pommade Jean Carpi
Poudre sédative de Homberg
Poudre cautérisante
Ecorces de chêne
Roburine
Antileucorrhéique
Calme-Douleurs japonais
Liqueur japonaise
Pommade antipsorique
Élixir antidiabétique
Rob Végéto-tannique
Thé du Paraguay
Poudre Nasine
Thé du Brésil
Comprimés hypnotiques
Nucléosine des Chartreux
Nucléosine des Chartreux au cacao
Spécifique Peyronnet
Eau Notre-Dame
Dentiline
Savon hygiénique Peyronnet
Mort aux rongeursMédicaments vétérinairesPour le Cheval :Feu liquide Peyronnet
Onguent Fondant du DerbyPour la Vache :

Elixir Météorifuge d’Alfort
Poudre pour mettre les vaches en chasse (rut)
Poudre Lyonnaise
Réparateur souverain
Elixir lyonnais contre les coliques
Mixture Ferbeaux contre la gale

Pour les chiens et chats :

Pilules spéciales canines d’Oxford

Pour les brebis, mouton, bélier :

Topique antipiétin

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